Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

HAMLET, à part.

Oui, allez, j’ai l’œil sur vous.

Haut.

Si vous m’aimez, ne me cachez rien.

GUILDENSTERN.

Monseigneur, on nous a envoyé chercher.

HAMLET.

Je vais vous dire pourquoi. De cette manière, mes pressentiments préviendront vos aveux, et votre discrétion envers le roi et la reine ne perdra rien de son duvet. J’ai depuis peu, je ne sais pourquoi, perdu toute ma gaieté, renoncé à tous mes exercices accoutumés ; et, vraiment, tout pèse si lourdement à mon humeur, que la terre, cette belle construction, me semble un promontoire stérile ; le ciel, ce dais splendide, regardez ! ce magnifique plafond, ce toit majestueux, constellé de flammes d’or, eh bien, il ne m’apparaît plus que comme un noir amas de vapeurs pestilentielles. Quel chef-d’œuvre que l’homme ! qu’il est noble dans sa raison ! qu’il est infini dans ses facultés ! dans sa forme et dans ses mouvements, comme il est expressif et admirable ! par l’action, semblable à un ange ! par la pensée, semblable à un dieu ! C’est la merveille du monde, l’animal idéal ! Et pourtant qu’est à mes yeux cette quintessence de poussière ? L’homme n’a pas de charme pour moi… ni la femme non plus, quoi que semble dire votre sourire.

ROSENCRANTZ.

Monseigneur, il n’y a rien de cela dans ma pensée.

HAMLET.

Pourquoi avez-vous ri, alors, quand j’ai dit : L’homme n’a pas de charme pour moi ?

ROSENCRANTZ.

C’est que je me disais, monseigneur, puisque l’homme n’a pas de charme pour vous, quel maigre accueil