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LA PORTEUSE DE PAIN

Le contremaître se rendit aux ateliers, où il inspecta le travail et donna divers ordres.

Dans la salle des ajusteurs il alla droit à l’étau d’un ouvrier âgé de cinquante ou cinquante et un ans.

— Vincent, — lui dit-il, — j’ai rencontré votre fils, et…

— Est-ce qu’il vous a dit que ma femme est plus malade ? — interrompit l’ajusteur, devenu blanc comme un linge.

— Non, mais il recommande que vous ne vous attardiez point en sortant de l’atelier…

— Il n’a dit que ça ?

— Rien autre chose.

— Possible, monsieur Jacques, — reprit l’ouvrier, tremblant de tout son corps, — mais pour que le garçon vous ait arrêté, pour qu’il me recommande de ne pas m’attarder, moi qui ne m’attarde jamais, il faut que sa mère soit très mal… — Monsieur Jacques, je vous en prie, donnez-moi la permission d’aller jusqu’à la maison… ça me tranquillisera…

— Vous savez, mon pauvre Vincent, qu’il m’est impossible de prendre cela sur moi… — répliqua le contremaître. — Vous connaissez le règlement. — Dès qu’on est entré dans l’usine, on ne peut en sortir qu’au coup de cloche…

— Oui… je sais bien… mais une fois n’est pas coutume… et en demandant au patron…

M. Labroue est absent…

— Absent ? vrai ?

— Je vous l’affirme… Je voulais lui parler… — Il est à Créteil…

— Ah ! tonnerre ! pas de chance ! — fit l’ouvrier d’un ton désolé.

Jacques sortit de la salle des ajusteurs.

Vincent, tout en se remettant à son étau et en paraissant reprendre son ouvrage, le suivait du regard.

Quand le contremaître eut disparu, l’ouvrier dépouilla vivement son tablier de travail, saisit sa casquette et sa vareuse placées près de lui sur un escabeau et, se dissimulant derrière les établis, quitta l’atelier sans qu’on fit attention à lui.

Il traversa la grande cour en longeant les murailles et il arriva près de la porte de l’usine.

Là, il donna deux petits coups dans le vitrage de la loge.

C’était au moment où Jeanne en pleurs pressait le petit Georges sur sa poitrine en le couvrant de baisers.

Elle posa l’enfant à terre et se dirigea vers le vitrage dont elle fit jouer le vasistas.

— M’ame Fortier, tirez-moi le cordon, s’il vous plait… — lui dit l’ajusteur.