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Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/291

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prendre la liseuse de l’île. Je suis le mouvement de près ; avec ce monsieur, d’autres couples prennent place à une table du restaurant Chantry. Je me fais servir à une table assez rapprochée pour bien la voir.

« Le restaurateur me dit qu’elle est mariée au monsieur brun. Sur le moment, je suis un peu dépité, puis le tavernier revient m’apprendre qu’il croyait avoir entendu dire qu’ils devaient se séparer.

« L’inconnue me parut jolie, de caractère espiègle, genre gamin de Paris. Alors je ne puis me défendre de réflexions mélancoliques à son sujet. Voilà deux êtres jeunes et beaux, ils sont déjà fatigués l’un de l’autre et vont être malheureux pour le reste de leurs jours. Quelle comédie que le mariage, tel que nous l’ont fait les conventions ! Ne serait-il pas plus simple et plus équitable de laisser deux êtres suivre la bonne nature et suivre la pente de l’instinct ?

« Quelques semaines plus tard, j’étais lié avec cette société, qui adorait le bord de l’eau… »


Les premiers jours de septembre sont passés et le soleil nous quitte tôt derrière les montagnes ; pour nous dédommager un peu, nous sommes, un matin, de très bonne heure sur les hauteurs ; nous attendons le lever de l’astre en suivant une mignonne rivière (la Versoix), dont l’eau limpide et froide coule vite vers la vallée, emportant parfois des pierres assez fortes qui laissent à découvert de jolies truites aux reflets argentés. Des pêcheurs sont dans l’eau, tout retroussés ; ils prennent à la main ces petites bêtes qui leur échappent quelquefois pour reprendre leur course au fil de l’eau, et vite se cachent sous le premier caillou propice. Ce jeu amuse mon maître, qui avait longtemps désiré voir cette pêche