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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/468

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REMERCIEMENT SINCÈRE

judicieux, que de conclure qu’un philosophe ne connaît point de Dieu, de cela même qu’il pose pour principe que Dieu parle au cœur de tous les hommes.

« Un honnête homme est le plus noble ouvrage de Dieu », dit le célèbre poëte philosophe ; vous vous élevez au-dessus de l’honnête homme. Vous confondez ces maximes funestes que la Divinité est l’auteur et le lien de tous les êtres, que tous les hommes sont frères, que Dieu est leur père commun, qu’il faut ne rien innover dans la religion, ne point troubler la paix établie par un monarque sage ; qu’on doit tolérer les sentiments des hommes, ainsi que leurs défauts. Continuez, monsieur, écrasez cet affreux libertinage, qui est au fond la ruine de la société. C’est beaucoup que par vos gazettes ecclésiastiques vous ayez saintement essayé de tourner en ridicule toutes les puissances : et quoique la grâce d’être plaisant vous ait manqué, volenti et conanti, cependant vous avez le mérite d’avoir fait tous vos efforts pour écrire agréablement des invectives. Vous avez voulu quelquefois réjouir les saints ; mais vous avez souvent essayé d’armer chrétiennement les fidèles les uns contre les autres. Vous prêchez le schisme pour la plus grande gloire de Dieu. Tout cela est très-édifiant ; mais ce n’est point encore assez.

Votre zèle n’a rien fait qu’à demi si vous ne parvenez pas à faire brûler les livres de Pope, de Locke et de Bayle, l’Esprit des lois, etc., dans un bûcher auquel on mettra le feu avec un paquet de Nouvelles ecclésiastiques.

En effet, monsieur, quels maux épouvantables n’ont pas faits dans le monde une douzaine de vers répandus dans l’Essai sur l’Homme de ce scélérat de Pope, cinq ou six articles du Dictionnaire de cet abominable Bayle, une ou deux pages de ce coquin de Locke, et d’autres incendiaires de cette espèce ? Il est vrai que ces hommes ont mené une vie pure et innocente, que tous les honnêtes gens les chérissaient et les consultaient ; mais c’est par là qu’ils sont dangereux. Vous voyez leurs sectateurs, les armes à la main, troubler les royaumes, porter partout le flambeau des guerres civiles. Montaigne, Charron, le président de Thou, Descartes, Gassendi, Rohault, Le Vayer, ces hommes affreux qui étaient dans les mêmes principes, bouleversèrent tout en France. C’est leur philosophie qui fit donner tant de batailles, et qui causa la Saint-Barthélemy. C’est leur esprit de tolérantisme qui est la ruine du monde ; et c’est votre saint zèle qui répand partout la douceur de la concorde.

Vous nous apprenez que tous les partisans de la religion na-