Palmira/XXVII

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Maradan (3p. 49-61).


CHAPITRE XXVII.




Retournons à miss Harville que nous avons laissée à Angecour. Elle y avait déjà passé environ trois semaines. Charles, forcé d’obéir à ses volontés, sévèrement exprimées, allait de temps à autre au Hâvre ; mais à peine un jour était-il écoulé, qu’il revenait près de Palmira, préférant s’exposer à sa colère que d’être des siècles sans la voir ; et il appelait ainsi quelques heures passées loin d’elle, ce qui la détermina à accélérer l’exécution de ses projets.

Elle pria donc sa tante de lui faciliter l’entrée de l’abbaye dont elles avaient déjà parlé ensemble. Tout en causant sur ce sujet, madame de Saint-Pollin lui demanda si elle n’était pas sensible aux sentimens passionnés de Charles, agréable, bon, excellent jeune homme, un peu trop vif peut-être, mais qu’un amour heureux calmerait infailliblement. Palmira protesta d’un attachement pur et sincère pour son cousin, en se défendant cependant de répondre à ses vues. Sa tante en fut vraiment fâchée. Elle eût voulu voir le bonheur de deux êtres si chers à son cœur, assurés l’un par l’autre. Elle pensa aussi qu’une lettre de recommandation n’était pas assez pour sa nièce ; elle promit donc qu’elle l’accompagnerait, et profiterait de cette occasion pour s’occuper de plusieurs affaires qu’elle avait à Paris.

Palmira la remercia de cet excès de bonté et de complaisance, et la pria d’interposer son autorité pour empêcher M. de Mircour de les suivre. Que de prudence et de réserve, mon enfant ! puisse le pauvre Charles, qu’elles rendent si malheureux n’être jamais vengé par l’ingratitude d’un mortel, assez aimable d’ailleurs pour adoucir la fière et insensible Palmira !

Je ne suis point insensible, reprit celle-ci ; j’en appelle à ma tendre reconnaissance pour vous, ma tante ; à la force des souvenirs que m’arrachent les objets de mes affections, qui n’existent plus ou qui vivent loin de moi. Ses paupières se mouillèrent. Madame de Saint-Pollin l’embrassa, en avouant que sa faiblesse pour Charles lui faisait quelquefois blâmer une conduite, qu’en y réfléchissant mieux elle devait approuver. Je l’avoue, ma chère, ajouta-t-elle, nos cœurs peuvent être également bons, mais votre jolie tête est meilleure que la mienne.

Le jour du départ fut enfin fixé à la fin de la semaine. Le même soir où il avait été décidé, Charles, absent depuis deux jours, revint à Angecour ; il trouva Hortense seule, travaillant à son métier de tapisserie. Où donc est-elle, ma belle cousine ? demanda-t-il d’abord. — Votre belle cousine s’occupe des préparatifs de son voyage. — Hortense, ne plaisantez-vous pas ? — Je ne plaisante jamais, moi. — Elle nous quitte ! ô Dieu ! Dieu ! — Vous avez bien dû vous y attendre. Ma mère n’a pas pensé pouvoir la garder toujours. — Elle l’a desiré du moins. — Cela pourrait être ; ma mère s’attache à tout le monde. — Tout le monde. Quelle expression ! en parlant d’un être unique. En vérité, Hortense, je vous avais jugé bonne fille ; mais… — Vraiment, depuis que miss Harville est ici, je n’éprouve que des désagrémens. — Vous êtes si peu aimable pour elle. — Ne suis-je pas dans mon pays, dans mon château ? Je crois bien que c’est à l’étrangère de chercher à me convenir.

Charles, renonçant à répondre aux sottises d’Hortense, allait et venait dans la chambre, balbutiant seulement parfois, partir ! partir bientôt ! Comment le supporter ! L’objet de ses rêveries, de ses sollicitudes, miss Harville enfin ne tarda pas à paraître : il l’avait vue la surveille ; elle ne l’avait point préparé à l’affligeante nouvelle. Blessé de si peu de ménagement, il la salua avec une affectation de froideur qui ne tarda pas à se dissiper, lorsque Palmira, disant qu’elle allait le lendemain visiter ses bons amis du rivage, lui demanda s’il voulait l’accompagner.

Je n’ai jamais négligé une seule occasion d’être près de vous, répondit Charles ; mais effacez entièrement le sentiment de tristesse qui m’accable dans ce moment, en me permettant de vous suivre dans un plus long voyage. Paix ! paix ! dit madame de Saint-Pollin. Il est expressément défendu de traiter cet article-là. Ne songeons qu’à notre partie de demain. Je me fais une fête de passer une journée avec ces bonnes gens.

C’est bien gai, répliqua Hortense, d’être ainsi dans une cabane de pêcheurs entourée de rochers effroyables. Ah ! ces rochers, s’écria Charles, je les préfère au séjour le plus riant de l’univers, depuis qu’on y a trouvé un si précieux trésor, et il allait donner l’essor à un de ses accès de passion ; mais il fut interrompu par miss Harville. Vingt fois, dans le courant de la soirée, il voulut entamer une nouvelle explication qui fut toujours éludée.

Le lendemain matin, Hortense, déclara qu’elle avait la curiosité de connaître cette Louise que l’on prétendait être fort jolie pour une paysanne. Pour une paysanne ! répéta Charles, que de dames de château s’enorgueilliraient de ses beaux yeux, de son doux sourire ! Mademoiselle Hortense, qui formait une quatrième personne, sur laquelle on ne comptait pas, changea les dispositions. Elle fut donc en chaise avec sa mère, et Palmira à cheval avec son cousin. Cette première ravissait, par la manière assurée, remplie de grace, avec laquelle elle montait son superbe coursier. On imagine bien que cette remarque n’échappait pas à l’amoureux Charles, qui lui rappelait une cavalcade qui avait eu lieu à Sunderland chez le duc de Dervind. Vous vous serviez, dit-il, du beau cheval blanc d’Abel, qui eut un mouvement si fougueux qu’il fallut votre habileté pour vous garantir dune chûte terrible. Je jetai un cri d’effroi. Abel devint pâle comme la mort. Quoi ! il eut une telle émotion, demanda vivement Palmira ; et, s’appercevant du ton dont elle venait de s’exprimer, sans attendre la réponse, elle piqua des deux.

Charles vint la rejoindre sans former la moindre conjecture ; l’idée de Palmira, d’Abel, étant entièrement détachée l’une de l’autre dans son imagination, et il lui fit remarquer le site charmant qu’ils parcouraient. Elle convint que ce pays fertile et varié lui plaisait extrêmement. — Et vous voulez le quitter si promptement ! abandonner pour de froids étrangers une affectueuse parente, un cœur qui ne respire que pour vous, qui voudrait vous voir commander les plus grands sacrifices, afin de vous convaincre à quel excès il vous est dévoué ! Ah ! Charles, ce cœur n’existe pas pour moi, répondit douloureusement Palmira, dont la pensée errait en Espagne. — Femme injuste ! si vous dédaignez mon ardente et profonde passion, du moins ne faut-il pas la méconnaître !

Ce genre de conversation ne pouvait guère se prolonger avec miss Harville ; elle la ramena sur d’autres objets, qui les occupèrent jusqu’au moment de descendre à la cabane de Louise et Roger, où ils furent tous reçus avec les exclamations d’une joie naturelle. Hortense ne pouvait revenir de l’air de propreté et d’aisance de cette modeste habitation, ainsi que de la sorte d’élégance des formes de Louise, et de la figure agréable de Roger.

Après s’être un peu reposée, Palmira voulut aller sur le rivage ; ses amis l’y accompagnèrent. En gravissant un rocher, qui lui était inconnu, elle apperçut à ses pieds une vallée au milieu de laquelle était situé un vieux château de l’aspect le plus triste. Par le moyen de l’élévation où elle se trouvait, elle distinguait de vastes jardins négligés, des cours où l’herbe croissait d’une hauteur étonnante. Un silence effrayant régnait autour de ce lieu solitaire. Après l’avoir fixé, Palmira s’écria : Mélancolique demeure, tu sembles devoir servir d’asile à une ame infortunée !

— Oh ! bien infortunée ! répéta madame de Saint-Pollin ; et Louise soupira en levant les yeux vers le ciel. Miss Harville se rapprocha, et témoigna un extrême desir d’en savoir davantage. Pourriez-vous vous intéresser, lui demanda Charles, à une victime de l’amour et de ses faiblesses ? Il faudrait être bien insensible, reprit Hortense, pour n’être pas touché des malheurs de la comtesse ; et, en prononçant ces mots, le ton d’Hortense était moins sec que de coutume.

Ce que l’on venait de dire redoubla la curiosité de miss Harville. Elle pria qu’on l’instruisit sur-le-champ des événemens qui paraissaient relatifs aux habitans du sombre manoir. Madame de Saint-Pollin se chargea du récit. Chacun s’étant assis près d’elle sur des débris de rochers, le château en perspective, elle commença ainsi :