Poètes d’Hier et d’Aujourd’hui

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Poètes d’Hier et d’Aujourd’hui
Poètes d’Hier et d’Aujourd’hui, Texte établi par Gérard WalchLibrairie DelagraveSupplément à l’Anthologie des poètes français contemporains, (p. Titre-Tdm-Sup).

PALLAS
Poètes d’Hier          
          et d’Aujourd’hui

MORCEAUX CHOISIS ACCOMPAGNÉS DE NOTICES

BIO- ET BIBLIOGRAPHIQUES

ET DE NOMBREUX AUTOGRAPHES
PAR
G. WALCH

SUPPLÉMENT
à
l’Anthologie des Poètes français contemporains.
PARIS
LIBRAIRIE DELAGRAVE
15, rue soufflot, 15


Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.

AVERTISSEMENT
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La publication de ce Supplément, prévue depuis quelque temps déjà, s’est trouvée retardée par des circonstances indépendantes de notre volonté. Grâce à des concours qui nous furent précieux, nous pouvons, aujourd’hui, donner à notre recueil la forme d’une anthologie-revue où figureront successivement, à côté de leurs aînés, les meilleurs poètes des nouvelles générations.

Ce qui nous a guidé dans la composition de ces pages, c’est la sympathie due à toute recherche désintéressée et consciencieuse du Beau, et le désir de répondre à la confiance de nos lecteurs en les renseignant très exactement et très impartialement sur le mouvement poétique actuel, si intéressant à bien des égards.

Puisse ce nouveau volume trouver, auprès du public auquel il s’adresse, le même accueil que les précédents.

G. W.



AVIS


Attendu depuis quelque temps, et entièrement imprimé dès juillet 1914, ce livre devait paraître au mois de septembre de la même année. La guerre déchaînée sur l’Europe depuis bientôt vingt mois, en a retardé encore la publication. Nos lecteurs voudront bien nous pardonner ce nouveau retard.

Bien que la documentation de notre Supplément s’arrête à juillet 1914, nous nous faisons un douloureux devoir de commémorer ici la perte que les lettres françaises viennent de faire en la personne d’un des jeunes poètes qui ont collaboré à ce volume, M. Charles Dumas, mort glorieusement à l’ennemi dans les premiers mois de la guerre. Nous croyons ne pouvoir mieux honorer sa mémoire qu’en donnant pour épigraphe à cette anthologie de poètes le dernier vers de son Testament (v. page 308) :


Ce désir d’être tout que j’appelle mon âme !


G. W.


Mars 1916.


Ce désir d'être tout que j’appelle mon âme !
Charles Dumas,Testament.



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Bibliographie. — La Découverte, ode couronnée à un concours pour l’Exposition maritime universelle du Havre (Kugelman, 1868). — Chez Lemerre : Les Nuits et les Réveils, poésies (1870) ; — Éloge d’Alexandre Dumas, un acte en vers, représenté aux matinées Ballande (1872) ; — La Voix d’En Haut, un acte en vers, représenté aux matinées Ballande (1872). — Judith, scène dramatique pour un prix de Rome, musique des frères Hillemacher (1876). — Chez Ollendorff : Garin, drame en cinq actes, en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1880) ; — Le Fils de Corneille, un acte en vers, pour l’anniversaire de Corneille, représenté sur la scène du Théâtre-Français (1881) ; — Contes d’à présent, récits en vers (1881) ; — Louchon, roman (1884) ; — Le Centenaire de Figaro, à-propos en vers, dit au Théâtre-Français (1884) ; — Apothéose de Victor Hugo, à-propos en vers, représenté sur la scène du Théâtre-Français (juin 1885) ; — La Vie Chimérique, poésies (1892) ; — La Mégère apprivoisée, comédie d’après Shakespeare, représentée sur la scène du Théâtre-Français (novembre 1891, 1892) ; — Testament poétique, poésies posthumes avec une étude biographique et critique par Sully Prudhomme (1895) ; — Les Chansons épiques (1897) ; — Théâtre inédit, premier volume [Le Rossignol, Rabelais, Crête-Rouge, Hélène] (1899). — Contes d’à présent, nouvelle édition (Fasquelle, Paris, 1908). — En outre : Les Rois en Exil, pièce écrite en collaboration avec Alphonse Daudet et représentée sur la scène du Théâtre du Vaudeville en 1883 (Dentu, Paris, 1883).

Paul Delair a collaboré à divers journaux et revues, et notamment à la Renaissance, au Voltaire, au Gil Blas, à la République française, au Temps, etc.

Paul Delair, né à Montereau (Seine-et-Marne) le 24 octobre 1842, d’un employé à la fabrique de faïences de cette ville, et d’une paysanne de Chéroy (Yonne), Élisabeth Amena, mort à Paris — on il était arrivé dès l’âge de sept ans — le 19 janvier 1894, a écrit des poésies lyriques, des récits épiques et dramatiques, du théâtre en vers et en prose, des romans et des nouvelles. Son labeur a été incessant jusqu’à sa mort, causée par une grave affection de poitrine.

Paul Delair a expliqué dans ses vers comment, dès ses premières années, dans sa petite ville natale, il avait éprouvé le sentiment obscur d’une existence antérieure et cru retrouver des images familières dans les èlres et les choses qui l’entouraient :


Et c’était bien l’écho, l’écho secret des choses,
Car sitôt qu’il vibra, mystérieux pouvoir,
Le Ciel, le bourg, les eaux par le pré sombre encloses,
Tout ce que je voyais, je croyais le revoir !


Il resta longtemps sous l’influence de ce sentiment, et, jeune homme, — au moment même où il devait interrompre, pour se consacrer aux siens, les études brillantes que son père lui avait fait commencer au collège Chaptal, — devint un admirateur de Jean Reynaud et des doctrines de l’Immortalité qu’il avait restaurées. Vers la même époque, la lecture de l’Ahasvérus d’Edgar Quinet lui lut une révélation et le confirma dans la direction que son esprit avait prise.

Son premier volume. Les Nuits et les Réveils, publié chez Lemerre en juillet 1870, montre son esprit déjà forme à cette noble école ; il est plein d’ardeur et de rêve, de mélancolie colorée, de stoïcisme.

De 1872 jusqu’à sa fin, Delair, dont les premiers essais s’étaient rattachés au genre épique (des poèmes sur Perceval le Gallois et Jeanne d’Arc), travailla constamment pour le théâtre : « La poésie lyrique, ou didactique, écrivait-il a Sully Prudhomme en 1874, exige chez le poète un moi très rigoureux qui puisse déborder sans cesse sans perdre son centre. Au fond, moi, je ne suis heureux que quand je me fais autre et d’un autre temps, et ce qui m’attire dans le drame, c’est que c’est pour son auteur une métempsycose… »

Malgré cette appréciation, Delair ne cessa jamais de s’adonner à la poésie lyrique, d’abord pour s’y complaire dans l’évocation du passé et surtout du Moyen Âge, plus tard pour lui confier l’expression des doutes, des angoisses et des douleurs dont sa vie fut traversée. Le beau livre, si varié et si attachant, qu’il a publié en 1892 sous le titre de La Vie chimérique et qui contient des vers de vingt années, à ces divers points de vue, toute sa vie.

Paul Delair a débuté brillamment au théâtre par l’éloge d’Alexandre Dumas, représenté à la Gaîté sa 1872 et appelé au Théâtre-Français. Il a aussi célébré Corneille (Le Fils de Corneille) et Victor Hugo, l’objet depuis son enfance d’une vénération quasi filiale (L’Apothéose de Victor Hugo, juin 1885). Il a écrit de nombreux drames d’histoire, dont un seul, Garin (1880), a été représenté jusqu’à ce jour. Il a collaboré avec Alphonse Daudet aux Rois en Exil, pièce tirée du célèbre roman de ce nom (décembre 1883). Son roman, Louchon (1884) et son drame Hélène (Vaudeville, septembre1891) évoquent le cadre angestral d’un village de l’Île-de-France où ses oncles étaient demeurés attachés aux travaux des champs, et qui s’était partagé son enfance avec celui de Montereau. Il dut son succès le plus incontesté au théâtre à une très heureuse adaptation de la Mégère apprivoisée de Shakespeare, interprétée avec un éclat merveilleux par les acteurs du Théâtre-Français avec Coquelin et Marie-Louise Marsy comme protagonistes (novembre 1891).

L’amitié des plus dévouées et des plus actives que Coquelin avait vouée à Delair des 1876, s’était révélée d’abord à l’occasion des Contes d’à présent, que le célèbre comédien interpréta, au fur et à mesure qu’ils étaient écrits, de 1878 à 1880. De ces récits, empruntés principalement à la vie, très idéalisée, des simples gens que le poète avait appris à aimer, quelques-uns, tels que la Vision de Claude et la Messe de l’Âne, furent alors et sont demeurés populaires.

Par l’élévation du sentiment et la fermeté du style, ces récits constituent, dans leur ensemble, un des titres littéraires les plus sérieux de Paul Delair. La récitation s’en répand aujourd’hui dans les écoles.

Delair s’était plongé de nouveau dans les épiques français lorsque la maladie l’emporta, au moment où, plus que jamais désireux d’écrire, il entrevoyait, dans la transcription et l’interprétation des œuvres du xiie siècle, un champ illimité à son activité poétique. Le fruit de ses travaux interrompus dans ce genre, une suite de récits tirés de la Geste de Guillaume (Les Chansons épiques), a été publié : après sa mort, par les soins de son fils, M. Jacques Delair, ainsi qu’une première série de Théâtre inédit et un volume de poésies lyriques (Testament poétique).

En 1885, à propos de l’Apothéose de Victor Hugo, Auguste Vitu signalait chez Paul Delair le sens épique. « Je reconnais, écrivait-il, en M. Paul Delair l’étoffe d’un poète épique, témoin les vers prononcés par le Gardien de la porte infernale, et que l’auteur des Contemplations n’aurait pas désavoués. »

« Il était né pour le théâtre, a écrit d’autre part Sully Prudhomme, qui a consacré à Paul Delair une longue étude en tête du Testament poétique, — c’est-à-dire avec le don de s’identifier sympathiquement à autrui… Nous touchons là au plus intime caractère, à l’essence même de son génie poétique… »

Dans la même étude, Sully Prudhomme apprécie ainsi Paul Delair :

« Il a laissé une œuvre considérable : des poésies lyriques, des pièces de théâtre en vers et en prose, des romans… Sans l’éclatant succès de la Mégère apprivoisée, plus d’un esprit, même cultivé, n’eût été toutefois que fort insuffisamment informé de sa valeur. Cette valeur est pourtant de premier ordre, de sorte que, même en faisant la part de sa modestie, de sa fière timidité, si peu favorables a l’exploitation de son talent, on se demande pourquoi il n’a pas obtenu de son vivant toute la réputation qu’il méritait. Il y a là un problème littéraire et social qui sollicite l’examen. Son œuvre si riche, si belle, si peu récompensée pourtant, m’a permis d’étudier de près et de reconnaître à des signes certains ce que c’est qu’un vrai poète, et m’a fait en même temps réfléchir aux conditions requises pour que notre art porte tous ses fruits. »

Nous avons cru devoir reproduire ci-dessous, parmi d’autres pièces, quelques-uns des problèmes philosophiques réunis par Sully Prudhomme dans le deuxième livre du Testament poétique de Paul Delair, quoique ces pièces n’aient pas toutes été amenées au même degré de fini. Nous ne doutons pas que des poèmes comme l’Atome, malgré certaines imperfections de forme, ne soient jugés de premier ordre par les esprits auxquels ils s’adressent.


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ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS

DEUX HOMMES

Deux hommes sont en moi, l’un jeune, l’autre vieux. Le vieux, c’est ma pensée à qui rien de la vie Ne cache son mensonge et ne fait plus d’envie, Et qui doute, inquiet, si la tombe vaut mieux. Le jeune, c’est ma chair, ma chair inassouvie, Que j’ai sevrée au temps de l’avril radieux, Qui demande son dû, qui souffre, et dont les yeux Réclament l’aube ardente à ses baisers ravie. D’un long cri de révolte il emplit la maison Pendant que le vieillard songe, amer et livide ; O douleur ! et je sens que tous deux ont raison. EL j’en meurs ; car sitôt que l’un, de joie avide, Peut saisir une coupe, avant qu’il ne la vide, L’autre y verse un dégoût plus fort que du poison. (La Vie chimérique.)

L’ADIEU CHAQUE SOIR

O misère de l’homme, hélas ! et de l’amour Impuissant à former de deux cœurs un seul être ! Quand sous le drap commun le doux sommeil pénètre De vieux époux s’aimant comme le premier jour, Ils se disent adieu, comme si quelque maître Les venait enfermer chacun dans une tour, Comme s’ils se quittaient, peut-être sans retour, Et partaient au hasard, cessant de se connaître. C’est qu’en effet, sitôt endormis, chacun prend Dans la nuit sans défense un chemin différent ; C’est que, tant c’est un sort fragile que le nôtre, La mort peut toucher l’un de son doigt ténébreux Pendant que l’autre rit à quelque rêve heureux ! Tous deux se sont absents dans les bras l’un de l’autre. {La Vie chimérique.) Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/21 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/22 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/23 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/24 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/25 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/26 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/27 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/28 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/29 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/30


GEORGES GOURDON
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Bibliographie. — Les Pervenches, poésies (édition de biblio- phile, épuisée, 1878); — Le Retour de l’amiral Courbet, poème-. — Les Villageoises, nouvelles poésies Savine, l’.tris. 1 S H 7 > ; — Le Sang de France, avec, une préface de Met ine. Paris, 1891): — Guillaume d’Orange, poème dramatique M cinq actes, avec une préface de Gaston P. ois | Alphonse Lena Paris, 1896); — Cronstadt- Toulon- Pa Lemerre, Paris); — Chansons de Geste, avec une préface du vicomte Eugène-Melchior de Vogué, ouvrage couroauié’ par l’A- cadémie française (Alphonse Lemerre, Paris, 1 001 ) : — Chan- sons de Geste, 2« édition augmentée (Alphonse Lemerre, Pute, ); — Jeanne d’Are, draine eu trois actes et sept lableaux, 81 vers, avec chœurs (Société anonyme «le l’Imprimerie Ch. - Rochefort-sur-Mer, 1910); — Le Chemin de la Vie, poèmes. M. Georges Gourdon a collaboré au Paris-Journal, au Pays, à la Revue des Poètes, au Mois Littéraire et Pittoresque, etc. Il est rédacteur en chef des Paillettes des Dcux-t’liarcn M. Georges Gourdon, poète, publiciste et philologue, est né le 22 avril 18^2 à Vandré, près Surgères (Charente-Inférieure), où son père était tonnelier. A douze ans, on le mit au collège ecclésiastique de Pons. 11 y termina ses humanités et s’en- ensuite dans l’infanterie. Il tint garnison a Toulouse, où il apprit la langue d’oc. Sou service militaire accompli, M. Georges Gourdon vint à P. tris et y étudia la médecine. Mais la poésie le ravit très vile à l’art médical, et il donna des vers à différents périodiques. En même temps, il collaborait au Paris-Journal, sous Henri de Pêne, et envoyait des articles aux Tablettes des Deux-Char entes, important organe monarchiste et maritime, publié à Rochefort-sur Mer depuis bientôt un siècle, et dont il devint en 1889 rédacteur eu chef. Le premier recueil de poésies de M. Georges Gourdon : Les Pervenches, paru en 1878, était dédiéà Sully Prudhomme et fut signalé par André Theuriet dans la Revue des Deux Mondes. La mort du Prince impérial 1 inspira bientôt après au jeune poète une ode qui, publiée dans le Pays, rendit son nom brus- quement populaire et lui valut les éloges de Barbey d’Aure- . Tué en Afrique le 1 er juin 1879. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/32 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/33 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/34 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/35 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/36 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/37 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/38 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/39 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/40


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BibliographieLa Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines (Félix Alcan, Paris, 1878 ; 4e éd.) ; — La Morale anglaise contemporaine (Félix Alcan, Paris, 1879 ; 6e éd.) ; — Vers d’un philosophe (Félix Alcan, Paris. 1881 ; 8e éd., 1906) ; — Les Problèmes de l’esthétique contemporaine (Félix Alcan, Paris, 1884 ; 4e éd.) ; — Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (Félix Alcan, Paris, 1885 ; 5e édit.) ; — L’Irréligion de l’avenir (Félix Alcan, Paris, 1887 ; 7e éd.) ; — L’Art au point de vue sociologique (Félix Alcan, Paris, publication posthume ; 7e éd.) ; — Hérédité et Éducation (Félix Alcan, Paris, publication posthume, 4e éd.) ; — La Genèse de l’idée de temps (Félix Alcan, Paris, publication posthume ; 2e éd.). — En outre : divers ouvrages classiques[1].

Les ouvrages philosophiques de Guyau ont été traduits en anglais, en allemand, en espagnol et en polonais. Ses Œuvres complètes ont été publiées en russe.

« Jean-Marie Guyau, philosophe et poète, naquit le 28 octobre 1854 à Laval, où il ne resta que trois années. Son premier guide dans ses études fut sa mère, auteur (sous le pseudonyme de G. Bruno) d’ouvrages d’éducation universellement répandus, notamment Francinet, couronné par L’Académie française, Le Tour de la France par deux enfants et Les Enfants de Marcel. Jean-Marie Guyau fit ensuite ses études classiques sous ma direction. Je lui étais uni par des liens de parenté : sa mère était ma cousine germaine et devint plus tard ma femme. Je fus pour Guyau un second père.

« Dès son enfance, il montra une ardeur et une précocité extraordinaires. Il avait quinze ans lorsque je faillis perdre la vue après l’excès de travail occasionné par mes deux mémoires successifs sur Platon et sur Socrate ; je fus, pendant de longs mois, condamné a ne rien lire, à ne rien écrire. C’est alors que le jeune Guyau me prêta ses yeux, fit pour moi recherches et lectures, écrivit sous ma dictée, ajouta dans mon travail ses réflexions aux miennes, parfois ses phrases aux miennes. Il platonisait déjà avec une élévation d’esprit et une pénétration incroyables dans un adolescent. Aussi ai-je justement dédié à sa mémoire mon livra sur la philosophie de Platon.

« Reçu dès l’âge de dix-sept ans licencié ès lettres, il se mit aussitôt à traduire le Manuel d’Épictète et fit précéder sa traduction d’une étude éloquente sur la philosophie stoïcienne. À dix-neuf ans. il fut couronné par l’Académie des sciences morales et politiques dans un concours exceptionnellement brillant, pour un mémoire sur la morale utilitaire depuis Épicure jusqu’à l’École anglaise contemporaine. L’année ; suivante, il était chargé d’un cours de philosophie au lycée Condoreet.

« Sa santé ébranlée le força presque aussitôt de renoncer à l’enseignement. Il passa dés lors l’hiver dans le Midi, la première année à Pau et à Biarritz, les autres années à Nice et à Menton. Mais sa santé s’affaiblissait insensiblement. En 1888, au moment du tremblement de terre qui désola la rivière méditerranéenne, Guyau fut obligé de coucher plusieurs nuits dans une maisonnette humide, qui nous servit alors d’abri. Il prit un refroidissement qui exerça sans doute une action fatale sur ses reins et ses poumons. Toujours est-il que le mal éclata bientôt avec violence, sous la forme d’une phtisie aiguë. Guvau s’éteignit à l’âge de trente-trois ans, le vendredi 31 mars 1888.

« Outre la traduction du Manuel d’Epictète et diverses éditions d’ouvrages classiques, notamment les opuscules philosophiques de Pascal, Guyau a publié la Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines, dont la première édition. parut en 1878, C’était le commencement du grand mémoire couronné pa r l’Institut. La suite parut en 1879 sous le titre de La Morale anglaise contemporaine. C’était une étude très approfondie des doctrines anglaises, par un esprit qui n’avait pas encore entièrement rompu avec la philosophie spiritualiste traditionnelle. Puis vinrent les Vers d’un Philosophe, dont la première édition parut en 1881, et les Problèmes de l’esthétique contemporaine (1884). En 1885 fut publiée l’œuvre hardie et originale qui devait marquer une date dans l’histoire des idées contemporaines : L’Esquisse d’une morale sans obligation, ni sanction. Ce livre excita l’admiration de Nietzsche, qui l’annota tout entier de sa main. Nietzsche couvrit de même d’annotations marginales le second chef-d’œuvre de Guyau, L’Irréligion de l’avenir, publié en 1887[2].

« Trois autres ouvrages de Guyau étaient terminés quand il mourut ; je n’eus qu’à en diriger la publication. C’étaient : L’Art au point de vue sociologique (auquel Tolstoï semble avoir emprunté une partie de ses idées sur l’art, quoiqu’il renvoie seulement aux Problèmes de l’esthétique contemporaine), puis Éducation et Hérédité, enfin La Genèse de l’idée de temps.

« Éducateur de premier ordre, Guyau a aussi publié pour les écoles des ouvrages devenus classiques : Première année de lecture courante, L’Année préparatoire de lecture, L’Année enfantine de lecture, etc.

« Comme poète, Guyau recherche uniquement la vérité de la pensée, la franchise de l’élocution, le naturel et la fidélité de l’expression. C’est dans les pièces inspirées par les problèmes de la destinée humaine et universelle qu’il montre le plus de force et d’élévation. La poésie philosophique, c’est ce grand arbre qu’il nous peint dominant l’horizon de son tronc austère et immobile, mais dont la cime est sans cesse émue par un souffle venu d’en haut que ne sentent point les basses régions. Un accent toujours personnel et une pensée toujours impersonnelle, voilà ce qui fait L’originalité de notre poète… Sa sincérité d’émotion est telle qu’on sent bien qu’il pense avec son cœur autant qu’avec son cerveau.

« La doctrine qui a inspiré les Vers d’un Philosophe et qui, sans jamais être l’objet d’une exposition didactique, y prend corps et âme sous nos yeux, tient en deux mots essentiellement humains, qui résument eux-mêmes Les deux tendances en lutte à notre époque : doute métaphysique, espérance morale. Selon Guyau, la métaphysique ne peut tirer ni des découvertes de la science, ni de ses propres raisonnements, rien qui puisse nous faire sortir de notre doute au sujet de la moralité du monde. Aussi le doute, expression sincère de notre état d’esprit spéculatif, devient-il pour lui « un devoir », au lieu de la foi érigée en devoir par les religions et même par certaines philosophies…

« Guyau faisait avec goût des mathématiques, comme de la poésie ou de la philosophie. Son intelligence était d’une étonnante flexibilité. Sa mémoire était excellente, pour les faits comme pour les idées, pour les formes et scènes de la vie extérieure comme pour celles de la vie intérieure. C’était un « visuel ». Il avait d’ailleurs d’excellents yeux, très attentifs à toutes les beautés de la nature, avec un goût prononcé pour les voyages, pour toutes ces visions de la montagne et de la mer qui remplissent ses poésies. Il aimait et entendait tous les arts, y compris la musique, et montra de remarquables dispositions pour la composition musicale. De même que, dans ses Vers d’un Philosophe, il avait, sur plusieurs points, devancé les hardiesses de la versification contemporaine et réagi contre le vers trop plastique en faveur du vers musical, de même, dans les mélodies qu’il avait composées sur des poésies de Sully Prudhomme, de Musset, de Hugo, il avait pressenti la liberté et la fluidité des formes nouvelles. C’était une musique toute psychologique et poétique, au dessin indécis et changeant. En toutes choses, Guyau se montra initiateur, délivré des préjugés du passé, très curieux du présent, ayant le meilleur de son âme tourné vers l’avenir.

« Alfred Fouillée. »


Il peut paraître superflu d’analyser ici l’œuvre philosophique de Jean-Marie Guyau. Détachons, cependant, de l’Introduction à La Morale, L’Art et la Religion d’après Guyau les lignes suivantes :

« L’école de l’évolution, qui aperçoit partout changement et métamorphoses, est naturellement portée à calculer la marche de l’humanité future d’après la ligne que celle-ci a décrite dans le passé et d’après le mouvement qui l’entraîne dans le présent. En Angleterre, Spencer et ses nouveaux disciples, — Stephen Leslie, Clifford, Barratt, Miss Simcox, — n’ont pas craint de se faire, au nom de la science, comme les prophètes de la société à venir. En Allemagne, parmi beaucoup d’autres, Wundt a écrit récemment une Éthique où les considérations sur le passé des sociétés et sur les lois de l’évolution conduisent naturellement à des inductions sur l’avenir. En France, la doctrine de l’évolution n’a guère trouvé, dans ces dernières années, qu’un interprète vraiment original et libre pour entreprendre de construire une morale sur des bases en partie nouvelles et de deviner les transformations de ces deux grandes idées directrices : obligation, sanction. Psychologue et surtout moraliste, métaphysicien à ses heures, artiste toujours et poète, Guyau a essayé de compléter lui-même la morale évolutionniste des Darwin et des Spencer, dont il avait montré jadis les lacunes et les limites avec une rare pénétration. Grâce à lui, — et c’est la moindre justice à lui rendra, — la philosophie française n’aura pas été sans contribuer pour sa part à l’amendement d’une doctrine dont on ne saurait méconnaître ni l’influence actuelle ni l’importance future. La série de ses travaux sur la morale, l’art et la religion, trop tôt interrompus par la mort, est à peu près la seule où nous puissions saisir, comme en raccourci, l’effort de notre génération pour reconstruire sur un plan nouveau ce que la critique s’était hàlée d’ébranler… »

Il convient de nous arrêter un peu plus longuement aux idées sur le rôle social de l’art développées par Guyau dans : L’Art au point de vue sociologique. Pour Guyau, la métaphysique n’est point aussi subjective, aussi individualiste qu’elle pourrait le sembler ; c’est une expansion de la vie, et de la vie sociale : « c’est la sociabilité s’étendant au cosmos, remontant aux lois suprêmes du monde, descendant à ses derniers éléments, allant des causes aux fins et des fins aux causes, du présent au passé, du passé à l’avenir, du temps et de l’espace à ce qui engendre le temps même et l’espace ; en un mot, c’est l’effort suprême de la vie individuelle pour saisir le secret de la vie universelle et pour s’identifier avec le tout par l’idée même du tout. La science ne saisit qu’un fragment du monde : la métaphysique s’efforce de concevoir le monde même, et elle ne peut le concevoir que comme une société d’êtres, car qui dit univers dit unité, union, lien ; or, le seul lien véritable est celui qui relie par le dedans, non par des rapports extrinsèques de temps et d’espace ; c’est la vie universelle, principe du « monisme », et tout lien qui unit plusieurs vies en une seule est foncièrement social. Le caractère social de la morale est plus manifeste encore. Tandis que la métaphysique, tandis que la religion, cette forme figurée et Imaginative de la métaphysique, s’efforcent de réaliser dans la société humaine, par la communauté des idées directrices de l’intelligence, la liaison intellectuelle des hommes entre eux et avec le tout, la morale réalise l’union des volontés et, par cela même, la convergence des actions vers un même but. C’est ce qu’on peut appeler la synergie sociale… Mais l’union sociale, à laquelle tendent la métaphysique et la morale, n’est pas encore complète : elle n’est qu’une communauté d’idées et de volontés ; il reste à établir la communauté même des sensations et des sentiments ; il faut, pour assurer la synergie sociale, produire la sympathie sociale : c’est le rôle de l’art.

« L’art est social à trois points de vue différents, par son origine, par son but, enfin par son essence même ou sa loi interne. Ces trois thèses sont développées dans L’Art au point de vue sociologique ; mais, comme on l’a très justement remarqué, c’est surtout la dernière qui est essentiellement propre à Guyau. L’art est social non pas seulement parce qu’il a son origine et son but dans la société réelle dont il subit l’action et sur laquelle il réagit, mais parce qu’il « porte en lui-même », parce qu’il « crée une société idéale », où la vie atteint son maximum d’intensité et d’expansion. Il est ainsi une forme supérieure de la sociabilité même et de la sympathie universelle qu’elle enveloppe. « L’art, dit Guyau, est une extension, par le sentiment, de la société à tous les êtres de la nature, et même aux êtres conçus comme dépassant la nature, ou enfin aux êtres fictifs créés par l’imagination humaine. L’émotion artistique est donc essentiellement sociale. Elle a pour résultat d’agrandir la vie individuelle en la faisant se confondre avec une vie plus largo et universelle. » La loi interne de l’art, c’est de « produire une émotion esthétique d’un caractère social ». Les sensations et les sentiments sont, au premier abord, ce qui divise le plus les hommes ; si on ne « discute » pas des goûts et des couleurs, c’est qu’on les regarde comme personnels, et cependant il y a un moyen de les socialiser en quelque sorte, de les rendre en grande partie identiques d’individu à individu : c’est l’art. Du fond incohérent et discordant des sensations et sentiments individuels, l’art dégage un ensemble de sensations et de sentiments qui peuvent retentir chez tous à la fois ou chez un grand nombre, qui peuvent ainsi donner lieu à une association de jouissances. Et le caractère de ces jouissances, c’est qu’elles ne s’excluent plus l’une l’autre, à la façon des plaisirs égoïstes, mais sont au contraire en essentielle « solidarité ». Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. Toute esthétique est véritablement, comme semblaient le croire les anciens, une musique, en ce sens qu’elle est une réalisation d’harmonies sensibles entre les individus, un moyen de faire vibrer les cœurs sympathiquement comme vibrent des instruments ou des voix. Aussi tout art est-il un moyen de concorde sociale, et plus pr fond peut-être encore que les autres ; car penser de la même manière, c’est beaucoup sans doute, mais ce n’est pas encore assez pour nous faire vouloir de la même manière : le grand secret, c’est de nous faire sentir tous de la même manière, et voilà le prodige que l’art accomplit.

« D’après ces principes, l’art est d’autant plus grand, selon Guyau, qu’il réalise mieux les deux conditions essentielles de cette société de sentiments. En premier lieu, il faut que les sensations et sentiments dont l’art produit l’identité dans tout un groupe d’individus soient eux-mêmes de la nature la plus élevée ; en d’autres termes, il faut produire la sympathie des sensations et sentiments supérieurs. Mais en quoi consistera cette supériorité ? Précisément eu ce que les sensations et sentiments supérieurs auront un caractère a la fois plus intense et plus expansif, par conséquent plus social. Les plaisirs qui n’ont rien d’impersonnel n’ont rien de durable ni de beau : « Le plaisir qui aurait, au contraire, un caractère tout à fait universel, serait éternel ; et étant l’amour, il serait la grâce. C’est dans la négation de l’égoïsme, négation compatible avec la vie même, que l’esthétique, comme la morale, doit chercher ce qui ne périra pas. » En second lieu, l’identité des sensations et des sentiments supérieurs, c’est-à-dire la sympathie sociale que l’art produit, doit s’étendre au groupe d’hommes le plus vaste possible. Le grand art n’est point celui qui se confine dans un petit cercle d’initiés, de gens du métier ou d’amateurs ; c’est celui qui exerce son action sur une société entière, qui renferme en soi assez de simplicité et de sincérité pour émouvoir tous les hommes intelligents, et aussi assez de profondeur pour fournir substance aux réflexions d’une élite. En un mot, le grand art se fait admirer à la fois de tout un peuple (même de plusieurs peuples), et du petit nombre d’hommes assez compétents pour y découvrir un intime. Le grand art est donc comme la grande nature : chacun y lit ce qu’il est capable d’y lire, chacun trouve nu sens plus ou moins profond, selon qu’il est capable de pénétrer plus ou moins avant… »

L’évolution de l’art. L’introduction des idées scientifiques et philosophiques dans l’art. — « La part croissante des idées scientifiques dans les sociétés modernes produira, selon Guyau, une transformation de l’art, dans le sens d’un réalisme bien entendu et conciliable avec le véritable idéalisme. Le réalisme digne de ce nom n’est encore que la sincérité dans l’art, qui doit aller croissant avec le progrès scientifique. Les satiétés modernes ont un esprit critique qui ne peut plus tolérer longtemps le mensonge : la fiction n’est acceptée que « lorsqu’elle est symbolique, c’est-à-dire expressive d’une idée vraie ». La puissance de l’idéalisme même, en littérature, est à cette condition qu’il ne s’appuie pas sur un « idéal factice », mais sur « quelque aspiration intense et durable de notre nature ». Quant au réalisme, son mérite est, en recherchant « l’intensité dans la réalité », de donner une expression de realité plus grande, par cela même, de vie et de sincérité : « La vie ne ment pas, et toute fiction, tout « mensonge est une sorte de trouble passager apporté dans la « vie, une mort partielle ». L’art doit donc avoir « la véracité de la lumière ». Mais, pour compenser ce qu’il y a d’insuffisant dans la représentation du réel, l’art est obligé, en une juste mesure, d’augmenter l’intensité de cette représentation : c’est là, en somme, un moyen de la rendre vraisemblable. L’écueil est de confondre le moyen avec le but : or, le réalisme, trop souvent, donne pour but à l’art ce que Guyau appelle « un idéal quantitatif », l’énorme remplaçant le correct et la beauté ordonnée. C’est là rendre l’art malsain « par un dérangement de l’équilibre naturel auquel il n’est déjà que trop porté de lui-même ».

« On a dit que l’art, en devenant plus réaliste, devait se matérialiser ; Guyau montre ce qu’il y a d’inexact dans cette 1 opinion. Selon lui, le réalisme bien entendu ne cherche pas à agir sur nous par une « sensation directe », mais par l’éveil de « sentiments sympathiques ». Un tel art est sans doute moins abstrait et nous fait vibrer tout entiers, mais, par cela même, « on peut dire qu’il est moins sensuel et recherche moins pour « elle-même la pure jouissance de la sensation ». D’ailleurs, les symptômes de l’émotion peuvent s’emprunter aussi bien au domaine de la psychologie qu’à celui de la physiologie.

Si le réalisme bien compris doit laisser une certaine place aux dissonances mêmes et aux laideurs dans l’art, c’est qu’elles sont la forme extérieure des misères et limitations inhérentes à la vie. « Le parfait de tout point, l’impeccable ne saurait nous intéresser, parce qu’il aurait toujours ce défaut de n’être point vivant, en relation et en société avec nous. La vie telle que nous la connaissons, en solidarité avec toutes les autres vies, en rapport direct ou indirect avec des maux sans nombre, exclut absolument le parfait et l’absolu. L’art moderne doit être fondé sur la notion de l’imparfait, comme la métaphysique moderne sur celle du relatif. » Le progrès de l’art se mesure en partie, selon Guyau, à l’intérêt sympathique qu’il porte aux côtés misérables de la vie, à tous les êtres infimes, aux petitesses et aux difformités : « C’est une extension de la sociabilité esthétique ». Sous ce rapport, l’art suit nécessairement le développement de la science, « pour laquelle il n’y a rien de petit, de négligeable, et qui étend sur toute la nature l’immense nivellement de ses lois ». Les premiers poèmes et les premiers romans ont conté les aventures des dieux ou des rois ; dans ce temps-là, le héros marquant de tout drame devait nécessairement avoir la tête de plus que les autres hommes. « Aujourd’hui, nous comprenons qu’il y a une autre manière d’être grand : c’est d’être profondément quelqu’un, n’importe qui, l’être le plus humble. C’est donc surtout par des raisons morales et sociales que doit s’expliquer — et aussi se régler — l’introduction du laid dans l’œuvre d’art réaliste. »

« L’art réaliste a pour conséquence d’étendre progressivement la sociabilité, en nous faisant sympathiser avec des hommes de toutes sortes, de tous rangs et de toute valeurs ; mais il y a un danger que Guyau met en évidence. Il se produit, en effet, une certaine antinomie entre l’élargissement trop rapide de la sociabilité et le maintien en leur pureté de tous les instincts sociaux. D’abord, « une société plus nombreuse est aussi moins choisie ». De plus, « l’accroissement de la sociabilité est parallèle à l’accroissement de l’activité ; or, plus on agit et voit agir, et plus aussi on voit s’ouvrir des voies divergentes pour l’action, lesquelles sont loin d’être toujours des voies droites ». C’est ainsi que, peu à peu, en élargissant sans cesse ses relations, « l’art en est venu à nous mettre en société avec tels ou tels héros de Zola ». La cité aristocratique de l’art, au dix-huitième siècle, admettait à peine dans son sein les animaux ; elle en excluait presque la nature, les montagnes, la mer. « L’art, de nos jours, est devenu de plus en plus démocratique, et a fini même par préférer la société des vicieux à celle des honnêtes gens. » Tout dépend donc, conclut Guyau, du type de société avec lequel l’artiste a choisi de nous faire sympathiser : « Il n’est nullement indifférent que ce soit la société passée, ou la société présente, ou la société à venir, et dans ces diverses sociétés, tel groupe social plutôt que tel autre. » Il est même des littératures — Guyau le montre dans un chapitre spécial — qui prennent pour objectif « de nous faire sympathiser avec les insociables, avec les déséquilibrés, les névropathes, les fous, les délinquants » ; c’est ici que « l’excès de sociabilité artistique aboutit à l’affaiblissement même du lien social et moral ».

« Un dernier danger auquel l’art est exposé par son évolution vers le réalisme, c’est ce que Guyau appelle le trivialisme. Le réalisme bien entendu en est juste le contraire, car « il consiste à emprunter aux représentations de la vie habituelle toute la force qui tient à la netteté de leurs contours, mais en les dépouillant des associations vulgaires, fatigantes et parfois repoussantes ». Le vrai réalisme s’applique donc à dissocier le réel du trivial : c’est pour cela qu’il constitue un côté de l’art si difficile : « Il ne s’agit de rien moins que de trouver la poésie des choses qui nous semblent parfois les moins poétiques, simplement parce que l’émotion esthétique est usée par l’habitude. Il y a de la poésie dans la rue par laquelle je passe tous les jours et dont j’ai, pour ainsi dire, compté chaque pavé : mais il est beaucoup plus difficile de me la faire sentir que celle d’une petite rue italienne ou espagnole, de quelque coin de pays exotique. » Il s’agit de rendre de la fraîcheur à des sensations fanées, « de trouver du nouveau dans ce qui est vieux comme la vie de tous les jours, de faire sortir l’imprévu de l’habituel » ; et pour cela le seul vrai moyen est d’approfondir le réel, d’aller par delà les surfaces auxquelles s’arrêtent d’habitude nos regards, d’apercevoir quelque chose de nouveau là où tous avaient regardé auparavant. « La vie réelle et commune, c’est le rocher d’Aaron, rocher aride, qui fatigue le regard ; il y a pourtant un point où l’on peut, en frappant, faire jaillir une source fraîche, douce à la vue et aux membres, espoir de tout un peuple : il faut frapper à ce point, et non à côté ; il faut sentir le frisson de l’eau vive à travers la pierre dure et ingrate. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Après avoir constaté l’introduction progressive des idées philosophiques et sociales dans le roman, Guyau nous la montre dans la poésie de notre époque , dont elle devient un trait caractéristique. Il estime que la conception moderne et scientifique du monde n’est pas moins esthétique que la conception fausse des anciens. L’idée philosophique de l’évolution universelle est voisine de cette autre idée qui fait le fond de la poésie : vie universelle. Si le mystère du monde ne peut être complètement éclairci, il nous est pourtant impossible de ne pas nous faire une représentation du fond des choses, de ne pas nous répondre à nous-mêmes dans le silence morne de la nature. Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. Voilà pourquoi le sentiment d’une mission, sociale et religieuse de l’art a caractérisé tous les grands poètes de notre siècle; s’il leur a parfois inspiré une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même. « Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte. »

Dissolution de l’art. Décadences littéraires. — « Après l’évolution de l’art, Guyau en étudie la dissolution et recherche les vraies causes des décadences littéraires. Il rapproche les décadents des déséquilibrés et des névropathes, dont il étudie la littérature. L’émotion esthétique se ramenant en grande partie à la contagion nerveuse, on comprend que les puissants génies littéraires ou dramatiques préfèrent ordinairement représenter le vice, plutôt que la vertu. « Le vice est la domination de la passion chez un individu ; or, la passion est éminemment contagieuse de sa nature, et elle l’est d’autant plus qu’elle est plus forte et même déréglée. » Dans le domaine physique, la maladie est plus contagieuse que la santé ; dans le domaine de l’art, la reproduction puissante de la vie avec toutes ses injustices, ses hontes mêmes, offre un certain danger moral et social qu’il ne faut pas méconnaître : « Tout ce qui est sympathique est contagieux dans une certaine mesure, car la sympathie même n’est qu’une forme raffinée de la contagion. » La misère morale peut donc, se communiquer à une société entière par la littérature même ; les déséquilibrés sont, dans le domaine esthétique, des amis dangereux par la force de la sympathie qu’éveille en nous leur cri de souffrance. En tout cas, conclut Guyau, la littérature des déséquilibrés ne doit pas être pour nous un objet de prédilection exclusive, et une époque qui s’y complaît comme la nôtre ne peut, par cette préférence, qu’exagérer ses défauts. « Et parmi les plus graves défauts de notre littérature moderne, il faut compter celui de peupler chaque jour davantage ce cercle de l’enfer où se trouvent, selon Dante, ceux qui, pendant leur vie, pleurèrent quand ils pouvaient être joyeux. » (Alfred Fouillée.)



LA PENSÉE ET LA NATURE


PLAGE DE GUÉTARY
PRÈS SAINT-JEAN-DE-LUZ.


Vêtements retroussés, dans l’eau jusqu’aux chevilles,
Ivres de liberté, d’air pur, garçons et filles
Ont pris pour compagnon de leurs jeux l’Océan.
Ils attendent le flot qui vient, et d’un élan,
Avec des cris aigus de joie et d’épouvante,
Se sauvent devant lui ; mais la vague, vivante,

S’élance en bondissant, bouillonne derrière eux,
Les atteint, — et ce sont de grands rires heureux
Quand la bande, un instant par l’eau folle cernée,
La voit fuir en laissant une blanche traînée.

Tandis que ces enfants, avec leurs cris d’oiseaux,
Leurs gambades, faisaient un jouet de ses flots,
Le grand Océan gris, envahissant ses plages,
Montait. D’en haut sur lui s’abaissaient les nuages,
Et son infinité se perdait dans la nuit.
Mais de sa profondeur ignorée, à grand bruit,
Les flots sortaient toujours, émergeant de la brume ;
Ils s’enflaient, puis soudain s’écroulaient en écume,
Couvrant de leurs débris la crête des îlots.
Sans cesse ils arrivaient, plus pressés et plus hauts,
Attirés par la force invisible, éternelle,
Qui du fond des cieux clairs ou sombres les appelle
Et les fait se lever ainsi qu’au firmament
Se lève vers le soir chaque soleil dormant.
Pendant ce temps, au bord, les enfants sur le sable
Jouaient, insoucieux du gouffre inépuisable,
Et, jetant un frais rire à son immensité,
Ne voyaient que le bout de son flot argenté.

Moi, je les regardais : — Frêles êtres que l’onde
Poursuit, et sur qui vient tout l’Océan qui gronde,
Enfants au court regard, que vous nous ressemblez !
Comme vous, la Nature aux horizons voilés
Dans les plis tournoyants de ses flots nous enlace.
Pendant ce temps notre œil s’amuse à sa surface :
Nous comptons ses couleurs changeantes aux regards ;
Nous jouons à ces jeux que nous nommons nos arts,
Nos sciences, — croyant la Nature soumise,
Lorsqu’en nos doigts demeure un peu d’écume prise
À l’abîme éternel qui gronde dans la nuit !
Toute la profondeur de l’univers nous fuit,
Et sans rien pénétrer nos yeux tremblanta effleurent.
Tout glisse à nos regards, comme ces flots qui meurent
Et rentrent tour à tour dans le gouffre mouvant.
La pensée, en ce monde, est un hochet d’enfant ;
Dans l’aveugle univers elle ; nait par surprise,
Brille, et surnage un peu sur le flot qui se brise.

— Fleur de clarté, légère écume des flots sourds,
Vain jouet, malgré tout nous t’aimerons toujours,
Et moi-même, oubliant l’Océan qui se lève,
J’irai voir frissonner ta blancheur sur la grève…

(Vers d’un Philosophe.)


GENITRIX HOMINUMQUE DEUMQUE



Lorsque j’étais enfant, je crus entendre en rêre
Ma mère me parler ; du moins c’étaient ses yeux,
Sa démarche, sa voix ; mais cette voix, plus brève.
Plus froide, avait perdu l’accent affectueux
Qui m’ allait jusqu’à l’âme : était-ce bien ma mère ?…
J’écoutais me parler cette voix étrangère,
Connue à mon oreille et nouvelle à mon cœur,
Et je me sentais pris d’une sorte d’horreur.
J’étais prêt à pleurer lorsque parut l’aurore :
Je m’éveillai ; ma mère était près de mon lit.
Mon œil chercha le sien, mais je doutais encore,
Et j’attendais qu’un mot de sa bouche sortît.
Enfin elle parla : son âme tout entière
Avec sa voix chantait. Je courus l’embrasser.

Dis-moi, Nature, ô toi notre éternelle mère,
Qui tour à tour nourris, sans jamais te lasser,
Les générations avides de. sucer
Ton sein toujours fécond, toi dont on croit entendre
Sur les monts, sur les mers, dans les prés ou les bois,
Douce ou rude à nos cœurs parler la grande voix,
Dis, n’as-tu rien pour nous d’affectueux, de tendre ?
Tu sembles une mère et n’en as point l’accent ;
Quand tu ris, on ne sait si c’est une caresse ;
On hésite, à te voir, et pour toi l’on ressent
Un respect étonné mélangé de tristesse.
Nul cœur ne bat-il donc dans ton immensité ?
N’est-ce point de l’amour que ta fécondité ?
Lorsque tes chœurs d’oiseaux chantent sous tes feuillages,
Lorsque la jeune aurore apparaît dans ton ciel,
Quand renaît plus riant le printemps immortel,
Quand l’Océan dompté vient lécher ses rivages,

Rien ne vibre-t-il donc en toi de maternel ?
Et les grands bruits confus, la symphonie austère,
Le long souffle qui sort de tes flancs frémissants,
Ne nous disent-ils rien et n’ont-ils point de sens ?
Nous vois-tu seulement ? sais-tu que sur la terre
Il est un être étrange auquel vivre et jouir
Ne suffiront jamais, qui veut aussi comprendre,
Dont lame a tressailli d’un immense désir,
Dont le cœur veut aimer, et qui cherche à te tendre
Ses deux bras, tout surpris de ne te point trouver ?
Cependant, ô Nature impassible et muette,
En se tournant vers toi le rêveur, le poète
Crut quelquefois sentir jusqu’à lui s’élever
Un accent de tendresse, une voix d’espérance,
Et l’homme confiant à l’homme a répété :
« Au fond de la nature est une providence ;
Espérons. » Depuis lors toute l’humanité
Passe ici-bas tranquille, oubliant sa misère,
Se couche vers le soir et s’endort au tombeau,
Comme un enfant auquel on a dit que sa mère
Reste la nuit penchée auprès de son berceau.
Si, secouant son rêve, un jour l’homme s’éveille,
Vers ses pas hésitants quelle main se tendra,
Et de l’immensité montant à son oreille,
Dans le tombeau profond quelle voix parlera ?
Te reconnaîtrons-nous, nature souriante
Des beaux jours de printemps, des parfums et des fleurs,
Ou bien es-tu vraiment la grande indifférente,
Étrangère à la joie, ignorante des pleurs,
Qui de la même main, nourrice mercenaire,
Nous berce tous, vivants ou morts, sur ses genoux ?
Lorsque nous sortirons du long sommeil de pierre,
Nous l’apprendrons enfin. — Mais en sortirons-nous ?

(Vers d’un Philosophe.)


LE LUXE


Il rentra vers le soir ; il tenait la parure
Qu’elle avait le matin demandée : à son bras

Il mit le bracelet, et dans sa chevelure
L’aigrette de saphir pâle, aux refléta lilas.

L’œil de la jeune femme, agrandi par la joie.
Riait, saphir plus chaud dans l’ombre étincelant ;
Elle-même, entr’ouvrant son corsage de soie,
Attacha le collier « le perlée de Ceylan,

Elle se regardait dans la glace embellie,
Changeait de pose, — et puis c’étaient de petits cris…
Elle touchait du doigt l’écrin. « Quelle folie ! »
Dit-elle ; et son œil fier en demandait le prix.

Car, dans ces choses-là, c’est au prix qu’on mesure
La beauté. Lui, distrait, se taisait. Du chemin,
Par la fenêtre ouverte, arrivait le murmure
De la ville en travail et de l’essaim humain.

Des hommes, haletants, dans la nuit d’une forge
S’agitaient ; des maçons, oscillant dans les airs,
Gravissaient une échelle. — Et toujours, à sa gorge,
Les perles miroitaient comme le flot des mers.

Lui, de la main, montra, courbé sous une pierre,
Un homme qui montait en ployant les genoux :
« Vois ! il travaillera pendant sa vie entière,
Chaque jour, sans gagner le prix de tes bijoux. »

Elle rougit d’orgueil. Elle en était plus belle,
Souriant sous l’aigrette aux tremblantes lueurs ;
Et vraiment pouvait-on, pour ce sourire d’elle,
Semer à pleines mains trop d’or et de sueurs ?

Un caprice d’enfant la prit dans la soirée :
Elle ne voulait plus quitter ses bracelets
Ni son collier : dans l’ombre, encor toute parée,
Elle s’endormit, rose, à leurs mourants reflets.

— Lors elle fut bercée en un étrange rêve :
Tous ces joyaux de feu vivaient, et sur son sein
Les perles s’agitaient comme aux flots de la grève,
Et le bracelet d’or se tordait à sa main.

Puis, soudain, vers leur sombre et lointaine patrie,
Elle se vit d’un vol emportée avec eux.

Ce fut d’abord, au loin, la blanche Sibérie :
Sous le knout travaillaient, saignants, des malheureux.

Leurs doigts meurtris avaient déterré quelque chose,
Et c’était le saphir dans ses cheveux riant...
Puis tout changea : la mer, sous un ciel clair et rose,
Roulait ses flots tout pleins du soleil d’Orient.

Un homme se pencha sur les eaux purpurines :
La mer tremblait, profonde ; il y plongea d’un bond.
Quand on le retira, le sang de ses narines
Jaillissait ; dans l’air pur il râlait moribond :

Alors elle aperçut, en ses deux mains pendantes,
Les perles du collier qui sur son cou flottaient…
Puis tout se confondit, les flots aux voix grondantes.
Et les râles humains qui vers le ciel montaient.

Elle n’entendit plus qu’un seul et grand murmure,
Le cri d’un peuple entier, pauvre et manquant de pain,
Qui, pour rassasier des désirs sans mesure,
Dans un labeur aveugle usait sa vie en vain.

« Si du moins nous pouvions ensemencer la terre,
Produire en travaillant, voir nos sueurs germer !
Mais notre effort stérile agrandit la misère,
Car, au lieu de nourrir, il ne peut qu’affamer.

« Maudit soit ce travail qui, semblable à la flamme,
Dévore notre vie et la disperse au vent ;
Maudit ce luxe vain, ces caprices de femme
Toujours prêts à payer sa vie à qui la vend ! »

Cette clameur sortait de poitrines sans nombre.
Elle s’éveilla, pâle, et de ses doigts lassés
Dégrafant son collier, le regarda dans L’ombre
Et crut y voir briller des pleurs cristallisés.

(Vers d’un Philosophe.)


L’ANALYSE SPECTRALE


Quand il a fui la terre en un essor suprême.
Notre œil retrouve encor d’autres terres là-haut.

 
Partout a nos regarda la nature est la même :
L’infini ne contient pour nous rien de nouveau.

Fleuve de lait roulant des mondes sur nos têtes,
Et vous, bleu Sirius, Cygne blanc, Orion,
Nous pouvons maintenant dire ce que vous êtes !
Nous avons dans la nuit saisi votre rayon.

Ce radieux frisson qui dans l’éther immense
Ondulait, et depuis mille ans tremblait aux cieux,
En arrivant, à L’homme est devenu science,
lit par lui l’infini s’est ouvert pour nos yeux.

Hélas ! du fer, du zinc, du nickel et du cuivre,
Tout ce que nous foulons des pieds sur notre sol,
Voilà ce qu’on découvre en ce ciel où l’œil ivre
Croyait suivre des dieux lumineux dans leur vol !

Astres purs et légers dont la lueur bénie
Comme un regard divin descendait du ciel bleu,
Vous ne vivez donc point ! l’éternelle harmonie
N’est qu’un crépitement de grands brasiers en feu.

Nous aurions beau sonder la profondeur muette.
Nous envoler au loin dans son obscurité,
Qu’y découvririons-nous ? L’univers se répète…
Qu’il est pauvre et stérile en son immensité !

Œil d’Isis, c’est donc toi, mystérieuse étoile
Où l’Égypte plaçait l’âme des bienheureux,
Sirius ! — La déesse a relevé son voile :
Une forge géante apparaît dans les cieux.

Et pourquoi ce labeur ? pourquoi brûlent ces sphères,
Pourquoi d’autres, plus bas, corps engourdis et froids,
Dorment-elles, ouvrant toujours leurs noirs cratères,
D’où la lave et le feu jaillissaient autrefois ?

Dans quel but prodiguer, Nature, en ton ciel triste
Ces astres renaissant pour mourir ? — Sans repos
Dans le béant azur, ô naïve alchimiste,
Tu jettes à grands blocs les mêmes lourds métaux ;

Du creuset de tes cieux que veux-tu donc qui sorte ?
Pourquoi recommencer — tous sur le même plan —
Tes mondes, dont chacun l’un après l’autre avorte,
Se brise, et, noir débris, va dans la nuit roulant ?

Depuis l’éternité, quel but peux-tu poursuivre ?
S’il est un but, comment no pas l’avoir atteint ?
Qu’attend ton idéal, ô nature, pour vivre ?
Ou, comme tes soleils, s’est-il lui-même éteint ?

L’éternité n’a donc abouti qu’à ce monde !
La vaut-il ? valons-nous, hommes, un tel effort ?
Est-ce en nous que l’espoir de l’univers se fonde ?…
Je pense, mais je souffre : en suis-je donc plus fort ?

La pensée est douleur autant qu’elle est lumière ;
Elle brûle : souvent la nuit, avec effroi,
Je regarde briller dans l’azur chaque sphère
Que je ne sais quel feu dévore comme moi.

Si dans mon œil ouvert tout astre vient se peindre,
Et si jusqu’en mes pleurs se reflète le ciel,
D’une larme, comment, hélas ! pourrais-je éteindre
Là-bas, dans l’infini, l’incendie éternel ?

Vers quel point te tourner, indécise espérance,
Dans ces cieux noirs, semés d’hydrogène et de fer,
Où la matière en feu s’allonge ou se condense
Comme un serpent énorme enroulé dans l’éther ?

Puisque tout se ressemble et se tient dans l’espace,
Tout se copie aussi, j’en ai peur, dans le temps ;
Ce qui passe revient, et ce qui revient passe :
C’est un cercle sans fin que la chaîne des ans.

Est-il rien de nouveau dans l’avenir qui s’ouvre ?
Peut-être — qu’on se tourne en arrière, en avant. —
Tout demeure le même : au loin on ne découvre
Que les plis et replis du grand serpent mouvant.

Oh ! si notre pensée était assez féconde,
Elle qui voit le Mieux, pour le réaliser ;
Si ses rêves germaient! oh! si dans ce lourd monde
Son aile au vol léger pouvait un peu peser !

La sentant vivre en moi, j’espérerais par elle
Voir un jour l’avenir changer à mon regard…
— Mais, ma pensée, es-tu toi-même bien nouvelle ?
N’es-tu point déjà née et morte quelque part ?

(Vers d’un Philosophe.)


ÉMILE TROLLIET


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Bibliographie. — Discours en vers sur le Massacre de la Mission Flatters (1883); — Morte d’amour [L’amour qui roman (1879; Nîmes, 1886) ; — [.’Holocauste [La Religieuse] (1879; Nîmes, 188C); — Discours en vers sur la langue française ; — Éloge de Beaumarchais, couronné par l’Académie IV. un-aise; — Les Tendresses et les Cultes, poésies (Ghio. Paris, 18M) ; — La Vie Silencieuse, poésies (Perrin, Paris, 1891); — L’Ame d’un Résigné} roman (Perrin, Paris, 189’»); — La Route Fraternelle, poésies (Alphonse Lemerre, Paris. tfOt) : — itédmlUoiU de Poètes, essai de critique (1900); — Un Idéaliste. Emile Trolliet [1856-1903], œuvres choisies (Éditions de la Revue Idéaliste, Paris, 1905). Emile Trolliet a collaboré au Téléphone, à la Revue Idéaliste, dont il fut le fondateur et qu’il dirigea jusqu’à sa mort (1893- 1903), au Moniteur, a l’Union pour l’Action Morale, au Sillon, au Foyer du Soldat, à la l’aix par le Droit, à la Coopération des Idées, à la Revue des Poètes, à Y Écho de la Semaine, à la Corres- pondance Universitaire, à Y Education • Moderne, à la Revue Suisse, etc. Émile-Maurice-Hippolyte Trolliet naquit le 10 juillet 18.">6 à Saint-Victor de Morestel (Isère), près de Lyon. Ses parents le destinèrent au sacerdoce et le firent entrer, à douze ans, au petit séminaire du Rondeau, où sa vocation ecclésiastique s’é- vanouit, mais qu’il ne quitta guère qu’en 1874 et dont il a tou- jours gardé un souvenir attendri. Après avoir passé sonbacca- lauréat es lettres devant la Faculté de Grenoble, Trolliet entra comme vétéran de rhétorique au lycée de cette ville, puis, en 1875, vint à Paris suivre les cours du lycée Charlemagne. Il se présenta une ou deux fois à l’Ecole Normale, mais échoua. Ce fut pour lui l’occasion d’une crise dangereuse. Il quitta Charle- magne et vécut pendant quelque temps d’un préceptorat que des amis lui avaient procuré. « D’une absolue insouciance, nous dit son pieux biographe M. Olivier Billaz, et ne s’inquiétanl ni de son avenir ni de ses besoins, il s’était laissé nommer par son proviseur de Charlemagne, le paternel M. de Broca, dès le 27 novembre 18"6, maître auxiliaire. Cela le dispensait du ser- vice militaire, qui eut été pour lui, étant donnée sa faiblesse physique, une condamnation à mort. Seulement le répétitorat Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/60 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/61 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/62 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/63 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/64 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/65 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/66 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/67


ALBERT JOUNET
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Bibliographie. — V Étoile Sainte, poésies (Jouaust, Paris, 1884) ; — Le Royaume de Dieu, prose (Carré, Paris, 1887); — Les Lys Noirs, poésies (Carré, Paris, 1888);— Le Livre du Jugement, Hymne I er : La Création; et 2" : La Chute, poèmes (Édition de la Revue L’Étoile, Saint-Raphaël, 1889); — L’Étoile Sainte, Les Lys Noirs, réédition (Comploir d’édition, Bailly, Paris, 1890); — Ce qu’ils auraient dd dire [Entrevue du Tsar et de l’empereur d’Allemagne], dialogue en vers (Bailly, Paris, 1899); — L’Ame de la Foi, prose (Bailly, Paris, 1891); — Le Livre du Jugement, Hymne 3 e : La Rédemption (Bailly, Paris, 1892); — Ésotérisme et Socialisme, prose (Bailly, Paris, 1893); — Le Jury International, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1897); — Preuve ontomystique de Dieu, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1898) ; — Les Sacrements spirituels, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1898); — La Question Sociale, les Harmonistes, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1898); — Principes généraux de Science psychique, prose (Tirage à part de L’Écho du Merveilleux, Paris, 1898); — Dieu de Beauté, prose (Edition de La Lutte, Bruxelles, 1898); — La Doctrine catho- lique et le corps psychique, prose (Dar ville, Paris, 1899); — La Conception de Dieu et de l’Homme dans le christianisme comparé aux autres grandes religions, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1900); — La Tour de Sédar, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1900) ; — Jésus-Christ d’après l’Évangile, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1900); — Éléments de l’Harmonie Messianique, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1901) ; — La Rédemption Sociale, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1901); — Question du Gouvernement , prose (Chailan, Saint-Baphaël, 1901); — But et Programme idéals du Congrès de l’Humanité, prose (Tirage à part de la Revue L’Hu- manité, Paris, 1901); — Dieu vainqueur de l’Enfer, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1902) ; — La Triade, le Ternaire et la Trinité, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1902); — L’Union des Églises d’Orient et d’Occident, prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1902); — Vœux et Motions [présenlésau Congrèsde l’Humanité], prose (Chailan, Saint-Raphaël, 1902); — Dé centralisation litté- raire. Les Correspondants de l’Académie française, prose (Chai- lan, Saint-Raphaël, 1902); — Les Camps de Concentration, poème (Chailan, Saint-Raphaël, 1902); — Idées Politiques, prose (Chai- lan, Saint-Raphaël, 1903). M. Albert Jounet a collaboré à divers journaux et revues. ALBERT JOI.nkt 55 M. Albort Jounot, né à Marseille en janvier I8ê3, lit ses études au lycée de Marseillo, hors une année au collège Rollin de Paris. Attiré fort jeune par La religion, l'ésotérisme, les sciences psy- chiques, il n'a jamais abandonné celte préoccupation qui domine sou œuvre, où la littérature est toujours soumise, soit ft une afiir. matîon,soità une recherche doctrinales, (lapasse, sa 1815, d'un ésotérisme chrétien à un catholicisme ultra-libéral et très im- prégné encore d'ésotérisme. Sou osoTre poétique, p.ir.ill l'œuvre des symbolistes, s'en distingue par la prédominance du souci philosophique et religieux, la subordination du symbole à une doctrine systématisée. Par là, elle entrerail dans le sillage de Sully Prudhomme, avec la différence entre le lier, douloureux stoïcien do la Justice et du Bonheur el un croyant, a tend mystiques, occultistes et orientales. u Ce qui manque aux adroits rhétoriciens du vers, dit M. Vie- tor-Emile Michelet, c'est-à-dire l'ftme poétique, M. Jounet le possède... Sa généalogie d'artiste est facile à dresser, et pour- tant il apparaît comme armé d'une originalité solitaire. De ce mélancolique et somptueux bouquet de f.ys Noirs émane une impression de nouvelle beauté... Certaines pièces des Lys Noirs réalisent, avec un art d'une large profondeur, des paysages psy- chiques comme en ont montré quelques grands peintres... Parmi les poètes français du siècle, je ne c muais guère que Hugo et Baudelaire qui synthétisent un monde de sensations indéfinies en une brève formule avec un bonheur égal à celui de ce tercet : Tes angoisses, je sais qu'elles aiment les miennes Et, quand tu m'as tendu ton cœur mystérieux. Ton cœur morne était plein de mes douleurs anciennes. « Cet éclatant et triste sonnet (La Mort des Élus), ne dirait-on pas d'un de ces groupes d'où Hodin, le tout-puissant dompteur de la pierre, fait rayonner un ensemble d'aspirations vertigi- neuses, de nostalgies farouches et de douloureuse beauté? » « En lisant les vers de L'Étoile Sainte, des Lys Noir 1 ;, a écrit d'autre part M. Anatole Fiance, ou est pénétré d'une douceur mystique. M. Jounet, biblique et baudelairien, rappelle Lamar- tine par la fluidité, et Verlaine par certaines délicatesses d in- flexion... » M. Ad. Franck réclame pour Le Livre du Jugement l'attention que méritent les œuvres philosophiques de Pythagore et de Parménide. « Tout cela, écrit-il, est très beau, très original et très profond. C'est de la Kabbala, de l'Apocalypse et autre chose encore qui n'appartient qu'à ce poète. » Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/70 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/71 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/72 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/73 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/74


DANIEL LESUEUR
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Bibliographie. — Fleurs d’avril. poésies (1884); — Marcelle (1885): — Un Mystérieux Amour (1886); — Amour d’aujour- d’hui (I88S): — Rêves et Visions, poésies (1889); — Névrosée (1890): — Une Vie Tragique (1890); — Passion slave (1892) ; — Justice de Femme (1893); — Haine d’Amour (1894): — A force d’aimer (1895); — Poésies [Visions Divines, Visions Antiques, Sonnets Philosophiques, Sursurn Corda!] (1896); — Invincible Charme (1897); — Lèvres Closes (1898); — Comédienne (1898); — Au delà de V Amour (1899) ; — L’Honneur d’une Femme (1900) ; — L’Évolution Féminine (1900); — Lointaine Revanche : L’Or san- glant (1900); — Lointaine Revanche : La Fleur de Joie (1900); — Fiancée d’outre-mer (1901); — Mortel Secret : Li/s Royal 1 — Mortel Secret : Le Meurtre d’une Ame (1902i ; — Le Cœur chemine (1903); — Le Masque d’Amour : Le Marquis de Valcor (1904); — Le Masque d’Amour : Madame de Fcrneuse (1904) ; — La Force du Passé (1905); — Calvaire de Femme : Fils de l’A- mant (1907); — Calvaire de Femme : Madame l’Ambassadrice (1907); — Nietzschéenne, roman (1907); — Le Droit à la Force, roman (1909); — Une Ame de vingt ans, roman (1911); — Fla- viana, princesse, roman; — Au Tournant des Jours, roman (1912). — Traduction : Lord Byron : tome !•* : Heures d’Oisi- veté, Childe Harold (1901); — tome II : Le Giaour, La Fiancée d’Abydos, Le Corsaire, Lara, etc. (1901); — tome III : Le Siège de Corinthe , Parisina , Manfred , Le Prisonnier de Chiflon , Mazcppa, etc. (190H. — Théâtre : Fiancée, pièce en quatre actes, représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon (1894) ; — Hors du Mariage, pièce en trois actes, représentée sur la scène du Théâtre Féministe (1897); — Le Masque d’Amour, pièce en cinq actes, représentée sur la scène du théâtre Sarah-Ber- nhardt (1905). Les œuvres poétiques de M rae Daniel Lesueur ont été publiées par Alphonse Lemerre. Née à Paris en 1862, M m <> Daniel Lesueur apparait comme un des écrivains les mieux doués de ce temps : poète, romancier, auteur dramatique, sociologue, elle n’est restée étrangère à aucun des mouvements de la pensée. Comme poète, elle a touPage:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/76 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/77 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/78 sait trouver en sociologie les idées pratiques et immédiatement réalisables.

Depuis 1900, Mme Daniel Lesueur est chevalier de la Légion d’honneur. Ses romans lui ont mérité le prix Vitet à l’Académie française.



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L'ŒUVRE DES DIEUX Je vous vénère, ô dieux! vagues spectres sublimes, Que l'homme a tour à tour bénis et blasphémés. Mes chants s'élèveront vers vos lointaines cimes Pour tous les malheureux que vous avez charmés. Vos bienfaisantes mains aux damnés de la vie, A ceux qu'abandonnaient la Fortune et l'Amour, Ont versé largement tous les biens qu'on envie, Éternisant pour eux nos vains bonheurs d'un jour. Ils ont vécu, le cœur bercé par leur chimère, Traversant nos douleurs avec un front joyeux, Et même ils ont souri lorsque la Mort amère De son geste muet leur a fermé les yeux. Ce qu'ils ont entrevu dans leur obscure voie N'est pas le joug pesant d'un stérile labeur, La terreur de la faim, la jeunesse sans joie, Le trépas solitaire et sa morne stupeur. Non : c'est un sûr chemin, plein d'épreuves mystiques, Qui prend l'homme au berceau pour le conduire aux cieux Qu'on parcourt, enivré d'encens et de cantiques, Versant du repentir les pleurs délicieux. Saints transports effaçant toute douleur charnelle, Inépuisable amour issu d'un cœur divin, Impérissable espoir d'une extase éternelle, Qui vous a possédés n'a pas souffert en vain. Pour l'assouvissement des appétits sans trêve, Malgré ses moissons d'or, le monde est trop étroit; Mais aux déshérités s'ouvre le champ du rêve... L'homme est un créateur qui fonde ce qu'il croit. Et puisque la Nature aux lois mystérieuses, Nous donnant la douleur, nous livra l'infini, Pourquoi briserions-nous les ailes radieuses Qui nous portent plus haut que notre ciel terni? Pour moi, je te salue, Illusion féconde, Qui seule à nos efforts viens prêter ta grandeur! Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/82 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/83 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/84 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/85 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/86 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/87 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/88


ARSÈNE VERMENOUZE


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Bibliographie. — Flour de Brousso (Fleurs de Bruyère), poèmes languedociens, avec traduction française (1885) ; — En Plein Vent, sonnets (Stock, Paris, 1900) ; — Mon Auvergne, ouvrage couronné par l’Académie française (Éditions de la Revue des Poètes, Paris, 1903) ; — Sous la clouchado (Sous le chaume) ; — Dernières Veillées, poésies, publication posthume (Éditions de la Revue des Poètes, Paris, 1911).

Arsène Vermenouze a collaboré à la Revue des Poètes, au Mois Littéraire, etc.

Arsène Vermenouze naquit à Vielles d’Ytrac, près d’Aurillac (Cantal), en septembre 1850. Apres avoir fait des études sommaires chez les Frères d’Aurillac, ce descendant des Arvernes, comme beaucoup de ses compatriotes, — et comme l’avaient fait avant lui son père et son grand-père maternel, — émigra en Espagne, tout jeune, entre quinze et seize ans. Revenu au pays en 1884 pour faire le commerce des spiritueux, il y resta, voulant réaliser son rêve de vivre et de vieillir sous le toit paternel. Il a chanté en vers délicieux :


                                               la joie exquise,
Quand la jeunesse a fui. d’aller s’ensevelir
Sous le toit qu’ont bâti les aïeux, d’y vieillir
El d’y rêver, l’hiver, près du feu qu’on attise ;

D’y vieillir, d’y rêver, mollement caressé
Par la douce lueur de la flamme bleuâtre,
D’y remuer ensemble et la cendre de l’àtre,
Et, dans son cœur éteint, la cendre du passé…


Le rêve poétique, la lecture de ses auteurs préférés, l’exercice au grand air, la promenade, la chasse et la pêche, tels furent les plaisirs de ce robuste, qui adorait son art et son pays, sa rude Auvergne, dont il connaissait les montagnes, les sentiers et la végétation, et dont les arbres à leur tour « semblaient reconnaître » :


J’aime cet âpre sol, pierreux et calciné,
Qui se pare à la fois de neige et de verdure,
Ce sol d’Auvergne, fait de lave noire et dure,
Où l’homme semble plus qu’ailleurs enraciné.


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LOUIS LE CARDONNEL
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Bibliographie. — Poèmes (Société du Mercure de France. Paris, 1904) ; — Car mina Sacra (Société du Mercure de France, Paris, 1912).

M. Louis Le Cardonnel a collaboré à de nombreux journaux et revues catholiques et symbolistes.

M. l’abbé Louis Le Cardonnel, prêtre et poète, né à Valence en 1862. l’ut assez, tôt préoccupé d’unir une vocation mystique à sa vocation poétique. Il ne «levait cependant .ntivr dans les ordres que bien plus tard, après une jeuuesse littéraire passée presque tout entière à Paris, où il lit partie, un des premirs. avec Albert Sainain, du groupe de poètes qui devait par la suite s’appeler « le groupe symboliste ». C’est dans les jeunes revues de l’époque qu’il publia ses premiers vers, où se révèle un sens musical profond, une aptitude rare à choisir l’image révélatrice du mystère intime des choses, une recherche de l’art pur, qui étaient d’un heureux présage. Vers 1894. le poète trouve son Montsalvat. Il entre au séminaire français do Rome. Or- donné prêtre en 1S96, il eut un moment la tentation d’abandon- ner l’art et de se consacrer exclusivement à son ministère, mais il ne tarda pas à reconnaître que sa véritable mission était d’u- nir le poète et le prêtre on lui. Il fallut cependant toute l’insis- tance de ses amis pour le déterminer à publier un choix de ses vers, anciens et nouveaux. Ce recueil parut en 1904 sous le titre : Poèmes. On y trouve, entre autres, la belle pièce A Louis II de Bavière que nous reproduisons plus loin et qui se trouve citée pour la première fois par M. Adolphe lletté dans Le Symbolisme, Anecdotes et Souvenirs. Un premier contact avec l’Italie avait laissé à M. Loiils Le Cardonnel le désir d’y revenir. Il y revint, en effet, en 1905, et se fixa pour quelques années à Assise, dans l’espérance d’y nourrir de longues contemplations et d’y achever un second volume, Carmina Sacra, dont il voulut bien nous communiquer, dès 1908, quelques extraits anticipés qui le révélaient préoccupé d’une poésie sacerdotale où l’orphisme et le platonisme se fon- daient avec le pur mysticisme chrétien. Le profond poète qu’est M. Louis Le Cardonnel consacra plu- sieurs années à la patiente élaboration de sa belle œuvre, parue enfin en 1912, et dont on a pu dire avec raison qu’elle était à la l’ois catholique et dignement humaine. En 1909, l’abbé Le Cardonnel a quitté Assise pour s’établir à Fribourg. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/102 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/103 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/104 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/105 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/106


ÉTIENNE ROUVRAY


(GEORGES DUMESNIL)
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Bibliographie. — OUVRAOBS PUBLIÉS SOCS Ll PSEUDONYME D’Etienne Rouvkay : Les Cendres Chaudes (A. Lemerre, I 1890; épuisé); — Les Poèmes de l’Irréel (A. Lemerre, Paris, 1893); —-Les Poèmes de l’Irréel, nouvelle édition (Bibliothèque de l’Ami- tié de France, G. Beauchesne, Paris, 1908).

À paraître : La Force du Verbe, drame; Le Théâtre sous U$ Chênes ; La Rose embrasée, poèmes.

Ouvrages de Georges Dumesnil. — Cours d’instruction mo- rale et civique (Ch. Delagrave, Paris, 1882); — La Pédagogie dans l’Allemagne du Nord (Ch. Delagrave, Paris, 1885); — Du rôle des Concepts, thèse (Hachette, Paris, 1802) ; — De Tractatu Kantii pœdagogico, thèse (Hachette, Paris, 1892; épuisé): — Pour la pédagogie, ouvrage couronné par l’Académie des Sciences morales et politiques (A. Colin, Paris, 1902): — L’Ame et l’Évo- lution de la littérature des origines à nos jours, ouvrage cou- ronné par l’Académie française (Société Française d’Imprimerie et de Librairie. Paris, 1903) ; — Le Spiritualisme ^Société Fran- çaise d’Imprimerie et de Librairie, Paris, 1903); — Le Miroir de l’Ordre (G. Beauchesne, Paris, 1907); — Note sur la forme des chiffres usuels (Gauthier-Villars, Paris, 1907); — Les Conceptions philosophiques perdurables (Beauchesne, Paris, 1910) ; — Le Spi- ritualisme, 2e édition (Beauchesne, Paris, 1911); — La Sophis- tique contemporaine. Petit examen de la philosophie de mon temps : métaphysique, science, morale, religion (G. Beauchesne, Paris, 1912).

M. Georges Dumesnil a collaboré à la Nouvelle Revue, à la Rc- vue Internationale de l’Enseignement, à la Revue de Métaphy- sique et de Morale, aux Annales de Philosophie chrétienne, etc. 11 a fondé (en novembre 1906) et dirige le journal trimestriel de philosophie, d’art et de politique L’Amitié de France (G. Beau- chesne, Paris). Etienne Bouvray (M. Georges Dumesnil, professeur de philo- sophie à l’Université de Grenoble), né en 1855 prés de Rouen, — et de Saint-Etienne de Rouvray, — a publié, en 1890, chez Lemerre, un recueil de vers, aujourd’hui introuvable, Les CenPage:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/108 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/109 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/110 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/111 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/112


DUCHESSE DRE D’UZÈS


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Bibliographie. — Le Voyage de mon fils au Congo. — Ouvrages publiés sous le pseudonyme de Manuela : Histoire de l’arrondissement de Rambouillet ; — Julien Masly ; — Germaine. opérette, musique de Thomé ; — Le Cœur et le Sang, drame ; — Une Saint-Hubert sous Louis XV, comédie en vers représentéesur la scène du théâtre de Bonnelles le 15 décembre 1899. — En outre : Paillettes grises, poésies (1909) ; — Pauvre Petite, roman (paru sans nom d’auteur), etc.

Mme la duchesse douairière Anne d’Uzès, née Mortemart, connue comme sculpteur, — elle fut élève de Bonassieux et, surtout, de Falguière, et est actuellement présidente de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, — et dont on admire la vie de labeur partagée entre l’étude des beaux-arts, les devoirs de famille et les œuvres de charité, est aussi un écrivain et un poète d’un talent justement apprécié. Outre un remarquable volume signé de son vrai nom : Le Voyage de mon fils au Congo, et un recueil de vers, paru en 1909 : Paillettes grises, on lui doit des romans, des pièces de théâtre eu prose et en vers, publiés sous le pseudonyme de Manuela ou parus sans nom d’auteur, et une Histoire de l’arrondissement de Rambouillet.

Nous reproduisons ici son exquis poème Rêver, qu’elle a bien voulu nous communiquer à cet effet. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/114


MICHEL JOUFFRET
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Bibliographie. — Poèmes Idéalistes, ouvrage couronné par l’Académie française (Marseille) ; — De Hugo a Mistral, esquis-.- d’histoire et de critique littéraire ; — Discours sur la politesse : — Poèmes Idéalistes et Poésies posthumes, avec une préface de Georges Dumesnil (Alphonse Lemerre, Paris, 1M6 • Michel Jouffret a collaboré à la Revue Universitaire, à la Ifom- velle Revue, etc. Michel Jouffret, né à Entraigues (Vaucluse) en 185S, fut pro- fesseur de philosophie au lycée de Marseille. Ses amis savent à quel point extraordinaire il excellait en vers latins : il trans- porta cette maîtrise dans les vers français. 11 eut l’idée origi- nale d’exprimer ses sentiments en se plaçant au p.ùut de vue de la doctrine subjectiviste kantienne et d’envisager île là le monde. Ses premiers Poèmes Idéalistes furent très reinarqm-s dans la nouvelle Revue; il fit imprimer sous ce titre un recueil, publié modestement à Marseille. L’Académie française le cou- ronna. Il est le premier qui ait lait eu Allemague, avec un suc- cès merveilleux, des tournées de conférences et de lectures ayant notre littérature pour objet; de là est sorti un ouvrage ayant pour titre : De Hugo à Mistral. Malheureusement la saute de cet homme, qui avait été un doux athlète, s’altéra de bonne heure, et il est mort à quarante-six ans. Ses amis lui ont élevé dans son village natal, par une souscription publique à laquelle l’Allemagne a pris généreusement part, un très beau buste de bronze sur un haut socle; l’inscription est : • A Michel Jouftret, professeur, conférencier, poète, ses élèves, ses auditeurs, ses amis. » Après sa mort, ses poésies ont été reimprimées chez Lemerre avec addition de Poèmes posthumes, où se manifestent mieux que jamais sa sûreté d’exécution, la beauté de sa pensée, la force, la délicatesse, la grâce qui donnent à ses vers le charme et la sérénité. Georges Dumesnil. MICHEL JOUIFKF.T 10& FIAT LUX Le philosophe a dit au soleil orgueilleux, Qu'il fixe du regard sans baisser la paupière : — soleil, ne sois pas si fier de ta Lumière, Elle n'existe plus, si je ferme les yeux. Qu'est-elle, hors de moi? Comme les eaux tranquilles Se rident sous le vent, ainsi vibre l'éther : Ce n'est qu'une onde, un flot de cette immense mer Sans rivages, dont les étoiles sont les îles. Et quand tu disparais le soir sous l'horizon. Quand tu sombres, comme un vaisseau qui fait naufrage Lorsque s'évanouit l'éblouissant mirage Rêvé par mon esprit, nié par ma raison, Soleil, que deviens-tu? Ton front se décolore, Tu palis, spectre noir, fantôme aérien ; Petit fourmillement d'atomes, tu n'es rien; Je fais ton crépuscule, et je fais ton aurore. J'éclaire le rayon que mon cerveau reçoit. C'est mon esprit qui met sur ton front l'auréole. Sans crainte d'usurper la divine parole, Je puis dire à mon tour : Que la lumière soit ! (Poèmes Idéalistes.) ATLAS Atlas, pliant les reins et courbant les épaules. Soutenait l'Univers fixe sur ses deux pôles. Il gémissait. Pourquoi gémir? Es-tu donc las ? Ton labeur est le mien, et je ne pleure pas. Et je marche debout, comme il sied à l'athlète, Levant au ciel mes yeux où le ciel se reflète. L'Univers est en moi. Les brillantes couleurs, La lumière du jour et le parfum des fleurs, Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/118 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/119 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/120


JULES BOIS
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Bibliographie. — Les Noces de Sathan, drame en vers 1 — I.’ Éternelle Poupée, roman: — La Douleur d’aimer, roman (1893); — Le Satanisme et la Magie, étude historique, .ivcc une introduction de J.-K. Hiivsinaus (1895): — Prières, poéflMI (1895); — L’Eve nouvelle, essai de synthèse féministe (189G); — La Femme inquiète, roman (1897); — Une Nouvelle Douleur, ro- man, avec une préface de Marcel Prévost (1899); — Les Petites Religions de Paris; — L’Au-delà et les Forces inconnues, opi- nions de Télite sur le Mystère; — Le Miracle Moderne; — Le Monde invisible, avec une préface de Sully Prudhomme; — La Porte héroïque du Ciel, draine eu vers; — Visions de l’Inde, récits de voyage; — Le Mystère et la Volupté, roman ; — llippo- lyte couronné, drame en vers, représenté pour la première fois sur la scène du théâtre antique d’Orange; — Le Vaisseau des Caresses, roman ; — La Furie, drame en vers en six actes repré- senté* sur la scène du Théâtre-Français (1909); — L’Humanité divine, poèmes (1910); — La Sorcellerie au Maroc, notes posthu- mes de M. le docteur Emile Mauchamp, avec une notice de M. Jules Bois (1911): — Les Deux Hélène, tragédie représentée sur la scène du théâtre antique d’Orauge (1911) ; — y ail, opéra, musique de M. Isidore de Lara; — Le Couple Futur (1912); — L’Amour doux et cruel, contes (Figuière, Paris, 1913).

M. Jules Bois a collaboré à de nombreux journaux et revues.

M. Jules Bois est né en 1871 à Marseille, d’un père de pure lignée française et d’une mère espagnole. C’est un pur Latin harmonieux et ardent.

Entré tout jeune dans le journalisme et dans la littérature, M. Jules Bois fut des premiers à plaider la cause du féminisme. L’Eve Nouvelle, Une Nouvelle Douleur, La Femme inquiète, soutin- rent brillamment des revendications aujourd’hui presque toutes victorieuses. Il s’occupa aussi d’occultisme et de spiritisme. Les Petites Religions de Paris, parues dans le Figaro, donnèrent le branle au mouvement occultiste et néo-spiritualiste de ces dernières années. M. Jules Bois sut dégager de cette gangue la part de morale et de vérité, et les conclusions de son livre : Le Miracle Moderne, furent approuvées à la fois par les poètes et par les savants, par Sully Prudhomme et par Marcellin Ber- thelot.

Conférencier applaudi, M. Jules Bois est aussi un homme 108 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS


d’action. Après la Grèce, la Syrie, la Palestine, l’Egypte, il explora Ceylan et l’Inde. Il fut recueilli mourant à Lahore. Une fois guéri, il laissa son mysticisme sur la terre des fakirs. Le philosophe, le romancier et le poète rentrèrent seuls en Europe avec Visions de l’Inde. On n’a pas oublié les représentations, ai théâtre antique d’Orange et à l’Odéon, à Hippolyte couronné, belle œuvre littéraire, à laquelle succédèrent bientôt d’autres drames en vers parmi lesquels nous citerons La tarie, représentée à la Comédie française en 1909. Dans la préface de L’Humanité divine (1910), qu’il suppose adressée à « un jeune poète qui lui aurait demandé conseil », M. Jules Bois parle d’abord de la question des réformes prosodiques : « Avec les meilleurs de ta génération, dit-il à son jeune confrère, tu as aussi reconnu la logique, la solidité de cette prosodie que l’assentiment populaire, autant que les grands artistes tes devanciers, a fixée ; elle ne se modifie que lentement, non pas selon de brusques caprices, mais par des besoins profonds. L’essai du « vers-librisme » révolutionnaire n’a pas été en soi un échec, comme on a pu le croire. La poésie s’est enrichie d’un moyen nouveau d’expression qui tient du vers et de la prose. Mais il eût été insensé que cette acquisition récente et encore inorganique voulût se substituer au legs des siècles que consacrèrent tant de chefs-d’œuvre.

« Tu m’as approuvé lorsque je t’ai exposé l’opinion que nous nous sommes formée après réflexion et au contact de l’expérience. Je tiens à la préciser ici :

« Loin de s’affranchir des difficultés prosodiques, le poète ne doit pas les craindre. Il ne doit pas non plus les rechercher, de peur de tomber dans le puérilisme et la jonglerie. Cependant, il n’est pas douteux que l’idée gagne en beauté à accepter des règles sévères et logiques, qui obligent à ne pas improviser et à poursuivre la perfection. Notre prosodie de l’heure présente s’affine, plus délicate, plus sensible au frisson intérieur qu’elle traduit avec une exactitude accrue. Au lieu d’évoluer vers le relâchement, elle s’achemine vers un art de plus en plus conscient et complexe. Écoutez sonner le beau vers moderne. C’est une musique orchestrée savamment. La césure est moins monotone, mieux adaptée au mouvement. La rime n’est plus nécessairement et inutilement riche ou baroque, comme chez Hugo et Banville, ni nécessairement et négligemment pauvre, comme chez Racine et Musset. Elle se surveille, l’épure, évite l’adjectif, la redite, la banalité autant que le charlatanisme. Un esclavage ? non ; je crois plutôt une coquetterie. Certaines lois loyalement subies sont-elles tout à coup abrogées ? C’est par un scrupule aux antipodes de la paresse, c’est pour un effet préPage:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/123 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/124 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/125 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/126 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/127 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/128


EUGÈNE HOLLANDE
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Bibliographie. — Beauté, poèmes (Perrin, Paris, 1892) ; — La Cité Future (Charpentier-Fasquelle, Paris, 1903) ; — La Vie passe, poèmes (Société Française d’Imprimerie et de Librairie. Paris, 1909) ; — Le Galant Précepteur, un acte en prose représenté sur la scène du théâtre de l’Odéon.

Achevé, mais non publié : Helgé, pièce en cinq actes, en vers, avec chœurs, musique de scène de Paul Dupin ; Hippolyte, pièce en quatre actes, en prose.

En préparation : La Route chante, poèmes ; Un Rêveur, roman.


M. Eugène Holande a collaboré à L’Art et la Vie, à la Nouvelle Revue, à la Revue de Paris, à la Revue Bleue, à l’Événement, à la Justice, au Rappel, aux Droits de l’Homme, etc.


M. Eugène Hollande est né à Paris le 22 février 1866. Il y a passé l’année du siège, dont il a gardé le souvenir. Pendant la Commune, un de ses parents l’emmena dans un village du Nord où il fut, pendant quatre ans, à l’école de la nature, tout en refaisant ses forces que les privations du siège avaient affaiblies au point qu’il manqua mourir de misère physiologique. Boursier de l’État à Évreux, puis au lycée Henri IV, il se distingua par un don des vers que Victor Hugo et Sully Prudhomme reconnurent.

Il vivait alors à l’écart, à la manière d’un rêveur éveillé. Son jeune esprit s’absorbait dans la contemplation extatique de l’Idéal, qui l’attirait invinciblement. Aujourd’hui encore, son âme fervente se montre éprise, sans mesure, de la solitude, qui chez les vrais poètes, favorise l’éclosion des belles œuvres.

Le premier volume de vers de M. Eugène Hollande, Beauté (1892), d’une inspiration élevée, lui mérita les éloges de la critique. On remarqua l’heureuse ordonnance de ces poèmes écrits pour « la perpétuelle glorification de la Beauté qui pénètre toute la vie et qu’on ne connaît bien que par l’amour et la pitié ». Puis il donna La Cité Future (1903), dont la préface explique la pensée : « En dehors de la double fatalité du mal inhérente à la capacité bornée de notre intelligence et à l’imperfection de notre nature physique, les hommes en société s’infligent a eux-mêmes une quantité de maux qu’ils feraient cesser d’un seul coup, sans miracle, par un mutuel amour et la volonté commune de justice qui le suivrait. Alors ils entreraient dans la Cité Future. » Dans La Vie passe (1909), le poète chante la fugitive beauté des visages changeants de la vie, la douceur et la mélancolie des souvenirs, l’amour et la gloire, la joie, la douleur, l’art, le charme ineffable de la « nature ». Le temps emporte tout dans sa fuite désordonnée. Ce qui reste, c’est «la joie d’avoir aimé ».

M. Eugène Hollande a fait représenter à l’Odéon un acte en prose : Le Galant Précepteur, qui restera au répertoire. Sa grande pièce en vers, Helgé, successivement reçue par Sarah Bernhardt et par Ginisty, à l’Odéon, et lue dans un esprit très favorable à la Comédie française, n’a pu être jouée en raison des frais de la mise en scène. Hippolyte, qu’il vient de terminer, est une pièce en prose dont l’action se passe à Florence, au quattrocento, et qui met en scène Lorenzo de Médicis et Savonarole. Ce n’est point, toutefois, un drame historique. C’est l’expres- sion dramatique du conflit du naturisme païen de la Renaissance avec le mysticisme chrétien.



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Le vieillard fut heureux tellement qu’au visage
Il eut, signe du Dieu qui l’avait visité,
Comme un rayonnement plus beau que la beauté.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Beauté.)




GEORGES BLOT
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Bibliographie. — Heures de Rêve, poésies, avec une lettrepréface de Sully Pruclhomme (A. Lemerre, Paris, 1893) ; — Meures pittoresques, méditations en prose (Collection du Signal).

M. Georges Blot a collaboré à la Revue Chrétienne, à la Revue de Bordeaux, à la Nouvelle Revue, au Signal, à Evangile et Liberté, etc.

M. Georges Biotest né à Meaux (Seine-et-Marne) le 11 novembre 1861. Il fit ses études de théologie à Paris. Nommé en 1886 pasteur d’une petite paroisse au bord de l’Océan, il eut le loisir de contempler la mer et de rêver devant elle. C’est le fruit de ses méditations poétiques qu’il offrait au public dans ses Heures de Rêve, charmant petit volume paru en 1893, avec une préface de Sully Prudhomme, et qui lui valut l’estime et la sympathie des lettrés.

En 1899, M. Georges Blot fut appelé à Royan. Dès lors, ses oisirs poétiques se firent plus rares, les occupations du ministère l’absorbant de plus en plus. Il publia cependant encore quelques poèmes dans la Revue Chrétienne, la Revue de Bordeaux, la Nouvelle Revue, etc., et donna en outre au journal Le Signal une série de méditations en prose, intitulée : Heures pittoresques.

Depuis 1907, M. Georges Blot est pasteur à Lyon. 124 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS LA VILLE D'IS En longeant les récifs de la côte bretonne, Le vieux marin prétend que, par un ciel très pur, Quand le flot est bien clair, ne bat ni ne moutonne, Sous sa barque il a vu, dans un lointain d'azur, Tout au fond de la mer, une ville engloutie. Il vous affirmera que c'est la cité d'Is, L'ancêtre de Sodome, en marbre blanc bâtie Par les fils de Caïn dans les temps de jadis. Impie avec orgueil, fameuse par ses vices, Elle étalait son crime à la face de Dieu; Mais aux jours de déluge, Is et ses maléfices Sous le fléau vengeur sombrèrent en ce lieu. Or, depuis cinq mille ans qu'elle est là sous les ondes, La cité des maudits pour sûr n'existe plus ; Elle a dû s'enliser dans les fanges profondes, Ou s'écrouler au choc terrible des reflux. — Non. La mer n'a pas pu la broyer sous sa lame ; Et, plus le ciel est clair au-dessus du détroit, Plus limpide est le flot qui recouvre l'infâme, Plus on peut voir encor la ville en cet endroit. Le cœur, comme la mer, a des ignominies, Des secrets criminels, des fautes du passé; On se dit que le temps cache ces vilenies, Et que le mal ancien dans l'âme est effacé. — Erreur! car c'est la ville antédiluvienne : Vous pouvez oublier vos antiques forfaits, Leur vestige est resté. Qu'un jour en vous survienne L'ambition du Bien ! A tous les progrès faits Vers le noble idéal, vous verrez reparaître Les souillures d'antan par-dessus vos vertus. Et c'est pourquoi les saints finissent tous par être De grands désespérés qui meurent abattus. Plus ils ont reflété de lumière divine, Plus ils se sont faits purs en devenant meilleurs, Plus Is est apparue, Is l'immonde ruine, Is le mal d'autrefois, toujours là dans leurs cœurs! [Heures de Rêve.)


ADRIEN MITHOUARD
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Bibliographie. — Poésie : Récital Mystique (Alphonse Lemerre, Paris, 1893); — L’Iris exaspéré (Alphonse Lemerre, Paris, 1895) ; — Les Impossibles Noces (Société du Mercure de France, Paris, 1896) ; — Le Pauvre Pécheur (Société du Mercure de France, Paris, 1899); — Les Frères Marcheurs, tirage de lux.- (Bibliothèque de l’Occident, Paris, 1902). —Prose : Le Tourment de l’Unité (Société du Mercure de France, Paris, 1901); — Le Classique de demain, conférence faite à la Libre Esthétique ; — Traité de l’Occident (Perrin, Paris, 1904); — Les Pas sur la Terre (Perrin, Paris, 1908); — Les Marches de l’Occident (P.-V. Stock, Paris, 1910).

M. Adrien Mithouard a collaboré au Mercure de France, à l’Ermitage, à Durandal, au Spectateur Catholique, etc. Il a fondé, avec un groupe d’amis, la revue L’Occident (1901)

M. Adrien Mithouard est un poète très heureusement doué. Philosophe catholique, ses œuvres, où se manifeste une haute sincérité, sont empreintes d’un esprit profondément chrétien. Sa poésie est large et bienfaisante. On admire le parfait équi- libre des facultés de ce fervent artiste chez qui la noble fierté qui sied a l’esprit, dominateur de la matière, s’allie intime- ment à l’humilité qui doit marquer les rapports de l’homme avec son Créateur.

Comme esthéticien, M. Adrien Mithouard estime que la beauté, en dernière analyse, réside dans l’unité : « La Beauté peut être envisagée soit dans les objets externes qui en portent le signe, soit dans les impressions qu’ils nous font éprouver. Mais si nous regardons l’univers extérieur où elle se manifeste, ce qu’il révèle de plus frappant, c’est l’unité selon laquelle s’ordonne non seulement tout ce qui vit, mais même tout ce qui existe Et si nous nous examinons nous-mêmes, ce qu’il y a de plus simple et de plus général en nous, c’est aussi l’unité que, par le seul fait de vivre, nous réalisons entre toutes les parties de notre individu. Voilà donc quelque chose de commun à ces deux mondes subjectif et objectif qu’elle se partage, et quelque chose assurément de primordial. La Beauté ne serait autre que le sentiment même de cette Unité… » (Le Tourment

de l’Unité.) Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/140 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/141 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/142 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/143 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/144 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/145 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/146 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/147 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/148 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/149 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/150

Dans ce réseau de bois a tenu tout entière.
Ces épines en ont sondé la profondeur.
Ceci du front de Dieu ressentit la tiédeur.
Le chef sacré, sachant la vérité suprême,
A donné sa mesure à ce vil diadème.
Cette branche de Mai qui poussait pour un nid
Fut tressée en couronne et borna l’infini.

(L’Iris exaspéré.)




ALBERT FLEURY
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Bibliographie. — Poèmes Etranges (1894, épuisé) ; — Exégèse de l’œuvre future (1894, épuisé) ; — Les Évocations (Editions de VArt Indépendant, Paris, 1S95) ; — Paroles vers Elle (Editions de Y Art Indépendant, Paris, 1895) : — Sur la Route (Editions de Y Art Indépendant, Paris, 1896) ; — Impressions Grises (Editions de Y Art Indépendant, Paris, 1897) ; — Pierrot (Société du Mercure de France, Paris, 1898) ; — Choix (édition de grand luxe, hors commerce, 1898) ; — Poèmes{1895-1898] (Société du Mercure de France, Paris, 1899) ; — Confidences (Société du Mercure de France, Paris, 1900) ; — Les Idées Dramatiques en 1906 (Sansot, Paris, 1907) ; — Les Soldats (feuilleton de Y Aurore, 1908) ; — Des Automnes et des Soirs… (Léon Ribaut, Pau, 1910). — Quelques poèmes inédits.

Albert Fleury a collaboré à la Renaissance Idéaliste, à la Revue Naturiste, au Mercure de France, à Antée, à la Nouvelle Revue Moderne, à la Revue Blanche, à la Plume, au Centaure, à Y Aurore, aux Tablettes, etc. Il a fondé et dirigé, en 1895-1896, La Renaissance Idéaliste (Paris), en 1911 Les Tablettes (Pau). Il a dirigé pendant quelque temps la Revue Naturiste.

Albert Fleury, né en 1875, mort à Pau le 21 octobre 1911, débuta en 1894 par une plaquette de vers aujourd’hui introuvable : Poèmes Etranges. L’année suivante, il fondait La Renaissance Idéaliste, petite revue qui eut une existence éphémère, et publiait deux recueils de poèmes : Les Evocations et Paroles vers Elle, écrits en vers libres et influencés par le symbolisme de l’époque. En 1896 s’accomplit son évolution vers un art libéré et de conception plus réaliste. Il fait partie du groupe Naturiste’à ses débuts, donne successivement : Sur la Route (1896), Impressions Grises (1897), Pierrot (1898) et Confidences (1900), et fait plusieurs conférences, au Collège d’Esthétique moderne, sur Y Héroïsme dans le temps présent. En même temps. il collabore activement à la Revue Naturiste, au Mercure de France, à la Plume, à la Revue Blanche, à la Nouvelle Revue Moderne, et prépare sous ce titre : Poèmes [1895-1898], une nouvelle édition de ses premières œuvres, contenant : Paroles

. Voir noire Anthologie des Poètes Français Contemporains, tome III, p. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/153 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/154 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/155 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/156 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/157 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/158 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/159


ANDRÉ FOULON DE VAULX


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Bibliographie. — Poésies complètes : I [[1894-1896] Les Jeunes Tendresses, avec une préface de Gabriel Vicaire (1894) ; 2° édition augmentée d’un poème nouveau : Le Réveil des Roses (1894); Les Floraisons fanées (1895) ; Les Lèvres pures (1895); Les vaines Romances (1896) ; — II [1897-18991 La Vie éteinte (1897); L’Accalmie (1897) ; Le Jardin Désert (1898) ; — III [1900-1903] L’Allée ou Silence (1904) ; — IV [1904-1906] La Statue muti- lée (1907) ; — V [1907-1909] La Fontaine de Diane (1910) ; — VI [1910-1912] Les Eaux Grises, (1912). —Théâtre : Deux Pastels [La Fée Muguette, poème dramatique en trois actes, Le Portrait, un acte] (1896); — La Petite Soubrette, comédie en un acte, en vers (1898); — Le Peintre du roi, comédie en un acte, en vers : — Chérubin et Franchette, corné die en un acte, en vers. — Roman : Les Âmes Solitaires, études de province [La Sœur aînée (1898) ; Le Veuvage (1899) ; Madame de Lauraguais (1900) ; Ang’ele Ver- neuil (1900) ; Le Déclin (1901)] ; — Amour d’Artiste (1900) ; — La Vieillesse de Louis XV (1900) ; Fine Mouche (1901) ; Jeunesse blonde (1901); — Jamais plus (1902).

Les œuvres de M. André Foulon de Vaulx se trouvent chez Alphonse Lemerre.

M. André Foulon de Vaulx a collaboré au Carnet Littéraire et Historique, au Penseur, aux Arts bibliographiques, à la Revue Internationale, à Poésie (Toulouse), au Soc, au Censeur, à la Province (du Havre), à la Terre de France, aux Argonautes, etc.

Né le 15 mai 1873 à Noyon (Oise), d’une mère appartenant à une vieille famille novonnaiseet d’un père anversois naturalisé Français, M. André Foulon de Vaulx fut élevé par les Domini- cains. À dix-sept ans, il fit la connaissance de M. Jules Truffier, de la Comédie française, qui encouragea ses premiers essais du versification, le fit travailler et le présenta au regretté Gabriel Vicaire. En 1894 parurent, chez Alphonse Lemerre, Les Jeunes Tendresses, signées du pseudonyme André Gérard et précédées d’une préface de Gabriel Vicaire, qui doit être considéré comme le maître de M. André Foulon de Vaulx, encore que Celui-ci doive beaucoup aussi aux conseils d’Emile Pouvillon et à l’en- seignement, par les livres, de Rodenbach et de Saniain. La même année, le jeune poète publia, cette fois sous son vrai nom, une nouvelle édition de son premier recueil, augmentée Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/161 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/162 raffinée et souffrante, son âme de mysticité et de volupté que le réel ne satisfait pas et qui s’attache anxieusement, fébrilement, à l’inconsistant, au fugitif, au rêve, a la pénombre, à tout ce qui demeure, en somme, un des éternels aliments de la poésie humaine… »



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ALBERT SÉRIEYS


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Bibliographie. — Fictions musicales, Mjoux pour l’A Les Hivernales. Chansons de la Mort (18D’i-l’.)00) ; — La Chambre jaune, roman, en collaboration avec M. Charles Grolleao, publié sous le pseudonyme do Jacques Desroix (Carrington, Paris, : — Le Jardin fermé, poèmes (Carrington, Paris, ItOt).

En préparation : Idylle de la Saint-Martin; Petits Poèmes de la Toussaint; Le Couteau.

Quelques pièces de M. Albert Sérieys ont été mises en musique par Scarpetta, Paul Delmet et Speranza-Camusat.

M. Albert Sérieys a collaboré au Chat Noir, aux Annale litiques et Littéraires, à la Marseillaise, à Y F.cho de Paris, a l’/i- clair, à la Revue des Poètes, à Paris- Journal, etc.; il collabore au Courrier Français depuis 1894.

Né en 1860, à Paris, M. Albert Sérieys passa son enfance maladive au milieu de la famille de son père, aux environs de Toulouse. Ce fut une existence solitaire et quasi sauvage, toute en rêveries mystiques, au foud des parcs et des jardins, les médecins lui ayant presque complètement interdit les études. De retour à Paris vers 18S1, il obtint, néanmoins, une bourse pour l’Ecole Commerciale, où, docilement, pendant quatre lon- gues années, il apprit « des choses qui ne lui plaisaient »uère ». Il entra ensuite dans l’administration qu’il n’a plus quittée. Il est actuellement sous-chef du Secrétariat de la Compagnie des Messageries Maritimes. Secrétaire de la rédaction, vers la vingtième année, d’une petite revue, Paris-Jeune, M. Albert Sérieys collabora à divers journaux et revues, notamment au Chat Noir, qui accueillit ses premiers vers, et au Courrier Français. C’est dans cette der- nière revue que parurent quelques-unes des pièces qu’il réunit plus tard en volume sous ce titre : Le Jardin fermé (1904 . M. Albert Sérieys est un esprit juvénile et suavement ironi- que. Il est, à la fois, enthousiaste et clairvoyant. Ce rêveur fol- lement épris d’images et de lyrisme a connu toute l’amertume de la souffrance. Sa poésie s’en ressent. « Sans doute, a dit de lui Pierre Quillard, sans doute, il eut des minutes de joie, mais la mémoire même en est amère, et il ne faudrait pas croire qu en les évoquant en paroles d’une grâce mièvre et triste, il ait jamais été entièrement dupe de la brève illusion... De là vient le charme équivoque de ses vers, parés à .souhait pour quelque gala funèbre, où la mort et la souffrance mèneraient la mascarade en atours de fête. » Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/170 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/171


TRISTAN KLINGSOR
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Bibliographie. — Filles-Fleurs, poésies (Société du Mercure de France. Paris, 1895) ; — Squelettes fleuris, poésies (Société du Mercure de France, Paris, 1897) ; — L’Escarpolette, poésies (Société du Mercure de France, Paris, 1899) ; — La Jalousie du Vizir, conte (Société du Mercure de France, Paris, 1899) ; — Le Livre d’Esquisses, prose (Société du Mercure de France, Paris, 1901) ; — Schéhérazade, poésies (Société du Mercure de France, Paris, 1903) ; — Petits Métiers des rues de Paris (Jacques Beltraud, Paris, 1904) ; — Salons [1900-1904] (E. Sansot et Cie, Paris, 1905) ; — Chansons de ma mère l’Oie, mélodies (A. Rouart, Paris, 1906) ; — Chanson d’amour et de souci, mélodie (A. Rouart, Paris, 1906) ; — La Duègne apprivoisée, comédie lyrique en un acte, représentée pour la première fois à Paris, par le théâtre Comœdia, à la Bodinière, le 11 février 1907 (E. Sansot, Paris, 1907) ; — Le Valet de Cœur (1908) ; — Chroniques du Chaperon et de la Braguette (Sansot, Paris, 1911) ; — Poèmes de Bohème (Société du Mercure de France, Paris, 1913).

M. Tristan Klingsor a collaboré au Mercure de France (questions d’art ancien), à la Gazette des Beaux-Arts, à la Revue Bleue, à la Revue Illustrée, au Monde Moderne, à l’Art Décoratif, à la Revue des Revues, aux Argonautes, etc.

M. Tristan Leclére, dit Tristan Klingsor, poète, peintre, musicien et critique d’art, est lié à la Chapelle (Oise) en 1874. Ou lui doit plusieurs volumes de vers : Filles-Fleurs (1895), Squelettes fleuris (1897), L’Escarpolette (1899), Schéhérazade (1903), Le Valet de Cœur (1908), Chroniques du Chaperon et de la Braguette (1911), Poèmes de Bohème (1913) ; quelques volumes de prose : La Jalousie du Vizir (1899), Le Livre d’Esquisses (1901), Petits Métiers des rues de Paris (1904) ; Les Salons [1900-1904] ; un recueil de mélodies : Chansons de ma mère l’Oie (1906), et une comédie lyrique en vers, représentée à la Bodinière : La Duègne apprivoisée (1907).

Fantastique ménestrel que hantent les géniales visions de Holbein et de Saint-Saëns et poète de contes de fées, admirateur de Perrault, d’Adalbert von Chamisso et des vieilles légendes méridionales en même temps que fervent adorateur de Titania et de Schéhérazade, M. Tristan Klingsor nous transporte dans un monde étrange et merveilleux, aux décors multiples et changeants. La magie de son verbe ressuscite les royaumes d’Ys et de Thulé, l’antique château d’Elseneur, le palais d’Aladin et de Badroulbadour. Des gnomes, des nains, des filles-fleurs, de gracieux varlets, des princesses de Chine, des reines de Trébizonde, surgissent, furtives apparitions, et s’évanouissent comme des fantômes aux approches du jour. Peter Schlemihl cède la place à Schemseddin et au prince Camaralzaman. Le merveilleux oriental, le mystérieux éclat des topazes et des chrysoprases, les parfums lourds et voluptueux des cassolettes, tout le somptueux et chatoyant décor des Contes arabes succède comme par enchantement au symbolisme brumeux, au surnaturel mélancolique et sombre, aux demi-teintes, aux fantaisies angoissantes des poètes septentrionaux.

Le vers de M. Tristan Klingsor est très musical. Sa forme est remarquable. « M. Tristan Klingsor, a écrit M. Henri de Régnier, se montre un poète délicat et subtil, et, parmi les poètes nouveaux, l’un de ceux qui manient avec le plus de dextérité, d’invention et de bonheur le redoutable vers libre. Il le fait souple, élégant ; M. Klingsor possède un métier très personnel qui n’est ni la soierie irisée de M. Viélé-Griffin, ni la bure puissante de M. Verhaeren, ni les mousselines à pois de Jules Laforgue, et qui a ses procédés et son secret… »

Ancien élève de l’École du Louvre, M. Tristan Klingsor s’est senti particulièrement attiré par les questions d’art. Rédacteur des questions d’art ancien au Mercure de France, il a, en outre, publié différents articles à la Gazette des Beaux-Arts, à la Revue Bleue, à la Revue Illustrée, au Monde Moderne, à l’Art décoratif, à la Revue des Revues, etc. Comme peintre, il a exposé au Salon d’Automne et aux Indépendants, à Paris. TRISTAN KLINGSOR 161 DAME KUNDRY Au rouet vermoulu sculpté de liroi i Dame Kundry filait depuis trois cents âne ; Quelqu’un cogna trois petits coups à la porta : Un ménestrel fou d’amour entra céan*. L’intrus pirouetta de fort charmante -Pour offrir à la fileuse an vieux rouet Quelque livre fleuronné de trois cigogm n Dame Kundry surprit son cœur guilleret. L’intrus lui tendit un cornet clair de corne Plein d’un élixir de jouvence et d’amour ; Dame Kundry but le vin qu’on édulcorc Et rougit comme une rose de Timour. L’intrus lui joua des airs de farandole : Dame Kundry s’énamoura d’un balai, Et — robe qui froufroute, guimpe qui vole — Se mit à sautiller un pas de ballet. Mais lintrus brisa par terre sa viole. Dans le cornet tors et magique de Kohi Il ne restait qu’un bouquet qui s’étiole, Et les trois cigognes y trempaient leur col. Le merveilleux ménestrel ouvrit la porte ; Il ôta sa toque à plumes de gala, Et pirouetta de fort charmante sorte Devant dame Kundry qui n’était plus là. (Filles-Fleurs.) ORIENTINE En sa cathédrale ouvrée d’étoffes d’Assur Klingsor vieillot, doigts au menton souriant, Songe. De ses lèvres se lève l’azur De trois pipes odorantes d’Orient. Les gnomes qui chantonnent la chanson brève Et qui tiennent les trois pipes de Syrie, Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/176 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/177


BERTHE DE PUYBUSQUE
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Bibliographie. —Leçons des Choses, poésies (Paul Ollendorff, Paris, 1895) : — Le Roman de Gisèle, roman paru dans l’Ouvrier (H. Gautier, Paris, 1899); — Les deux Robes, roman (H. Gautier, Paris, 1901); — Souvenirs de Concours (E. Privât, Toulouse, 1902) ; — Sainte Germaine, Bergère miraculeuse, pièce en un acte, en vers (Toulouse, 1903); — La Rcte IJombrce, roman (Latrobe, Perpignan, 1904): — Petite Germaine, roman (H. Gautier, Paris, 1904); — Le Manoir de Gabach, roman paru dans l’Ouvrier (H. Gautier, Paris, 1905) ; — L’Angélus sur les Champs, poèmes, avec une préface de Charles de Pomairols (Editions de l’Ame Latine, Toulouse, 1907); — Marie de Renaud (Henri Gautier, Paris, 1911); — Les Lointains s’éclairent, roman (1912). Les ouvrages parus avant 1905 ont été publiés sous le pseu- donyme de Rustica. M lle Berthe de Puybusque a collaboré à l’Ouvrier, à la Favilla (Italie), au Correspondant, etc. Issue d’une vieille race toulousaine delittérateurset de poètes, M lle Berthe de Puybusque, née au bord de la Garonne dans la commune de Muret, a passé sa vie à la campagne, au milien de la nature qui a de tout temps parlé à sou âme, en face des mer- veilles de la création, qui l’ont instruite à aimer le Créateur. « Les inspirations qui animent ses vers, dit M. Charles de Po- mairols, sont celles d’un véritable et profond poète. Vivant en présence des spectacles de la campagne, ce poète, qui les ob- serve avec une fine justesse, ne se contente pas de les décrire, — frivole et stérile occupation. Il va plus loin et plus haut que la matière... La nature l’attire surtout par les semblants d’ana- logie que, dans des rencontres heureuses, elle offre avec les émotions de l’âme humaiue. M lle de Puybusque accomplit, à la suite des grands poètes, cette œuvro de l’imagination rêveuse, élever les choses au rang de l’esprit, faire en elles respirer un soufûe intime et battre leur cœur. Le cœur qu’elle leur a donné est douloureux. C’est, digne de toutes les sympathies, un cœur aimant qui rêva le bonheur, reçut du destin mille blessures, et apprit ainsi la vanité de l’espérance ici-bas... Volontiers l’âme meurtrie du poète se voile, elle s’enveloppe en ses profondeurs solitaires où elle se conserve pure, inviolée, défendue de toute tentation commune par l’horreur, d’abord instinctive, puis réfléPage:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/179 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/180 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/181 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/182


PAUL-HYACINTHE LOYSON
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Bibliographie. — Les Deux Coupes, poème (Vanier, Paris, 1897) ; — Magor, avec une préface par Hyacinthe Loyson (P.-V. Stock, Paris, 1899) ; — L’Évangile du Sang, 3° édition (Extrait de la lie vue d’Art Dramatique, Paris, 1900) ; — Sur les Marges d’un Drame, poésies (P.-V. Stock, Paris, 1901) ; — Le Droit des Vierges, comédie dramatique en trois actes, avec une lettre de Bjornsterne-Bjornson, représentée successivement à Gen Lausanne et à Paris (Publications de l’Humanité Nouvelle. Paris, et P.-V. Stock, Paris, 1903) ; — Les Préludes, poèmes (Librairie de La Plume, Paris, 1905, hors commerce) ; — Les Anus ennemies, pièce en quatre actes, première partie d’une trilogie sur le contlit entre la Science et la Religion au xx « siècle, représentée au Théâtre Antoine le 15 mai 1907 (Editions de la llevue Politique et Littéraire et de la Revue Scientifique, Paris. 1907) ; — Les Idées en bataille, discours et polémiques (Maison des Publications Littéraires et Politiques, Paris, 1911).

En préparation : Une pièce de théâtre 1.

M. Paul-Hyacinthe Loyson a collaboré à de nombreux journaux et revues et au recueil : Carmen pro Invictis (vers dédiés aux Républiques Sud— Africaines [N. Veenstra, La Haye, 1901]).

M. Paul-Hyacinthe Loyson, né à Genève le 14 octobre 1873, est fils de Hyacinthe Loyson — qui fut en religion « le Père Hyacinthe » — et d’Emily Butterfield, Américaine de la Nouvelle-Angleterre, puritaine dans toute la beauté et dans toute la rigueur du terme. Il passa ses premières années en Suisse, dans sa ville natale, où le Père Hyacinthe avait fondé l’Eglise Catholique Nationale avec le concours des hommes politiques genevois. Ce ne fut qu’en 1880 qu’il suivit son père à Paris. Les premiers souvenirs d’enfance de M. Paul-Hyacinthe Loyson sont donc tout imprégnés d’un sain parfum de Nature.

Son jeune esprit, d’autre part, fut influencé, à Genève, par la doctrine protestante. A huit ans, il fut placé à l’école en Angleterre, où il resta deux ans. Puis il accompagna son père dans

1. Cette nouvelle pièce de M. Paul-Hyacinthe Loyson, L’Apôtre, représentée à l’Odéon eu 1911, a été jouée en tournée par M. et M, ne Silvain, à Alexandrie, au Caire, à Athènes, à Constantinople, à Bucarest, etc. [Note de 1913.] Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/184 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/185 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/186 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/187 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/188 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/189


LUCIEN ROLMER



Bibliographie. — L’Inconstance, poème lyrique (1897, épuisé) ; — Thamyris, poème lyrique (1900, épuisé) ; — Madame Fornoul et ses Héritiers, roman (Société du Mercure de France, Paris, 1905) ; — L’Hôtel de Sainte-Agnès et des Célibataires, roman (Paul Ollendorff, Paris, 1906) ; — Chants Perdus (Paul Ollendorff, Paris, 1907) ; — Le Second Volume des Chants Perdus, poèmes lyriques, ouvrage couronné par l’Académie française (Société du Mercure de France, Paris, 1910-1911) ; — Maïvine, roman (Éditions de La Flora, Paris) ; — Les Amours Ennemies, roman (Figuière, Paris, 1913) ; — L’Éloge de la Grâce, poèmes et critiques (Éditions de La Flora, Figuière, Paris, 1913).

M. Lucien Rolmer a collaboré à divers journaux et revues. Il a fondé La Flora, revue des Lettres et de l’Art gracieux (1912).

M. Lucien Rolmer, né à Marseille le 31 juillet 1881, est un poète à la fois de nuances délicates et de splendeur, de désir violent et de rêve nostalgique. Il fuit le contact grossier de la matière. Il chante le divin mystère des Songes, tendres ou somptueux, qui bercent ici-bas nos angoisses et nos désirs endormis et qui nous emportent au-dessus de la terre :


Les Songes sont des rois qui visitent les âmes
Et versent l’harmonie et l’éblouissement ;
Les mirages du jour leur ont donné leurs flammes,
Les étoiles des nuits leur tendresse et leur chant ;
Ils tiennent dans les mains de tremblantes corolles
D’où l’Orient s’exhale en magiques paroles…


Après avoir cherché l’oubli de la vie dans « la tristesse de l’amour » et dans l’immobilité d’états d’âme crépusculaires, il a senti vibrer son être à l’unisson des sphères éthérées, il a senti vivre en lui sa pensée immortelle, et il a désiré quitter la terre pour continuer son évolution vers plus de lumière et de bonheur :


Ô berceaux de l’éther, ô refuges des âmes,
Ô constellations qu’habitent les Esprits,

Quand me recevrez-vous dans votre paradis ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je n’ai pas demandé de vivre sur la terre…
Ô Souffle que j’invoque, hymne de la Lumière,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dieu de rêve et d’amour que j’ai jadis connu,
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AMÉDÉE ROUQUÈS
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Bibliographie. — Poésie : L’Aube Juvénile ( Alphonse Lemerre, Paris, 1897) ; — Pour Elle (Paul Ollendorff, Paris, 1900) ; — Renaissance, poèmes (Paul Ollendorff, Paris, 1903). — Tirages à part : L’Appel du Large ; — Marée Montante. — Théâtre : La Première Salve, drame en un acte, représenté au Théâtre Civique (Stock, Paris, 1901).

M. Amédée Rouquès a collaboré à la Grande France, au Banquet, à la Revue d’Art dramatique, au Mouvement Socialiste, à Pages Libres, à la Revue Hebdomadaire, à l’Idée Libre, à la Revue de Paris, etc.

Né à Paris le 23 janvier 1873, d’une famille parisienne, M. Amédée Rouquès fit ses études au lycée Michelet, à Vanves et à la Sorbonne. Il n’a, depuis, quitté Paris que pour quelques voyages d’agrément et pour de brefs séjours d’étude à l’étranger, notamment en Hollande et en Allemagne.

Il a publié successivement : L’Aube Juvénile (1897), œuvre harmonieuse où se révèle un cœur tendre et sincère qui a souffert déjà, une âme d’adolescent mélancolique et attristée ; Pour Elle (1900), suite de piécettes exquises racontant « au jour le jour » l’amour naissant dans l’âme du poète, rythmes verlainiens doux comme des caresses d’amoureux berçant l’émoi d’un cœur qui s’ouvre et qui ose à peine s’avouer son trouble et son bonheur ; et, enfin, Renaissance (1903), qui nous montre le poète fuyant un « passé mort » de bonheurs et de deuils et marchant vers une vie nouvelle de luttes courageusement acceptées. M. Amédée Rouquès a rapporté de ses voyages à l’étranger de précieuses impressions de pays entrevus ou étudiés : la brumeuse Hollande, l’Allemagne, la Thuringe, Bayreuth. Le cycle wagnérien a exercé sur lui sa puissante attraction : il chante Brünnhilde et Siegfried, les filles du Rhin, Tristan et Yseult. On trouve dans ce volume des poèmes civiques, humanitaires et sociaux parmi lesquels il convient de citer l’Appel au Large et Marée Montante, dits par l’auteur, le premier à l’Assemblée Générale de la Société de Sauvetage des Naufragés, le 2 mai 1897, le second à la Fête des Grands Hommes, le 28 juillet 1901.

M. Amédée Rouquès a donné au théâtre la Première Salve, drame en un acte représenté au Théâtre Civique en 1901[3]. AMÉDÉE ROUQUÈS 183 AVANT-PRIXTi: MPS C’est le salut, et c’est l’accueil Aux lèvres, aux mains mi-ouvertes La vigne n’est pas encor verte Et pend frileuse sur le seuil. On dirait qu’une voix chuchote De vague espoir, et n’ose pas... Des rires s’échappent tout ha s. Se taisent soudain, et sanglotent. Les oiseaux volent indécis Au bord du grand ciel doux et gril Où le soleil pâle tisonne. Et le voyageur l’arrêtant Hésite si c’est le printemps, Ou l’adieu voilé de l’automne. (L’Aube Juvénile. NOCTURNE Le ciel est si noir, la nuit est si douce, La nuit est si douce, et si oublieuse; La brise palpite et meurt sur la mousse... Sans songer au sort mauvais qui nous pousse, Fuyons dans la nuit, petite amoureuse. La nuit est si douce et si oublieuse! L’ombre a confondu les bois et la plaine; A peine une étoile mystérieuse, A peine un frisson aux feuilles des yeuses... Dans l’air apaisé notre baleine, à peine. La brise palpite et meurt sur la mousse Où luisent discrètes les lucioles. En passant l’épine blanche éclabousse De sa neige ta chevelure rousse... Le vent meurt comme un soupir de viole. 184 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS Sans songer au sort mauvais qui nous pousse, Et seuls dans la nuit où nos pas s’étonnent, Oublions le monde qui nous courrouce, Oublions la vie, une nuit si douce Veut que l’on oublie... oublions, mignonne. Fuyons dans la nuit, petite amoureuse, Ne sachant plus rien que notre tendresse, Et ne parlons pas ; mon âme peureuse Se blesserait de ta voix radieuse, Et le plus beau chant vaut-il nos caresses ? Le ciel est si noir, la nuit est si douce, La nuit est si douce et si oublieuse; La brise palpite et meurt sur la mousse... Sans songer au sort mauvais qui nous pousse, Fuyons dans la nuit, petite amoureuse! (L’Aube Juvénile.) NOUVEL AN C’est l’adieu muet de l’année Qui meurt dans la pluie et le vent... Les feuilles tournent lentement Sur les tombes abandonnées. Dans l’air moite rôde un parfum De mousse humide et d’immortelles Toutes celles qui furent belles Accueillent nos espoirs défunts. Toutes celles que nous aimâmes Nous font signe d’un doigt levé... Spectres que nous avons rêvés, Petits spectres, petites âmes! Faut-il regretter les étéa ? Et songer à d’autres batailles ? Il sort de ces pierres qui bâillent Un souffle froid d’éternité! Et la vie hésite et chancelle Au bord des dalles de granit, ami’dée rouquès 185 Lasse de cet an qui finit, Peureuse d’une aube nouvelle. Voici l’aube pourtant! La nuit S’envole avec tous nos ver! i Lèvent clair fait vibrer les tiges, Et les spectres se sont enfuis! Le soleil rajeuni rayonne Aux vitres des fanaux éteints, Et les clochers dans le matin A tous les horizons bourdonnent, Cloches d’espérance et d’orgueil, Ah! que sonnent-elles, ces cloches? Est-ce donc le jour enfin proche, Le jour de victoire et d’accueil ? Est-ce la haine qu’on exile? Est-ce la foi des cœurs nouveaux? Que faut-il entendre aux échos Des cloches blanches sur la ville? Ecoute-les battre dans l’air Comme des ailes sur les nues... Ne les as-tu pas reconnues, Les mêmes, qui sonnaient hier! Qui sonnèrent dans chaque aurore L’hosanna menteur, sombre glas, Où, pauvre fou naïf et las, Tu peux mêler ta voix encore ! Croyais-tu surtout qu’une nuit Au crible du hasard vannée Allait changer ta destinée Et soudain finir ton ennui? Qu’un peu d’eau écoulée au fleuve, Une heure qui s’égrène au vent, Suffiraient pour qu’au jour levant S’épanouît ton âme — neuve ? Ah! ton âme, reconnais-la! Comme ces cloches mensongères, Comme ce ciel si bleu naguère, Déjà livide et sans éclat, 186 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS- Reconnais-la, pesante et blême... Dégoûts, tristesses, désespoirs, Epaves sur l’Océan noir, Reconnais-les, — toujours les mêmes ! Cœur épris de tous les ailleurs Dont tu n’as jamais su la route, Poursuis, dans l’angoisse et le doute, Tes jours, ni pires, ni meilleurs; Poursuis, avec les mêmes haltes Aux mêmes carrefours honteux, Avec les mêmes songes creux Où ton impuissance s’exalte, Avec ton amour refusé Par toutes les mêmes passantes, Avec tes lèvres frémissantes Des mêmes stériles baisers, Mirant ta faiblesse et ton vice Au miroir de ta vanité, Sans trouver, dans ta lâcheté, Le héros fort qui t’asservisse, Par les cités et les chemins, Va, marche, prisonnier sans trêve De l’An qui jamais ne s’achève, Vers l’inaccessible Demain! (L’Aube Juvénile-, LE PLONGEUR A Henry Gauthier— Vilîars. Essayais-tu la volupté neuve d’un crime ? Ou si ce fut jeu nonchalant? Ou pour savoir La mesure de mon amour, et ton pouvoir ? Ton caprice a jeté ta bague dans l’abîme. Les feux de l’or gemmé se brisent et s’animent, Et s’éteignent noyés au gouffre vert et noir. Oh! plonger, mains chercheuses, aux glauques couloirs- Des roches, et, la bague au doigt, surgir sublime! AMEDEE RO:

Mais je sais — comme toi — que le gouffre est mortel, Et je ne plonge pas, — en songeant soudain quel Sourire précieux nuancerait t<>n rêve, Quand tu verrais sur l’eau calme du golfe plut Monter mon dernier souffle en trois bullefl <[ui Crèvent, — Et que je ne pourrais voir ce sourire-là. (L’Aube Juvénile.) SON NOM Son nom! Chère musique inentendue encore! Parmi l’ombre où frémit le silence sonore, Je l’écoute voler épars dans les rumeur?. Je le cherche aux frissons qui frôlent mon oreille. Et ma voix les imite, et ma voix les e>~ L’un après l’autre, et les prolonge, et tombe, et meurt, Sans qu’au fond de mon âme adorante > éveille Un seul écho révélateur... Son nom, il faut qu’il soit câlin Comme aux feuilles d’automne un murmure de brise, Fier comme un serment, et qu’il dise Avec sa foi de femme et son rire enfantin La forme de sa bouche exqui Son nom! Chanson d’abeille à mes tempes en fièvre! Je l’entends qui voltige à l’entour de ma lèvre, N’osant encore s’y poser... Et voici que j’aurai presque peur de le dire... Doux nom, premier aveu qui commence en sourire Et doit s’achever en baiser. (Pour Elle.) NUIT Le soleil mort, C’est la nuit noire Pas une moire Sur l’eau qui dort. 188 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS Ombre et silence Sans horizon ; Sans un frisson Au gouffre immense. Silence et nuit Où tout se voile, Où meurt tout bruit. Seule, une étoile Émerge, — et luit. (Pour Elle. EVEIL J’ai rêvé cette nuit d’un amour admirable, D’un bonheur qu’on adore en tremblant, à genoux. D’elle je n’ai rien su, hormis ses baisers fous Et nos langueurs au bord des vagues, sur le sable. C’était ailleurs, jadis, un jour, je ne sais où, Dans un monde enchanté de mystère et de fable. Tout notre être semblait se dissoudre impalpable, Et rien pourtant n’osait exister hors de nous. Or je savais aussi que ce n’était qu’un rêve. Et j’attendais, le cœur oppressé, sur la grève, La fin du beau mensonge et le jour détesté... Mais quand l’aube joueuse en ses reflets de soie Parut, mon bonheur vrai, de réelle clarté M’a réveillé soudain, et j’ai crié de joie! [Pour Elle.) AU CLAIR DE LUNE C’est un soir de clair de lune. Au son d’étranges musiques Passent des formes câlines Et fuient des éclairs de nuques. C’est une danse très lente, C’est un froissement de ruches AMKDÉE ROUQUÈS 189 El de voiles en volutes Et de longues robes blanches. « Que me voulez-vous donc, Sylphes, Que les rayons pâles ceignent, Korriganes, Lutins, Elfes, Pourquoi me faites-vous signe? » Les formes blanches se taisent . Mais leur ronde un peu plus vive Tournoie et flotte à la brise Et leurs mains vers moi se lèvent. « Pourquoi m’appeler, ô folles? Pensez-vous que je vous cède Quand tous mes désirs vers Bile Loin d’ici veillent et rôdent? « Pourquoi me tendre vos terres. 3 Les siennes sont bien plus douces. C’est en vain que vos bras s’ouvrent . Car je connais ses caresses. » Et me voici dans leur ronde, Tout à coup pris de vertige, Et sous leurs voiles candides Prisonnier sans que j’y songe. Et je vais de l’une à l’autre, Et la ronde folle écrase Parmi la brume bleuâtre Des pivoines et des roses. Et je vais de l’une à l’autre Et m’arrête à la plus belle, Qui lève pour m’apparaître Son voile sur son épaule, — Quand joyeuse de sa ruse Je reconnais la divine Qui se rit de ma méprise... C’est un soir de clair de lune. (Pour Elle.) 190 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS MERCI O douce, ô bonne, O sage aussi, A ta merci Je m’abandonne. Sais-je où demain S’en va ma route ? Ma vie est toute Entre tes mains. Si lourde et frêle Tout à la fois, Entre tes doigts Que pèse-t-elle? Mais sauve-la Ou non, pas une Plainte importune IS T e te suivra... O douce, ô bonne, O sage aussi, A ta merci Je m’abandonne! {Pour Elle.) SOUS LE TILLEUL C’est sous le tilleul Que tous deux, tout seuls, Nous avons, sur la bruyère, pris place. Vous verriez là-bas Si de nos ébats Herbettes et fleurs ont gardé la trace! Dans le val boisé, près de nous, Tandaraderi ! Le rossignol, qu’il chantait doux! Par la plaine en pente J’arrivai — trop lente — AMKDEE ROUQUÈS 191 Vers mon bien-aimé dès longtemps venu. Il ofl’rit sa flamme « A sa noble dame ’. Quel ravissement quand je l’aperçus ! S’il m’embrassa?... Voyea ma bouche — Tandaraderi ! Voyez ma bouche s’elle est ronge. Et vite, joyeux, Nous fit pour nous deux Un doux lit jonché de fleurs odorantes. Certes, les moqueurs Riront de bon cœur En passant par là, près de notre sente. Car, aux roses, bien l’on verra Tandaraderi ! Où ma tète se reposa. Ah! que 1 on apprenne Comme je fus sienne, Certes, j’en mourrais de honte aujourd hui ! Mais folles paroles Et caresses folles, Nul n’en a rien su, que moi seule, et lui, Et qu’un tout petit oiselet : Tandaraderi! Saura bien garder le secret. (D’après Walther ron der YvgeLveide, Renaissance.)


PAUL-HUBERT
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Bibliographie. — Verbes Mauves, poèmes (F. Clerget, Paris, 1898); — Aux Tournants de la Route, poèmes (Édition de la Maison d’Art, Paris, 1901) ; — Les Horizons d’Or, poèmes du Lan- guedoc, avec une préface de M. Georges Lecomte, ouvrage ayant obtenu le prix Sully Prudhomme en 1906 (P. Ollendorff, Paris, 1907); — Au Cœur ardent de la Cite, poème (Charpentier-Fas- quelle, Paris, 1908). Ex préparation : un drame languedocien, en vers. M. Paul-Hubert a collaboré au Gaulois, au Gil Blas, à la Grande Revue, aux Annales Politiques et Littéraires, à Je sais tout, au Monde Moderne, à la Revue Hebdomadaire, au Roman Romanesque, à Sèlecta, à Nos Loisirs, à la Plume, au Geste, à la Vie Montpcliéraine, à la Revue du Midi, etc. Il a été pendant quelques années secrétaire de la rédaction du Monde Moderne- M. Paul-Hubert, né aux environs de Château-Thierry, à Coincy- l’Abbaye (Aisne), le 23 juin 1875, fit ses premiers pas dans les vignobles champenois, « dont il respira l’âme mousseuse et dorée, prédestiné à chanter la vigne et le vin »... Transplanté tout jeune, dès l’âge de trois ans, en plein Midi ardent, de Narbonne à Montpellier, il s’y acclimata si bien qu’il en devint le fils atten- dri et qu’il en vécut, pendant vingt-cinq années, la vie ardente et lumineuse, au milieu des vignobles paternels, où son âme s’enivra de lumière, de couleurs et de parfums, devant la Médi- terranée enchanteresse dont il devait essayer de traduire la beauté. Au sortir du lycée, en 1898, M. Paul-Hubert publia son pre- mier recueil de vers : Verbes Mauves, auquel succéda, en 1901, une plaquette : Aux Tournants de la Route, aujourd’hui reniée, mais dont telles pièces, d’une subtilité toute mallarméenne, méritent de rester. En même temps qu’il publiait ces œuvres de jeunesse qui passèrent inaperçues, M. Paul- Hubert con- quérait l’estime des lettrés par des proses délicates et colo- rées, publiées en divers journaux de Paris et du Midi. Enfin, en 1906, son vaste poème Les Horizons d’Or, dédie à la lumi- neuse beauté de son pays d’adoption, lui valut le prix Sully Prudhomme. « Paul-Hubert, écrivait dès cette même année M. Louis André, a longtemps et patiemment observé la nature Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/207 soleil, de la mer bleue, et l’épilogue de son poème, La Mort du poète, nous le montre regrettant son « asservissement » [4].



Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/209 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/210 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/211 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/212 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/213 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/214 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/215 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/216 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/217 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/218


PIERRE BLANCHON


(JACQUES-ANDRÉ MÉRYS)
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Bibliographie. — Premiers Vers, en collaboration avec Michel Mérys (Vanier, Paris, 1898) ; — Solitude, poésies (Vanier, Paris, 1904) ; — Correspondance et fragments inédits d’Eugène Fromentin. 2 volumes (Pion, Paris).

M. Pierre Blanchon a collaboré au Journal des Débats, à la Revue de Paris, à la Revue Bleue, à la Revue Latine, à la Revue des Poètes, etc.

M. Pierre Blanchon (en littérature Jacques-André Mérys) est né à Nieul-sur-Mer (Charente-Inférieure), le 4 septembre 1867. Son père, avoué à Aubusson (Creuse), appartenait à une vieille famille d’hommes de loi; sa mère était fille et petite-fille d’industriels.

Après avoir achevé ses études au lycée Henri IV, à Paris, M. Pierre Blanchon fit son droit à Paris et à Poitiers. En 1896, il succéda à son père comme avoué. S’étant fixé, trois ans plus tard, à la Rochelle, en qualité d’avocat, il fut élu bâtonnier de l’Ordre en 1902.

M. Pierre Blanchon a débuté en littérature en 1898 par une plaquette : Premiers Vers, qui renfermait également des poèmes de son frère, publiés sous le pseudonyme de Michel Mérys.

En 1905, il publia un second recueil de vers : Solitude. Il a édité, en outre, la correspondance et des fragments inédits d’Eugène Fromentin et publié dans divers journaux et revues d’intéressants articles de critique.

M. Pierre Blanchon est un poète de race qui se laisse envahir, presque à son insu, par le charme prenant et souvent mélancolique de la nature, où il trouve ainsi tout naturellement son inspiration; un poète qui a souffert dans ses plus chères affections et qui éprouve une douceur amère et comme une âpre volupté à s’abandonner à la caresse de la voix triste du souvenir. Il incline vers les sujets de sentiment et d’analyse psychologique, qu’il traite avec un art à la fois délicat et profond.



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Bibliographie. — Heures de Rêve, vers (Lille, 1898) [épuisé] ; — Notes et Poèmes (Éditions du Beffroi, Lille, 1905) : — Le Dernier Satyre, conte (Éditions du Beffroi, Lille, 1905) [hors commerce] ; — Notations, poèmes (Éditions du Beffroi, Lille, 1906) ; — Poèmes choisis [1906-1910], plaquette tirée à 80 exemplaires, tous hors commerce (chez l’auteur, à Cassis [Bouches-du-Rhône], 1911) ; — L’Autre Vie (Les Bandeaux d’Or, 1912).

M. Théo Varlet a collaboré à l’Essor, qu’il dirigea, au Beffroi, au Thyrse, à l’Ermitage, à la Plume, à la Revue Septentrionale, au Samedi, au Feu, à la Revue des Flandres, à l’Idée Libre, à l’Art Libre, à Poesia, à la Nouvelle Athènes, à la Fronde, à Pan, au Divan, à l’Île dormante, aux Bandeaux d’Or, à la Sicile illustrée, etc.

D’origine picarde et flamande, M. Théo Varlet (Théodore-Louis-Étienne) est né à Lille le 12 mars 1878. Après des études classiques heureusement achevées chez les Jésuites, il se consacra à la littérature, collabora à diverses revues, dirigea pendant quelque temps L’Essor, et publia, dès 1898, son premier volume de vers, Heures de Rêve, aujourd’hui introuvable.

M. Théo Varlet, qui dédaigne assez la littérature littératurante, partage son temps entre ses voyages à travers l’Europe et une retraite studieuse sur le littoral de Flandre, à Knocke-sur-Merou à Bruxelles. Il a visité, de 1898 à 1913, l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, la Suisse, Constantinople, la Grèce, et a surtout séjourné en Provence et en Italie, parcourant à pied la Ligurie, la Campanie, la Galabre et la Sicile.

En 1905 et 1906, M. Varlet a fait paraître successivement Notes et Poèmes et Notations, où, faisant sienne la sublime parole de Zarathoustra : « De tout ce qui est écrit, je n’aime que ce que l’on écrit avec son propre sang ; écris avec du sang, et tu apprendras que le sang est esprit, » il se donne tout entier au public, tel qu’il s’est révélé à lui-même au creuset d’une analyse âpre et rigoureuse. Les Solitudes et les Intimités sont surtout significatives à cet égard. L’ascète qui vit dans ce mystique du Néant, dans ce Surhomme dilettante, tout imprégné des doctrines de Nietzsche, joint au mépris du vulgaire, à la fantaisie Ironique d’un Laforgue et d’un Rimbaud, la terrible sincérité, la bienfaisante rudesse et l’étonnante acuité de perception de Corbière.

Dans les Lunaires, les Paysages et Villes, comme dans Zélande, Londres, Grèce, Italie, poèmes descriptifs, nous trouvons quelques-unes des solides qualités de Verhaeren, et un esprit toujours en éveil qui, au détail pittoresque, observe avec amour, sait ajouter le piment de quelque rapide analyse psychologique, résumée en un sarcasme cruel et savoureux.

Les Poèmes choisis [1906-1910] (1911), écrits à Cassis (Bouches-du-Rhône), en Calabre, à Messine, dans « une île du Levant », à Bruxelles, à Knocke-sur-Mer, nous montrent le poète ivre du beau Soleil méditerranéen, dont les « fanfares de lumière » le poursuivent dans ses rêves jusque sur les brumeux rivages de la mer du Nord. À Bruxelles, à Knocke, le spleen, parfois, l’envahit tout entier, une lassitude de vivre le paralyse ne lui laisse même plus la force d’aimer les « golfes bleus » ; mais le désir endormi n’est pas mort, et le flamboyant Midi semble avoir bien définitivement conquis cet homme du Nord :


Je veux du vierge azur et des soleils brutaux,
Des mers trop bleues, des jours trop beaux, des soirs trop chauds,
Les pins rêvant au bord des rochers roux ; je veux
Tes orangers et ta lumière…
Tes orangers et ta lumière…… régnant sur les golfes heureux…



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LE MOULIN


Hélas ! au long des jours, sempiternellement,
Pour quel méthodique labeur, toujours le même,
D’identique blé broyé,
Avec des gestes véhéments
Se buter à l’insoluble problème
D’un cercle jamais dessiné !
— Tandis que dans son cœur craquent des engrenages,
Le moulin — ô routine résignée ! —
De ses quadruples bras dévide les nuages.
Mais, dans les larges soirs lunaires,
Dans les soirs immobiles et blanes,
Écartelé sur son échafaud solitaire,
Le moulin étire ses membres ballants
Et, par le ciel de mystère,
Doucement rame.
Et, avec des grâces moelleuses de pavane,
S’essore.
Malgré le calme et la brise nulle,
Hilare et muet, toutes voiles dehors,
Le moulin fantomal fauche du clair de lune.

Dégrafé des mornes mécaniques,
Le grand moulin vertigineux
Se venge des monotonies logiques,
Et son élan toujours plus hasardeux
Hèle, de gestes conjuratoires, la Nuit.

— Vire plus vite le grand cercle magique
Ivre de folie :
Ses quatre raquettes de toile
Écorchent les immensités éblouies,
Et son giroiement fou jongle avec les étoiles.

Mon âme ! après les journées veules
Où se broie sous les mécaniques en fer
Et les mâchoires tritureuses
De tes meules
Le grain remoulu des idées coutumières,

Vois, dans la nuit ambiguë, au moment
Où du sommeil prochain montent les lourdes houles,
Vois donc en toi, vois virer éperdument
Le Moulin-de-Folie aux quatre couteaux rouges.

(Notes et Poèmes.)


HYDE-PARK


Steppeurs bais, huit ressorts aux souplesses de barque,
Laquais poudrés dont la gravité officie,
Dans les éclairs des roues et des nickels, voici
Phryné aux cheveux d’or, sa toilette et ses bagues.

Mais elle distribue à peine un regard vague
— Car un joli chagrin rehausse ses sourcils —
Et laisse, méprisant cette démocratie,
Aux miroirs des panneaux défiler Hyde-Park :

Inattentif aux noms d’amour qui le querellent,
Le successeur chéri d’un dernier prince russe,
Trônant sur ses coussins de soie et de dentelle,

Insoucieux d’honneurs et déjà lassé d’elle,
Le ouistiti Darling tranquillement s’épuce
À l’ombre mauve et transparente de l’ombrelle.

(Notes et Poèmes.)


AGRIGENTE


Au long des murs croulés les temples éclatants,
Frontons fauves, sur l’outremer aigu, se gravent
Et, dans le tuf vermiculé des architraves,
Rutilent, feu caillé, les saccages d’antan.

Glauque, la plaine dort. Sur l’Acropole blanc,
La ville se recueille en sieste anonchalie,
Et la suavité d’un trille brasillant
Crépite sur la mer de Libye éblouie.

Hiver d’azur, soleil tout grand sur Agrigente,
Tiède mansuétude, et la brise indulgente :
Seul, parfois, en sursaut de la langueur déserte,


Sur les larges gradins rayés d’ombres obliques,
Un lézard, débandant son S hiératique,
Sillonne l’ocre d’or de preste foudre verte.

(Notes et Poèmes.)


RÊVERIE

 
Berger las du troupeau sentimental des heures
Solaires au Brocken nu des nuits spirituelles,
Sur le fond merveilleux des cieux intérieurs,
Je regarde monter mon Ombre essentielle.

Moi ?

Bulle instable où le présent se mire ;

Moi ?
Bulle que les passés organiques gonflèrent.
Moi ?
Tentacule, issu des limbes millénaires,
Que la poussée des jours nouveaux étire ;

Moi ?
Bouture
De l’hydre Humanité
Qui gonfle et multiplie son milliard de têtes
À la conquête du futur.

Moi ?

Jadis, au marais des genèses primaires,
Un geste aventureux de monade erratique
— Amibe précurseur des vies élémentaires —
Parmi l’obscur vagissement du flux panique
Ébaucha mon rêve : Univers.

Remous central des énergies de l’Infini,
L’âme, tapie au fond des organismes,
Tisse, sur l’armature des os et de la chair,
L’aranéen filet des nerfs
Qui drague, hors des flots inconscients, le Monde.
Enracinée aux générations profondes
Où le monde et les nerfs l’un l’autre se révèlent,
Mon âme, épanouie en des cerveaux plus fiers,

Suspend au thyrse d’or des Lois universelles,
En grappes de clarté vivante, la Matière.

Eucharistie !
Le Cosmos éternel est ma chair et mon sang :
Le Cosmos tout humain palpite à mes artères
En élixir vivant ;

— Et, rougeoyant aux feux des suprêmes chimies,
Jusqu’aux tréfonds incalculables du passé,
Jusqu’au perpétuel futur de la matière,
Cet instant-roi,
Globule fulminant d’ineffable pensée,
Roule dans le creuset de mon âme éphémère
La gravitation éternelle — de moi.

— Non Moi ?
Bolide instantané
Craqué, phosphore, à la muraille du Néant.
— Qu’importe !
Un soir unique,
Un soir adamantin de suprême synthèse,
Battit en moi le cœur de la Force panique ;

Et, contempteur des immortalités niaises,
Pulvis es ! — je t’accueille en orgueil radieux,
Imbécile néant de la Toute-Poussière ;

Mais, jusqu’au dernier jour, tu rouleras, ô Terre,
Par l’aveugle Cosmos la poussière d’un dieu !

(Notations.)


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VÉGA


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Bibliographie. — Quelques essais de critique et d’esthétique ; — Légendes et Chansons, poésies (Lemerre, Paris, 1898) ; — La Mère d’un grand homme d’État (Hachette, Paris, 1900) ; — Le Jardin des Hespérides, poésies, ouvrage couronné par l’Académie française (Lemerre, Paris, 1903) ; — L’Ombre des Oliviers, poésies (Lemerre, Paris, 1908) ; — Au Pays de la Lumière, notes et impressions d’un voyage en Syrie, en Galilée et à Jérusalem (Fischbacher, Paris, 1912).

Véga a collaboré à la Revue des Deux Mondes (depuis 1904), à la Revue Hebdomadaire (depuis 1908), à la Revue d’Art Dramatique, au Journal des Débats, au Gaulois du Dimanche, au Figaro, à la Revue Chrétienne, à Foi et Vie, à la Revue pour tous, etc.

Née à Paris, de parents français, Véga passa ses premiers hivers à Nice, où elle prit pour toujours l’amour passionné de la Méditerranée et de ses rives. Elle souffrit plus tard d’en être éloignée ; elle écrivit des vers pour se consoler. Sully Prudhomme s’intéressa à son premier volume, Légendes et Chansons, qui parut en 1898 ; Heredia s’offrit à porter ses poésies à la Revue des Deux Mondes, où Brunetière les accueillit sur sa recommandation. Le Jardin des Hespérides, paru en 1903, fut couronné par l’Académie française.

En 1908, Véga publiait un nouveau recueil de poésies : A l’Ombre des Oliviers, favorablement accueilli, et suivi en 1912 d’un délicieux et pittoresque carnet de voyage : Au Pays de la Lumière, « notes et impressions d’un voyage en Syrie, en Galilée et à Jérusalem. »

Ce qui fait le charme souverain et le merveilleux prestige des vers de Véga, c’est qu’une âme s’y reflète, pieuse, ardente, blessée par la vie, il est vrai, mais ivre d’idéal, éprise de beauté harmonieuse et pure. C’est la nostalgie de l’Au-delà qui inspire à cette poétesse et ces plaintes brisées, et ces strophes tout imprégnées de lumière, toutes resplendissantes d’espoir infini. C’est le même désir d’éternité qui lui fait rechercher cette perfection de la forme sans laquelle il n’est pas de vraie et durable beauté.



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Que je ne marche pas dans la nuit vers la gloire
De quelque bonheur surhumain.

Sur une rive vierge et superbe quand j’erre,
Heureuse d’être libre, inconnue, étrangère,
Je redeviens connue jadis
Une enfant qui sourit, soupire, espère et tremble,
Et le soir, quand le ciel s’illumine, il me semble
Être au seuil de mon paradis.




LÉON DEUBEL
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Bibliographie. — La Chanson balbutiante (Jacquin, Poligny, 1899); — Le Chant des Routes et des Déroutes (Edition de la Vie Meilleure, Jacquin, Poligny, 1901); — La Chanson du Pauvre Gaspard, reprise d’une parlie de son premier recueil (Editions de la Revue Verlainienne, 1902); — Sonnets Intérieurs (Jacquin, Poligny, 1902); — Vers la Vie [Les Chants des Routes et des Dérou- tes, Sonnets Intérieurs} (Editions du Beffroi, Roubaix, 1904); — Les Sonnets d’Italie, plaquette tirée à sept exemplaires (1904); — La Lumière Natale (Editions du Beffroi, Roubaix, 1905) ; — Poé- sies [1905] (Editions du Beffroi, Roubaix, 1906); — Poèmes choi- sis, extraits du « Livre de Demain » (Editions du Beffroi, Paris, 1909); — Ailleurs, quelques poèmes (A.-R. Meyer, Berlin, 1911). — Quelques poèmes inédits (qui devaient paraître en volume sous le titre : Régner 1 ).

Léon Deubel a collaboré au Beffroi (1901-1913), au Mercure de France, à la Plume, à Antée, aux Lettres, à Y Ile Sonnante, à la Revue de Paris et de Champagne, à la Phalange, à Vers et Prose, etc. Il a fondé avec M. Hector Fleischmann la Revue Verlai- nienne; avec MM. Roger Frêne, Michel Puy, Louis Pergaud, l’Ile Sonnante ; avec M. Charles Callet, la Nouvelle Athènes. Il a été quelque temps secrétaire de la rédaction de la Rénovation Esthétique.

Léon Deubel naquit à Belfort, le 22 mai 1879, d’une famille alsacienne qui opta pour la France après la guerre de 1870. Maître répétiteur successivement dans les collèges d’Arbois (Jura), Pontarlier (Doubs) et Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de- Calais), il quitta l’Université pour aller à Paris tenter la for- tune littéraire. Sa vie, dès lors, fut un long martyre. Persuadé que, pour un poète, c’était déchoir que de se plier aux besognes ponctuelles, il connut bientôt les privations, puis la misère. Comme il était conscient de sa valeur, il essaya do lutter plu- sieurs années, secouru à diverses reprises par des amitiés fidè- les, mais il se sentait pris, de plus en plus, par un insurmon- table dégoût de la vie, et l’idée du suicide hantait son cerveau malade. Le dénouement approchait. Vers la fin de décembre 1912, il disparut, cachant à tous son refuge. Le 12 juin 1913, on . Ce volume a paru, en 1913, aux Éditions AxxMercure de France. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/245 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/246


FÉLIX MÉNÉTRIER
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Bibliographie. — Les Arcanes, poésies (Vanier, Paris, 1899) ; — Vers le Crucifix, poème (Alphonse Lemerre, Paris, 1900).

M. Félix Ménétrier a collaboré à la Revue des Poètes, au Gaulois du Dimanche, à la Revue Hebdomadaire, à l’Illustration (traductions de contes ou de romans Italiens et espagnols), etc.

M. Félix Ménétrier est né en 1866 à Saint-Broing-les-Moines, près Recey-sur-Ource, la patrie de Lacordaire (Bourgogne). Après avoir complété ses études littéraires en Sorbonne, il fut admis à l’agrégation de grammaire en 1889. Il est actuellement professeur de langues latine et grecque au lycée de Nantes.

M. Félix Ménétrier est l’auteur d’un volume de poésies, Arcanes (1899), œuvre de jeunesse où se révèlent de nobles inquiétudes, et d’un magnifique poème catholique : Vers le Crucifix (1900), dont nous détachons le fragment ci-dessous.



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O.-W. MILOSZ
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Bibliographie. — Le Poème des Décadences (Girard et Villerelle, Paris, 1899) ; — Les Sept Solitudes (Jouve, Paris, 1906) ; — L’Amoureuse Initiation ; — Les Éléments (Éditions de l’Occident, Paris, 1911) ; — Les Chefs-d’œuvre lyriques du Nord, traductions (Figuière, Paris, 1912) ; — Don Miguel Manara [Le Don Juan historique], mystère en six tableaux (au Théâtre Idéaliste, 1913 ; La Nouvelle Revue Française, 1913) ; — Méphiboseth (Vers et Prose, 1913).

M. O.-W. Milosz a collaboré à divers journaux et revues.

M. O.-W. de Lubicz Milosz, né en 1877 au château de Czereïa (Pologne), descend d’une ancienne famille de Bohême, émigrée en Pologne au commencement du XVIe siècle. Étant venu à Paris dès 1889, il débuta en 1899 par un volume de vers intitulé : Le Poème des Décadences, accueilli favorablement. « Avec un art très sûr, écrivait dès 1900 M. Louis Payen, M. O.-W. Milosz manie le vers régulier comme le vers libre. Son verbe est sonore, précis, harmonieux, ses images sont rares et justes. Sa mélancolie hautaine et fière se teinte parfois d’ironie et de colères contenues. Il nous dit les tristesses d’amour avec un sourire infléchi d’amertume, les beautés et les hontes des décadences en spectateur impassible. » On reconnaissait dans ce premier livre l’influence de Swinburne, d’Edgar Poe, de Verlaine, de Henri de Régnier.

L’influence d’Edgar-Allan Poe est plus sensible encore dans le second volume de M. O.-W. Milosz, Les Sept Solitudes (1906), œuvre d’un romantisme et d’un symbolisme rare et merveilleux, qui réveille en nous un monde de sensations étrangement angoissantes, de superstitions endormies dans le subconscient et comme abolies. M. O.-W. Milosz s’y montre un profond artiste. Comme son maître, il possède la vision extra-terrestre. Son esprit immergé dans ce qu’on appelle si improprement le « surnaturel », saisit de mystérieuses correspondances et, par un sortilège inquiétant, concrète sous nos yeux de hideuses larves, d’affreux lémures, d’hallucinantes apparitions qui, pareilles aux fantasmagories médiévales évoquées par la magie d’un Holbein ou d’un Saint-Saëns, nous font éprouver le troublant frisson de l’Inconnu qui nous guette à chaque pas. Ajoutons que nul mieux que lui n’a senti et exprimé l’ennui, le vide l’horrible monotonie d’une vie sans idéal, bornée aux mornes « réalités » du matérialisme.

Pendant quelque temps (1907-1908), M. O.-W. Milosz sembla pris de cette lassitude de la vie qui faisait dire à Edgar-Allan Poe : « Ma lampée de passion fut profonde, je m’enivrai ; maintenant je voudrais dormir. » Dans une lettre qu’il nous adressait à cette époque, il manifestait son intention bien arrêtée d’abandonner la poésie pour s’occuper exclusivement désormais de mathématiques et de philosophie, mais ce n’était là, fort heureusement, qu’un serment de poète, et les œuvres qui suivirent attestent, sous une forme plus classique, la puissance d’un beau talent mûri par la passion et la douleur.


À AENOBARBUS[modifier]

FRAGMENT

À Néron Claude César, salut. — Un barbare
A fait une chanson pour toi : daigne l'entendre.
Tu fus jadis toi-même un joueur de cithare
Applaudi pour ses chants héroïques et tendres.

Ma voix te semblera peut-être un peu lointaine ;
Je suis le fils d'un siècle pauvre et fatigué ;
L'âge d'amour est mort avec l'âge de haine.
Ô Maître, accepte-moi tel que je suis, ni gai,

Ni triste, artiste, — un peu, — mais courtisan qui flatte
Avec des gestes d'outre-Rhin. Accepte-moi
Tel que je suis, puisque tu n'as plus Ménécrate,
Ô pauvre roi des rois des pays d'autrefois !
 
Dois-je te faire rire ou te faire pleurer ?
Le rire est vain qui s'éteint dans les larmes vaines.
Pour commencer, comme aux vieux temps, je frapperai
Par trois fois l'or flétri de la lyre romaine.

« Joyeuse ou triste, l'âme meurt toujours trahie. »
— Reconnais-tu le rire et le sanglot des cordes,
César adolescent qui fuyais les discordes
Et qui faisais rêver les filles d'Achaïe ?

Ou, Jupiter d'or fauve, au seuil du Capitole
Entends-tu, vers ton socle incendié de fleurs,
Monter, comme vers le soleil la voix des folles,
Les hymnes des mignons et des gladiateurs ?
 
Entends-tu, chair prostrée en des torpeurs farouches,
Tandis que s'alanguit l'extase du chanteur,
Le battement du cœur d'Amour frapper ta bouche
Et les parfums tomber, avec des sons de pleurs  ?
 
Entends-tu l'évohé rauque des populaces
Qui monte avec l'odeur des sueurs et du sang ?
Lève-toi pour la vie et les songes qui passent.
Roi de Néropolis, que fais-tu là, dormant ?

Lève-toi, drapons-nous dans les pourpres latines !
On acclame les chars et gaspille les vins,
Et les sables amers qui brûlent les narines
Aveuglent l'horizon des calendes de juin.

Le vent fiévreux charrie une moiteur de grappes,
La terre est jeune encore et le soleil est clair
Sur les seins de Vénus et les flancs de Priape,
Et les trirèmes d'or illuminent la mer !

La vie est neuve au cœur du maître et de l'esclave ;
Nous sommes sûrs de voir et ce soir et demain ;
Les panthères du cirque aiment le sang des braves,
— César vivra sans fin, — préparez le festin !
 
— J'ai rêvé pour ta gloire un poème plus long,
Fiancé de Sporus, bien-aimé des vestales ;
Mais la lyre est très vieille et des stances plus pâles
Le soir glisse déjà sur l'arc-en-ciel des sons.

J'ai rêvé pour ton souvenir le grand cantique
Qui monte au soleil vierge avec les cormorans,
Le chant de joie et de douleur dont la musique
S'enfle et s'écroule dans des rythmes d'océan ;
 
Mais le premier accord s'est rompu dans un rire,
Un rire grave au fond de l'abîme des temps
Où le nom de César et le nom de l'Empire
Sont des feuillets de cendre emportés par le vent ;
 
Et voici, face à face, à présent deux songeurs
Qui se sont réveillés de leur songe de Rome :
Un homme du vieux temps perdu, devant un homme
Qui croit vivre parce qu'il sent battre son cœur ;
 
Deux songeurs buvant du vin pauvre : sur le front
Du premier pâlit l'adieu des lampes qui meurent ;
Les lèvres de celui qui chantait tout à l'heure
S'attristent d'un aveu sans espoir de pardon.

Tu mourus de savoir le juste prix des choses,
La valeur d'un désir, le poids d'une pensée,
Pauvre d'amour qui jetais en apothéoses
L'obole du supplice aux couples insensés.

Des jours, las d'être toi, tu te rêvais poète ;
Des soirs, vieux de rêver, tu ricanais : mensonge !

Et tu t'allongeais dans l'oubli comme une béte,
Solitaire orphelin de la vie et du songe.

Quand je pense à mon âme, il me semble te voir,
Avec ton rire dégoûtant et dégoûté,
Étudier quelque grand geste inusité,
Menacer ton mauvais regard dans les miroirs ;

Parfois aussi (mais rarement, lorsque j'écris),
Je crois t'entendre exagérant la morne emphase
De tes strophes, chaos de pitoyables phrases
Aux intonations d'histrionnes aigries.

Sans trop t'aimer, sans trop te mépriser, je foule
Les traces de tes pas dans le chemin des jours.
Toujours le même amour qui sanglote et roucoule,
Et les mêmes adieux, et les mêmes retours ;

Toujours les mêmes vins dans les mêmes amphores,
Le mensonge du rire et la fadeur des fleurs,
Les poèmes d'ennui parés de métaphores,
Les mêmes stupéfiants pour les mêmes langueurs ;

Les triomphes : le temps trop lent et trop rapide ;
L'horreur de ne pouvoir s'aimer sans ironie,
Ô frère des jours morts, n'est-ce pas ? et le vide
Où disparaît le songe aveugle de la vie.
 
Le grouillement de cauchemar des pauvres êtres
Dont le plus étranger est un peu notre frère
Par la haine qu'il sait nous inspirer, peut-être
Par l'audace de partager notre misère.

Les musiques ; les jours et les soirs aux cadrans
D'ennui ; les vieux soupirs qui brûlent d'un feu doux
Sur les autels des malades et des amants,
Et les dalles de mort s'ouvrant sous les genoux

De la prière ; les angoisses de Demain,
Le vertige du néant de ce qui fut cher,
Le présent dont déjà nous sommes orphelins, —
Et les souvenirs, pris dans les glaces d'hier..

Il reste le sommeil. — Non ; la douleur est noire
Comme une nuit d'extrême automne sur la mer,
Mais le cri des corbeaux sanglants de la mémoire
Réveille les échos de nos passés déserts.
 

— Un soir, las de Sporus, peut-être d'Agrippine
(Pauvre âme, tu n'avais qu'une mère à chérir),
Condamnant vieille un peu la farce des rapines,
Mais décrétant tes jours trop jeunes pour mourir,
 
Tu brûlas Rome et fis semblant de t'amuser,
Et Doryphore loua ton oeuvre en bâillant.
Puis tu vis Néropolis neuve s'élever.
L'orgueil de vivre fait les hommes si vaillants...

Aimais-tu les dieux ? Non ; tu n'avais même pas
Le souci de t'aimer toi-même. Et tes amantes,
Et tes amants ? Ô les questions innocentes !
Hélas ! pas même ceux que ta haine frappa ?

Pourtant, pourtant, — pendant des heures et des heures,
Ah, j'en suis sûr, tandis qu'au loin sur les vergers
La lune planait chaude et rouge, en tes demeures
Sinistres de perles et d'or, seul tu songeais

Ah ! j'en suis sûr, pendant des heures et des heures,
Fatigué des chants de Terpnus et des cithares,
Abandonné dans le soir roux des parfums rares,
Tu te voilais le front, comme un enfant qui pleure.
 
Des lumières en jardins pâles sur le Tibre
Descendaient vers la mer avec les sons lointains,
Et ton âme était comme une corde qui vibre
À mourir, sous les doigts d'un joueur pris de vin.
 
Sous la fuite du ciel au vent des cimes hautes
Tu songeais, seul aux terrasses des Esquilies,
Au lent poison de vivre, au fatal antidote,
La mort, qui guérit la sagesse et la folie,

Les doux Britannicus et les pauvres Néron,
Et tombe doucement, ainsi qu'une bruine,
Sur les roses d'orgueil et l'herbe des ruines
Dans la vallée où l'écho jamais ne répond.

Tu songeais, tu songeais. La nuit sur la torpeur
De ta chair se pâmait en brises de baisers,
Et tu regardais luire à tes pieds les rosées,
Attentif au petit bruit du sang dans ton cœur,

Au petit rire de la vie, âpre et fêlé
Comme la chute d'un caillou dans une tombe,
Au lointain battement d'ailes de la palombe
Noire de ton destin, oiseau des mausolées.
 
Tu songeais. — Tu songeais : je suis las de ce corps
Vieux vêtement chaud de fièvres qui s'effiloche,
Écarlate où coula la hâve des débauches ;
Elle est ridicule à faire rire les morts,

Cette chair, parchemin où la fatalité
Ajoute chaque jour une nouvelle histoire
Si bizarre, que ma raison a peur de croire,
Si triste, triste, que j'en ris, comme hébété.

Tu songeais aux grands lits d'insomnie et d'angoisse,
Aux relents de poivre et de musc des chevelures,
Au petit pli mouillé des bouches en luxure
Où se blottit l'odeur des pétales qu'on froisse.

Ah ! voilà, c'est cela ! les assauts redoutables
De la pitié qui vient quand on ne l'attend pas,
La tendresse équivoque et le regret coupable
Et le mauvais conseil qui ricane tout bas.

Le désir de pleurer et le besoin de battre,
Les ongles du supplice aux mains de la pitié,
Le cœur de l'histrion devenu son théâtre,
La moitié du serpent cherchant l'autre moitié.

Le flux et le reflux des flancs et de la gorge,
L'insupportable pouls qu'on voudrait arrêter,
Et dans son propre cœur le bruit des mille forges
Du remords, de la peur et de la cruauté !

La douceur qui détruit, la douleur qui répare
L'équilibre du mal que l'on ne peut saisir,
Le combat du cœur triste et de la chair barbare,
L'inassouvissement penché sur le désir.

La Raison qui maudit le spectacle et l'anime
Et sonne la minute effroyable où l'amour
Oublie le nom d'Amour dans le spasme anonyme,
Et le nom de jamais aux lèvres de toujours !
 
Réveille-toi, Aenobarbus, réveille-toi !

Comment peux-tu te croire dieu, toi dont la vie
Épuisa dans l'horreur d'une seule agonie
Tout son trésor d'amours, de douleurs et d'effrois ?

(Les Sept Solitudes.)

BALLADE[modifier]

Les poules folles de la sorcière et le crapaud
             — Sous le saule pleureur
Si fier des vertes perles en poison de sa peau,
        Ma sœur, n'entends-tu pas le son du cor ? —

Et les hideux amours masqués des léproseries,
Et la toux rouge en cailloux des tribades maigries ;

Et les vautours galeux aux yeux toujours effrayés,
Immobiles en face de la Baie des Noyés.

Et la cloche dont le vieux gosier est plein de pluie,
Et l'affreux son des heures depuis longtemps enfuies ;

Et la croix où les corbeaux se suspendent en grappes ;
Et le monastère borgne aux perverses agapes ;

Et les ravins les plus perfides et les plus sombres,
Et l'odeur de jadis qui dort mal sous les décombres ;

Et le rire muet des amitiés suicidées,
Et le silence fou des peupliers de l'allée

Aimaient le chevalier maigre en toile d'araignées,
Et quand il passait hommes et femmes se signaient.

Quiconque rencontrait son regard vide de puits,
Sentait en son cœur sonner un étrange minuit.

Comme un vol vers Elseneur de cormorans d'automne
Étaient les chansons de sa flûte, rauques et jaunes.

Le soleil de miel des ruines, les lézards des murs
S'entretenaient avec lui de Ginèvre et d'Arthur.

Il portait un rat aux yeux rouges dans son bissac.
Ce raton était l'âme de Lancelot du Lac.

Son rêve avait des manoirs déserts l'odeur moisie ;
Les longs pendus le saluaient non sans courtoisie.

Les grandes chenilles aux fourrures hérissées
Dévoraient quelque part la Dame de ses Pensées.

Son écuyer en brume avait beaucoup de science,
Et la mort de maint moine gras sur la conscience.

Son cheval d'eau de pluie avait une oreille brune.
Je l'ai fort souvent entendu hennir à la lune.

Comme des couleuvres dormantes étaient ses veines ;
D'aucuns le croyaient pair du royaume de Poullayne.

Quand il traversait la forêt vieille, humide et bleue,
Les champignons de mort ôtaient leurs bonnets de feu.

Les filles le guettaient, le soir, près des puits moussus.
Le pays était plein de petits bâtards bossus.

Bruissant était l'or de l'armure en feuilles jaunies
De ce roi maudit des pays de Monotonie.

La devise de son blason était : Aimerai-je?
Son cœur était le sommeil d'un serpent sous la neige.

Cependant après la treizième coupe de vin
                — Sous le saule pleureur,
Son hier épousait joyeusement son demain.
Dis-moi, ma sœur, n'entends-tu pas le son du cor ?

[Les Sept Solitudes.)


LE ROI DON LUIS VOULUT REVOIR...[modifier]

 
Le roi don Luis voulut revoir
Le château des Douces Années.

Manteau de deuil et cheval noir.

Jamais heure au vide du soir
N'a si lugubrement sonné.

C'est pire que le bruit du vent
Dans les maisons abandonnées.

Ah ! c'est un son, un son vraiment
Qui vient de plus loin que le temps

C'est pire que le bruit des portes
Alors qu'on songe aux morts, aux mortes

Ce son félon me vient, m'arrive
De quels rêves, de quelles rives.

Il se couche sur ma raison
En lueurs fausses de poison.

Le long mendiant de la route
Est la chair de ce son sans doute

Rencontre de chemin d'exil.
Ô le sinistre qui s'arrête !
 
Je vois deux yeux presque sans tête,
Deux yeux sur deux jambes de fil.

De plus loin que les oubliés
De plus profond que les noyés.

Le cheval noir dresse l'oreille.

Le sang du roi voudrait crier,
L'odeur du silence est si vieille.

(Les Sept Solitudes.)


MME J. PERDRIEL-VAISSIÈRE





Bibliographie. — Poésie : Les Rêves qui passent (Alphonse Lemerre, Paris, 1899) ; — Le Sourire de la Joconde (Éditions de La Plume, Paris, 1902) : — Celles qui attendent, ouvrage couronné par l’Académie française (Sansot, Paris, 1907) ; — Et la lumière fut (Sansot, Paris, 1910) ; — Il est, de par le monde, une enfant, poème couronné par la Société des Poètes français [prix Rohan] (1912). — Théâtre : La Couronne de Racine, pièce représentée sur la scène du Théâtre-Français en décembre 1901 ; — La Fleur bleue, pièce représentée sur la scène du Théâtre de Brest en 1901.

Mme Jeanne Perdriel-Vaissière a collaboré au Mercure de France, au Correspondant, à la Revue Bleue, à la Grande Revue, aux Annales, à la Revue, à l’Hermine, à Athéna, à la Revue des Poètes, aux Feuillets Littéraires, au Monde Moderne, aux Entretiens Idéalistes, à la Revue Cosmopolite, à Fémina, à la Vie Heureuse, aux Argonautes, à la Renaissance Contemporaine, etc.

Mme Jeanne Perdriel-Vaissière est née en Corse, au beau soleil d’Ajaccio, tout près de la maison de Napoléon Ier. Ce ne fut toutefois que le hasard d’une garnison qui mit son berceau dans cette île pittoresque. Son père, lieutenant d’infanterie, était Languedocien ; sa mère était originaire des confins de la Vendée et du Poitou. Mme Perdriel-Vaissière a, d’ailleurs, quitté toute jeune son pays natal, et il ne lui en est resté qu’un souvenir lointain. C’est en Bretagne, dans l’Ille-et-Vilaine, en un pays verdoyant et idyllique, à Autrain-sur-Coesnon, que se sont écoulées, pour elle, les années où le cerveau enfantin s’épanouit dans l’adolescence. C’est ce décor enchanteur qui lui a inspiré la plupart de ses poèmes champêtres.

Après la mort de son père, sa mère, dont la santé délicate nécessitait des soins incessants, s’établit à Rennes. C’est là que Mlle Jeanne Vaissière se maria avec M. Perdriel, officier de marine, alors enseigne de vaisseau, revenant des Antilles. De ce mariage, à la suite duquel Mme Perdriel-Vaissière alla habiter successivement différents ports de mer et en dernier lieu Brest, où elle a son home, sont nés trois enfants, trois fils, dont l’aîné et le dernier seuls lui sont restés. La douleur que lui causèrent la mort de son père et de son second enfant a répandu sur son âme comme un voile de tristesse. Ses derniers poèmes ont cet accent profond auquel ne se tromperont point ceux qui, comme elle, connurent la souffrance.

Mme Perdriel-Vaissière a publié : Les Rêves qui passent (1899), Le Sourire de la Joconde (1902), Celles qui attendent (1907), Et la Lumière fut (1910), Il est, de par le monde, une enfant (1912). Son art, très féminin, très pur, très délicat, est constamment mis au service d’un sentiment juste de la nature et d’un idéalisme réconfortant.



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SOLITUDES

LE CHEVALIER AU CYGNE

Vous l’attendrez, vous l’attendrez, le Chevalier au cygne,
Celui que rêva votre adolescence en cheveux blonds,
Patientes ou tourmentées, vous l'attendrez.
Et sans l’avoir trouvé jamais, vous vieillirez !

Maintes fois vous aurez cru voir apparaître
Son front clair à quelque détour de voe années,
Et vous aurez couru, les mains ouvertes.
Et soulevées,
Car votre rêve opiniâtre est tout-puissant.
Sur vos lèvres haletantes,
Dans sa soif éternelle, l’âme tremble en suspens...

Vous l’attendez, vous l’attendez, le Chevalier au cygne,
Par le soleil et la joie vive des printemps,
Par les étés qui font vos désirs plus ardents,
Par la neige advenue un soir à vos fronts blancs,
Toujours, toujours...
Mais il n’est point.

— Si pourtant quelque jour, mes sœurs, si quelque jour,
Beau comme le malin, divin comme l’amour,
Vêtu de tout ce qu’en nous-mêmes
Les hommes n’ont jamais connu,
Rapide, invraisemblable, irradiant,
Il se dressait comme un miraculeux soleil,
Pleurez, mes sœurs, pleurez ! nouez en hâte
Le crêpe de la nuit sur votre cœur percé !...

L’insaisissable, le Chevalier au cygne,
Celui que toutes les femmes de la terre,
En silence et nostalgiquement, ont adoré,
Ne s’est jamais incarné pour une heure
Que dans les yeux de Ceux qui vont mourir.

{Celles qui attendent.)

LES RIDES

Je me suis regardée au miroir, et j’ai vu,
À l’angle de ces yeux dont le dessin te plut,
Quelques frôles sillons rayant mon teint uni :
Est-ce, mon bien-aimé, pour t’avoir trop souri ?

Cependant, depuis la saison où tu partis,
Quel sourire aurait pu, sur mon visage aride,
Creuser sournoisement l’outrage de ces rides ?
Hélas ! mon bien-aimé, ai-je déjà vieilli ?

Est-ce donc toi qui vas sonner, heure implacable,
Qui, prenant l’incisif burin de nos soucis,
Ayant criblé le cœur de traits impitoyables,
Monte jusqu’au visage et le dévaste ainsi ?

Heure aveugle ! un regard sur le front que tu blesses
Eût arrêté ton geste avant qu’il me trahît !
Mon cœur avait caché sa haire de détresse.
Pourquoi, brutalement, en accuser les plis ?

Hélas ! mon bien-aimé, une angoisse m’oppresse :
Pour ce premier sillon que ma douleur creusa,
Auras-tu le baiser pieux de la tendresse
Ou le regard déçu qui me transpercera ?

Sur mon cœur, ainsi que les saintes et les mortes,
J’ai croisé mes deux mains, j’ai voulu t’enfermer,
Mais l’arche se consume aux flammes qu’elle porte,
Et vivre ne m’apprend que la ferveur d’aimer.

Je suis le tournesol inquiet qui se dresse,
Sa vie est suspendue aux feux divins du jour...
Doucement, gravement, attendris ta caresse :
J’attends le baume de tes lèvres, mon amour.

[Celles qui attendent.)


JOACHIM GASQUET
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Bibliographie. — L’Enfant, poésies (Dragon, Aix-en-Pro- vence, 1900); — L’Arbre et les Vents, poèmes (Félix Juven, Paris, 1901); — Les Chants séculaires, poèmes précédés d’une préface de M. Louis Bertrand (Paul Ollendorll", Paris, 1903): — Dionysos, tragédie antique en vers, représentée au théâtre d’O- range le 3 août 1904 (Eugène Fasquellc, Paris); — Les Prin- temps, poèmes (Librairie académique l’errin et C’", Paris, 1909); — Le Paradis retrouvé, poèmes (Grasset, Paris, 1911); — Tu ne tueras point, roman (1913). M. Joachim Gasquet a collaboré à la Vogue, à la Contempo- raine, à Y Effort, à la Plume, à la Revue Naturiste, aux Lettres, à Y Anthologie-Revue , au Cil lilas, au Figaro, etc. Il a fondé, à Aix-en-Provence, La Syrinx (1890), Les Mois Dorés (1S96), Le Pays de France (1898), etc. M Joachim Gasquet, né en 1873 à Aix-en-Provence, fut élevé par de bons prêtres qui orientèrent son jeune esprit vers l’idéal. Il passa au collège de belles années dont il a gardé un souvenir attendri. Ses maîtres lui apprirent à lire, en même temps que l’Evangile, les grands poètes latins : Virgile, Horace, les classiques français, surtout Racine, et, parmi les romanti- ques, le poète des Méditations. Plus tard, il s’éprit d’un véri- table culte pour Victor Hugo, le grand « Ancêtre », auquel il dédia des strophes enflammées 1 , et il apprit à aimer le divin Ronsard, Gautier, Banville. Après une petite plaquette d’essais, L’Enfant (1900), M. Joa- chim Gasquet publia en 1901 son premier volume de vers : L’Ar- bre et les Vents, qui se compose de trois parties, correspondant chacune à un état d’âme du poète : Le Crépuscule, La Pleine Nuit, L’Aube. L’auteur cherche Dieu dans la nature, il chante la Vie, la tristesse, mais aussi la beauté des choses, il dédie son livre à Victor Hugo, dont il a subi la puissante empreinte : Maître, pas à pas j’ai suivi ta pensée. Ce livre t’appartient comme au ciel la rosée. La matière en est prise au hasard, mais la loi Vient de ton cœur, ô Maître, et la forme est à toi... . A l’Ancêtre [L’Arbre et les Vents (1901), p. 216-229]. 260 ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS Et, comme le Maître, il veut aimer le Bien, la Justice : comme lui, il adore la France, quil veut grande et forte. Sa suprême ambition serait de se sentir approuvé de celui qu’il aime et qu’il vénère comme un père : Mais toi. ton œuvre est là qui me parle tout bas. Dans mon orgueil d’enfant, ce que parfois j’espère, C’est de t’entendre. un soir de vertige, ô vieux Père, Si les hommes obscurs se détournent de moi, T’écouter murmurer : « Je suis content de toi... » L’admirable poème : Le Fils est plein d’une belle ferveur chrétienne. Les Chants Séculaires, publiés en 1903, avec une étude de M. Louis Bertrand sur la renaissance classique, sont des hym- nes à la Vie encore, à la Nature, à la Patrie, des hymnes diony- siaques et apolliniens alternant avec des chants chrétiens. L’es- prit du poète, nourri de fortes lectures classiques et de la moelle des Évangiles, de sève païenne et du nectar de la Foi, se plaît à évoquer tour à tour les riantes images de Vénus et d’Hélène, et la blanche vision de la Vierge prosternée au pied de la Croix. Le besoin d’aimer transporte le poète. Son cœur a trouvé « les divines raisons qui font trembler d’amour les cho- ses et les êtres ». Il croit en l’Amour éternel. Il croit en l’éter- nelle Beauté. Voici comment, dans sa remarquable préface, M. Louis Ber- trand définit la personnalité littéraire de M. Joachim Gasqtiet telle qu’elle se manifeste dans les Chants Séculaires, et le néo- classicisme qui, dès 1897, commençait à grouper autour des revues méditerranéennes Les Mois Dorés et Le Pays de France, une pléiade de jeunes poètes épris d’une « vie nouvelle ». « Joachim Gasquet a trente ans. Il vit habituellement à la cam- pagne, en Provence, au milieu de ses livres, parmi les hommes de sa terre et de son sang. Il a constamment sous les yeux la race dont il sort et dont le génie et la tradition l’enveloppent : ce qui ne l’empêche pas de franchir chaque fois qu’il le faut les limites de sa « petite patrie », de suivre avec une attention réfléchie la marche des événements dans le monde, et enfin de n’ignorer rien de tout ce qu’un esprit initié de bonne heure aux méthodes intellectuelles peut acquérir d’expérience et de savoir pur les voyages, la culture et l’étude. Le livre qu’il publie au- jourd’hui est le reflet poétique de la vie sage et voluptueuse qu’il mène, — existence paisible, soutenue par une nature ro- buste et saine, embellie par les rêves d’une âme lyrique, que pénètrent la suavité du ciel provençal et la splendeur de la lumière, qu’exalte et que contient la sévère beauté des grands-

paysages classiques de la Méditerranée. On y verra l’image Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/275 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/276 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/277 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/278 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/279 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/280 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/281 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/282 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/283 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/284 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/285 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/286

Je le sais, je le sais, ma mort vient à pas lents,
Et lorsque j’en aurai la sûre conscience
Le monde se fondra entre mes bras tremblants.

Contre ce dernier soir défendez-moi, ténèbres.
Roulez-moi dans les plis de votre manteau noir.
Immensité des cieux, splendides et funèbres,
Empêchz-moi de croire, empêchez-moi de voir.

(Les Printemps.)




HENRI ALLORGE
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Bibliographie. — Poésie : Poèmes de la Solitude (Éditions de la Revue des Poètes, Plon-Nourrit, Paris, 1901) ; — Quatre Rondels Louis XV, plaquette in-4o avec illustrations de M. Edmond Rocher, tirée à petit nombre (1905 ; hors commerce) ; — L’Ame ’Géométrique, poésies, avec une lettre-préface de M. Camille Flammarion (Plon-Nourrit, Paris, 1906) ; — Le Clavier des Harmonies, transpositions poétiques d’impressious musicales (Plon-Nourrit, Paris, 1907) ; — Mélodies [La Chanson du Chevrier, Berceuse Marine, La Machine à coudre), musique de M. Prudent Pruvost (B. Roudanez, Paris) ; — Comme au temps joli des Marquises (Plon-Nourrit, Paris, 1908) ; — Solfèrino, poésie dite par Mlle Madeleine Roch à la fête du Cinquantenaire de Solfèrino, à la Sorbonne, le 27 juin 1909 (Plon-Nourrit, Paris, 1909) ; — L’Essor Éternel, poésies, ouvrage couronné par l’Académie française [prix Davaine] (Plon-Nourrit, Paris, 1909) ; — La Splendeur douloureuse, poésies, ouvrage couronné par l’Académie française (Plon-Nourrit, Paris, 1912-1913). — Théâtre : Les Ailes de l’Ame, un acte en vers (Société Moderne d’édition, Paris, 1910). — Prose : Le Général Ordonneau [1170-1855], étude historique d’après des documents inédits, en collaboration avec M. Albert Terrade, avec illustrations et plans (Emile Paul, Paris, 1904) ; — L’Œuvre du Père, roman {Écho de Paris) ; — Le Mal de la Gloire, roman (Sansot, Paris, 1913).

M. Henri Allorge a collaboré à la Revue Idéaliste, à la Revue des Poètes, au Magasin Pittoresque, au Penseur, au Rappel, au XIXe Siècle, au Figaro Illustré, à la Revue Maurice, à la Revue Verte, à Messidor, à Simple Revue, à la Renaissance Contemporaine, au Soleil du Dimanche, au Supplément du Petit Journal, à la Nouvelle Revue, etc. Il est secrétaire de la rédaction de la Renaissance Contemporaine.

Né à Magny-en-Vexin (Seine-et-Oise) le 20 mars 1878, M. Henri Allorge fit de brillantes études au lycée Hoche, à Versailles. Après avoir préparé l’École Polytechnique, à laquelle semblaient le destiner des succès remportés au concours général, dans les mathématiques, il passa sa licence es lettres, s’égara quelque temps dans le journalisme et entra finalement dans l’administration. Il a publié plusieurs volumes de vers, dont deux, L’Essor Éternel et La Splendeur douloureuse, furent couronnes par Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/289 V > •5 t S! i

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I* s S"* Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/291 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/292 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/293 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/294 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/295 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/296 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/297


LYA BERGER
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Bibliographie. — Poésie : Réalités et Rêves [1895-1899], avec une lettre-préface de M. Sully Prudhomme (Société française d’imprimerie et de librairie, Paris, 1901); — L’Ame des Roses, comédie en un acte, en vers, représentée pour la première fois le 5 mai 1904 au théâtre de l’Athénée Saint-Germain (Société française d’imprimerie et de librairie, Paris, 1904) ; — Les Pier- res Sonores, Ecce Homo [1901-190k] (Société française d’impri- merie et de librairie, Paris, 1905); — Le Rêve au Cœur dormant, drame en un acte, en vers (Société française d’imprimerie et de librairie, Paris, 1905); — Les Effigies, poèmes [1905-1911] (Société française d’imprimerie et de librairie, Paris, 1912). — Prose : L’Aiguille use, roman; — Étude sur les femmes poètes de l’Alle- magne, avec traductions; — Sur les Routes bretonnes, ouvrage destiné à la jeunesse et adopté par le Ministère de l’Instruc- tion publique (Lecène et Otidin, Paris); — En Lorraine (Lecéne et Oudin, Paris); — Vacances au bord du Rhin (Armand Colin Paris); — Sur l’Aile des Moulins (Armand Colin, Paris, 1909)’ — Les Femmes poètes de l’Allemagne, avec une préface de M. A. Bossert, ouvrage couronné par l’Académie française (Per- rin, Paris, 1910); — Discours de réception à l’Académie du Centre (1910); — La Voix des Frontières, roman patriotique (Écho de Paris, 1913; Editions de la Presse Française, Paris, 1913). En préparation : Les Femmes poètes de la Hollande et de la Belgique, en collaboration avec M. Jean-Louis Walch. M Uo Lya Berger a collaboré au Correspondant, aux Annales Politiques et Littéraires, à la Revue Française, à la Revue du Temps Présent, à la Revue des Poètes, aux Pages Modernes, à l’In- formateur des Gens de Lettres, à la Revue du Berry, à la Revue Septentrionale, à la Grande Revue, au Sillon Littéraire, à la Revue Idéaliste, etc. Collaborations régulières : La Femme Con- temporaine (critique littéraire), La Française, journal de pro- grès féminin (critique littéraire et articles d’actualité). M 11 » Lya Berger, née dans le Berry, est par ses parents mi- septentrionale, mi-lorraine. Elle compte cependant parmi ses ascendants un Berrichon. Fille de militaire, « patriote de nais- sance », comme l’a dit son maître Sully Prudhomme, elle reçut à Saint-Denis une éducation excellemment française qui con- firma les principes qui avaient dirigé jusqu’alors sa culture Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/299 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/300 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/301 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/302 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/303 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/304 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/305 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/306


MAURICE LEVAILLANT
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Bibliographie. — Scènes Normandes (1902) : — Le Miroir d’Étain (Éditions de la Revue des Poètes, librairie Pion, Paris. 1906) ; — L’Aveu, un acte en vers représenté en 1991 à Comœdia (ex-Bodinière) ; — Le Temple Intérieur, ouvrage ayant obtenu en 1910 le prix national de poésie (B. Grasset, Paris, 1910) — La Voix de Corneille, poème dit en juin, à la Comédie française, pour l’anniversaire de Corneille (1913) ; — Les Pierres Saintes [Versailles, Saint-Denis, Malmaison], vers et prose (Dorbon, Paris, 1913).

M. Maurice Levaillant a publié régulièrement des poèmes, contes et chroniques au Figaro quotidien et au Figaro littéraire. Il a collaboré en outre à la Revue des Poètes, dont il a été secrétaire de rédaction, à la Revue des Deux Mondes, à la Revue de Paris, au Gaulois, à Lectures pour tous, à la Vie Heureuse, etc.

M. Maurice Levaillant, né en 1883, ancien élevé de l’École normale supérieure, appartient à la jeune Université. Après avoir publié, en 1902, quelques vers pittoresques sur son pays : Scènes Normandes, il a fait paraître, en 1906, aux éditions de la Revue des Poètes, son premier recueil, très favorablement accueilli : Le Miroir d’Étain. Il y « retourne en imagination au pays charmant qui a vu naître autrefois les douces Muses… » Sous une forme directement inspirée des textes grecs, transparaît ici une sensibilité délicate et très moderne.

Dans Le Temple Intérieur, M. Maurice Levaillant « chante son amour et sa jeunesse avec des accents dont on était un peu déshabitué. Il y a, dans tous ses poèmes, une gravité haute et digne, une inquiétude émouvante. Et une grande sagesse approfondit déjà ses sentiments. Il convient d’insister sur cette rare qualité de pensée qui distingue la poésie de M. Maurice Levaillant. » (Maurice Prax.)

M. Levaillant vient de publier un nouveau volume : Les Pierres Saintes [Versailles, Saint-Denis, Malmaison], où d’émouvantes évocations, en prose et en vers, du passé, voisinent avec des poèmes d’une inspiration plus personnelle.

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CHARLES DUMAS
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Bibliographie. — L’Eau Sauter raine, ouvrage ayant obtenu lelprix Sully Prudhomme en 1903 (P. OUendorff, Pari», 1903); —L’Ombre et les Proies (P. OUendorff, Paris. 190») : — Marce- lin, comédie eu un acte, eu vers, représenté* sur l.i Mène «-1 1 • théâtre de l’Odéou. En préparation : Un poème dramatique en trois parties et un prologue, musique de M. Louis Dumas, frère de l’auteur; un vohme de vers. M. Charles Dumas a collaboré à divers journaux et revues, tels due le Figaro, le Figaro Littéraire, le Figaro Illustré, où il fit la critique dramatique, le Gaulois Littéraire, le Matin, la lie- vue, h Plume, la Vie Française, etc. Né à Paris le 31 juillet 1881, M. Charles Dumas lil ses .’tuiles au Lycie Michelet et pensa sérieusement d’abord i devenir mu- sicien. Mais il abandonna cette idée et prit sa licence es lettres. Son pranier volume de vers, L’Eau Souterraine, obtint en 190IJ Je prix Sully Prudhomme et fut suivi, h trois années de dis- tance, dun nouveau recueil : L’Ombre et les Proies. « La première œuvre de M. Charles Dumas, dit M. Emmanuel Glaser, eit la rare fortune d’être passionnément attaquée : c’est que, discitable parfois, elle n’était à aucun moment indiffé- rente, et teux-là mêmes qui n’aimaient pas ou ne comprenaient pas — ce qui revient au même — ces délicates et profondes poésies, ne pouvaient résister à l’ascendant de leur séduction étrange. Pour ceux-là mêmes qui ne surent point ou ne voulu- rent point s’enthousiasmer devant cette œuvre de débul. elle contenait les plus belles et les plus vastes promesses. « Ces promesses, la nouvelle œuvre de M. Charles Dumas les tient magnifiquement, et il y a dans L’Ombre et les Proies des pièces d’une définitive beauté. Charles Dumas est resté le poète mélancolique et douloureux de L’Eau Souterraine. Que d’autres chantent avec allégresse la splendeur et la joie de la nature et de la vie, Charles Dumas, lui, s’enivre au spectacle de son cœur souffrant et palpitant. Ce n’est point pourtant qu’il soit un égoïste, ou, pour parler le jargon du jour, un egotiste : en même temps qu’il souffre et nous dit sa douleur, une immense com- passion l’étreint pour toute la souffrance des autres dont il a, dont il réclame sa part. — Depuis L’Eau Souterraine, la manière Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/316 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/317

L'ADIEU[modifier]

... Jadis les trois fils du Roi
M'ont aimée au clair de lune...
Jadis les trois fils du Roi
Se sont perdus dans les bois.

J'étais près de la fontaine,
Je regardais l'eau couler,
Quand trois voix encor lointaines
L'une après l'autre ont parlé.

La plus haute dit : « J'ai froid. »
(J'entendis les fils du Roi.)
— « Ce n'est pas l'eau qui murmure.
Rêvait sans fin la plus claire.
— « Il y a de la lumière, »
Chanta la plus pure.

Jadis les trois fils du Roi
Sont venus la nuit vers moi.

Le premier sourit : « Jolie,
     Où que tu sois née,
J'aime ta mélancolie
De princesse abandonnée. »

Le plus fier n'avait pas vu
     Que j'étais pieds nus.

Le plus jeune, à deux genoux,
S'embaumant de mes cheveux,
Modulait très doux : « C'est Vous,
C'est Toi seule que je veux. »

Le plus beau des fils du Roi,
Le plus beau m'a dit : « Je t'aime. »
Jadis les trois fils du Roi
M'ont baisé les mains tous trois...

— Messeigneurs, laissez mes mains
Et passez votre chemin...
— Nous partirons dès l'aurore...
— Monseigneur, restez encore...

— L'on ne peut pas vivre ici,
      Tu viendras aussi...

— Seigneur, ma pauvre couronne
      Est de fleurs d'automne,
Mes pauvres bijoux, Seigneur,
      Sont gemmés de pleurs...

C'était l'aube. Je me tus.
L'un dit alors : « C'est dommage. »
L'autre reprit : « Je suis triste... »
Le plus beau ne disait rien :
Ses yeux bleus au fond des miens
      Ne me voyaient plus...

— Seigneur, Seigneur, vos deux frères
Sont déjà dans la clairière...

Alors il mit à mon doigt
Son anneau de fils de Roi.

— Allez-vous-en, Monseigneur...
— J'ai promis de t'épouser...
— Voici votre anneau, Seigneur,
Moi je garde le baiser. »

(L'Eau Souterraine.)


TESTAMENT[modifier]

Riches, en vérité, vous avez bien raison
De verrouiller le soir vos puissantes maisons,
Et toujours avisés, quand la grande nuit tombe,
Riches, vous faites bien de maçonner vos tombes.
Riches, je vous comprends. Encor que décharnés,
Princes, comtes, barons, gens de bien, vous craignez,
En ce sombre séjour, les mauvaises manières,
Les propos déplacés, les façons familières
Des gueux qui, pour dormir sous des tertres voisins,
Pourraient croire qu'ils sont quelque peu vos cousins ?
Et puis, si votre fosse était mal cimentée,
Les moellons mal taillés des quatre murs, disjoints —
Qui sait si, succédant à vos filles de joie,

Aux cyniques catins dont vous étiez la proie,
Des racines pressant vos côtes tourmentées,
Dans leurs embrassements vous étoufferaient point ?
Voyez-vous que des lys ou des roses trémières
Vous volent vos écus pour leur cœur de lumière ?
Que des rats, mal nourris par les morts qui n’ont rien,
Grignotent pour finir ce qui vous appartient ?
Non non, riches, je vous comprends. Chacun chez soi,
Pour toujours ! Le caveau c’est plus sûr.
Pour toujours ! Le caveau c’est plus sûr.Quant à moi,
Le jour silencieux où ma vieille servante,
Venant pour m’éveiller, verra, toute tremblante,
Mon front pacifié pour la première fois,
Et que, les yeux bistrés, le nez pincé, les traits
Amincis, je ressemble à mon plus beau portrait,
— Ce jour où l’on conçoit que la voix la plus chère
N’est que le souffle obscur d’une chose étrangère,
D’un être dont enfin le mutisme obstiné
Avoue un grand secret qu’on avait soupçonné, —
Qu’on n’aille, ce jour-là, qu’on n’aille point encore
M’habiller d’un rigide habit de bois, enclore
Dans du chêne ce cœur qui par le torse étreint
Battait depuis jadis dans un cercueil d’airain.
Qu’on n’aille pas non plus, nulle part, par pitié,
Acquitter pour mon compte un éternel loyer.
Pas de cierge. Pas de caveau. Pas de prière.
Je désire pourtant, orgueilleux, sans fortune,
Quelque chose de plus que la fosse commune.
Allez d’abord, allez par tous les cimetières
De mon pays, cherchez-y bien les noms sacrés :
Vous qui m’aurez connu, vous vous en souviendrez.
Cherchez, fouillez, rapportez-moi sans trop attendre,
Ô mes derniers amis, ce qui reste de cendre
Aux tombeaux entr’ouverts de tous mes bien-aimés.
Depuis le temps, hélas ! qu’on les aura fermés,
De cet immense amour le reste tiendra tout,
Mes chers amis, dans les deux mains de l’un de vous.
Rapportez-moi ceci, remplissez-en ma bouche,
Mes oreilles, mes yeux, couvrez-en tout mon corps,
Que je mange et j’aspire et je sente et je touche
Tout mon amour mortel lorsque je serai mort.

Jetez-moi dans un drap quelconque, et puis partez !

Deux suffiront, les deux plus forts, pour m'eniporter
A travers la cité qui s'étire et qui jase
Gomme un torrent gonflé des fourmis qu il écrase.

Le beau monde, sitôt, ne sera pas levé;
Les rêveurs songeront à ce qu'ils ont rêvé.
Des gens, comme toujours, iront au ministère,
Au magasin, à l'atelier; des ouvrières
Prendront en se hâtant leur essor matinal,
Bavardant, s'esclaffant, ou seules, anxieuses,
Lisant la fin des aventures merveilleuses
Qui arrivent souvent sur le Petit Journal...

Prenez par les quartiers fourmillants, populeux,
Où toujours la fumée obscurcit le ciel bleu.
Ne vous retournez pas. Pas un mot, sortez vite,
Sortez enfin, sortez de la ville maudite
Où, noirs bouffons narguant les premiers du royaume,
Les nécropoles rient au pied des hippodromes...

Vous irez devant vous, n'importe où, par les prés,
Les villages, les bois, les guérets, vous irez
Jusqu'à l'heure où d'un champ l'horizon circulaire
Vous fixera soudain au milieu de la terre.

Ce sera vers le soir au couener du soleil
Qui rend l'éteule rose et les hommes vermeils.
Déjà le soc brillant comme un éclat de verre
Sera là de nouveau : ce sera la saison
Des meules vieillissant près des jeunes sillons.
Et comme toute ordure et toute pourriture
Est un engrais joyeux pour la bonne nature,
Vous creuserez un trou, vous m'y mettrez tout nu,
Et là du moins, profond, solitaire, inconnu,
Tout au délicieux évanouissement
Plus nombreux, plus divin de moment en moment,
Qui fera, comme un peu de substance féconde,
Couler toute ma chair dans les veines du monde».
Peut-être, conscient à demi, vaguement,
Sentirai-je, — moi qui pour unique richesse
Ayant mon cœur, souffris toujours de ma tendresse
Comme d'une avarice insurmontable, alors

Qu'il me semblait donner le cuivre et garder l'or,
Et que corbeau sinistre à qui l'azur dit : « Non ! »
Pourcbassant le miracle, affamé de prodige,
Jamais vent forcené ne roulait mon vertige
Au large gouffre bleu de l'abnégation, —
Peut-être sentirai-je en ces heures suprêmes
Ce qu'est l'oubli total et le don de soi-même,
Peut-être sentirai-je, ô mon corps, s'apaiser,
Les vers forçant ta bouche à devenir baiser,
Cet amour dévorant, cette infernale flamme,
Ce désir d'être tout que j'appelle mon âme !

(L'Ombre et les Proies.)


HÉLÈNE PICARD
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Bibliographie. — La Feuille Morte. pièce lyrique, féerique’ en cinq actes, en vers (typographie Lucien Voile, Privas, 1903) ; — L’Instant Éternel, poème, ouvrage couronné par l’Acad. -mi-- française (E. Sansot, Paris, 1007; 2° éd. 1908); — Petite I: Beau Pays... (Lucien Voile, Privas, 1907); — Les Fresques, p mes (E. Sansot, Paris, 1908).

M m « Hélène Picard a collaboré à divers journaux et revues.

M m * Hélène Picard, née à Toulouse, habite depuis plusieurs années Privas, où son mari, le poète Jean Picard, remplit les fonctions de conseiller de préfecture. Lauréate des Jeux Flo- raux en 1899 et en 1900, elle publia en 1903 son premier volume, La Feuille Morte, magnifique poème, débordant de lyrisme, qui, malgré sa prosodie par trop frondeuse, trouva un accueil en- thousiaste auprès des rares critiques qui eurent connaissance de son apparition. M. Emile Faguet le signala aux lecteurs du Journal des Débats dans son feuilleton dramatique du 7 septem- bre 1903. L’année suivante, M m « Hélène Picard fut couronnée au concours de la revue Fémina; son poème A George Sand fut lu par M m « Worms-Baretta au Luxembourg. Elle est, depuis, membre du jury de Fémina. L’Instant Éternel, paru en 1907 et couronne la même année par l’Académie française, obtint dans la presse un succès éclatant. Ce poème nous fait assister à l’éclo- sion de l’âme féminine à l’amour. « L’Instant Éternel, dit M. Jean Bonnerot, est comme un développement, comme un commen- taire enthousiaste du premier recueil de M mo Hélène Picard, La Feuille Morte. C’est le thème éternel de l’amour et de la nature. Le « poème de la Jeune Fille » et le « poème du Pien- « Aimé » sont la transposition, la paraphrase du poème spîln- dide qu’a été sa vie; et ciiaque pièce de ce livre est une strophe harmonieuse de son immense élégie. Il semble même que ce soit là comme un journal intime d’amour, la notation précise et lyrique au jour le jour du triomphe de sa passion.

« On songe souvent, en lisant ses vers, à ceux qu’écrivit M me Marceline Desbordes-Valmore. On y surprend le même gémissement douloureux el les mêmes plaintes amoureuses et vibrantes. Toute la nature et toutes les choses sont venues se refléter dans sou âme. Les forêts et les jardins ont été les con- fidents de ses premiers émois, comme la Brise jaseuse était la conlidente do la princesse Mirvianne 1 . Elle raconte avec une . V. La Feuille Morte. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/324 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/325 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/326 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/327 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/328 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/329 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/330 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/331 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/332 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/333 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/334 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/335

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ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS A vous qui prenez part aux moissons immortelles, Sainte, à vous qui avez, dans les calmes chapelles, Vos prières, toujours, par l’Esprit agréées... O sœur, j’aime si fort mes pauvres mains créées, Et mon frère imparfait, l’homme à la chaude voix, Qui me fait tant de mal, mais qui baise mes doigts. Je n’aurais pas voulu votre magnificence, Et, comme vous, garder toute mon innocence. •Condamnez mes péchés au feu de votre enfer. Sachez que j’eus mon ciel parce que j’ai souffert, Et que, dans une extase encor plus que divine, JDe l’homme que j’aimai j’évoquai la poitrine. Je préfère rester la pauvre Eve qui meurt Dans le bruit indécis et triste de son cœur, •Celle que tout séduit et qui de rien n’est sûre, A qui tout est embûche, à qui tout est blessure, •Que rien ne récompense en raison de son mal... Mais qui fait ce beau geste humain et nuptial De dénouer sa robe et de donner sa gorge. Car l’homme, en plus de sa moisson de vin et d’orge, Veut le corps de la femme et son tendre sanglot. Allez, heureuse sœur, je préfère mon lot; J’ai l’orgueil de souffrir simplement pour la peine... D’avoir un cœur humain dans ma poitrine humaine... Cardez votre bonheur plein des anges des nuits, Votre félicité près de l’unique Maître... Moi, je veux demeurer la femme que je suis... Et pourtant, et pourtant, je succombe de l’être!... {Les Fresques.)


OLIVIER DE LA FAYETTE
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Bibliographie.— Le Rêve des Jours (Sansot, Paris, 1904Ï; — la Montée, poème suivi d’extraits do la correspondance, de notes et de fragments en prose (Hachette, Paris, 1909).

Olivier de La Fayette a collaboré an Mercure de France, à 17>- mitage, à la Grande Revue, à la Plume, à la Revue Forézienne, à la Revue Périgourdine, à Y Ame Latine, à la Femme Contempo- raine, au Correspondant, au Chroniqueur de Paris, au Censeur, à Vers et Prose, aux Écrits pour l’Art (1905), à Y Anthologie-Revue, à Y Europe-Artiste, etc.

Olivier Calemard de La Fayette, né le 27 août 1877 au château du Chassagnon, près Saint-Geocges-d’Aurac (Haute-Loire:, mort au même lieu le 13 octobre 1906, était petit-fils de Charles Calemard de La Fayette, le compagnon des Goncourt et des Flaubert aux dîners Magny, ou de Gautier à l’Artiste, et dont l’œuvre, largement inspirée, marqua, dans le second Roman- tisme, un éveil de la poésie naturiste et d.s idées régionalistes. Après de belles études littéraires, complétées à l’Université d’Heidelberg, Olivier de La Fayette vint à Paris, fut remarqué par José-Maria de Heredia, dont il devint l’un des familiers, et collabora à toutes les importantes revues non officielles : Le Mercure de France, L’Ermitage, La Grande Revue, etc. Il fut pen- dant quelque temps critique des poésies à la Plume. Son volume Le Rêve des Jours (1904), qui contenait de fort belles promesses,, fut favorablement accueilli par la presse littéraire.

Olivier de La Fayette était un profond idéaliste. Il avait le culte de l’Absolu. « Il sentait continûment ce que sentent bien plus rarement nos pauvres cœurs : le besoin de s’élever par un éperdument, plus intense même que conscient, vers l’Indéfi- nissable divin. ,. Pour lui, l’Idéal était prouvé par le désir inlas- sable qui torture le cœur de l’homme, et peut-être aussi par la nécessité des métamorphoses naturalistes. » (Pierre Fons.) Des mains pieuses ont réuui en volume — et publié en jan- vier 1909, sous le titre : La Montée 1 — les derniers vers d’Olivier Calemard de La Fayette. Les poèmes sont suivis d’un choix de . Ce titre avait été choisi par le poète lui-même dès 1905. et les groupes littéraires qu’il fréquentait en étaient avertis depuis le prin- temps de 1906. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/338 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/339 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/340 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/341


LOUIS PERGAUD





Bibliographie. — L’Aube, poèmes (Editions du Beffroi, Lille, 1904) ; — L’Herbe d’Avril, poèmes (Editions du Beffroi, Roubaix, 1908) ; — De Goupil à Margot, histoire de bêtes, ouvrage couronné par l’Académie Goncourt (Société du Mercure de France, Paris, 1910) ; — La Revanche du Corbeau, nouvelles histoires de bêtes (Société du Mercure de France, Paris, 1911) ; — La Guerre des Boutons, roman (Société du Mercure de France, Paris, 1912).

M. Louis Pergaud a collaboré au Beffroi, à l’Ile Sonnante, au Mercure de France, etc.

M. Louis Pergaud, né à Belmont (Doubs) le 22 janvier 1882, vécut en Franche-Comté jusqu’en 1907, époque à laquelle il vint se fixer à Paris. Après avoir débuté en 1903 au Beffroi, il publia en 1904 un premier recueil : L’Aube, contenant des vers de jeunesse, puis, en 1908, L’Herbe d’Avril, où se révèle un art extrêmement subtil et raffiné. La personnalité artistique de M. Louis Pergaud est essentiellement complexe. S’il possède à un haut degré le sens intime des correspondances traduites par Baudelaire, s’il sait aussi nous faire partager le frisson extraterrestre d’Edgar Poe, il n’a pas échappé, par ailleurs, à l’emprise du prestigieux talent de M. Henri de Régnier. Un réalisme souvent savoureux n’exclut point, chez lui, une préciosité poussée parfois jusqu’à l’extrême limite du rare et du choisi. Un éclectisme que nous qualifierions volontiers d’instinctif l’empêche de rien rejeter de l’héritage des ancêtres, et nous trouvons chez lui l’éclat des plus stricts parnassiens — sans, toutefois, leur stricte prosodie — et de pures beautés mallarméennes.

M. Louis Pergaud a écrit, en prose, de fort belles « histoires de bêtes » : De Goupil à Margot (1910), La Revanche du Corbeau (1911), et un curieux roman, La Guerre des Boutons (1912)[5].


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AMÉDÉE PROUVOST


Bibliographie. — L’Âme voyageuse (Maison des Poètes, Paris, 1904) ; — Le Poème du Travail et du Rêve (Éditions du Beffroi, Lille-Roubaix, 1905 ; épuisé) ; — Sonates au Clair de Lune, ouvrage couronné par l’Académie française (Calmann-Lévy, Paris, 1906) ; — Conte de Noël, un acte en vers (Tallandier, Paris, 1906).

Publications posthumes : Pages choisies et inédites, avec une préface de Jules Lemaître (Grasset, Paris, 1911) ; — Nous n’irons plus au bois, fragments d’une comédie en vers (Le Beffroi).

Amédée Prouvost a collaboré au Beffroi, au Correspondant, à la Renaissance Latine, à la Revue Septentrionale, à Durendal, à la Revue de Lille, au Journal de Roubaix, etc.

Amédée Prouvost (Amédée-Marcel) naquit à Roubaix le 4 septembre 1877. Au sortir du collège, il passa une année comme étudiant à l’Université de Bonn (Allemagne), où il se familiarisa avec la langue allemande ; puis il visita successivement l’Italie, l’Égypte, la Palestine, la Syrie, la Turquie, la Grèce. Il rapporta de ces divers voyages de précieuses impressions résumées dans les poèmes qui composent son premier volume de vers : L’Âme Voyageuse.

De retour dans sa ville natale, la noire et fumeuse Roubaix, « la ville aux cent cheminées », et souffrant déjà du mal cruel qui devait l’emporter si jeune, hélas ! il écrivit le Poème du Travail et du Rêve, où il chanta tour à tour la sévère beauté du Travail, des usines, des forges, des métiers qui ronflent dans les filatures, le canal, le port, ne dédaignant aucun des multiples aspects que revêt dans les pays du Nord, spécialement, la vie industrielle. Ce volume offre de curieux échantillons d’un genre de poésie descriptive devenu assez rare aujourd’hui.

En 1906, Amédée Prouvost publia un troisième et dernier recueil de poèmes, Sonates au Clair de Lune, qui contient des pièces d’un charme délicat ; et enfin une saynète en vers : Conte de Noël, illustrée par l’imagier André des Gâchons.

Il mourut le 8 mai 1909, laissant d’unanimes regrets.

Jules Lemaître a préfacé les Pages choisies et inédites d’Amédée Prouvost, publiées posthumément par les soins de Mme Céline Amédée Prouvost. Nous reproduisons ci-dessous la pièce : La Musique et la Mer, que le regretté poète nous adressa, à cet effet, quelques mois avant sa mort. ==L'USINE==

Dans l’enchevêtrement multiple des courroies,
Les longs arbres de couche alésés et brillants
Tournent, le jour entier, sur des paliers brûlants,
Et meuvent les volants qui sifflent et giroient.

Les cardes à tambour, qui laminent leur proie,
Ont leurs rouleaux couverts d’un léger duvet blanc,
Et la bobine au banc étire, en l’enroulant,
La laine qui, dans l’air, en flocons fins poudroie.
 
Et les fils, allongeant leurs délicats réseaux,
S’envident, peu à peu, sur les minces fuseaux ;
Et devant le travail des robustes têtières,
 
Entraînant sans répit les broches des métiers,
Dans l’effluve énervant des fiévreux ateliers...
Je songe aux vieux rouets des paisibles grand’mères !...
(Le Poème du Travail et du Rêve.)

NUIT DE FIEVRE[modifier]

Gnomes et farfadets, sylphides et follets,
De la frise sculptée arrachant les guirlandes,
Dans le blême plafond que des feux violets
Illuminent soudain dansent des sarabandes.

Aux tentures s’agriffe une chauve-souris
Qui couvre le décor de ses flasques membranes ;
Caché dans les rideaux un vieux Faune sourit
Au désir d’enlacer d’illusoires Dianes.

Et, vibrant dans la nuit, des harpes, des hautbois,
Des cors graves, plaintifs, des violes énervantes,
Modulent lentement pour la centième fois
Les mêmes adagios et les mêmes andantes.

Devant mon lit quel est ce fantôme blafard ?
Serait-ce lui qui vient de frapper à ma porte ?

 
Mais sa face est muette et comme sans regard...
La chambre s’enténèbre et la veilleuse est morte.

Tout à coup je me dresse, et, baigné de sueur,
Je repousse les draps de mes mains maladroites.
Le mur s’est éclairé d’une rouge lueur...
Un sang tumultueux bat dans mes tempes moites.
 
C’est le feu qui reprend, et mes yeux éblouis
Par la flamme éclatante au reflet de la glace
Cherchent le spectre blanc qui s’est évanoui...
Que douloureusement ma tête est lourde et lasse !

La pendule, là-bas, palpite comme un cœur,
A travers les rideaux filtre un rayon lunaire...
J’ai soif : oh ! le jardin plein d’ombre et de fraîcheur
Où parmi les rosiers chante une source claire !...
(Sonates au clair de Lune.)

La pièce suivante fut écrite le 25 avril 1909, pendant la dernière maladie du poète. « La fièvre augmentait toujours. On lui avait interdit d’écrire. Mme Prouvost devait éloigner les papiers et la plume. Il se résignait à tout, sans une plainte, sans un murmure. Il y avait des minutes, cependant, où l’émotion l'étouffait. Il était las de prier en prose, ses oraisons solitaires ise scandaient d’elles-mêmes dans la langue des poètes. Alors i1 cherchait autour de lui ; une ordonnance de médecin lui tombait sous la main et il écrivait sur ce chiffon les mots qu’il venait de dire à Dieu... » (C. LECIGNE.)



Fais-moi souffrir, Seigneur, car je veux expier
Mes fautes du passé, lourd et amer calice
Qu’abreuve le remords ; oh ! laisse-moi prier
Pour laver mes péchés dans l’eau du sacrifice.

Je mets ma volonté, Seigneur, entre vos mains.
Mon âme est calme ainsi qu’un beau lac à l’aurore.
Je ne réfléchis plus au sort des lendemains,
Je m’abandonne à toi, fais-moi souffrir encore.

Je veux souffrir encor, car douce est la souffrance
Lorsque l’offrande, ainsi qu’une flamme, vers toi
Monte pure, et qu’armé de pleine confiance,
Mon cœur entend chanter la consolante voix.


DUCHESSE DE ROHAN
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Bibliographie. — Lande fleurie (Calmann-Lévy, Paris, 1904) ; — Les Lucioles (Calmann-Lévy, Paris, 1906) ; — Les Dévoilées du Caucase (1910) ; — Souffles d’Océan (Calmann-Lévy, Paris, 1912).

Mme de Rohan a collaboré à divers journaux et revues. Elle a fait de nombreuses conférences littéraires à Paris, à Bruxelles, à Bordeaux, à Marseille, à Toulouse, à Montpellier, etc. Membre de la Société des Poètes français, elle a fondé un prix de poésie et aime à réunir dans les salons de son hôtel, à Paris, une élite de poètes et de littérateurs.

La duchesse de Rohan, fille du marquis et de la marquise de Verteillac, est née à Paris. Sa famille appartenait à l’armée. Les Verteillac étaient grands sénéchaux du Périgord. Son aïeul maternel, le marquis de la Roche du Maine, dont le portrait est au château de Josselin, accompagna François Ier à Madrid, durant sa captivité. Charles-Quint ayant un jour posé cette question au gentilhomme : « À combien de journées sommes-nous de Paris ? » Il répondit fièrement : « Sire, à autant de journées que de batailles, à moins que vous ne soyez battu à la première ! »

Le marquis de Verteillac, père de la duchesse, était entré à dix-sept ans à l’École Polytechnique. Il fit partie à Versailles de la Maison-Rouge, et entra dans le corps des pages de Napoléon pendant les Cent Jours. Il en fut le dernier survivant quand il mourut, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Il fit les campagnes d’Espagne, de Grèce, de Belgique, fut porté à l’ordre du jour de l’armée et décoré de la Légion d’honneur. Après une brillante éducation, qui développa fort heureusement les dons de cœur et d’intelligence qu’elle tenait de la nature, Herminie de Verteillac fut mariée très jeune au prince de Léon, qui, à la mort de son père, prit à son tour, en sa qualité d’aîné, ce nom fameux de Rohan qui s’est si fièrement transmis d’âge en âge depuis le xie siècle, et qui signale à l’historien une longue suite d’aïeux héroïques.

La jeune femme, spirituelle et jolie, brilla d’un vif éclat à l’horizon mondain. Le comte de Puiseux, nous dit M. Hippolyte Buffenoir, — à qui nous empruntons ces détails, — a publié sur elle une notice fort intéressante devenue introuvable : « Le fond de votre caractère est l’indépendance, écrit-il en s’adressant directement à la princesse : c’est là la note caractéristique de votre tempérament moral. Voulez-vous savoir maintenant d’où Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/351 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/352 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/353 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/354 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/355


JULES ROMAINS
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Bibliographie. — L’Ame des Hommes, poèmes, ouvrage ayant obtenu le premier prix au Concours annuel de la Société des Poètes français (Bibliothèque delà Société des Poètes fran- çais, Paris, 1904; épuisé); — Le Poème du Métropolitain (com- posé en 1904) ; — Le Bourg régénéré, conte de la vie unanime (Vanier-Messein, Paris, 1906) ; — La Vie Unanime, poème (L’Ab- baye, Créteil-Paris, 1908); — Premier Livre de Prières (Éditions de Vers et Prose, Paris, 1909); — A la Foule qui est ici, poème (Édition du XX» Siècle, Paris, 1909); — Un Être en Marche , poème (Société du Mercure de France, Paris, 1910); — Deux Poè- mes [Le Poème du Métropolitain ; A la Foule qui est ici) (Société du Mercure deFrance, Paris, 1910) ; — Manuel de Déification (San- sot, Paris, 1910) ; — Puissances de Paris, études (Figuiére, Paris, 1911); — L’Armée dans la ville, pièce représentée sur la scène du théâtre de l’Odéon le 7 mars 1911 (Société du Mercure de France, Paris, 1911); — Mort de quelqu’un, roman (Figuièro, Paris, 1911); — Odes et Prières (Société du Mercure de France, Paris, 1913); — Les Copains, roman (Figuiére, Paris, 1913); — Sur les quais de la Villette. M. Jules Romains a collaboré à la Revue Littéraire de Paris et de Champagne, à la Plume, au Mercure de France, à la Revue des Poètes, à la Phalange, aux Lettres, au Carnet, aux Bandeaux d’Or, à Vers et Prose, à V Anthologie de l’Effort, etc. M. Jules Romains, né le 26 août 1885 près de Saint-Julien- Chapteuil, dans le Velay o grave et violent », a continuellement vécu à Paris, à Montmartre 1 . Il a commencé à publier dans les revues en 1902. Son admirable plaquette L’Ame des Hommes (1904), couronnée par la Société des Poètes français, trouva auprès de la critique un accueil enthousiaste. Seule la première partie de cet opuscule, La Ville consciente, annonçait les ten- dances nouvelles de l’auteur. C’est, en effet, vers la fin de 1903 et dans le courant de 1904 que M. Jules Romains établit pour son usage, et sans aucun désir de propagande, ce qui s’est appelé depuis V un animisme. « Platonisme esthétique », selon M. Jean Royère, a psychologie des foules », d’après M. Gustave

. M. Jules Romains est actuellement professeur au lycée de Lnon. 
(1912.) Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/357 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/358 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/359 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/360 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/361 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/362 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/363
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TANCRÈDE DE VISAN


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Bibliographie. — Paysages Introspectifs, poésies, avec un Essai sur le Symbolisme (Jouve, Paris, 1904) ; — Lettres à l’Élue, confession d’un Intellectuel, roman, avec une préface de Maurice Barrés (Vanier-Messein, Paris, 1908) ; — Paul Bourget sociologue, brochure (Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1908) ; — Colette et Bérénice (Bibliothèque de l’Occident, Paris, 1909) ; — Le Guignol Lyonnais, avec une préface de Jules Claretie (Bibliothèque de la Fédération Bégionaliste, Bloud, Paris, 1910) ; — Louise Labè, Œuvres poétiques, avec une préface de Tancrède de Visan(Sausot, Paris, 1910) ; — L’Attitude du Lyrisme Contemporain (Société du Mercure de France, Paris, 1911).

En préparation : Le Clair Matin sourit, poèmes.

M. Tancrède de Visan est secrétaire de rédaction de Vers et Prose et de la Revue de Philosophie. Il a collaboré à la Plume, à l’Occident, au Mercure de France, à Vers et Prose, à la Revue de Philosophie, à Durendal, à Antée, au Samedi, à la Revue des Lettres et des Arts (Nice), au Gil Blas, à Akadémos, au Correspondant, à la Nouvelle Revue, etc.

Né à Lyon le 16 décembre 1878, M. Tancrède de Visan fit ses études dans cette ville, puis vint à Paris dès l’âge de 21 ans, entra au Collège Stanislas pour préparer l’Ecole normale, et, après un an de rhétorique supérieure, en qualité de « vétéran », passa en 1901 sa licence de philosophie à la Sorbonne. Il est depuis 1903 secrétaire de rédaction de la Revue de Philosophie, et a été nommé plus récemment secrétaire de rédaction de Vers et Prose.

M. Tancrède de Visan a collaboré à divers journaux et revues. Il s’est surtout occupé d’esthétique. D’intéressants articles, pa- rus dans Vers et Prose, Le Mercure de France, etc., le remarqua- ble Essai sur le Symbolisme qui précède ses Paysages Introspec- tifs (1904) [6] , l’ont fait connaître comme l’un des théoriciens les plus profonds et les plus subtils du symbolisme. Pour M. Tancrède de Visan le symbolisme est « une attitude lyrique » qu’il convient de situer « au centre des aspirations contemporaines comme un type de manifestation intellectuelle TANCREDE DE VISAN

en harmonie avec toutes les autres branches do l'activité a brale du moment » : « Il est évident qu'un nouvel état d'esprit régit à cette h. mit.' notre science, notre philosophie et notre art, et s'affirme CMMMM une tendance accentuée vers une vie plus homogène, plus inté- rieure, plus totale. De toutes parts, l'esprit humain, loin d'être considéré comme produit du cerveau, ou même comme formé de ces mille petits cubes mobiles que sont les associations d'idées, est envisagé sous son aspect qualitatif et dynamique. A la base du procédé discursif de réflexion, avant que nos facul- tés d'élaboration entrent en jeu et dissèquent une notion, l'.-s- prit s'impose, domine, préexiste comme un tout concr. ' perçoit sans réfraction, au moyeu d'une intuition vivante, qui est son acte même. « C'est ce que comprennent nos savants et nos philosophas, qui accordent une part prépondérante à la spontanéité de l'es- prit, au primat de l'action, aux théories de l'invention. L'ancien point de vue intellectualiste, qui morcelait l'esprit en données purement externes, a vécu. C'est ce qu'ont bien compris égale- ment nos artistes contemporains. Pour s'en convaincre, il suffit d'opposer la critique de Taine, la poésie de Leconte do Lisle. le théâtre d'Alexandro Dumas, le roman de Flaubert, l'esthé- tique de Gustave Courbet, aux productions littéraires et artis- tiques de ces vingt dernières années; de peser les mots : vie intense, impulsivisme, intuition, immanence, si souvent employés et destinés à énoncer la même attitude lyrique. ■ Pour cette raison, nous nous garderons de parler d'école symboliste. Il n'existe pas d'école symboliste, mais une attitude lyrique générale en conformité avec l'idéalisme contemporain. Cela nous permettra de comprendre sous une seule dénomina- tion, beaucoup de poètes auxquels l'idée de chapelle répugne, à juste titre, et qui n'ont tout de même pu échapper à l'am- biance de leur temps. » [Mercure de France, 13 juillet 1907.) Quel fut au juste le caractère de la « réaction contre le Par- nasse » qui marqua les vingt dernières années du xix« siècle? Chaque révolution en littérature, en art, éclate au nom des mêmes principes : Sature et Vérité 1 . Ceux-ci semblent-ils méconnus ou violés, aussitôt l'homme s'indigne, alléguant les droits imprescriptibles du Réel, et proteste par des œuvres . Il est évident que la définition du mot nature donnée par les -avants : « personnification factice et purement verbale du système les lois qui régissent les phénomènes », est insuffisante. Seule la nétaphysique a chance de nous renseigner. Provisoirement, par •attire j'entends le réel, c'est-à-dire l'objectif, et par vérité, comme >>ut le monde, l'accord de la pensée et de son objet, ou la synthèse le l'objet et du sujet. Su PPL. il Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/376 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/377 ODl ANTHOLOGIE DES POETES FRANÇAIS et demeurent dans le relatif. C’est la vision périphérique. Les symbolistes, au contraire, s’intériorisent dans l’objet, s’incorpo- rent aux paysages perçus intérieurement. Aucune de leurs des- criptions immanentes qui ne soit en fonction d’un état d’âme. Il s’agit là d’une vision centrale, d’une intuition. » Le symbolisme poursuit la réalité intérieure, il tente l’expression de l’inexpri- mable, il Aeut pénétrer à ce qu’on ne voit pas au travers de ce que l’on voit. « Le parnassien décrit des « symboles » inertes, le symboliste rend jusqu’aux pulsations de la matière. Il pénè- tre dans les cboses et les exprime en leur synthétique com- plexité. » Le symboliste emploie des « symboles » à titre do procédés d’expression. « L’absolu, quel qu’il soit, est incommu- nicable à l’aide de la raison discursive ’. Pour l’exprimer, pour faire que le lecteur partage mon émotion fondamentale, je me vois obligé d’employer des symboles 1 . Ce que je ne puis expri- mer de façon immédiate, je vais donc le suggérer et acheminer le lecteur au point où son esprit coïucidera avec le mien. D’où l’em- ploi obligatoire d’images accumulées, de transpositions perpé- tuelles. Et j’arrive à cette délinition : La poésie symboliste est celle qui se sert d’images accumulées pour extérioriser une intui- tion lyrique. » . Cf. le passage suivant de Gœthe (Hamann, son style, ses pro- cédés d’expression) : « l)as Princip, auf welches die sammtlichen ^Eusserungen Ha- manns sich zuriickfiihren lassen, ist dièses : Ailes, was lier Menscli zu leisten unternimmt, es werde nun durch That oder Wort oder sonst hervorgebracht, muss aus sammtlichen vereiniglen Kraften enlspringen ; ailes Yereinzelte isl verwerflich. Eine herrliche Maxime, aber schwer zu befolgen. Von Lebcn und Kunst mag sie freilich gelten; bei jeder Ueberlieferung durclis Wort hingegen, die nicht ijerade poetisch ist, findet sich eine grosse Schwierigkcit : denn das Wort muss sich ablbsen, es muss sich vereinzeln, ion etwas zu sa- (/en, zu bedeuten. Der Mensch, indem er spricht, muss fur den Auyenblick einseitirj werden ; es yiebt keine Mittheilunij, keine Lehre ohne Sonderung. Da nun aber Hamann ein-fiir allemal die ser Trennung v iderstrebte und, irie er in einer EinJieit empfand, imaginirte, dachle, so auch sprechen vollte, und das gleiclie von an- dern verlangte, so trat er mit seinem eigenen Styl und mit allem, was die and**rn hervorbringen konnten, in Widerslreit. L’m das Unmfi- gliche zu leisten, greift er daller nuch allen Eiementen; die tief— sten, gehcimslen Anschauungen, wo sieli Natur und (ïeist im Vcr- borgenen bv’gegnen, erleuchtende Verstandesblitze, die aus cinem solchen Zusammentreffen liervorstrahlen, bedeutende Bilder, die in diesen Rcgioncn schweben, andringende Sprjche der heiligen und Profansknbenten, und was sich sonst noch humoristisch hinzufiigen mag, ailes dièses bildel die wunderbare Gesammtheit seines Styls, seiner Mittheilungen. » (Aus meinewi Lebea.) W. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/379 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/380 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/381 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/382 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/383 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/384 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/385 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/386


A. C.
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Bibliographie. — Pierrot cocu, poème dialogué (P.-V. Stock, Paris, 1905) ; — Jeux de Fumée, poèmes (P.-V. Stock, Paris, 1907).

Ô pur Esprit français pétillant d’ironie
Ailée et capiteuse, ô clair et fin génie
De notre race, ô toi, fils du vieux sol gaulois,
Qui tutoyais les Dieux et qui narguais les rois ;
Bon Coq dont le refrain émerveillait le monde,
Ô toi qui flagellais tous les sots a la ronde
Et souffletais d’un mot la médiocrité,
Esprit fait d’élégance et de limpidité…

Ces lignes, empruntées à l’épilogue de Pierrot cocu (1905), sont caractéristiques pour le spirituel et verveux auteur de cette bonne vieille — et pourtant si jeune — comédie italienne écrite en vers excellents, « sans pudibonderie », mais aussi « sans grossièreté », et dont la saine gaieté rappelle les vieux maîtres du rire. Cependant, s’il y a dans cette pièce une vis comica irrésistible, il n’en faut point conclure que la joie et la gaieté soient prédominantes chez l’écrivain anonyme à qui nous devons cette délicieuse fantaisie. Par un phénomène assez commun chez les meilleurs comiques, le poète a cherché dans le rire un dérivatif à sa douleur, douleur profonde et incurable, et d’autant plus cruelle que, par une fierté qui nous le rend particulièrement sympathique, il la cache, dans le monde, sous un masque d’impassibilité. Son récent volume Jeux de Fumée (1907) est singulièrement explicite à cet égard. La mort d’un père aimé a fait au cœur du fils une blessure que les années n’ont point cicatrisée ; le désespoir, le doute, se sont emparés de son âme, et désormais la vie n’est pour lui qu’un long supplice, une lutte inégale contre le Destin. Cette lutte, il l’a engagée sans crainte, et sans autre espoir que la Mort qui délivre. Ce qui le soutient, c’est le souvenir toujours vivace de l’être vénéré qu’il pleure, et le culte souverain de l’Idéal de Beauté, le seul bien qui lui soit resté dans le naufrage de ses croyances :

Et nous Poètes, nous, Prêtres de la Pensée,
Aux pieds de la Beauté par nos mains encensée,
               Nous prions à genoux…

Outre un magnifique poème, Maria-Magdalena, et des hymnes harmonieux à la Mer et à la Bretagne que leur étendue seule nous empêche de citer ici, le volume Jeux de Fumée contient des poèmes comme Gloria Soli, Anniversaire, et d’autres pièces significatives, où se révèle un talent hautain et personnel.





GLORIA SOLI !


Vis seul ! Et ne souffre jamais
Qu’on te console ou qu’on te plaigne.
A nul au monde ne permets
De panser ton cœur quand il saigne.

Marche drapé dans ton orgueil.
Ne partage, quoi qu’il advienne,
Ni ta volupté, ni ton deuil,
Et que ton âme reste tienne.

Pas de confidences. Tais-toi !
Ne parle pas. N’écoute guère.
Si l’on t’approuve, reste froid ;
Brave les blâmes du vulgaire.

Que ton cœur soit toujours fermé
Et que tes lèvres restent closes.
Redoute pour le songe aimé
Le contact de toutes les proses.

Vis seul, si tu veux être grand ;
Cache en toi la flamme et la sève,
N’admets pas qu’un indifférent
Se fasse juge de ton Rêve

Et rapetisse à son niveau
Ton Idéal et ta pensée.
Verrouille avec soin ton cerveau
Comme un mystique gynécée :

Sept rideaux et trois tours de clef !
La souffrance veut être tue,
Le bonheur doit rester voilé,
Malheur à qui les prostitue

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PAUL CASTIAUX
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Bibliographie. — Au long des Terrasses, poèmes (Éditions u Beffroi, Lille, 1905) ; — La Joie Vagabonde (Société du Merure de France, Paris, 1909).

M. Paul Castiaux a collaboré à divers journaux et revues. Il st l’un des fondateurs de la revue de littérature et d’art Le Beffroi (1900), et de l’anthologie-revue Les Bandeaux d’Or (1907), qu’il dirige.

M. Paul Castiaux (Paul-Eugène-Jules) est né à Lille (Nord) le février 1881. Dès 1900, il prit une part effective au mouvement ttéraire septentrional en fondant, avec quelques amis, la revue e littérature et d’art Le Beffroi, à laquelle il fournit une allouante collaboration. En 1903 parut son premier volume de vers : u long— des Terrasses. « Idéalisme musical, a écrit M. Théo arlet, tel se dégage le caractère de ce volume. Telle est la clef e ces poèmes, où se buterait vainement une interprétation ttérale… L’auteur ne s’intéresse qu’aux harmonies de son 3ve. Je le répète : Paul Castiaux n’est qu’un idéaliste. L’incerain monde extérieur n’a d’autre prix à ses yeux que celui d’un rétexte à sensations, d’un magasin où il puise les images néessaires au jeu de sa faculté créatrice. Même les impressions datées de quelque fallacieuse rive zélandaise se projettent, transposées aux Terrasses qu’un métaphysicien dirait : de la diinenion musicale… Paul Castiaux s’avère peuplé de vitalités raieuses, de souvenirs paniques, dont les ancestrales irisatioms hatoient en ses yeux où l’or des forêts dionysiaques flotte sur os glaucités de l’inexprimée encore mer de Thulé, — œgypan garé dans la civilisation moderne. »

Le second volume de M. Paul Castiaux, La Joie Vagabonde 1909), ne dément pas cette impression. Il est d’un beau lyrisme uvénile et débordant. Le printemps éternel chante dans le cœur lu poète. Il le sent monter à ses lèvres en hymnes d’or. Il y a, lans ce volume, des visions de beauté lumineuse, des cris de riomphale allégresse, une fougue, une ardeur, une puissance [ui rappellent les plus belles pages de Verhaeren. Les poèmes lui le composent furent écrits en Zélande (Pays-Bas), en Brcagne, sur les plages méridionales de Palavas et de Magueone, M. Castiaux subissant toujours, malgré tout, l’invincible Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/394 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/395 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/396 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/397 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/398 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/399 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/400


MAURICE DE NOISAY
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Bibliographie. — L’Ame en route, poème (Henri Jouve, Paris. 1905); — Le Bon Adieu, suite en mineur (Éditions de Ps Paris, 1907); — Lettre à MM. les directeurs des journaux natio- nalistes à propos d’un article défini (1909); — Les Douze Flèches d’Éros (« La Belle Édition », Paris. 1912). Ex imikiwkation : Le Poème triomphal, vers; Le Royaume de l’exil, vers: Le Cycle d’Alcibiade, prose. II. Maurice de Noisay a collaboré à Psyché, à Vers et Prose, à Antée, à l’Occident, à la Phalange, etc. M. Maurice Pagniez, comte de Noisay, né en 1885 à Noisay-le- Grand (Seine-et-Oise), écrit des vers depuis sa première jeu- nesse; il se consacre entièrement à son œuvre poétique. Il cher- che à rattacher plus étroitement le symbolisme à la grande tra- dition française et à l’élargir dans un sens plus classique. • Le symbolisme, écrit M. Tancrède de Visan, est apparu a M. Mau- rice de Noisay comme une renaissance du lyrisme et une créa- tion de formes poétiques en corrélation avec les besoins de l’es- prit contemporain. Chez les poètes de la génération précédente, cette forme et cette manière de concevoir la vie se mêlait encore à bon nombre d’acquisitions étrangères inassimilables: il im- portait d’émonder le symbolisme de tous les rameaux gnll. s sur son tronc et peu en rapport avec la physionomie morale de la race. Qu’on se rappelle en effet qu’à l’heure où le symbo- lisme commençait ses premières armes, un vent glacé de litté- ratures septentrionales et de philosophie allemande soufflait sur la France. Notre poésie donna d’abord dans l’étrange et l’extraordinaire. A côté des purs talents comme ceux d’un Vielé- Griftin, d’un Henri de Régnier, d’un Verhaeren, des poètes un peu désordonnés et grisés par l’air de liberté qui faisait palpi- ter d’aise la jeune génération idéaliste au sortir des étroites prisons du naturalisme, se permirent quelques gambades ga- mines, vite mais trop tard réprimées. Il appartenait aux tout récents poètes, après le premier moment d’enthousiasme déré- glé, de rendre à notre poésie son équilibre rompu et de conti- nuer l’effort des prédécesseurs avec plus de clairvoyance. La première génération symboliste s’était groupée sous un dra- peau et formait une école un pou étroite; les circonstances né- cessitaient cette homogénéité tyrannique. M. de Noisay, encou- ragé par l’exemple de quelques autres poètes de son âge, vit Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/402 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/403 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/404 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/405 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/406 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/407 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/408 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/409


VALENTINE DE SAINT-POINT


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Bibliographie. — Poèmes de la Mer et du Soleil (Vanier- Messein, Paris, 1905); — Trilogie de l’Amour et de la Mort : I, Un Amour; If, Un Inceste (Vanior-Messein, Paris, 1906-1907): III, Une Mort (Figuiére, Paris, 1911): — Poèmes d’Orgueil (Édi- tions de l’Abbaye, Figuiére, Paris, 1908); — Le Déchu, drame représenté sur le Théâtre des Arts le 28 mai 1909 {Nouvelle Re- vue, 1909): — Une Femme et le Désir, roman (Vanier-Messein, Paris, 1910); — L’Orbe pâle, poème psychologique, avec por- trait à la sanguine de l’auteur par lui-même (Figuiére, Paris, 1911); — La Guerre, poème héroïque (Figuiére, Paris, 1911) ; — La Femme dans la Littérature italienne [avec des poèmes de Dante, Pétrarque, Léopardi, etc., traduits par l’auteur], confé- rence prononcée à l’Université Nouvelle de Bruxelles le 5 dé- cembre 1910 (Figuiére, Paris, 1911); — La Soif et les Mirages, poèmes (Figuiére, Paris, 1912). M me Valentine de Saint-Point a collaboré à la Plume, au Siè- cle, au Monde illustré, à l’Europe Artiste, à la Rénovation Esthé- tique, à la Grande Revue, à la Nouvelle Revue, où elle publia entr< autres une étude sur Lamartine et des lettres inédites du grand poète à sa sœur, M m » de Cessiat, au Gil Blas, à Y Auto, à la Re vue des Lettres, à la Phalange, à Akadémos, aux Argonautes, ■ Vers et Prose, à Montjoie! à quelques revues et journaux ita- liens, etc. Petite-nièce de Lamartine et petite-fille du marquis César- Emmanuel de Glands de Cessiat, M m « Valentine de Saint-Point ressentit, tout enfant, la vocation poétique. A quatorze ans, ell» publia ses premiers vers, qui furent couronnés, dans la revu. familiale La Joie de la Maison. Mariée ensuite à uu député el ancien ministre bien connu, dont elle se sépara afin de pou- voir se consacrer exclusivement aux lettres, elle collabora à d< nombreux journaux et revues et fit paraître, en 1905, Les Poème de la Mer et du Soleil, qui révèlent une inspiration puissante t originale sous une forme à la fois classique et moderne. Ces po» «nés, qui évoquent les rythmes de la Méditerranée et des pay.’ du soleil, de la Corse, du Maroc, de l’Espagne et de l’Italie furent fort bien accueillis par la critique. « Ces pages étonnantes, écrivit M. Léo Claretie, tant elles sont poignantes vibrantes, émues. Rarement on a mieux senti et fait sentir

joie, panthéiste et païenne, de se tremper dans la nature et d> Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/411 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/412 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/413 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/414 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/415 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/416

Que pour se mieux donner il reste solitaire,
T’aime sans inconstance et sans yeux pour la Terre ;
Que tant d’ardeur, d’amour et d’exaltations
Te laissent insensible,
Soleil, est-ce possible ?

(Poèmes d’Oigueil.)




MICHEL VASSON


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Bibliographie. — Vers l’Oubli, poèmes (Lemerre, Paris, 1905) ; — Les Festins de la Mort, poèmes (Lemerre, Paris, 1906) ; — Le Cri du Néant, poèmes (Lemerre, Paris, 1908).

M. Michel Vasson a collaboré au Penseur, à la Revue des Poètes, aux Lettres, etc.

M. Michel Vasson est né à Romagnat, près Clermont-Ferrand, le 20 juin 1873. Ses études classiques terminées, il prit quelques inscriptions à la Faculté de droit de Paris, puis délaissa le droit pour s’adonner complètement à la littérature. Il a publié jusqu’ici trois recueils de poèmes : Vers l’Oubli (1905), Les Festins de la Mort (1906) et Le Cri du Néant (1908), trois œuvres qui, à vrai dire, n’en font qu’une, par la continuité de l’inspiration.

« M. Vasson, a écrit M. Auguste Dorchain, est un poète philosophe ; sa philosophie est un pessimisme, ou plutôt un stoïcisme héroïque. Il évoque le souvenir de Lucrèce et de Leopardi, de Leconte de Lisle et de M m ° Ackermann. Pas d’espoir même en ce dieu nouveau qui viendra dans le crépuscule des dieux qui s’en vont ; mais, quand même, l’orgueil de vivre noblement une vie sans issue vers le bonheur, et de juger, du moins, les forces inexorables auxquelles on est condamné d’obéir. Une immense tristesse emplit ces livres, mais une grande pitié aussi, qui s’étend à tous les êtres soumis à la souffrance

et à la mort. »
DEVANT LE SPHINX

Le destin m’a conduit sur la route thébaine,
Malgré l’odeur de mort éparse dans le vent,
Sans un murmure, ô vierge au regard décevant,
J’ai suivi pas à pas le Destin qui me mène.

Tes yeux faux ont souri dans ta face inhumaine :
Voici mon corps que nulle égide ne défend ;
Mais si tu crois épouvanter mon cœur d’enfant,
Monstre aux ongles d’airain, ton espérance est vaine.

Mes os s’entasseront sur tes rudes sommets,
Qu’importe ! mon grand cœur ne faiblira jamais ;
Je ne tremblerai pas sous ta lâche morsure.

Ma misérable chair, tu peux la déchirer :
Mon cœur a revêtu comme une bonne armure
L’âpre orgueil de souffrir et de désespérer.

(Vers l’Oubli.)

LA VAINE MENACE

Le formidable éclat de ton glaive de feu
Ne saurait effrayer, désormais, vieil archange,
Nos cœurs désemparés et vautrés dans leur fange !
Nous avons oublié les promesses de Dieu.

Trop de souffrance, hélas ! a tué notre rêve ;
Qui de nous se souvient des gloires de l’Eden !
Pour défendre le seuil de l’antique jardin,
Notre misère est plus puissante que ton glaive.

Va, garde les fruits d’or entre tes mains sévères.
Au seul attouchement de nos lèvres arnères
La plus douce liqueur se changerait en fiel…

Nous avons tant vécu dans la nuit de l’abîme
Que nous marchons, heureux d’une lumière infime,
Sans regretter l’azur impossible du ciel.

(Les Festins de la Mort.)
NE PARLEZ PAS D’AMOUR
ET DE FRATERNITÉ

Ne parlez pas d’amour et de fraternité :
N’ajoutez pas à tant d’opprobres le mensonge.
La bonté n’est qu’un leurre, et l’amour n’est qu’un songe.
Hommes, votre douceur n’est qu’une lâcheté !

La justice, le droit, la paix, la liberté :
Vaines illusions que la crainte prolonge…
Aussi loin que mon œil infatigable plonge,
Je ne vois que le mal et que l’iniquité.

Puisque le sang d’un Dieu n’a pu sauver le mon le,
Rien ne saurait guérir ta misère profonde,
Cœur de l’homme, plus froid et plus dur que l’airain.

O vieux cœur qu’un mirage impossible fascine,
Tu ne chasseras pas ta lointaine origine.
Le sang qui te remplit est celui de Gain.

(Le Cri du Néant.)

LE DERNIER HOMME
I

Quand la mort fermera son invincible étreinte
Sur ta poitrine où bat le dernier rêve humain,
Voudras-tu l’écarter d’un geste de ta main ?
Jetteras-tu vers le ciel noir ta lâche plainte ?

Non, tu te livreras à sa caresse sainte,
Sachant que tout, hormis son grand repos, est Vain ;
Ta chair s’enfoncera dans le sommeil sans fin,
Et n’ayant plus d’espoir tu n’auras pas de crainte.

Sentant sombrer le monde en sa lente agonie,
Ton âme goûtera la douceur infinie
De voir mourir avec elle son souvenir,
néant qui fus tout, lumière de la fange,

Et qui connus un jour le privilège étrange
De pouvoir espérer et de pouvoir souffrir !

II

Rien ne sera, quand sera morte ta pensée,
Rien ne sera, quand sera morte ta douleur,
Et le monde taira sa rumeur insensée,
Dernier homme, au dernier battement de ton cœur.

Pourquoi, pourquoi tant d’espérance dépensée,
Tant de gloire, tant de beauté, tant de ferveur ?…
Nul ne reprendra l’œuvre à peine commencée ;
L’oubli demeurera le suprême vainqueur.

Les dieux s’effaceront avec tes derniers rêves,
Tes dieux vains plus nombreux que le sable des grèves,
Les dieux, fils surhumains de ton humanité.

Le monde entier mourra de ta mort, humble atome
Qui portais tout un monde au fond de ton cœur d’homme,
Et qui rêvais pour ton néant l’éternité !

(Le Cri du Néant.)


LA FIN DES RÊVES
I

Sur le tertre stérile où rien ne le protège,
Le vieux Christ délabré pend à sa vieille croix
Qui fléchit chaque jour un peu plus, sous son poids,
Et sous le vent impitoyable qui l’assiège.

Son bois décoloré s’est fendu par endroits,
Sous les soleils, sous les averses, sous la neige ;
Et, mutilés jadis par un bras sacrilège,
Ses poings sont des moignons lamentables sans doigts.

Mais le martyr divin, debout sur son calvaire,
Ses deux bras étendus sur l’horizon sévère,
Fait son geste sublime, interminablement,

Et livre aux quatre vents son âme solitaire,
Parmi 1 hostilité féroce de la terre
Et la froide tranquillité du firmament.

II

Devant le gibet noir que battent les vents fous,
Fixé sur le portail vermoulu d’une grange,
Un hibou monstrueux, comme une loque étrange,
Pend au battant disjoint où l’attachent deux clous.

Ses grands yeux desséchés ne sont plus que des trous.
Sous la vermine infatigable qui le mange,
Sa tête se déplume et son aile s’effrange ;
Une effroyable odeur sort de son ventre roux.

Et nul ne les salue, et nul ne les regarde,
Les deux crucifiés à la tête hagarde,
Le misérable oiseau, le rédempteur divin ;

Et tous deux, depuis bien des heures, face à face,
semblent suivre de leurs yeux morts où tout s’efface
La haine et la douleur passant sur le chemin.


III

Au-dessous d’eux, sous le ciel lourd de trahisons,
Traînant de l’aube au soir son labeur et sa peine,
Toute une humanité fiévreuse se démène,
dans le décor changeant de l’heure et des saisons.

Là-bas, devant le seuil hostile des maisons,
Des mendiants très las geignent leur plainte vaine ;
Des chevaux surchargés, et qu’une brute mène,
Tombent. Partout du deuil à tous les horizons.

Partout, sur chaque mont et sur chaque colline,
Ployés sous le poids de leur tête qui s’incline,
Dans le calme des nuits, dans la fureur des jours,

D’autres Christs mutilés et d’autres bêtes mortes
Font sur le bois des croix et sur le bois des portes
Le geste de pleurer et de souffrir toujours.


IV

Tes croix penchent comme des troncs déracinés
Sur les calvaires nus que la bise ravage ;
Ta voix ne s’entend plus, ô Christ, et ton image
S’efface lentement au cœur des derniers-nés !


Tes croix penchent aux calvaires abandonnés,
Sur le ciel maintenant plus âpre et plus sauvage.
Le vent s’affole et la tempête se propage...
Laisse choir sur le sol tes vieux bras décharnés !

Laisse choir sur le sol tes mains désespérées !
Pour relever tant de misères effondrées,
Ton geste était trop pur, ton geste était trop beau.

Ton geste n’a pas pu faire naître les trêves.
Rentre, ô Christ, ô toi le dernier de nos grands rêves,
Dans l’oubli plus puissant que ton premier tombeau !


V

Tombe, éternelle nuit, sur toutes ces misères !
Tombe, éternelle nuit, sur toutes ces douleurs !
Rien n’a pu nous sauver, ni le sang, ni les pleurs ;
Nos blasphèmes sont vains et vaines nos prières.

Engloutis à jamais nos misérables cœurs,
Nos lâches cœurs plus froids et plus durs que les pierres !
Nous sommes las d’errer dans la nuit sans lumières.
L’ombre règne. La haine et le mal sont vainqueurs.

Sous le ciel implacable où meurent les étoiles,
Épave désormais sans rameurs et sans voiles,
Le monde, comme un vieux navire, peut sombrer ;

Sûrs de notre impuissance et de notre défaite,
Nous jetterons nos corps liés à la tempête.
Nous savons le néant de croire et d’espérer.


MME CÉCILE PÉRIN
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Bibliographie. — Vivre, poèmes (Éditions de la Revue Littéraire de Paris et de Champagne, Reims, 1906) ; — Les Pas Légers, poèmes (Sansot, Paris, 1907) ; — Les Variations du Cœur pensif, poèmes (Sansot, Paris, 1911).

Mme Cécile Périn a collaboré à la Plume, aux Annales. I mina, aux Lettres, au Festin d’Ésope, au Beffroi, au Volume, à la Femme nouvelle, au Feu, au Thyrse, à la Province, à la lievue Lit- téraire de Paris et de Champagne, à Arts et Lettres, à Antcc, au Penseur, etc.

Mme Cécile Périn, née à Reims le 29 janvier 1877, fit ses étu- des au lycée de sa ville natale. Elle eut de bonne heure le culte de l’Art, et se voua toute jeune à la poésie. De petites feuilles locales accueillirent ses premiers essais. Elle s’adonna aussi pendant quelque temps à la sculpture, mais elle dut l’abandon- ner après son mariage avec le poète Georges Périn.

Mme Cécile Périn a publié jusqu’ici trois volumes de vers : Vivre (1906), Les Pas Légers (1907) et Les Variations du Cœur pensif (1911). On lui doit, en outre, des contes en prose et des critiques d’art.

D’expression infiniment délicate, la poésie de M me Cécile Périn est ardente et sincère. La sensibilité exquise de la jeune poé- tesse, ses beaux élans d’amour et de tendresse, se traduisent en strophes caressantes. Tels de ses poèmes nous la montrent ca- pable d’une singulière énergie de sentiment 1 .

1. Mme Cécile Périn vient de publier un nouveau recueil de poèmes : La Pelouse (Sansot, Paris, 1914). Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/426 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/427 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/428 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/429


ROBERT VALLERY-RADOT


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Bibliographie. — Les Grains de Myrrhe (Sansot, Paris, 1906) ; — In Memoriam, plaquette de vers (Collection de Y Occident, Paris, 1907); — L’Eau du Puits, poèmes, ouvrage couronné par l’Académie française (Éditions de la Revue des Poètes, Pion, Paris, 1909); — Leur Royaume, roman (Pion, Paris, 1910); — L’Homme de désir, roman (Pion, Paris, 1913). En préparation : Le Sang de la Coupe, roman; Les Cancpha- res, pièce en quatre actes; Les Romans de la Béatitude, trilo- gie [Les Fruits du Verger, V Affamé, Le Thabor]. M. Robert Vallery-Radot a collaboré à la Plume, aux Essais, à Y Ermitage, à la Revue des Poètes, h la Quinzaine, à YOccident, à la Grande Revue, à la Revue Hebdomadaire, etc. Arrière-petit-neveu d’Eugène Sue et d’Ernest Legouvé, M. Ro bert Vallery-Radot, né le 31 juillet 1886 aux Alleux, par Aval Ion (Yonne), propriété de sa famille, descend, du côté paternel d’une famille de notaires et de juges originaire du Morvan. S; mère appartenait à une famille parisienne depuis six généra- tions, d’avoués et d’architectes, qui fut de tout temps très pieuse Son arriére-grand’mére était née de Bonnevie de Poizat. Pa elle, il a une petite goutte du sang des croisés. Un graud-ouci de sa grand’mère maternelle, Alphonse Royer, fut directeur ci l’Opéra sous le second Empire; il fut aussi vaudevilliste médio- cre. L’arrière-grand-père de sa grand’mère. l’architecte Bertault bâtit le Palais-Royal. Le grand-père paternel de M. Vallery Radot fut un littérateur estimé; il publia, durant qu’il étai bibliothécaire du Louvre, Les Chefs-d’œuvre des classiques fran çais, en collaboration avec A. de Courzon. Il fut chef de cabine du ministre de l’intérieur, Alfred Leroux. M. Robert Vallery-Radot a vécu, par gôut, une adolescenc très solitaire; passionné de lectures, il recherchait le silenct Les Alleux furent le parc somptueux où s’éveillèreut tous se rêves. C’est parmi les rocs farouches du Morvan, les pins, k chênes gigantesques, dans ce site superbe que fêtaient des soit d’une gloire inouïe, des nuits d’un silence et d’une splendci indicibles, qu’il a commencé de balbutier son amour de Die et de la Nature, ses premiers émerveillements devant la Vi< Armé de fortes études classiques par la métliodo antique 0<

Jésuites, il a pu vagabonder dans les littératures les pi’ Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/431 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/432 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/433 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/434 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/435 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/436 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/437 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/438 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/439 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/440 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/441 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/442 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/443 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/444 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/445 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/446 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/447 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/448


Car depuis qu’elle a vu son type originel,
Elle sait que l’amour n’est que dans l’éternel.

Et, reniant sa chair, elle aspire à renaître
Plus digne de sa joie en immolant son être.

(L’Eau du Puits : Les Soifs.)




FERNAND DAUPHIN
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Bibliographie. — Odes à voix basse (E. Sansot et Cie, Paris, 1907).

M. Fernand Dauphin a collaboré à la Lorraine Artiste, à la Grange-Lorraine, à la Revue littéraire de Paris et de Champagne, etc.

M. Fernand Dauphin, né à Nancy le 30 septembre 1876, fut élevé par ses grands-parents. Il fit ses études au lycée de sa ville natale et passa sa licence à Paris. Entré à vingt-cinq ans à l’administration de l’Assistance publique, il consacre à la poésie les loisirs que lui laisse l’exercice de ses fonctions.

Le premier volume de M. Fernand Dauphin, Odes à voix basse ; paru en 1907, est une œuvre d’émotion et de sincérité. La sensibilité du poète, toujours en éveil, est vivement affectée par tout ce qui l’entoure, son âme est « une eau changeante » qui sans cesse fait et défait son univers. Pour M. Fernand Dauphin le poète est bien « celui qui jamais ne vit par habitude ». Tout le passionne, les choses lui paraissent neuves chaque jour. S’il a traversé les crises de douleur qui seules font les vrais poètes, il y a trouvé la sérénité qui est au fond de sa philosophie, et il n’en aime que mieux la vie, il veut « la vénérer chaque jour davantage, de plus en plus la mériter ».


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GUY LAVAUD
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Bibliographie. — La Floraison des Eaux, plaquette (Biblio- thèque de l’Occident, Paris, 1907 ; épuisé) ; — Du Livre de la Mort, plaquette (Éditions de la Phalange, Paris, 1908; épuisé); — Des Fleurs, pourquoi... (précédé d’une réimpression choisie de La Floraison des Eaux et Du Livre de la Mort] (Cornély, Paris, 1910). En préparation : Dans les Vallées du Pcrigord, prose. M. Guy Lavaud a collaboré aux Poèmes, aux Essais, à la. Réno- vation Esthétique, au Prisme, à la Chronique, à l’Œuvre Inter- nationale, aux Gerbes, au Beffroi, aux Tendances Nouvelles, a la Parole Républicaine, aux Annales Politiques et Sociales, à la Phalange, à la Nouvelle Revue, au Feu, à l’Ermitage, à l’Occi- dent, etc. Il a fondé on janvier 1908, à Nice, la Revue des Lettres et des Arts. M. Guy Lavaud est né à Terrasson le 9 août 1883. Licencié en droit, il fut successivement répétiteur, clerc d’avoué, rédacteur stagiaire à la préfecture de Nantes, chef de cabinet du préfet de la Loire-Inférieure, secrétaire du gouvernement de la prin- cipauté de Monaco. Il est actuellement conseiller de préfecture au Mans (Sarthe). Ayant fondé, en janvier 1908, à Nice, l’intéressante Revue des Lettres et des Arts, M. Guy Lavaud compta parmi ses collabo- rateurs MM. Guillaume Apollinaire, Fagus, Léon Frapié, Pierre Hepp, Tristan Klingsor, Louis Mandin, Camille Mauclair, Fran- cis de Miomandre, Alfred Mortier. Maurice de Noisay, Georges Périn, Edmond Pilon, Jacques Reboul, Lucien Rolmer, Louis de Romeuf, Jean Royère, Han Ryner, Edouard Schuré, Emile Sicard,Paul Souchon, Théo Varlet, Francis Vielé-Griffin, Tan- crède de Visan, etc. Dans l’exquise plaquette : La Floraison des Eaux (1907), nous assistons à l’éclosion d’un beau talent, harmonieux, sincère et original. Le poète, qui est essentiellement, comme le dit fort bien M. Henri Martineau, un élégiaque et un poète de l’amour, a revécu la scène immortelle de l’étaug d’Elseneur. Nouvelle Ophélie, souriante et pâle, son âme douloureuse, lasse de souf- frir, s’abandonne au courant de son rôve mélancolique, et ceux qui liront ce livre « la trouveront noyée aux strophes des douloureux poèmes où elle a désappris le courage de vivre en effeuillant des fleurs déjà fanées et vaines ». Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/458

OR, L’ÉTANG D’ELSENEUR

II

Quelle vie singulière était celle de l’eau
Que les berges avaient captée dans leur anneau
Et qui semblait quelque autre et nouvelle nature
Où, dans de l’air liquide, auraient crû des ramures.
Un seul arbre emplissait d’une forêt l’étang,
Et ses bourgeons, parmi l’aquatique Printemps,
Ainsi que des nuées couvraient le ciel inverse
D’où montaient quelquefois les larmes de l’averse.
De prestes poissons clairs glissant dans les roseaux
Y passaient comme un vol vertigineux d’oiseaux,
À moins que, dans l’été, sous la fraîcheur des feuilles,
Le sommeil ne les fît pareils aux fruits qu’on cueille
Ou que, frappée d’un rais de soleil égaré,
Leur fuite n’eût l’éclat fugitif de l’acier
Et ne fît poudroyer dans un remous les sables.
Quand l’Automne venait cueillir de ses mains pâles
Chaque feuille rouillée, l’étang clair accueillait
Leurs cadavres, sur qui la lune au soir veillait,
Grave, comme pour dire une messe nocturne.
De loin en loin, au ciel de l’eau montaient des bulles
Qui troublaient, semblait-il, le beau silence uni,
— Soupir par quoi l’étang exhalait son ennui.
Et l’hiver, quand l’espace était blanc de nuages
Porteurs de vent, de pluie, de neige et de rafales,
Il se cachait souvent frissonnant et transi
Dans des prisons de glace opaque, comme si,
Fermant les yeux afin de ne pas voir les arbres
Roidis par les gelées, hâves et lamentables,
Il eût, pour les rouvrir, attendu que revînt
Le Printemps vagabond qui fleurit les Matins !


(La Floraison des Eaux.)

OR, L’ÉTANG D’ELSENEUR...

IX

Pour mirer ta pâleur, à tout jamais de morte,
Les eaux sont encore trop vives qui s’endorment,
Il faut fuir les étangs qu’autrefois nous aimâmes
Et plus loin s’enfoncer dans l’exil, ô mon âme.

Après l’eau des ruisseaux, — ô notre enfance neuve, —
Le blanc ruissellement des torrents, puis des fleuves,
Et l’immobilité des lacs couleur de perle,
Après le triste étang où stagnent les eaux vertes,
Où vas-tu, ma Folie, courber ton doux visage ?
Ta tristesse fuira en pleurs dans quelles glaces !

Si tu veux, nous irons vers celles où le verre
Garde en ses doigts secrets l’eau d’argent prisonnière,
Et là, nous arrêtant auprès de la captive
Qui ne pourra jamais, par quelque nuit, furtive,
Se glisser hors des rets rigides qui l’enserrent,
Nous parlerons à cette sœur de notre peine, —
Et l’eau qui s’est, jadis, en ce miroir gelée,
En qui toute la vie du monde est reflétée,
Sans qu’elle y puisse, un seul instant, mêler la sienne,
L’eau qui souffre de tous ces liens qui la retiennent
Et l’empêchent d’aller, ainsi que font les autres,
Vivre la vie du fleuve ou des cascades hautes,
L’eau qui, vive et joyeuse, en ce miroir enclose,
S’est faite grave et semble morte à toutes choses,
L’eau qui souffre et s’émeut en silence, ô mon âme,
Sans doute comprendra la raison de tes larmes !

(La Floraison des Eaux.)


TOI, TU RIAIS...

Toi, tu riais, levant les yeux vers le miroir
Où s’animait d’un peu de rouge ton visage.
Moi, je fermais les yeux afin de ne pas voir
Ce beau couchant cruel sur ton doux paysage.

Et tu disais : « Mon mal est comme un grand amant.
Hier il me rudoyait, maintenant il me pare.
Ces lys-là, sur mon front, viennent de son tourment,
Ma bouche saigne encor de son désir barbare ;
Mais les roses de fièvre, aux pétales épars,
Dont le rose déteint demeure sur ma joue,
C’est lui qui me les donne alors qu’il se fait tard,
Pour que dans l’insomnie avec elles je joue ;
Dans mes yeux de lumière et que tu aimes tant
Ces massifs de bleuets, ces rangs de violettes,
C’est lui qui les rend grands et beaux en y versant
Les émouvantes eaux de mes larmes secrètes. »

Moi je pensais : « Quel peintre émouvant est la Mort,
La Mort qui fait éclore en toi des fleurs si belles
Et naître du désastre obscur d’un pauvre corps,
Chaque instant que tu meurs, quelque beauté nouvelle. »


(Du Livre de la Mort.)


FRANÇOIS PORCHÉ
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Bibliographie. — À chaque jour... [A chaque jour comme j’ai pu, comme il m’advint], poèmes (Société du Mercure de France, Paris, 1907); — Au loin, peut-être..., poèmes (Société du Mercure de France, Paris, 1909); — Humus et Poussière, poè- mes (Société dn Mercure de France, Paris, 1911). M. François Porche a collaboré au Mercure de France, à la Renaissance Latine, aux Lettres, à l’Ermitage, aux Cahiers de la Quinzaine, aux Essais, à la Revue des Charentes, à la Petite Gi- ronde, etc. M. François Porche (Pierre-Louis-François), né à Cognac (Charente) le 21 novembre 1877, fit ses études au collège de cette ville jusqu’à la classe de quatrième, puis, en qualité d’in- terne, au lycée d’Angoulème, d’où il sortit bachelier es lettres. Venu à Paris à la fin de 1895 pour y faire son droit, il quitta en 1897 la capitale pour aller continuer ses études à Bordeaux, mais il revint bientôt à Paris. Après une interruption de cinq mois, pendant lesquels il fit un voyage en Allemagne, il reprit ses études, obtint le diplôme de deuxième année, puis, se sen- tant attiré vers les lettres, abandonna pour un temps le droit. Vers cette époque il accomplit son service militaire à Angou- lème. De retour à Paris, il prépara pendant quelque temps la licence es lettres-philosophie, mais il se vit forcé de renoncer à ce projet. Finalement, après avoir essayé de divers métiers et s’être fait successivement employé de commerce, agent d’assu- rances, etc., il reprit ses études de droit et se fit recevoir licen- cié en 1905. Il fit son stage de 1905 à 1907, au barreau de Paris, et partit bientôt après pour Moscou. Il y resta quelques années, puis revint s’établir définitivement en France. Comme le promet son titre, le premier livre de M. François Porche : A chaque jour comme j’ai pu, comme il m’advint, est une confession sincère; l’auteur l’a conçu dans la franchise de son âme libérée de toute fausse honte. Il y raconte fidèlement) simplement et sans effort vers l’ « éloquence », ses impressions de la vie, ses joies et ses douleurs, ses amours, ses amitiés, ses admirations, ses luttes et ses défaillances, et s’il n’essaye aucunement de farder la vérité, sa confession est également exempte de cynisme. Ce qui la rend particulièrement touchante, c’est la sincérité du regret que lui font éprouver les fautes Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/464 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/465

TOUT LE JOUR, À TRAVERS PLAINES...[modifier]

Tout le jour, à travers plaines, moissons, prés verts,
Rouges labours, damier qui tournoie, à travers
La panique des peupliers, et des passages
Brusques d’un paysage à d’autres paysages, —
Poteaux et fils où pend en loques la vapeur,
Ferrailles et sifflets et, dans le soir, la peur
D’être gagné de vitesse par la nuit bleue, —
Le rapide a brûlé les rails de lieue en lieue.
Ô cauchemar ! rouler, courir, toujours plus loin !
Affolement des trains surpris par la male heure,
Et toi, dodelinant tes rêves dans ton coin,
Le front cherchant le frais sur la vitre qui pleure,
D'où cette fièvre qui t’agite ? est-ce de voir,
À son poste, là-bas, exacte et quotidienne,
Et patiente et résignée à son devoir,
Telle pauvre gare perdue, humble gardienne
Allumant ses signaux fidèles dans le noir ?
Est-ce regret de fuir, songeant qu’un wagon ivre
Laisse derrière lui, peut-être, un site où vivre
Serait un doux repos plein de roses, pour qui
S'en revient des cités de fumée et d’ennui ?
Mais la nuit qui s’est mise en marche à l’horizon,
Se rapproche en rampant de l’arbuste au buisson,
Et, d’un bond, se cramponne au rapide qui passe !
Et maintenant sa bouche est là, contre la glace,
Qui s’écrase gluante et moite... Rien de plus
Qu’une lueur qui court vite sur les talus,
Et que le battement berceur et monotone
Du train oppressé par l’ombre, qui s’époumone...

Compagnons de hasard, dormeurs mystérieux,
Vers quel songe angoissant sont-ils tournés, vos yeux ?
Têtes qui vous penchez si lourdes sous les lampes,
Quelle poursuite a mis ces sueurs sur vos tempes ?
Quel effort pour s’enfuir, en traînant tout le long
D’un ohemin interminable des pieds de plomb ?
Sommeil, relâche du visage, flasques joues,
Où se détend, ô masque, l’orgueil que tu joues !

Fronts ravagés, vieillis tout à coup de dix ans,
Plis des bouches, las de plaisirs ou méprisants,
Et ce désordre des cheveux, ces pattes d’oie.
Flétrissures de la douleur et de la joie !
Compagnons ballottés dans vos manteaux, pressés
D’arriver j’ignore où, venant d’où je ne sais,
Vous que transperce à chaque sursaut des voitures
Cette vrille de quels remords et courbatures,
Serait-ce de porter tant d’ombre de départs,
D’attentes, de destins errants, demain épars,
Que le train haletant d’inquiétude beugle,
Et sent une âme éperonner sa course aveugle ?
Ô froissements des nerfs à vif, lorsque le frein
Dans des jets de vapeur crisse contre la roue,
Noms des gares, criés d’une voix qui s'enroue,
Dans le ruissellement, sur des tôles, d’un grain,
Bruits retrouvés, toujours pareils, et vous, de même,
Images des modernes voyages, qu’on aime :
Odeur de houille, odeur de poussière et de cuir,
Âcre parfum de notre rêve, à nous, de fuir,
De nous évader loin d’où notre âme est liée,
Recluse en quelque chambre et sur soi repliée !
Pour tout de bon, vraiment, un soir comme aujourd’hui,
S’en aller, planter là son âme sédentaire
Avec son pauvre fond de phrases et d’ennui,
Et Dieu sait où, vagabonder... Grande est la terre.

(À Chaque Jour...)

ENCORE SI LE CŒUR ÉTAIT SEUL A SOUFFRIR[modifier]

Encore si le cœur était seul à souffrir !
Lorsqu’il a gaspillé sa triste force, il goûte
L’endormeuse douceur d’un grand vide et s’écoute,
Comme une source au loin qui s’épuise, mourir.

Et même quand bientôt il repart, quand il mène
Son vacarme étouffé derrière la cloison,
Quelque sourd qu’il paraisse et de faible raison,
C’est un cœur, après tout, qu’un rien souvent ramène.

Mais le sang, la tiédeur animale, chacun
Des mouvements profonds qui composent la vie,
La plus intime ardeur, la plus secrète envie,
Entre nous tout cela qui ne faisait plus qu’un ;

La chair, l’instinct, un monde obscur qui tenait d’elle
Ses heures de volupté lasse ou de désir,
Et qui veuf maintenant, frustré de son plaisir,
En garde un souvenir terriblement fidèle ;

Que répondre à ces voix qui réclament leur dû ?
Que dire à ce troupeau d’aveugles qui ne cesse
De pleurer, sans souci d’honneur ou de bassesse,
L’étreinte dénouée et le baiser perdu !

(À Chaque Jour...)

ET J’APPRIS CE QUE C’EST QUE DE SOUFFRIR[modifier]

Et j’appris ce que c’est que de souffrir : on creuse
Un terrain qui, d’abord, semble étroit, quelque arpent,
À peine, d’herbe rare et de glèbe pierreuse.
Mais, à mesure que, tâtonnant et rampant,
Vers le bas, du côté des ténèbres, l’on plonge,
Le champ de la tristesse à l’infini s’allonge.
Souffrir, c’est lentement perdre les yeux du corps,
C’est, bientôt, ne plus voir les choses du dehors
Et le ciel qu’à travers un déluge de cendre,
C’est au dedans de soi, chaque jour plus avant,
Jusqu’où meurt le grand bruit de la cité, descendre,
Et là, comme un mineur scrute l’ombre, en levant
Au-dessus de son front sa lampe qui vacille,
C’est marcher dans la nuit, sans autre feu qui brille
Que la lueur de sa conscience. L’instinct
Qui vous guidait, parfois un souffle obscur l’éteint :
On s’égare, on se heurte, un soir, contre une idée,
Et, lorsque de fatigue on s’endort, obsédée,
L’Âme qui rêve tourne et revient sur ses pas,
Tâte le mur, voudrait s’enfuir et ne peut pas...
Mais cependant qu’au fond de l’œil en pleurs s’efface

L’image des décors qui l’ont charmé, souffrir,
C’est aussi dans son cœur, par degrés, découvrir
Tout un monde nouveau, c’est, lorsqu’à la surface
Les prés sont verts, l’azur serein, l’homme rieur,
Distinguer au-dessous, d’une étrange prunelle,
Le feu, le sombre feu qui couve, intérieur,
La Douleur primitive, actuelle, — éternelle.

(Au loin, peut-être : Paroles de la trentième année.)

UNE CHAMBRE D’HOTEL, LA NUIT, À VARSOVIE...[modifier]

Une chambre d’hôtel, la nuit, à Varsovie.

Il est de ces moments, quelquefois, où la vie
Montre tant de mystère et de solennité
Qu’autour de soi l’on sent bayer l’Éternité.
La minute présente et les maux que l’on souffre
Sont là comme une planche étroite sur un gouffre,
Et la planche bascule à chacun de nos pas.
Cet homme dont je vois les paupières rougies
Dans la glace et qui veille entre ces deux bougies,
Cet homme est moi, me dis-je, et je ne comprends pas.
Je regarde longtemps mes mains avec surprise :
Songer que je suis là, vivant, que le parquet
Sous le poids de mon corps, tout à l’heure, craquait,
N’est-ce pas une énigme où la raison se brise ?
Voyons, ne perdons pas la tête. — Eh bien ! François,
Quelle folie as-tu de douter que tu sois ?
Que te faut-il de plus que ton cœur pour le croire ?
As-tu donc oublié toute ta pauvre histoire ?

— Ô passé de malchance et de tristes amours,
Si le vent du côté de l’abîme m’emporte,
Déroule jusqu’à moi la chaîne de tes jours !
Lève-toi, ma douleur, dis que tu n’es pas morte !
Larmes dont j’ai les yeux encore tout brûlés,
Pour la seconde fois, dans mon âme, coulez !
Ne formez qu’une seule et bienfaisante pluie,

Tous ensemble, ô mes pleurs de jadis et d’hier,

Pleurs de l’enfant que vite une main tendre essuie,
Pleurs de l’homme, eau cuisante et pareille à la mer!
Que serais-je sans toi, chère vieille souffrance?
Lorsque mon cœur s’égare, est-ce dans l’espérance
Qu’il se retrouverait si tu disparaissais?
Hors toi, qu’ai-je de sûr et qu’est-ce que je sais ?
(Au loin, peut-être : Solitude au loin.)

LE BEAU NAVIRE[modifier]

Le beau navire lourd de songe,
La tête en bas, s’effondre et plonge
Dans la gueule d’un mastodonte;
Mais, déjà, des monstres bossus
Venant à sa rencontre, il monte
Dessus.
D’un bout à l’autre de sa quille
Glisse une gigantesque anguille ;
Des reptiles tachés de blanc
Font siffler autour de son flanc
Leurs queues,
Et le couvrent de baves bleues.
Quels grouillements ! Toute l’horreur
De la mer écume et se rue.
Mais lui, pareil au laboureur
Guidant le soc de sa charrue,
Tranquillement pousse à travers
Les gros paquets de serpents verts.
Absorbé dans un rêve, il creuse
Son sillon dans la plaine affreuse.

(Au loin, peut-être...)


GASTON SYFFERT


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Bibliographie. — Les Brumes de la Vie, poèmes (Éditions du Beffroi, Roubaix, 1907).

En préparation : L’Orgueil d’être, poèmes.

M. Gaston Syffert a collabore à Y Aube Nouvelle, à l’Œuvre d’Art International, dont il lui quelque temps le secrétaire de rédactiou, à l’Idée, au Libertaire, à l’Épreuve, etc.

M. Gaston Syffert (Gaston-Émile-Augusto), né à Cherbourg (Manche) le 5 octobre 1881, commença ses études au lycée de cette ville et les termina au Collège Ilollin, à Paris. Reçu bache- lier es lettres, il suivit quelque temps les cours de l’Ecole de physique et chimie, qu’il déserta bientôt pour se mêler a quel- ques-uns des petits cénacles qui existaient alors au Quartier Latin. 11 collabora à plusieurs journaux et fut pendant quelque temps secrétaire de la,rédaction de l’Œuvre d’Art International. Le premier volume de vers de M. Gaston Syllert, Les Brumes de la Vie, terminé depuis 1902, paru en 1907, résume admira-

bl "nient toute une jeunesse de rêves et d’espoirs, de déceptions

et de tristesses. Aux fougues juvéniles succèdent de longs abat- tements. Vaincu par le Sort, le poète pleure le passé aboli pour toujours, il a la nostalgie de l’Au-Delà, et « doucement bercé par l’espoir de mourir », il laisse sou âme se mêler à l’unie du crépuscule. La mélancolie, les brumes des soirs d’automne, l’ob- sèdent : Tous mes passés vécus ont môle leur poussière A la triste douceur de vos mornes ciels £ris, Et je vois s’agiter dans vos brumeux suaires Les larves des bonheurs dont mon cœur s’est dépris.,. Et cette obsession ne le quitte plus. Il ne maudit pas, cependant, le Sort contraire, et tels de ses poèmes nous le montrent résigné « à subir jusqu’au bout» la loi du Destin inexorable. Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/472 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/473


NICOLAS BEAUDUIN
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Bibliographie. — La Terre Mère, roman (Albin Michel, Paris, 1906) ; — Le Chemin qui monte, poèmes (Sansot, Paris, 1908) ; — Les Triomphes, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1909) ; — La Divine Folie, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1910) ; — Les Deux Règnes, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1911) ; — La Revue Nocturne, plaquette (hors commerce, 1911) ; — Les Cités du Verbe, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1911) ; — Les Princesses de mon Songe, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1912) ; — Les Sœurs du Silence, poèmes (Édition des Rubriques Nouvelles, Paris, 1912) ; — Les Campagnes en Marche, roman (Basset, Paris, 1912). — En outre : Quelques-uns : L’Évolution de Maurice Barrès (Jouve, Paris, 1910).

En préparation : Les Veilleurs de nuit, roman ; La Cité des Hommes, poèmes ; Les Soleils crucifiés, poèmes.

M. Nicolas Beauduin a dirigé la revue littéraire : Les Rubriques Nouvelles (1908-1912) ; il a fondé une « anthologie trimestrielle de haute littérature », La Vie des Lettres (1913). Il a collaboré à Vers et Prose, aux Rubriques Nouvelles, à Pan, au Gil Blas, à la Revue Indépendante, au Feu, à Durendal, au Thyrse, à la Vie des Lettres, etc.


M. Nicolas Beauduin, né à Poix (Somme) le 10 septembre 1881, fit ses études au collège d’Abbeville et au lycée d’Amiens. Il débuta dans les lettres, en 1906, par un roman, La Terre Mère, qu’il renie aujourd’hui, puis il publia successivement, de 1908 à 1912, six volumes de vers : Le Chemin qui monte (1908), Les Triomphes (1909), La Divine Folie (1910), Les Deux Règnes (1911), Les Cités du Verbe (1911), Les Princesses de mon Songe (1912) et Les Sœurs du Silence (1912).

Malgré quelques inégalités et telles défaillances de mots et de style qu’il n’est que trop facile de relever dans son œuvre touffue et tumultueuse, ce jeune poète est un des mieux doués de sa génération. Par sa fougue, son élan, il se rattache aux grands lyriques, à Hugo, à Verhaeren, tout en conservant son originalité propre, qui est, selon nous, d’être un poète essentiellement voluptueux, cédant avec ivresse aux violentes tentations du monde sensible, de la ligne, de la couleur, de la lumière, et dont les sensations sont aiguës jusqu’à la souffrance, un poète exaspéré par la torture de la chair, et en même temps un ardent idéaliste qui aspire constamment à s’élever au-dessus du contingent pour atteindre l’absolu. C’est ainsi qu’en s’élançant dans le rêve, il y retrouve son tourment, toutes ses souffrances, toute la brûlure de sa douleur :


Quelle douleur en moi ! J’en suis las. J’agonise.
Les champs en vain se parent d’or comme une église ;
L’aurore peut danser en s’élançant des flots,
Avec un bruit folâtre et joyeux de grelots ;
Tous les ramiers du jour ont beau battre des ailes
Semblant jeter au monde une bonne nouvelle,
Moi, je me meurs d’un mal qui vient je ne sais d’où…
Je suis le blanc crucifié d’un réve fou !


Comme Émile Verhaeren, M. Nicolas Beauduin a été appelé un « poète du paroxysme[7] », et, depuis, il a revendiqué pour lui et les siens cette appellation. Gardons-nous, cependant, d’attribuer un sens trop exclusif à ce terme, sur la valeur duquel l’accord ne s’est pas fait encore, et n’essayons pas d’enfermer un poète dans une formule. Voici, au surplus, comment M. Nicolas Beauduin essaya de caractériser, non sans quelque inévitable erreur peut-être, son art et ses tendances, au cours d’une récente enquête sur « les tendances présentes de la littérature française[8] » : « Pour nous, le poète est de tous les temps, il s’apparente à ce qui a existé, existe ou existera. C’est là une de ses plus hautes facultés. Il n’est pas l’homme d’un système, d’une formule ou d’un procédé. Le poète n’est pas un ; il est divers, multiple, infini, protéen, changeant comme la vie, en perpétuel mouvement comme l’onde et la flamme. Il ne se contente pas du réel palpable, il lui faut le réel invisible. Le monde ne se limite pas pour lui aux choses contingentes ; il pense par delà les pensées, et s’en remet plus volontiers à son sens intime qu’à toutes les déclarations de la philosophie officielle. La vie n’est pas seulement ce qui est en nous, ce que nous palpons et voyons, mais elle est aussi dans ce que nous ne pouvons toucher, ne voyons pas et dans ce qui ne tombe pas sous les sens. Un vaste animisme se meut, dont la réalité nous échappe ordinairement, mais que le délire lucide nous révèle, aux heures où la vieille âme sibylline du monde se manifeste en nous et nous porte à cet état de visionnarisme ardent qui seul fait les grands poètes… Impérialisme esthétique[9] , paroxysme, exaltation, foi, enthousiasme, sont pour nous identiques. Et nous les revendiquons en opposition à la froide ou biscornue littérature présente… La littérature se révèle à nous avec la grandeur d’une religion[10] , et elle donne à la vie une valeur absolue. Nous voulons, en elle, retrouver ce grand courant d’illumination spirituelle, si longtemps interrompu, retremper nos espoirs dans une source de joie multanime, perdre le sentiment de notre petitesse en participant à une vérité plus haute, sentir notre moi individuel se grandir de l’apport des collectivités, être cette collectivité elle-même avec ses appétitions et sa soif insoupçonnée de révélation religieuse… En opposition avec le naturalisme des parnassiens et le romantisme et le symbolisme esclaves des sens, le poète paroxyste, lui, s’élève au-dessus du monde de la sensation; il le convertit en une œuvre libre, et le domine pour atteindre aux idées qu’il sensibilise à son gré. C’est que le pensé domine le vécu. Il n’est pas ainsi de réalisation poétique où la vie soit plus proche de l’art, le poète étant alors à la fois cause objective et cause efficiente.

« Le paroxysme, disons-nous alors, est l’objectivation des états radiants de notre âme de poète, — éminemment impressionnable et vibrant comme un résonnateur sous l’influence d’excitations soit émotionnelles, soit voulues, c’est-à-dire du domaine de l’esprit. Ces états radiants sont dus à une présence active ; ils tiennent le plus souvent à la persistance d’une idée fixe en nous, dont la contemplation intensifie nos émotions. porte à l’intuition prophétique où, dans une sorte d’extase triomphante, le poète égale toute la vie du monde.

« Nous sommes loin, on le voit, d’envisager la poésie comme le passe-temps des heures oisives. Elle est pour nous un état lyrique et inspiré ; c’est une foi, un désir passionné d’extérioriser les manifestations du moi profond, de les muer en actes, et de les rendre sensibles au moyen de rythmes adéquats, éminemment expressifs.

« L’exaltation n’est-elle pas la meilleure part de l’homme ? Alors que tant d’individus s’amoindrissent dans les banalités coutumières, nourrissons plutôt le désir d’une vie intérieure toujours plus intense, qui nous élève ainsi plus haut dans la réalité de l’Être. »

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LES ARGONAUTES

FRAGMENT


Et tous allaient joyeux, mâles, sacrés. Les côtes
Frémissaient sous l’essor viril des Argonautes.
Leurs rires éclatants roulaient dans le matin,
Musculeux, et semblaient terrasser le destin.
Des sens luxuriants, ivres d’un vin magique,
Les dotaient d’une fougue excessive et lyrique,
Qui rendait, dans la nue, au fond du ciel vermei
Jaloux le conquérant quadrige du soleil.
— Apollon pâlissait sous ce vol de tempête.
Et la nef s’exaltait dans l’éclatante fête
Des flots empanachés d’azur et de clartés.
Les bleus déchaînements des grands vents indomptés
Se brisaient sur les flancs du navire. L’abîme
S’échevelait. Partout un souffle qui ranime
Mêlait aux bruits confus et rauques des haubans
Le lyrisme effréné des rameurs sur leurs bancs.
Tous rayonnaient de sainte et radieuse attente,
Et leur âme semblait une mer débordante
Sur laquelle voguaient des trésors de splendeurs.
Ils respiraient sans fin d’entêtantes odeurs,
Et les nuits devenaient claires sous leurs prunelles.
Les rames n’étaient plus des rames, mais des ailes.
Les brises attouchaient le cordage des mâts,
Et les monstres chassés vers les fauves climats
Laissaient la mer en proie aux grâces des Sirènes ;
Sans cesse elles passaient, belles comme des reines,
Leur romance marine extasiait le ciel.
Les flots se balançaient d’un geste rituel
Sur l’abîme nautique où bondissent les proues.
Et tous chantaient, ravis : le soleil sur leurs joues
Epandait les rayons de son charme divin ;
L’air chatoyant et vif enfiévrait comme un vin
Béni par la bonté de Bacchus aux mains ivres,
Et les rochers vibraient à la façon des cuivres,
Rythmant le chaud triomphe épique des guerriers.
— Et tous, ils riaient tous, ces fiers aventuriers,

Chevauchant la folie et l’ivresse des vagues :
Les gouttes d’eau chargeaient leurs doigts comme des bagues,
Leur chevelure ailée, offerte au vent des mers,
Buvait l’odeur des sels et des goémons verts.
Les algues fleurissaient la carène exultante :
Les voiles se gonflaient du désir de l’attente,
Semblables à des seins tout palpitants d’amour ;
Sur elles les baisers magnifiques du jour
Mettaient comme un frisson d’allégresses divines.
— Parfois un cri venu des lointaines collines
Où les pâtres, couverts de vêtements de peaux,
Promènent la langueur agreste des troupeaux,
Saluaient la splendeur de la course nautique.
Et le chêne, toujours, le chêne prophétique,
Que le sol de Dodone avait jadis nourri,
D’un hymne enthousiaste et fort, jamais tari,
Clamait sur la mer saint.’, en face des étoiles,
Parmi les baisers fous que se donnaient les voiles,
L’illumination du but religieux…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Les Triomphes.)

LES LAMENTATIONS DU CHRIST

FRAGMENT : CHRIST IMPLORE


Ne comprenez-vous point tout mon amour de feu,
Vaste comme l’azur auguste du ciel bleu,
Inaltérable et saint, immortel et céleste!
Vous êtes mon espoir et vous êtes mon vœu ;
Mes bien-aimés, sans vous que m’importe le reste!
Le reste ici n’est rien, votre bonheur ôté;
Pas même l’existence au sein de la beauté
               Lumineuse du Père.
Sans vous le ciel est vide, atroce et sans clarté!
Sans vous je me lamente et je me désespère!
Oh ! ma gloire n’est rien au fond du ciel jaloux,
S’il me faut à jamais la goûter loin de vous!
Tout ce que vous souffrez dans la torpeur du gouffre,

Là-haut, dans la clarté parfaite, je le souffre !
Quand un juste se meurt dans le deuil et la nuit,
J’agonise dans l’ombre et je meurs avec lui ;
Vos discordes, vos cris de meurtre et de rapines,
Me tressent sur le front des couronnes d’épines ;
Tous les êtres meurtris par vous, estropiés,
Font revivre les clous infâmes dans mes pieds ;
Tous les crimes d’en bas ravivent mon supplice ;
Et quand au noir poteau tous les bons sont liés,
               Quand l’injustice,
Au masque bestial, raille le ciel divin,
Quand un malheureux dit : « Frère, je meurs de faim ! »
Quand, dans la nuit où rampe l’imposture,
On pervertit, on ment et l’on torture,
Et qu’on tue, et qu’on souille, et qu’on éteint les voix,
C’est moi qu’on crucifie une nouvelle fois.

{La Divine Folie.)

L’ENNEMIE


Éternel, Dieu des cœurs robustes, fixe-moi,
Contemple mes tourments, ma crainte et mon émoi,
Ma douleur, et ma paix à jamais endormie.
Je fus vaincu, mais vois quelle était l’ennemie
Qui s’attachait sans cesse à chacun de mes pas !
Tu vois, Dieu fort, les maux jaloux et les combats
Que j’ai dû, sans arrêt, sans repos et sans trêve,
Subir contre la femme ardente aux yeux de rêve !
Tu vois de quel attrait mon œil fut alléché!
Tu vois mon mal, tu vois mon crime et mon péché,
Tu vois sous quel fardeau tomba ma chair rebelle !
Mais pourquoi, Dieu puissant, la fites-vous si belle ?
Pourquoi mettre en ces yeux tout l’attrait de l’azur,
La magie invincible, et ce doux charme obscur
Qui s’exhale des corps pétris dans l’ineffable ?
Pourquoi dans cette chair damnée et périssable
Mettre tout linfini de l’amour et du ciel ?
Sa lèvre est comme un fruit divin au goût de miel
Les roses, dont l’odeur fait défaillir le monde,

S’effacent à côté de sa déité blonde.
Elle est fragile, elle est puissante, elle est ici
Le philtre triomphant qui chasse le souci,
Elle fait oublier, elle règne, elle plonge
L’homme qui s’en approche au sein riche du songe ;
Elle est palpable, elle est tangible, et l’on a peur
De la voir tout à coup fuir comme une vapeur,
S’éclipser, dans les doigts frémissants, comme un rêve.
On craint le temps qui fuit, et l’heure parait brève,
Et la vie à ses pieds semble n’être plus rien
Qu’un songe qui palpite au ciel aérien.
Elle trône sur nous, nébuleuse et prolixe.
Elle est lointaine et proche, et, quand l’homme la fixe,
Il croit voir sur l’azur magnifiquement bleu
Une émanation gracieuse de Dieu.
Le cœur se trouble et bat soudain quand elle passe.
Son regard illumine et parfume, et sa grâce
Est le présent sacré du ciel à l’être humain.
Elle tient l’infini terrestre dans sa main,
Elle est le clair soleil qui réchauffe la terre,
Elle garde en son sein tout l’exaltant mystère
De la vie inquiète et des créations.
Elle est sur nous comme une averse de rayons
Illuminant les sens et transportant les âmes.
Ses yeux semblent tisser d’impérissables trames
Dans lesquelles, sans fin, les plus purs d’entre nous
Tombent, en proie au mal équivoque et jaloux.
Elle est la force haute, instinctive, éternelle ;
Toute la vie obscure et rude agit en elle,
Elle crée à jamais, inlassable et sans fin.
Son baiser radieux est suprême et divin,
L’homme qui l’a goûté veut le goûter encore,
Et le cœur pur, le cœur tourmenté qui l’ignore,
Rêve de se plonger dans ce gouffre béant,
Trompeur comme un mirage et comme l’Océan.
Elle est, parmi les fleurs, la fleur sainte et féconde,
Son sein, jamais tari, renouvelle le monde,
Elle donne la vie, elle crée en ce lieu,
Magnifique, et puissante et belle comme Dieu.

(La Divine Folie.) VERS LA PLUS VASTE VIE


Ah ! comme tous ces trains qui roulent sur la terre
            Ont mis de fièvre dans mon cœur !
Comme ils m’ont révélé l’ardent vouloir vainqueur
Et le labeur du monde et l’effort solidaire!

Comme ils ont mis dans mon esprit inapaisé
Le sens prodigieux de l’univers en marche !
Tout l’énorme travail des peuples nouveau-nés,
Poseurs de rails, perceurs de monts, bâtisseurs d’arches

J’ai compris la grandeur de l’homme, j’ai compris
Et la ferveur du muscle, et celle de l’esprit ;
J’ai vu la volonté virile et triomphante
Lancer au ciel le cri de victoire, le cri
D’un monde formidable et rouge qui enfante !

Ah ! le jour annoncé va paraître bientôt!
L’ombre tressaille. Aux chocs explosifs des marteaux
            La terre sort de son impasse.
Depuis des milliers d’ans que le monde a souffert,
Voici dans le vertige éblouissant des airs
            L’apothéose de la race.

Tout s’agite, le muscle vibre souverain.
Les usines flamboient, le sol tremble, et les trains
            Disent l’ardeur que rien n’arrête.
Les avions brillent au ciel illuminé.
L’hymne monte et s’étend, l’homme moderne est né
            Dans les transports de la planète.

Partout l’être a dompté la force et l’élément.
Son esprit, toujours plus lumineux et dément,
            Montre le route poursuivie ;
Il veut tout posséder dans son songe exalté,
Et son lyrisme actif et nerveux a chanté
            L’espoir d’une plus vaste vie.

Dans l’espace effréné il tord son vol de feu,
Et sur l’aéroplane exaspéré il veut
            Monter où rien ne peut atteindre.
Et son courage est si superbe et son vouloir,

Qu’il rêve d’enchaîner tous les astres du soir
            Aux ailettes de ses cylindres.

Sous lui l’effort s’exalte et ronfle sur le rail.
Les capitales, dans la fièvre du travail,
            Frissonnent à l’idée nouvelle.
Et les poètes dans un rythme plus fervent,
Debout sur les cités, clament aux quatre vents
            Le divin cantique des ailes.

Les entrailles du sol ont livré leurs trésors.
Les éléments domptés décuplent les efforts
            Des peuples ivres de victoire.
Une aurore se lève et le monde est debout,
Une fièvre d’attente et de triomphe bout,
            Secouant la planète noire.

Tout chante, tout rayonne et veut monter plus haut.
L’antique humanité trop longtemps au cachot
            Sent l’ardeur lui gonfler les moelles ;
Et cabrant tous ses rails, ses ponts, ses tours de fer,
Elle veut s’élancer de ses gouffres d’enfer
            À la conquête des étoiles.

Déjà le globe est trop petit pour son essor
Plus haut, toujours plus haut, doit se dresser le port
            De sa destinée invincible ;
Et dominant la pesanteur de l’Univers,
Elle prend, dans son vol de tempête et d’éclairs,
            Tout l’immense infini pour cible.


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HENRY THÉDENAT


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Bibliographie. — Le Forum Romain, 4 e édition (Hachette, Paris); — Une Carrière Universitaire (Fontemoing, Paris); — Pompèi [Histoire, Vie privée] (H. Laurens, Paris); — Pompéi [Vie publique] (H. Laurens, Paris); — Quelques Vers, avec une lettre-préface de François Coppée (Éditions de la Revue des Poètes, Pion, Nourrit et G’ e , Paris, 1908); — Journal d’un Prêtre Lorrain pendant la Révolution [1101-1799] (1911). En collaboration avec Héron de Villefosse : Cachets d’ocu- listes romains; — Inscriptions de Fréjus; — Trésors d’argenterie romaine. M. Henry Thédenat a collaboré au Dictionnaire des Antiqui- tés grecques et romaines de Saglio, au Bulletin Critique, aux pu- blications de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, de la Société des Antiquaires de France, du Comité des Travaux historiques et aux Revues spéciales d’Histoire ancienne, d’Ar- chéologie et d’Épigraphie. M. l’abbé Henry Thédenat est né à la Rochelle (Charente- Inférieure) le 8 octobre 1844. Élève diplômé de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, il fut nommé prêtre de l’Oratoire en 1875, supérieur du Collège de Juilly eu 1879, supérieur de la Maison d’études des Oratoriens en 1882. Il conserva ces dernières fonctions jusqu’à la dissolution de l’Oratoire (1903). M. Henry Thédeoat est membre de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), du Comité des Travaux histo- riques et de la Société nationale des Antiquaires de France, et l’un des fondateurs et des directeurs du Bulletin Critique. « Les savants ouvrages de M. l’abbé Henry Thédenat font depuis longtemps autorité en archéologie romaine; son Forum et son Pompci sont dans toutes les bibliothèques. Mais si tard et si peu souvent qu’il ait écrit dans la langue des dieux, ce savant est surtout un poète : il a le métier, l’image, le souffle et l’émotion. Ses Quelques Vers semblent inspirés à la fois par Lamartine et Virgile. Comme Virgile, il voit jeune et neuf, il «ntend pleurer les choses; et comme sur la harpe de Lamartine, toute la plainte humaine vibre harmonieusement sur son violon d’Ingres. » (Charles Pays.) Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/485 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/486 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/487


FRANCIS CARCO
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Bibliographie. — Instincts, poèmes en prose (Editions des Guêpes, 1909; Le Feu, 1909); — La Bohême et mon Cœur (1912).

En préparation : Au vent crispé du matin. M. Francis Carco a collaboré au Nain Jaune, à Antée, à Poé- sie, au Feu, aux Lettres, au Thyrse, à la Phalange, aux Guê- pes, à Poesia (Milan), à Isis, au Divan, à la Rénovation Esthéti- que, aux Cahiers de Mécislas Golberg, à l’Olive, etc. Il a fondé avec quelques amis la Revue Jeune (Nice), et avec MM. Joël Dumas et Jean Clary la revue libre Pan et les Petites Feuilles. Il est secrétaire de la revue Le Feu et fait partie du groupe- ment des Annales Méridionales. M. Francis Carco est né le 3 juillet 1886 à Nouméa (Nou- velle-Calédonie) de parents français. Son père, inspecteur des Domaines de l’Etat, rentrant en France, il suivit sa famille et passa cinq ans à Villefranche-de-Rouergue, où son père avait été nommé conservateur des hypothèques. C’est là qu’il composa ses premiers vers, publiés par des revues de Toulouse et de Brivc. En 1906, il se trouve à Nice, où il fonde avec quel- ques amis la Revue Jeune, qui sombra vite, faute d’argent. La même année, à Marseille, il collabora pendant quelque temps au Nain Jaune, puis il partit pour Rodez et de là se rendit à Agen. Appelé sous les drapeaux, il fit son service militaire à Lyon et à Grenoble. Ces incessants déplacements développè- rent en lui une nervosité qu’il entretint jalousement par de8 lectures de Baudelaire, Verlaine, Poe, Laforgue, Rimbaud, Cor- bière, Quincey, Hoffmann, Nerval, Mallarmé, Henry Bataille, etc. Les diverses influences subies par le jeune poète se révè- lent dans les vers et les proses publiés par lui dans de nom- breuses revues d’avant-garde, telles que La Phalange, Le Thyrse, Antée, Poésie, Le Feu. Isis, Les Cahiers de Mécislas Golberg, La Rénovation Esthétique, Le Divan, etc. En 1907, il fonda, avec MM. Joël Dumas et Jean Clary, la revue libre Pan, où colla- borèrent MM. Emile Verhaeren, Paul Hubert, Louis Payen, Tristan Klingsor, Paul Soud’on, Théo Varlet, A bel Bonnard, Roger Frêne, Michel Puy, Feruand Divoiro, Lucien Rolmer, Auguste Callet, Marcel Rieu, A.-R. Schneeberger, Roger Allard, Louis Mandin, Touny Lérys, d’autres encore, — et bientôt après Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/489 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/490

PAYSAGE[modifier]

À Roger Frêne.

Laisse le paysage, au cadre des croisées,
se métamorphoser au gré de la saison,
et vis, dans la sérénité de la maison,
en harmonie avec ta joie et ta pensée.
 
Le verger solennel et paisible t'attend
pour te mieux révéler la gravité des choses,
et, quand t'énervera la noblesse des roses,
le soir t'apaisera de son recueillement.

Oh ! voici que les fruits sont gonflés et t'appellent !
Écoute circuler la sève des fruits mûrs
qui bat — moisson fervente et promise à l'azur —
jusque dans la maison comme un éploiement d'ailes.

Écoute : une rumeur va jusqu'à l'horizon,
Elle a l'odeur du ciel et l'odeur de la terre,
elle a tous les parfums, elle a tous les mystères,
elle est, à l'infini, le plus large frisson.

Écoute : elle est la Chose unique et maternelle
qui façonne les fruits à la courbe des nids,
elle est dans chaque germe, elle est dans chaque esprit,
obscure ou lumineuse, accueillante ou rebelle.

Tu la trouves en toi comme au vaste horizon,
et cela t'éblouit d'une ivresse inconnue
de sentir, dans ton âme et ta chair confondues,
vibrer le paysage et brûler la saison.

POÈME A UN AMI[modifier]

Ce soir, ô mon ami, je gagne ma maison,
Fervent et douloureux d'avoir, à l'horizon,
Dispersé ma tendresse à l'infini des plaines.
Je rentre, le sentier est lent qui me ramène.
Les blés sont mûrs : au versant calme des plateaux
Un paysage herbeux de pâtures et d'eau

Me fait songer, d'après sa sereine ordonnance,
Que la vie a besoin d'amour et de silence
Pour lui donner un prix qui la retienne en nous.

Ô lignes d'harmonie ! ô versant grave et doux !
Forme précise et souple aux chutes des collines,
Vous me persuadez qu'enfin se détermine
En moi le goût de l'ordre et de la volupté !
Déjà ce paysage ardent d'extrême été
M'emplit d'une amertume et d'une rêverie
Dont mon âme jamais ne s'était attendrie.

— Laisse fumer au ciel le toit le plus obscur :
Lorsque les moissonneurs entrent dans les blés mûrs,
Avec la faux aiguë à la courbe sereine,
Leur geste contribue à la beauté des plaines :
Mais lorsque, la moisson terminée, on revient,
D'autres s'en vont glaner aux éteules, leur bien,
Car il reste toujours assez d'épis dans l'herbe
Pour pouvoir, à son tour, lier une autre gerbe
Moins lourde, sans douter, mais d'aussi pur froment.

Ce soir, ô mon ami, je rentre lentement.
Tes vers harmonieux chantent dans ma mémoire.
Je songe au matin clair où va monter ta gloire
Comme un soleil de juin monte sur la moisson :
Voici le seuil étroit de mon humble maison
Où m'attendent la lampe et le livre : Je pense
Que ma vie est paisible au fond de son silence.
Les blés sont mûrs ; je pense à l'ordre des saisons
Dont la marche prévue engendre à l'horizon,
Ce soir, un paysage où stagnent des fumées.

Ô mon ami, je compare nos destinées :

Je pense aux soirs brûlés d'azur où tu reviens,
Fiévreux et triste, après le labeur quotidien,
Par les grands boulevards encombrés de la ville ;
Une fraîcheur tombe des arbres immobiles.
Des femmes passent : tu les suis parfois des yeux,
Car elles ont pour toi l'attrait mystérieux
De la beauté de l'heure et de la lassitude.
Puis c'est le foyer calme et sa longue habitude :

La lampe au coin luisant de la table...
                                                           Un bonheur
Fait d'ordre et de clarté te monte jusqu'au cœur,
Et tu songes, le front dans tes deux mains unies,
Que la vie est profonde et vaut d'être bénie.

IMPRESSIONS[modifier]

Des saules et des peupliers
          Bordent la rive.
Entends, contre les vieux piliers
          Du pont, l'eau vive !

Elle chante, comme une voix
          Jase et s'amuse,
Et puis s'écrase sur le bois
          Frais de l'écluse.

Le moulin tourne : il fait si bon,
          Quand tout vous laisse,
S'abandonner, doux vagabond,
          Dans l'herbe épaisse !



Ce lent et cher frémissement,
C'est la pluie douce dans les feuilles.
Elle s'afflige et tu l'accueilles
Dans un muet enchantement.

Le vent s'embrouille avec la pluie,
Tu t'exaltes, moi je voudrais
Mourir dans ce murmure frais
D'eau molle que le vent essuie !

C'est la pluie qui sanglote, c'est
Le vent qui pleure, je t'assure.
Je meurs d'une exquise blessure
Et tu ne sais pas ce que c'est.



À Paule Lyssine.

Le gazon râpé de la berge,
Des peupliers, un ciel que l'eau

Rend plus nostalgiquement beau
Et les volets verts de l'auberge...

Tu vis des jours paisiblement,
De pauvres jours qui se ressemblent,
Et, sous les feuillages qui tremblent,
Tu poursuis un rêve qui ment.

Voici le soir, voici la brise,
Voici la lune à l'horizon.
Tu t'exaltes, non sans raison,
D'une aussi magique surprise.

Mais un soir, tu t'étourdiras
De souffrance, de poésie,
Et tu pleureras, chair transie,
Le front serré dans tes deux bras.



À Jean Pellerin.

Une lune : croissant doré,
Le silence de la campagne...
Chante une voix qui s'accompagne
D'un violon énamouré.

Entends comme la voix se brise
Et comme l'instrument gémit.
La nuit attend, paisible, et grise
Ta souffrance, ô cœur endormi !

Souffre avec cette voix qui chante,
Cette douleur qui s'enfle, et crois
— Tellement l'ombre est émouvante —
Que c'est la tienne, cette voix !

(La Bohême et mon Cœur.)

DÉDICACE[modifier]

L'automne et le vent,
Qui berce les feuilles,
Aujourd'hui t'accueillent
Toi, qui vas, rêvant,


Jeune, tendre et fière
Parmi la forêt
Aux arbres parés
De lente lumière.

Prends-les dans tes yeux
Et dans ta mémoire :
Qu’ils soient notre histoire
Simple à tous les deux.




VICTOR KINON
__________



Bibliographie. — L’Âme des Saisons (veuve Ferd. Larcier, Bruxelles, 1909).

A paraitre : Un volume de critique ; L’An Mille, drame en vers, en cinq actes.

M. Victor Kinon a collaboré au Magasin Littéraire (de Gand), à Durendal, au Spectateur Catholique, dont il fut le fondateur avec Edmond de Bruyn. Il collabore d’une façon régulière au Journal de Bruxelles et au Vingtième Siècle, où il fait la critique littéraire.

M. Victor Kinon est né le 17 mars 1873 à Tirlemont (Belgique). Après avoir fait ses études de philosophie et de droit à l’Université de Louvain, il entra en 1896 au ministère de la justice, où il exerce actuellement les fonctions de chef de division. Il collabora fort jeune à des revues telles que le Magasin Littèraire de Gand, Durendal, etc., et surtout au Spectateur Catholique, dont il fut l’un des fondateurs. « Cette revue, dont le but était de faire de l’apologétique par la Beauté artistique et littéraire, se fit remarquer, nous dit M. Paul Halflants, par son caractère esthétique, ses allures décidées, son ton catholique, son admiration pour les mystiques et la liturgie : magnifique effort d’un groupe ardent de jeunes disciples enthousiastes des grands convertis Huysmans et Verlaine. » Plus tard, M. Victor Kinon étendit sa collaboration au Journal de Bruxelles et au Vingtième Siècle, où il se trouve chargé, depuis plusieurs années, de la critique littéraire.

Toute l’œuvre poétique de M. Victor Kinon, dont une partie était éparse dans les journaux et revues, se trouve actuellement enclose dans son recueil : L’Ame des Saisons (1909), où se révèle un merveilleux et très catholique poète de l’âme et de la nature. Dans la pièce liminaire du volume :

Ce qui convient, c’est dans ton cœur une musique…


le poète proclame « sa soumission au geste ordonné par Dieu et scandé par la musique intérieure qui incline l’homme à la droiture, à la joie et a la paix, à l’indulgence enfin, qui pardonne et bannit la révolte… » « Cette âme du poète, elle frémit à toutes les pages de son livre, soit que nous feuilletions, après Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/497 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/498 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/499 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/500 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/501 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/502 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/503 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/504 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/505 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/506 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/507 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/508 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/509 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/510 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/511 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/512 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/513 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/514 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/515 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/516 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/517


AMÉLIE MURAT
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Bibliographie. — D’un cœur fervent, poèmes (Sansot, Paris, 1909) ; — Le Livre de Poésie (Sansot, Paris, 1912).

Mlle Amélie Murat a collaboré à la Revue des Poètes, à la Revue Hebdomadaire, au Correspondant, au Mercure de France, Mois Littéraire et Pittoresque, aux Annales Politiques et Littéraires, à la Plume, à la Revue Française, etc.

Mlle Amélie Murat, née à Chamalières (Puy-de-Dôme), a publié deux recueils de vers : D’un cœur fervent (1909) et Le Livre de Poésie (1912), d’une inspiration très variée. « Paysages, études d’animaux, vers d’amour, poèmes religieux, intimités, écrit M. Frédéric Plessis, nous trouvons un peu de tout dans ces deux volumes. L’unité n’en est pas moins présente dans le fond et dans la forme : dans le fond, ne fût-ce que par la logique des idées et des sentiments, par l’habitude d’envisager la vie — les gens et les choses — d’un point de vue triste ; dans la forme, par l’éloquence du style et par la plénitude des vers. Le talent de Mlle Murat est oratoire et pathétique ; il est de tradition latine et française… Mais l’œuvre de cette poétesse n’est pas seulement une œuvre d’unité, c’est aussi une œuvre d’harmonie. Harmonie dans l’inspiration et dans la composition… Harmonie encore dans l’art de fondre des éléments qui, pour n’être pas inconciliables, se manifestent rarement ensemble, ou, s’ils se retrouvent en une même œuvre, ne s’y donnent jour que par alternatives ; il est remarquable, en effet, que, dans la poésie de Mlle Murat, à un spiritualisme très ferme, qui est de nature et d’éducation, s’allie une sensualité délicate, une sensualité d’artiste (sans laquelle il ne peut y avoir intelligence et goût de la beauté plastique, des formes et des couleurs). L’élévation d’une pensée toute nourrie de foi, la foi catholique, n’empêche pas que le poète ait le sentiment de la nature, le goût des tendresses humaines, et n’accepte l’apport de l’âme païenne en ce qu’elle a de beau et d’éternel, en ce qu’admiraient en elle les Pères de l’Église, un saint Augustin épris de Virgile. De là, dans les livres de Mlle Murat, la perfection de la forme, le don d’enchanter l’oreille en même temps que le cœur, l’abondante floraison d’images qui revêt de magnificence une pensée habituellement sévère et un souffle de passion contenue qui anime en profondeur, qui embrase intérieurement tant de poèmes. » Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/519 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/520 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/521 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/522 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/523 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/524 Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/525


LOUIS SUREAU


__________



Bibliographie. — Estampes, poèmes, plaquette tirée à cent exemplaires (Falque, Paris, 1909). M. Louis Sureau a collaboré aux Chimères, aux Écrits, etc. M. Louis Sureau, né le 8 juin 1884, à Montreuil-sous-Bois, près Paris, fait partie d’un groupe de jeunes poètes, admirateurs- fervents de Stéphane Mallarmé, auquel l’un d’eux, M. Henry Charpentier, a dédié un fort beau poème : Le Tombeau de Sté- phane Mallarmé. M. Louis Sureau n’a publié jusqu’à ce jour qu’un petit nom- bre de poèmes. Dans les pièces qu’on va lire, et qui sont tout à fait exquises, on reconnaîtra aisément l’heureuse influence du Maître. LA BAIE DE YEDO A Henri de Régnier. Une morne clarté luit sous la mer nipponne. Dans leurs vertes crinières d’algues, les rochers Dorment, polis et noirs. Des profils ébauchés Se plissent aux remous dont la moire frissonne. Homards, crabes, langoustes, que caparaçonnent Des armures de laque et d’émaux guillochés, Soulèvent pesamment leurs dos enharnachés, Un grand poisson rouilleux, qui d’ombre s’emprisonne, Navigue lentement. Soudain, comme un éclair D’épée, une lueur plonge, oblique, à travers Le gouffre qu’elle éventre. En ondes qui brasillent La blessure grandit, s’irise, et le soleil, Dans la gangrène ardente où sa splendeur fourmille, Berce le cyprin d’or nonchalant et vermeil. [Estampes.)

LOUIS SUREAU 513

AURORE

A Eugène Guérin.

Dans la nuit d’améthyste où la saison féconde

Enivre les jardins de l’odeur des tilleuls,

Les brouillards parfumés montent des eaux profondes

Et tissent à la terre un transparent linceul.


Mais déjà l’aube en pleurs s’éveille à l’horizon

Dans l’éclair frissonnant des mousselines roses,

Et sa pudeur qui saigne aux pentes des gazons

Empourpre le calice éblouissant des roses.

Au faîte du matin dressé comme une tour

La lumière a sonné les fanfares du jour ;

Et, cabrant son orgueil, sur le ciel où flamboie


L’insultante clarté des fauves thermidors,

Comme en l’azur vainqueur d’un étendard de soie,

La Chimère de feu crispe ses ongles d’or.

(Estampes.)


CHEVAUX DE BOIS

A Alfred Machard.

La cavalcade giratoire

Aux galops joyeux de mépris

Fuit le morose territoire

De glaces où l’Ennui nous prit ;

Et son vertige s’auréole

Du luxe feint des oripeaux

Exaltant sur la gaudriole

Des insolences de drapeaux.


Mais, aux clairs diamants trompeurs

Dont se pare notre allégresse,

Froide, médite la stupeur

Des mélancoliques détresses.


Car l’or trop sonore des Fêtes,

Fulgurant d’excessives joies,

Détrône ce qui, sur les faîtes,
De royale splendeur flamboie.

Et, déchu par ces trahisons,
Comme un pitre, le soleil ivre
Sur le tréteau des horizons
Secoue ses cymbales de cuivre.

(Estampes.)



FIN



INDEX DES NOMS DE POÈTES DU SUPPLÉMENT




Allorge (Henri) 
 274
Beauduin (Nicolas) 
 460
Berger (Mlle Lya) 
 284
Blanchon (Pierre) (Jacques-André Mérys) 
 205
Blot (Georges) 
 122
Bois (Jules) 
 107
A. C. 
 373
Carco (Francis) 
 474
Castiaux (Paul) 
 379
Dauphin (Fernand) 
 436
Delair (Paul) 
 1
Deubel (Léon) 
 230
Dumas (Charles) 
 301
Fayette (Olivier Calemard de la) 
 323
Fleury (Albert) 
 138
Gasquet (Joachim) 
 259
Gourdon (Georges) 
 17
Guyau (Jean-Marie) 
 27
Hollande (Eugène) 
 115
Hubert (Paul) 
 192
Jouffret (Michel) 
 101
Jounet (Albert) 
 54
Kinon (Victor) 
 482
Klingsor (Tristan) 
 158
Lavaud (Guy) 
 443
Le Cardonnel (Louis) 
 87
Lesueur (Mme Daniel) 
 61
Levaillant (Maurice) 
 293
Loyson (Paul-Hyacinthe) 
 169
Ménétrier (Félix) 
 233
Mérys (Jacques-André) (Pierre Blanchon) 
 205
Milosz (O.-W.) 
 240
Mithouard (Adrien) 
 125
Murat (Mlle Amélie) 
 504
Noisay (Maurice de) 
 387
Pergaud (Louis) 
 328
Périn (Cécile) 
 411
Picard (Hélène) 
 309
Porché (François) 
 449
Prouvost (Amédée) 
 332
Puybusque (Mlle Berthe de) 
 164
Rohan (Mme la duchesse de) 
 336
Rolmer (Lucien) 
 176
Romains (Jules) 
 342
Rouquès (Amédée) 
 181
Rouvray (Étienne) (Georges Dumesnil) 
 93
Saint-Point (Mme Valentine de) 
 396
Sérieys (Albert) 
 155
Sureau (Louis) 
 512
Syffert (Gaston) 
 457
Thédenat (Henry) 
 470
Trolliet (Émile) 
 45
Uzès (Mme la duchesse d’) 
 99
Vallery-Radot (Robert) 
 416
Varlet (Théo) 
 214
Vasson (Michel) 
 404
Vaulx (André Foulon de) 
 146
Véga 
 221
Vermenouze (Arsène) 
 75
Visan (Tancrède de) 
 360
TABLE DES MATIÈRES DU SUPPLÉMENT
(ne fait pas partie de l’ouvrage original)




 221
 373
  1. Citons encore : La Morale, l’art et la religion d’après Guyau par Alfred Fouillée (Félix Alcan. Paris. 6e édition, 1906) et Pages choisies de Guyau par Alfred Fouillée (Armand Colin, Paris, 2e édition, 1906).
  2. « Sans nous en douter, Nietzsche, Guyau et moi, nous passions alors l’hiver en même temps sur la côte de Nice. Le philosophe allemand connut les livres de Guyau et lesbiens : Guvau et moi, nous n’eûmes aucune connaissance de Zarathoustra. Voir, dans notre livre sur Nietzsche et l’Immoralisme, les chapitres consacrés à la comparaison de Nietzsche et de. Guyau. A. F. »
  3. Nouvelle publication : Le Jeune Rouvre (Paris, 1908).
  4. Nouvelle publication : Les Inquiétudes, poèmes, avec une préface de M. Nicolas Beauduin (Basset, Paris, 1913.)
  5. En outre : Le Roman de Mirant, chien de chasse (1914).
  6. Et dernièrement son nouveau volume : L’Attitude du Lyrisme Contemporain
  7. Voir notre Anthologie des Poètes Français Contemporains, tome II, p. 222, et la récente brochure du regretté Henry Maassen : La Poésie Paroxyste.
  8. Jean Muller et Gaston Picard, Sur les tendances présentes de la littérature française (E. Basset, Paris, 1913).
  9. M. Louis Estève, auteur d’une Nouvelle Psychologie de l’Impérialisme [Ernest Seillière] (Alcan, 1913), voit dans le lyrisme paroxyste « l’émanation la plus sainement individualiste et la plus féconde en sagaces suggestions de conquête de l ’impérialisme esthétique, cette forme subtile et condensée de l’appétit de puissance». » Dans l’apothéose qui termine Les Deux Règnes, ajoute-t-il, la conception, chère à tous les nobles inspirés, de la mission impérialiste, à la fois tutélaire, exaltatrice et hégémonique du poète, se trouve incontestablement portée à la plus magnifique ampleur qu’elle ait jamais atteinte. »
  10. Cf. notre Anthologie des Poètes Français Contemporains, tome 1er , introduction, pages xviii et xix.