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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/342

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princesses de science

vendait sa science en tranches de vingt sous, la pauvre femme que Thérèse avait toujours connue joyeuse, vaillante, supportant avec plaisir sa prodigieuse vie de labeur, brave, de bonne humeur, ayant conservé jusque dans la maturité cette gaieté gauloise du petit monde parisien, s’abandonna, dégonfla son cœur, dévoila sa secrète misère.

— Vous l’avez vu, murmura-t-elle très bas et sans quitter la main de cette amie plus heureuse et plus forte, vous l’avez vu. J’avais toujours caché son vice qui me fait honte, j’ai tenté l’impossible pour qu’on l’ignore. Chaque jour, il me revient ainsi, quelquefois moins gris, mais souvent davantage encore. Hier le concierge l’a trouvé couché dans l’escalier, inerte, et me l’a remonté comme un paquet en le cognant partout. C’est ignoble… Un homme qui était si sobre autrefois !… Il me tue, je vous assure, il me tue. D’abord il a bu peu : l’apéritif, avec ces autres messieurs de l’économat, tout simplement. Mais le goût lui en est venu plus vif. Il a pris deux absinthes, puis trois, puis quatre. Et maintenant, c’est le matin, c’est le soir, c’est le jour, c’est la nuit. Vous venez de le voir, un homme fini ! Ainsi vous concevez quel sort est le mien : mon enfant va mourir, et mon mari m’est devenu un objet de répulsion.

Ses yeux étaient secs, mais ses cheveux blonds, que l’âge et le surmenage avaient décolorés, lui retombaient lamentablement défrisés sur les tempes : elle était vieillie, vaincue, écrasée malgré sa