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Peintures (Segalen)/Peintures magiques/Flamme amante

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Georges Crès et Cie (p. 29-32).

… Un Empereur, vêtu de rouge, couché longuement sur un lit tout vermillon.

La face et les yeux rougeoient ; les prunelles se piquent d’étincelles ; et il regarde avec le sourire que l’on a pour la Seule que l’on attende et qui est proche ; et il jette devant lui ses deux mains de couleur chaude avec ce geste que l’on tend vers l’unique objet qu’on aime et qui est là ; et son cou renversé, brûlé de lueurs rousses, et ses lèvres éclairées de fièvre, toute la Personne, richement peinte s’illumine et se donne comme au désir de quelque chose que pourtant nous ne voyons pas : sauf, — à les bien fixer, — en plein milieu des yeux luisants : une flamme.

Mais, suivez le regard : le regard s’en va droit à cette autre petite flamme rouge qui se tient fière et fixe dans la nuit… Sans lampe et sans huile, sans autre nourriture que puisée dans l’ombre alentour, elle éclaire cependant tout de sa couleur.

C’est donc cela ! L’Empereur désire cette flamme : il sait bien qui elle est ! Il l’invoque, il la conjure, il ne la quitte point des yeux… Et vous aussi, regardez, regardez mieux : (de plus près, de tout près, en retenant bien votre souffle pour ne pas la faire trembler…) Elle grandit, elle change, elle se dresse, se courbe et se contourne… Sa pointe s’effiloche en dix mille cheveux, et deux bras longs aux dix doigts effilés ; son ventre bifurque en deux jambes frémissant à la jointure, et il se fait deux seins aussi, de couleur brûlante, et des lèvres, une langue, des yeux…

Est-ce une flamme encore ? Ah ! vous pouvez respirer à votre aise, maintenant… (si vous le pouvez…) Elle résiste. Elle est de grandeur humaine ; elle grésille de joie de dévorer : elle est triomphante et hardie ; elle est neuve, et, chaque nuit, ressuscitée : à sa lumière, que la concubine faite d’os et de chairs mélangés paraît dure ou molle ou quotidienne ! Auprès d’elle, que donnent à l’Amant souverain ses filles bien gardées, bien cérémonieuses, puisqu’il possède ici et avive cette Peinture : cette


FLAMME AMANTE,


rouge-ardente, qui le lèche, l’enveloppe, le pénètre, et fond la joie comme un bronze en coulée au four du cœur ! Voyez ! Voyez ! Il est dévoré d’amour de flamme.

Mais, prenez garde, et ne respirez plus… Elle redevient petite tout d’un coup, tremblottante et lumineuse simplement…

Non ! Non ! Ne soufflez pas ! — C’est pourtant ce que ferait ici une épouse en jalousie d’amour de chair. L’Autre, la Rouge, s’éteindrait, et ne serait plus rallumée.