Page:Zola - Œuvres critiques, 1906, tome 2.djvu/380

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bunaux ordinaires, puisqu’il n’y avait pas de plainte juridique.

« Quant à ce qui concerne les droits du conseil d’administration de la légion étrangère, ils ont été pleinement satisfaits, et il a donné quittance. Comment pourrait-il maintenant dresser une plainte et à quel titre pourrais-je, pour ces faits, signer un ordre d’informer contre un homme qui a rempli tous les engagements qu’il avait pris ?

« Il m’est donc impossible de revenir sur cette affaire entièrement consommée et je n’ai plus qu’à attendre la décision de Votre Excellence sur la démission demandée par M. Zola.

« Le colonel de la légion étrangère n’avait pas joint à son rapport l’acte par lequel le sieur Zola renonce à son rang et à ses droits dans l’armée française, parce qu’il craignait que cette pièce ne s’égarât. Je lui en ai fait faire une copie certifiée par le chef de l’état-major général, et il vient de m’envoyer l’original que je joins à la présente.

« Je saisis cette occasion pour vous renouveler, monsieur le maréchal, l’assurance de mon profond respect.

« Le général commandant en chef
le corps d’occupation d’Afrique,
« Le duc de Rovigo. »

Cette lettre n’est pas encore toute la vérité sur le cas de mon père, que ma piété filiale espère bien expliquer un jour. Mais elle est le trait de lumière qui me guidera, une note enfin sage et juste, que je puis accepter, en attendant d’en savoir davantage.

Demain, je comparerai la lettre du duc de Rovigo à la prétendue lettre du colonel Combe, je discuterai les diverses parties de mon enquête et je pourrai conclure.

II

Il y a d’abord, lorsqu’on compare la lettre du duc de Rovigo à la prétendue lettre Combe, des contradictions matérielles sur des points de détail. Ainsi, chez le premier, la somme trouvée dans la malle des Fischer est de quatre mille francs, dont quinze cents francs appartenaient à mon père, tandis que, chez le second, il s’agit de quatre mille quatre-vingt-dix francs sur lesquels mon père en a déposé deux mille. Chez le premier encore, les Fischer se rendaient en France, tandis que, chez le second, ils partaient pour Naples.

Mais il y a une contradiction matérielle plus grave. La lettre Combe se termine par ces mots : « Ci-joint la démission du lieutenant Zola, accompagnée d’une déclaration dans laquelle il renonce à ses droits et rang dans l’armée française ». Et je lis avec stupéfaction la fin de la lettre du duc de Rovigo, où il explique que, le colonel Combe n’ayant pas envoyé cette pièce, de peur qu’elle ne s’égarât, il finit par l’envoyer, lui, après en avoir fait faire une copie certifiée. Comment concilier cela ? comment le colonel Combe peut-il dire qu’il envoie la pièce, puisque le duc de Rovigo raconte que ce colonel a eu peur qu’elle ne fût perdue, et l’a gardée ?

Si l’on passe aux contradictions morales, elles apparaissent plus extraordinaires encore. À Paris, dans les bureaux de la guerre, on ignorait les faits, on pouvait s’étonner que mon père ne fût pas poursuivi ; et, d’après la lettre du duc de Rovigo, la situation est nettement celle-ci : Paris pour les poursuites, le haut commandement d’Alger contre les poursuites. Alors, tandis que le duc de Rovigo et son chef d’état-major, le général Trézel, couvrent en quelque sorte la personne de mon père, nous avons la surprise de voir leur subordonné, le colonel Combe, l’attaquer avec une violence inouïe. Il est le seul, là-bas, qui tienne un langage si outrageant. Comparez le ton de sa prétendue lettre avec le ton des lettres de ses chefs, c’est un homme que la colère emporte, à côté d’hommes froids et sages. Et le stupéfiant est que, par son grade de colonel, il présidait le conseil d’administration du régiment, que la lettre du duc de Rovigo nous montre si inquiet, sentant sa responsabilité engagée, craignant d’avoir à payer le déficit, ayant donc le vif désir d’accepter l’offre que faisait mon père de mettre ses comptes en règle, pour en obtenir quittance. Dès lors, comment s’expliquer l’attitude de cet étrange colonel qui va contre l’intérêt du conseil d’administration qu’il préside, et qui fait tout ce qu’il faut pour en aggraver la responsabilité ?

À cela, il est vrai, on peut répondre que le colonel Combe n’avait pris le commandement de la légion étrangère que depuis une quinzaine de jours, car il n’était débarqué à Alger que le 24 juin, comme je le prouverai tout à l’heure, pour une autre démonstration. Il n’avait donc pas de responsabilité personnelle, dans une affaire qui durait depuis cinq grandes semaines, et qui était finie à son arrivée. Mais alors, outre qu’il est singulier de voir un colonel bousculer ainsi, au débotté, un conseil d’administration qu’il allait présider désormais, comment pouvait-il parler avec cet emportement d’une affaire qu’il ne connaissait pas, qui s’était passée avant son débarquement, dont il ne tenait les détails que de seconde main ? Et, quand même, il devait savoir qu’il allait contre le désir de ses chefs, qu’il les contrecarrait. Le duc de Rovigo lui avait fait évidemment demander par le général Trézel un rapport, pour en finir, et le rapport authentique serait ce rapport exaspéré qui tendait à ce que tout recommençât ! Et ils auraient accepté cet acte de révolte, et ils auraient envoyé ce rapport ! N’y a-t-il pas là des étrangetés, des obscurités qui déconcertent, qui permettent toutes les suspicions ?

Ces suspicions, je les dirai nettement, bien qu’il ne puisse s’agir que d’hypothèses. Je suis retourné au bureau des Archives, en compagnie de Jacques Dhur ; et, pendant que je copiais les pièces importantes du dossier, les étudiant dans tous les sens, en les examinant à la loupe, une conviction s’est faite en moi. Elle m’est évidemment personnelle, et elle ne repose que sur le raisonnement. D’abord, il y a eu disparition de pièces, car, même après la communication du dossier judiciaire, je continue à m’étonner de l’absence totale de toute pièce prouvant les accusations du colonel Combe, expliquant la