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Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/13

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Je dus bientôt en faire autant. La banquette en moleskine était tellement défoncée et glissante qu’en descendant les côtes, il était impossible de s’y maintenir. Mon maître pesta contre ce loueur qui lui envoyait cette guimbarde depuis quinze ans, malgré ses observations réitérées.

Après avoir dépassé plusieurs villages ou fermes, entourées des fameux carrés normands, nous arrivons au sommet d’une côte, d’où nous apercevons, dans le bas, Étretat, dont les toits d’ardoise se confondent avec la teinte de la mer. Sur la gauche s’enfonce un grand val. Le ciel est très clair, le soleil un peu pâle, il ressemble ainsi à une lune en détresse, à une de ces lunes d’Afrique qui traîne sa tristesse sur la mer de sable au lendemain d’une tempête. Mon maître me touche le bras : « Voyez là-bas, tout au fond du val, c’est la Guillette, ma maison, que j’aime beaucoup. » Puis, se levant, face à la mer, il dit : « Comme elle est belle ! quelle teinte superbe ! elle est violette ! C’est très, très joli ! Seulement voilà, si un peintre nous donnait cette couleur et ces tons, on dirait qu’il n’est pas dans le vrai ! » Moi aussi je trouvais cela superbe.

Nous nous arrêtons au bureau de poste, puis nous arrivons à la maison, où nous attendaient la cuisinière et le jardinier.

Le lendemain, vers 10 heures, mon maître me dit de prendre une assiette et de venir avec lui pour cueillir des fraises. Tout en faisant la cueillette, il me vante la fertilité de son jardin et m’énumère les difficultés qu’on éprouve dans les étés secs, car il faut arroser les plants deux fois par jour. Je remarquai la rapidité avec laquelle il cueillait les fraises ; il avait une grande habitude de cet exercice.