Précis de l’histoire des guerres civiles

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Traduction par Eusèbe de Salverte.
Didot (p. 73-95).

J. EXSUPERANTIUS. PRÉCIS DE L’HISTOIRE DES GUERRES CIVILES DE MARUIS, DE LEPIDUS ET DE SERTORIUS.

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PRÉFACE.

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On ne connaît de Julius Exsupirantius que son nom et son ouvrage. Le premier semble indiquer un écrivain postérieur au deuxième siècle de notre ère, et le style du second ne dément point cette idée : mais on ignore à quelle époque il a vécu. Fabricius, dans sa Bibliotheca latina, se borne à dire de lui : Non satis exploratae aetatis.

Nous devons cet opuscule au savant Pithou. Il le découvrit dans un ancien manuscrit[1], à la suite de la Conjuration de Catilina et de la guerre de Jugurtha : on peut le regarder comme un extrait des cinq livres d’histoire que Salluste avait être attribuée à Salluste, à un contemporain de Catulus et de Pompée.

Cette erreur n’est pas la seule où soit tombé Exsuperantius. Nous le verrons, dès ses premiers pas, en commettre d’aussi peu excusables. Sans les emprunts évidents qu’il a faits à Salluste, on serait tenté de croire qu’il travaillait de mémoire, sur un auteur qu’il avait depuis longtemps perdu de vue.

C’est là une preuve de plus de la négligence extrême avec laquelle les abréviateurs, trop communs dans les premiers siècles de notre ère[2], traitaient les originaux dont leurs extraits ont pu souvent accélérer la perte.

Le texte a été revu soigneusement sur les éditions de Gruter, de Sigibert Havercamp, de Janson et de Vulpius. On y rencontre de fréquentes lacunes, auxquelles je me suis efforcé de suppléer, mais seulement dans la traduction.


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J. EXUSPERANTIUS. PRÉCIS DE L’HISTOIRE DES GUERRES CIVILES DE MARIUS, DE LEPIDUS ET DE SERTORIUS.

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L. Métellus, proconsul, conduisant en Numidie une armée contre Jugurtha, s’attacha Marius, simple soldat[3], d’une naissance obscure, mais d’une valeur distinguée, et l’éleva au grade de questeur[4]. Marius, par des actions d’éclat, se rendit bientôt aussi cher à son général que redoutable à l’ennemi. Mais un jour que dans Utique, ville de Numidie, il sacrifiait aux dieux, les haruspices lui présagèrent de hautes destinées : ils l’exhortèrent à mesurer ses tentatives à son ambition, à porter son ambition plus haut que ne le permettait sa naissance, plus loin même que ne l’y autorisaient ses premiers services, certain qu’il pouvait tout se promettre de la faveur de la fortune.

Aussitôt s’empara de son âme un ardent désir de parvenir au consulat. Pour le briguer, il laissa Métellus en Numidie, et vint à Rome, où il s’était d’avance préparé des suffrages. Là, exaltant son mérite personnel, rabaissant les actions de Métellus, et fort de l’appui des tribuns du peuple, il inspira à la multitude le désir d’un changement dont il devait profiter. La soif de la domination excitait, à cette époque, des luttes fréquentes entre le sénat et le peuple. Voyant dans Marius le fléau des nobles, qu’il déchirait par de continuelles invectives, le peuple l’éleva à de nouveaux honneurs. Réuni aux comices pour l’élection des consuls, il le choisit unanimement ; et arrachant à Métellus la Numidie, assigna cette province au nouveau consul.

Marius, revêtu du consulat, s’en parait comme de la dépouille des vaincus, aux yeux des sénateurs abaissés, et se déclarait ouvertement l’adversaire de leur puissance. Pour recruter son armée, il osa le premier[5] enrôler des prolétaires, des citoyens sans garantie personnelle, et jusqu’alors sans valeur dans l’État. Ainsi, aux dépens de l’intérêt public, il se montrait reconnaissant envers la multitude qui, secondant son espoir, l’avait élevé aux honneurs. Car les citoyens de Rome étaient divisés par classes, et recensés suivant la valeur de leur patrimoine. Tous les propriétaires servaient dans l’armée. Ils combattaient énergiquement pour la victoire, ceux qui avaient en même temps à défendre leur patrie, leurs biens et leur liberté[6]. Ceux, au contraire, qui n’avaient point de propriétés, n’entraient dans le cens que pour leur personne, le seul bien qu’ils possédassent. En temps de guerre, on les retenait dans les murs de la ville, comme trop exposes à devenir des traîtres, car la pauvreté n’a rien à perdre[7]. Le consul n’hésita point à enrôler de tels hommes, à qui l’on n’aurait jamais dû confier la défense de la patrie.

Le destin voulut que Marins emmenât en Numidie, comme son lieutenant, L. Sylla[8], qui appartenait au parti des nobles. Après avoir heureusement terminé la guerre et fait Jugurtha prisonnier, tous deux rentrèrent vainqueurs dans Rome. Aussitôt, grâce à sa supériorité reconnue, Marius fut envoyé dans les Gaules , dont les peuples faisaient à main armée une irruption sur les frontières romaines.

Dans le même temps, Mithridate, à la tête d’armées nombreuses, prenant et saccageant toutes les villes alliées des Romains, désolait l’Asie entière. On choisit, pour le repousser, L. Sylla, qui, dans la guerre d’Afrique, avait donné des preuves de son activité et de l’étendue de son génie[9].

Marius l’apprend et se presse de terminer la guerre qu’il dirigeait. Cet homme, avide d’une gloire sans bornes, ne peut souffrir qu’un autre ait l’honneur de défendre la liberté et la dignité romaines. Pour la seconde fois, il rentre vainqueur dans Rome, après avoir écrasé les Gaulois et exterminé la nation presque entière de ces barbares.

A son instigation, Sulpicius, tribun du peuple, fait passer une loi qui rappelle Sylla d’Asie, et y envoie Marins. À cette nouvelle, Sylla laisse à Muréna, son lieutenant, le commandement de la province et les troupes de la division de Valérius dont il ne se croyait pas assez sûr pour les employer dans la guerre civile. Plein de ressentiment d’un tel outrage, il marche avec le reste de son armée pour anéantir le parti de Marius.

Il arrive à Rome. Sulpicius voulait lui résister, et, par ses discours séditieux, soulever encore le peuple : il le fait égorger avec une foule de ses complices. Marius lui-même, l’auteur d’une si grande injure, fut contraint de fuir, dans l’exil, les armes victorieuses de Sylla ; et ce chef tant de fois vainqueur, victime du naufrage et manquant de tout, erra dans les campagnes de la Gaule et de l’Afrique, naguère ravagées par ses mains.

Cependant Cinna et Octavius parviennent au consulat ; le premier était du parti de Marius. Il fait passer une loi pour que les citoyens nouveaux votent sans distinction avec les anciens, de quelque manière qu’ils aient obtenu le droit de cité. Cette mesure était favorable à ceux dont les suffrages, dévoués à Marius, l’avaient élevé aux dignités suprêmes. Elle offensait les anciens citoyens, qui se croyaient déchus de leurs droits honorables, si l’on égalait à leurs suffrages les suffrages d’hommes nouveaux, indignes d’une telle faveur.

Partageant leur ressentiment, et fort de leur concours, le consul Octavius, pour prévenir de nouvelles séditions, se met à la tête des troupes que lui avait laissées Sylla, et, par la force des armes, contraint son collègue à s’exiler. Ces mouvements coûtèrent la vie à un très-grand nombre de Romains de l’un et, de l’autre parti.

Cinna, fugitif, est conduit par le sort en Afrique, où Marius errait impuissant. Ces deux hommes concertent leurs projets ; ils soulèvent les gens sans aveu, brisent les fers des esclaves, se forment ainsi une armée jeune et formidable. Ils marchent sur Rome ; ils vainquent et massacrent Octavius, partisan de Sylla. La ville aussitôt est en proie à tous les genres de cruauté. Au gré de deux fugitifs, périssent les plus illustres citoyens. Telle était la barbarie de Cinna, qu’il n’épargnait pas même ceux qui avaient contribué à sa victoire. Tandis qu’il sévissait contre tous avec une égale férocité, Cinna périt, massacré par ses soldats à l’instant où il les haranguait. Craignant de ne pouvoir supporter seul le fardeau du pouvoir. Marius subroge Carbon à Cinna, pour être son collègue dans son septième consulat[10].

Excité par l’indignation générale, Sylla conduit ses troupes contre les consuls ; et dans cette lutte désastreuse, on voit se combattre deux armées romaines. Le parti de Marius succombe, Sylla triomphant poursuit avec fureur tous ceux qui étaient restés dans Rome, et la république affranchie par ses armes, il ne la rend point aux lois ; il s’en empare ; il se montre tel enfin, qu’il fait regretter cette même tyrannie de Marins et de Cinna qu’il était venu punir. Ainsi, dit Salluste, à un début louable, Sylla fit succéder une issue criminelle[11]. Le début fut juste, puisque Sylla s’armait pour rendre la liberté aux citoyens opprimés ; l’issue fut coupable, lorsque, vainqueur des tyrans et des chefs d’assassins, il porta des coups plus cruels à la patrie, lui qui s’était annoncé comme le vengeur des calamités publiques.

Sylla, pendant la durée de sa domination, fit un grand nombre de lois et de règlements ; il accorda à plusieurs villes des exemptions d’impôts, et à une foule d’individus le droit de cité romaine. Les tentatives du consul Lépidus pour abroger ces actes, suscitèrent, entre lui et son collègue Catulus, une guerre civile où le premier succomba.

Lépidus avait rassemblé une armée nombreuse. Il appelait sous ses drapeaux tous les enfants des proscrits, tous ceux dont Sylla avait distribué les biens à ses soldats ; et promettait, pour prix de la victoire, de les faire rentrer dans l’héritage de leurs pères. Comme magistrat et comme particulier, comblant le peuple de largesses, il avait conquis sa faveur, et passait près de lui pour le soutien de la liberté publique.

Dans un combat engagé sur la côte d’Étrurie, Lépidus eut d’abord l’avantage, fort de la multitude qu’attirait dans son parti le ressentiment des injustices de Sylla. Mais Pompée, qui revenait en ce moment des Gaules, ne permit pas que l’audace de Lépidus triompbât aux dépens de l’intérêt de tous. Il fond sur ses troupes en désordre ; et tandis que l’effroi et la précipitation embarrassent leur fuite, il les taille en pièces, en sorte que Lépidus, ayant perdu le plus grand nombre de ses soldats, est contraint de fuir en Sardaigne[12]. Là, il espérait, en interceptant les navires chargés de blé, fatiguer par la disette le peuple romain, et renouveler ses forces en armes, en troupes et en munitions de toute espèce. La fortune varia dans plusieurs combats importants qu’il livra au propréteur de Sardaigne. Celui-ci défendit si habilement sa province, que, contrarié dans tous ses desseins, trouvant partout des obstacles, repoussé devant les citadelles et les camps fortifiés qu’il attaquait, Lépidus ne put atteindre son but. Et tandis qu’il se préparait à de nouveaux efforts, accablé d’une maladie grave, il cessa de vivre.

Perpenna, son complice et son lieutenant, redoutant les peines dues à un crime si grand, fuit de Sardaigne en Espagne, auprès de Sertorius, qui, à la tête d’une armée romaine, agitait encore l’empire. Sertorius avait été du parti de Marins. Sous le consulat de Scipion et de Norbanus, lorsque Sylla arrivait d’Asie plein de fureur contre Marius et contre la faction qui le soutenait, le sénat craignit l’effet de sa colère ; et pour empêcher qu’une lutte entre les chefs ne mît l’État en péril, il ordonna aux consuls de veiller à ce que la république ne reçût aucun dommage. Armés de ce décret, les consuls, pour s’opposer à Sylla, qui s’approchait respirant la perte de tous, réunirent tous les moyens de résistance, et choisirent des chefs habiles aux soins de qui l’on pût confier la direction de la guerre. De ce nombre fut Sertorius.

Les consuls s’avancent à la tête d’une armée très-forte ; et, contre l’avis de Sertorius, souffrent entre leurs soldats et ceux de Sylla des entretiens dont une défection générale devient la conséquence : l’armée entière passe sous les drapeaux de Sylla. Abandonné et dénué de troupes, Sertorius fuit en Étrurie la fureur de Sylla, et la vengeance terrible qu’il exercerait contre un ennemi vaincu. Cette province était fidèle aux partisans de Marius : elle leur devait le droit de cité romaine, dont jusqu’alors elle avait été privée. Craignant que Sylla, si ses adversaires succombaient, ne révoquât un bienfait d’un si haut prix, les Étrusques s’attachent sans réserve à Sertorius et aux autres chefs du même parti, promettant d’obéir aveuglément à tout ce qui leur serait ordonné. Ainsi se forme de nouveau une puissante armée de quarante cohortes. Elle comptait dans ses rangs un grand nombre de soldats qui s’étaient livrés à Sylla lors de son arrivée, et qui, frustrés du prix de leur défection, revenaient sous les chapeaux des chefs qu’ils avaient trahis.

À cette époque, Marins, pour la septième fois[13], et Carbon furent nommés consuls. Alors Sertorius, assuré de la prépondérance de son parti, vient à Rome, et accuse la lenteur générale. En citant les actions les plus brillantes de Sylla, il exalte le courage et l’activité de cet ennemi ; il déclare que si l’on ne se hâte de le prévenir, c’en est fait, son triomphe est certain.

En butte à des remontrances si vives, les consuls et les autres chefs du parti, soit pour éloigner un rival et un censeur trop véhément de leur négligence, soit pour contenir, par la présence d’un chef redoutable, une province remuante et dont ils craignaient la défection, envoient Sertorius dans l’Espagne citérieure, et le chargent de régler les affaires de la Gaule transalpine, à son passage dans cette province. Dès son arrivée, Sertorius prit tant d’ascendant sur l’esprit des alliés, déjà ébranlés et prêts à changer de parti ; il les attacha si fortement au sien et par ses caresses et par la sagesse de son gouvernement, qu’il fut bientôt universellement chéri et pourtant redouté.

Cependant Sylla et Marius avaient combattu sous les murs de Rome : Marius périt dans la bataille ; Carbon, entièrement défait, prit la fuite[14]. Après la ruine complète du parti qu’il avait embrassé, Sertorius crut prudent de ne point licencier ses troupes, et de ne point se livrer désarmé aux supplices que lui destinait le vainqueur. Rassemblant sous ses drapeaux une multitude d’Espagnols, il n’hésite point à les opposer à une armée romaine, et soutient, après la mort de Sylla, le rôle d’ennemi du gouvernement. On envoya, pour le réduire, Métellus et Pompée. Il fut vaincu par eux, dans des combats importants et multipliés. On aurait, néanmoins, difficilement triomphé de Sertorius, si, dans un repas, il n’eût été assassiné par quelques-uns de ses partisans conjurés contre lui. Pompée soumit ensuite Perpenna ; détruisit les villes d’Auxum, de Clunium et de Calagurris ; et rentra dans Rome après avoir érigé sur les Pyrénées un trophée de ses victoires.



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  1. « Quod cum in vetere quodam Sallustii codice, bello catilinario et jugurthino in fine sit additum. Historiarum Sallustii breviarium quoddam esse videtur. (Ex Bibliothecâ pathoeanâ).
  2. Il paraît que Junius Maximus, contemporain de Stace, avait, avant Exsuperantius, écrit un abrégé de l’Histoire de Salluste (Stat. Syle., lib. IV, Sylv. 7, vers 55, 56.)
  3. Loin d’être un simple soldat lorsqu’il arriva en Numidie, Marius avait déjà exercé le tribunal et la préture.
  4. Le questeur était toujours élu par le peuple, jamais nommé par le général. Marius, ancien préteur, aurait descendu de son rang en acceptant la questure. Il reçut de Mettellus le titre de legatus (lieutenant du général en chef.)
  5. Ne faut-il pas lire : primus omnium ? Marius fit alors ce qu’aucun chef n’avait osé avant lui. J’ai traduit en ce sens.
  6. Ici le texte est altéré : j’y ai suppléé de la manière qui m’a paru la plus plausible.
  7. Sallust. Catilin., cap. xxxviii. Dans le texte d’Exsuperantius, on lit : Egestas haud facilè, etc. La faute de copiste est évidente.
  8. Marius n’avait point emmené Sylla, et ne l’eut jamais pour lieutenant. Il avait déjà remporté de grands avantages sur Jugurtha, lorsque Sylla lui fut envoyé comme questeur, avec un renfort de cavalerie.
  9. Le texte est mutilé et altéré. Corporis … magnitudo forme un sens ridicule : j’ai lâché d’en trouver un raisonnable. On remarquera que, dans ce qui suit, l’auteur commet un anachronisme de treize années, en plaçant le commencement des démêlés entre Sylla et Marius, immédiatement après le triomphe de Marius vainqueur des Cimbres.
  10. Ici et dans ce qui suit, Exsuperantius s’éloigne beaucoup de l’histoire. Marius, consul pour la septième fois, mourut de maladie, peu après son retour à Rome ; et Valerius Flaccus lui fut subrogé. Cinna périt, ayant Carbon pour collègue dans son quatrième consulat. Carbon, pour la troisième fois, et Marius le fils étaient consuls lors du combat où Sylla fut vainqueur. Le jeune Marius ne tomba point sur le champ de bataille : étant assiégé dans Préneste, et sur le point d’être fait prisonnier par Lucretius Ofella, lieutenant de Sylla, il se donna la mort.
  11. Sallust. Catilin., cap. xi.
  12. Ce propréteur était Valerius Flaccus.
  13. Voyez la note de la p. 84.
  14. Voyez la note de la p. 84.