Prieres et Instructions Chrétiennes, dans lesquelles se trouve renfermé tout ce que la Religion veut que nous croyions, que nous pratiquions, et que nous demandions. Avec les Offices de l’Église à l’Usage de Rome et de Paris

N. Leroux

Prieres et Instructions Chrétiennes, dans lesquelles se trouve renfermé tout ce que la Religion veut que nous croyions, que nous pratiquions, et que nous demandions (1720)

Lottin, Butard, Frères Périsse, 1789 (p. 3-586).

bookPrieres et Instructions Chrétiennes, dans lesquelles se trouve renfermé tout ce que la Religion veut que nous croyions, que nous pratiquions, et que nous demandions (1720)N. LerouxLottin, Butard, Frères Périsse1789Paris, LyonCLeroux, Prieres et Instructions Chrétiennes... Avec les Offices de l’Église à l’Usage de Rome et de Paris - 1789.pdfLeroux, Prieres et Instructions Chrétiennes... Avec les Offices de l’Église à l’Usage de Rome et de Paris - 1789.pdf/13-586

PRÉFACE.

Dieu a inspiré depuis long-temps un si grand zele à plusieurs de ses Ministres, pour instruire les Fideles des plus solides vérités de la Religion et pour les former à la priere ; et ils ont fait imprimer un si grand nombre de différens Livres à ce sujet, qu’il pourroit paroître tout-à-fait inutile de vouloir en donner un nouveau au Public. Ce qu’il y auroit, ce semble, de mieux à faire, seroit de multiplier les éditions de ceux qu’on a déjà, et de chercher tous les moyens possibles de les mettre entre les mains de tout le monde. L’excellence de plusieurs de ces Livres est parfaitement connue de l’Auteur de celui-ci ; et il conviendront aisément qu’on ne pourroit en desirer d’autres en ce genre, si tous les Fideles étoient également capables de profiter des mêmes instructions. Mais on sait que, quoique les vérités de la Religion, les regles des mœurs, et les principales demandes que nous devons faire dans nos prieres, soient les mêmes pour tous les Chrétiens, elles ne doivent pas néanmoins être traitées de la même maniere pour tous. Si ceux qui sont déjà instruits ne trouvoient point dans un Livre, du tour, de la délicatesse, de l’érudition et une certaine élévation, ils le mépriseroient et ne daigneroient pas s’en servir. Si au contraire ceux qui sont ignorans et grossiers n’y trouvoient point un style simple et uni, des pensées, des expressions, et un certain détail à leur portée, ils ne pourroient en tirer aucun profit.

L’Auteur reconnoît avec une sensible consolation, dans les Ouvrages dont on vient de parler, tout ce qui est nécessaire pour les faire goûter et aimer des personnes déjà instruites d’ailleurs ; et par la miséricorde de Dieu, il y trouve lui-même tous les jours sa propre édification : mais il voit avec douleur que les ignorans, et les esprits rudes et grossiers, qui font plus de la moitié du monde Chrétien, n’en peuvent tirer que très-peu d’utilité.

On sait (et c’est ce qui cause une autre espece de douleur) qu’il se trouve dans le simple peuple un nombre prodigieux de Livres d’instructions et de Prieres proportionnées à son génie et à son goût. Mais ce sont (pour la plupart) des Ouvrages sans autorité et pernicieux, qui défigurent la beauté de notre véritable Religion, et qui l’exposent à la raillerie des libertins et des hérétiques. Les infortunés Auteurs de ces misérables Livres, sous prétexte de s’accommoder à la portée des ignorans, substituent des fables a la vérité, changent les grands principes du Christianisme en des raisonnemens pitoyables ; et au lieu du véritable culte, établissent des pratiques pleines de superstitions. Voilà ce qui perd entierement le pauvre peuple ; et un des plus grands soins des Ecclésiastiques et des bons Laïques devroit être d’employer toutes sortes de moyens pour retirer de ses mains ces dangereux Livres.

On s’est appliqué dans celui-ci à éviter les deux extrémités dont on vient de parler. L’Auteur que la Providence fait vivre au milieu des Pauvres et des ignorans, et qu'elle a mis par ce moyen en état de connoître parfaitement ce qui peut être plus utile à leur instruction et à leur édification, n’a eu précisément en vue que de le leur procurer. Sachant que rien n’est plus lumineux, plus persuasif et plus fort que la vérité, et qu’il ne faut que la faire connoître pour la faire aimer, il n’a eu garde de vouloir la cacher ou l’affoiblir : il s’est fait au contraire un devoir essentiel d’apprendre à ses Lecteurs le fond de la Religion : mais en même temps il a mis toute son application à se rendre intelligible aux esprits les moins intelligens ; et pour cela, il a répété quelque fois les mêmes choses en différens endroits, et s’est servi de plusieurs mots synonymes pour se faire mieux entendre. Il auroit souhaité souvent se rabaisser davantage, sachant par l’expérience qu’on ne sauroit trop le faire pour de certains esprits ; mais il a cru que ce qui est bon dans des discours familiers , pourroit être choquant dans un livre dont peut-être des personnes plus éclairées voudront se servir, quoiqu’on ne l’ait pas composé pour elles.

On ne s’est pas proposé seulement de se proportionner à la portée du simple peuple ; on a cherché encore à s’accommoder a sa pauvreté, en renfermant dans un seul volume tout ce qu’il y a de plus nécessaire pour l’instruction et l’édification de ceux qui n’ont pas le moyen d’en avoir plusieurs, et en leur donnant tout à la fois un livre d’Offices pour l’Eglise, et des Prieres particulieres, une Bible abrégée, un Catéchisme, des Regles pour les devoirs généraux de la vie chrétienne, et des instructions sur les obligations particulieres de leur état ; en sorte qu’un de ces livres peut servir à toute une famille, et qu’on aurait pu l’intituler : Bibliotheque Chrétienne pour ceux qui n’en ont point.

Plaise au Saint-Esprit, qui a inspiré le dessein de ce Livre, de répandre sa bénédiction sur ceux qui s’en serviront, et sur ceux qui en donneront charitablement aux Pauvres.

EXHORTATION

AUX RICHES,

Et à ceux qui ont accès auprès des Riches, de procurer aux Pauvres des livres d’instruction et de piété.

DIEU vous avertit si souvent et en tant de manieres dans ses divines Ecritures, et par la bouche des Prédicateurs et des Confesseurs, de l’étroite obligation où sont ceux d’entre vous, à qui il a donné des biens temporels, d’en faire part aux pauvres, que vous ne pouvez en douter, à moins que la cupidité n’ait entierement aveuglé votre esprit et endurci votre cœur ; ce qui est l’effet ordinaire des richesses dans ceux qui y mettent leur affection. On veut bien supposer ici que Dieu ne vous a pas abandonnés jusqu’à ce point, et qu’il vous a fait au contraire la grace de vous convaincre de cette indispensable obligation, et de vous en acquitter exactement : mais si, par une miséricorde particuliere de Dieu sur vous, vous n’avez besoin ni d’instruction, ni d’exhortations sur le précepte de l’aumône corporelle, peut-être n’êtes-vous pas également instruits de l’obligation où vous êtes d’employer une partie de vos biens temporels à remédier aux besoins spirituels des pauvres, en les aidant à sortir de l’affreuse ignorance où ils sont, pour la plupart, des Mysteres de la Religion et du devoir du Christianisme. Pour vous convaincre de cette obligation, il suffit que vous fassiez attention que cette ignorance étant une espece de pauvreté beaucoup plus déplorable et beaucoup plus pernicieuse que celle du corps ; si vous vous y rendez, insensible, vous méritez avec plus de justice d’être regardés comme les homicides des pauvres ( selon l’expression de S. Ambroise ), que ceux qui ne remédient point, autant qu’ils le peuvent, à la faim corporelle qui les consume : Si non pavisti, occidisti.

Vous direz peut-être que vous convenez volontiers que l’instruction des ignorans est un des devoirs les plus indispensables de la charité ; mais que ce devoir ne vous regarde pas, et qu’il ne tombe que sur ceux qui sont préposés dans l’Eglise pour instruire le peuple. Ce n’est point ici le lieu d’examiner si vous êtes absolument dispensés d’instruire les ignorans par vous-mêmes : ce qu’on prétend vous montrer présentement, c’est que le précepte de la charité vous engage à contribuer à l’instruction et à l’édification des pauvres, en employant quelque partie de vos biens à leur donner de bons Livres, parce que, faute de ce secours, ou ils demeurent absolument sans instruction, ou ils ne sont instruits que très-imparfaitement. Voici les preuves de ces deux verités, que l’expérience ne rend d’ailleurs que trop sensibles.

Supposons que ceux qui sont chargés d’instruire le peuple s’acquittent avec un grand zele de ce devoir ; que le peuple de son côté desire avec ardeur d’être instruit, avec tout cela il pourra souvent arriver que, faute de livres, plusieurs demeureront dans l’ignorance. Comment, par exemple, un enfant ira-t-il à l’école, s’il n’a point de livres ? et comment en aura-t-il, si ses parens sont si pauvres qu’ils ne puissent en acheter ? Disons la même chose du Catéchisme, des Prieres, etc.

Mais supposons encore que les Pauvres puissent sans le secours des livres, avoir quelque connoissance des choses nécessaires au salut ; ce qui est certain, c’est que, sans ce secours, ils acquierent cette connoissance bien plus difficilement et bien plus imparfaitement.

Les prédications sont inutiles à la plupart des Artisans et des peuples de la campagne, parce qu’elles sont au dessus de leur portée : les Prônes et les exhortations familieres leur sont un peu plus utiles ; mais celui qui les fait étant obligé de proportionner son discours à tout un auditoire, il lui est impossible d’entrer dans un détail qui convienne également à chacun de ceux qui l’écoutent : et quand il pourroit le faire, l’utilité que les Auditeurs pourroient en retirer est souvent affaiblie, ou par leur peu d’intelligence, ou par l’infidélité de leur mémoire, ou par quelque prévention contre le Prédicateur, ou par le peu de conformité qu’ils trouvent entre sa conduite et ses discours.

Il faut donc avouer que quoique les discours aient, ordinairement parlant, plus d’énergie que les livres, la lecture a néanmoins d’autres avantages, dont la parole est dépourvue.

Premierement, plusieurs personnes, et surtout le simple peuple, ajoutent bien plus aisément foi à ce qu’ils trouvent dans un livre, qu’à ce qu’ils entendent dire de vive voix.

Secondement, le style d’un livre étant plus naturel et moins figuré que celui d’un Orateur, il s’imprime plus aisément dans l’esprit et dans la mémoire, et par conséquent il est bien plus propre à instruire.

Troisiemement, un discours qu’on entend demande une très-grande attention pour en profiter, et échappe bien vite de la mémoire ; au lieu qu’on peut relire souvent les instructions contenues dans un livre, les pénétrer à loisir et en peser toute la force.

Quatriemement, un Prédicateur n’ose pas toujours nous montrer à nous-mêmes tels que nous sommes ; mais un livre est un ami sincere et désintéressé qui ne nous cache rien : c’est un miroir qui ne flatte personne.

Cinquiemement, un bon livre dans une maison, est comme un Prédicateur qu’on peut entendre à toute heure et à tout moment, et comme un Directeur domestique, que tous ceux de la famille peuvent consulter sur leurs différens besoins.

Sixiemement enfin, pour donner en un mot l’idée des avantages qu’on trouve dans un bon Livre, il suffit de dire que c’est le moyen dont Dieu s’est servi le plus souvent et le plus efficacement pour opérer les plus grandes conversions. S. Augustin qui avoit tant de fois projeté la sienne, mais que la tyrannie de la mauvaise habitude retenoit toujours dans ses crimes et dans ses erreurs, fut converti tout d’un coup par la lecture de S. Paul. Ce même Saint rapporte dans le huitieme Livre de ses Confessions, que quelques Officiers de la Cour de l’Empereur ayant trouvé comme par hasard la vie de S. Antoine, ils furent si touchés de la lecture qu’ils en firent, qu’ils renoncerent au monde ; ce que firent, à leur exemple, les filles à qui ils étoient fiancés. Saint Ignace de Loyola étant engagé dans la profession des armes, et n’ayant l’esprit et le cœur remplis que de vanité, fut converti par la lecture des vies des Saints, qu’il ne faisoit cependant que par curiosité et par maniere de délassement, et au défaut des romans qu’il avoit demandés. Dieu se servit du Livre des Confessions de S. Augustin, pour rappeller Ste. Thérese à sa premiere ferveur, qui s’étoit un peu ralentie par les visites des personnes du monde, par usage moins fréquent de l’Oraison, et par l’ignorance de ses Confesseurs, et pour la faire arriver à ce degré éminent de sainteté qui l’a rendue un modele accompli de la plus sublime perfection.

On s’abstient exprès de rapporter ici un plus grand nombre d’exemples de cette nature : mais on ne croit pas devoir omettre ce qu’on lit à ce sujet dans le second livre d’Esdras, chapitre huitieme. Il y est rapporté que les Israélites s’assemblerent un jour de Fête dans une grande place, avec tant d’ordre et de silence, qu’on eût dit qu’il n’y avoit qu’une seule personne. Ils prierent Esdras, Prêtre et Docteur de la Loi, d’apporter la Loi de Moïse que le Seigneur avoit prescrite à Israël. Il l’apporta donc ; et étant monté sur un lieu éminent, il ouvrit le Livre devant tout le peuple, qui se tint debout par respect, et afin d’entendre plus facilement. Esdras lut donc dans ce Livre distinctement, et d’une maniere intelligible, depuis le matin jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes et de ceux qui étoient capables de l’entendre. Tout le peuple avoit les oreilles attentives à la lecture de ce Livre ; et elle fit une si vive impression sur leur esprit et sur leur cœur, qu’ils fondoient tous en larmes, sans qu’il fût possible aux Lévites de les appaiser. Esdras leur dit qu’ils ne devoient point s’attrister a cet excès, parce que ce jour étoit consacré à Dieu d’une manière particuliere. Ainsi le peuple s’en retourna pour prendre de la nourriture, en envoya à ceux qui n’en avoient point, et passa le reste du jour dans une sainte réjouissance, parce qu’il avoit compris les paroles qu’il avoit entendues.

Tout ce qu’on vient de dire suffit sans doute pour vous convaincre, que de même qu’il y a une infinité d’ames qui se perdent par la lecture des mauvais livres ( comme vous le savez peut-être par votre propre expérience ), il y en a aussi plusieurs autres qui se perdent faute d’en avoir et d’en lire de bons.

Voyez donc présentement, Riches, soit Ecclésiastiques, soit Laïques, qui employez des sommes considérables en dépenses superflues, inutiles, ou même criminelles, voyez comment vous pourrez, au Tribunal de Dieu, soutenir les reproches que vous feront les pauvres de les avoir laissé périr éternellement, faute d’avoir voulu faire la plus petite dépense pour leur donner le moyen de s’instruire de leurs devoirs.

Quant à ceux à qui Dieu n’a pas donné des biens suffisans pour exercer cette bonne œuvre par eux-mêmes, mais qui ont reçu les talens de la parole, du crédit, de l’accès, et de la familiarité des Grands et des Riches, ils sont obligés d’employer ce talent en faveur des pauvres, et d’imiter en cela l’exemple de la sainte Vierge, qui, voyant que le vin manquoit aux noces de Cana, et ne pouvant remédier à ce besoin par elle-même, implora la charité et la puissance de son Fils, qui accorda à sa priere un prompt et abondant secours à ces pauvres gens qui les avoient invités.

Ce que nous disons ici ne regarde pas seulement les Directeurs, les Confesseurs et les Predicateurs, qui doivent faire servir l’autorité de leur ministere à la propagation de l’Evangile, en exhortant puissamment les Riches à répandre abondamment les Livres de piété et d’instruction dans les mains des pauvres, qui n’ont pas le moyen d’en acheter ; cette obligation regarde indifféremment toutes les personnes qui n’ont d’autre talent que celui de la familiarité, comme l’appelle S. Grégoire ; ils sont coupables de la perte des ames, si une mauvaise honte ou une timidité paresseuse leur fait retenir ou enfouir ce talent. Ce que ce Pere dit par rapport à l’aumône ordinaire : Que ceux qui ne font pas usage de ce talent doivent craindre le jugement du serviteur lâche et paresseux, n’est peut-être, pas moins à craindre à l’égard des aumônes spirituelles, au moins pour quelques-uns. Que ceux donc qui n’ont jamais réfléchi serieusement sur ce devoir y fissent une bonne fois l’attention qu’il mérite, afin de n’être pas condamnés au Tribunal de J. C. à être jetés dans les ténebres extérieures, pour avoir négligé d’aider leurs freres à sortir des tenebres de l’ignorance.

EXHORTATION

AUX PAUVRES

De se procurer quelques Livres de piété ou en les achetant, s’ils le peuvent, ou en sollicitant les Riches de leur en donner.

L’Apôtre saint Jacques nous apprend, que Dieu a choisi ceux qui étoient pauvres dans ce monde pour être riches dans la foi, pour être les héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment. Ce Dieu de charité, dont les desseins sont au dessus de notre intelligence, dont la conduite est opposée en tout à celle du monde, réprouve ce que le monde estime, et traite honorablement ceux que le monde rejette avec horreur. Voilà, mes très-chers Freres, l’état que Dieu fait de vous, voilà la préférence qu’il vous donne au dessus des Riches : voilà l’excellence et la dignité de votre vocation. Mais pour profiter de ces avantages, il faut correspondre aux desseins de misericorde que Dieu a sur vous. Votre état vous procure bien plus de moyens de salut, que celui des richesses, et vous pouvez plus aisément qu’eux, participer dans le ciel à la Royauté de celui qui est descendu du ciel pour participer sur la terre à votre pauvreté. Mais sachez que vous n’arriverez jamais à ce bonheur qu’en vous rendant riches dans la foi ; et par conséquent votre grand devoir est de vous appliquer serieusement à connoître les principes de la Religion, et à en pratiquer les œuvres.

Un des meilleurs moyens et des plus nécessaires pour vous acquitter de cette double obligation, est d’avoir quelques bons Livres. Cela ne vous sera pas difficile si vous le desirez sincerement, et si vous voulez faire pour votre ame, et pour l’ame de ceux qui composent votre famille, ce que vous faites pour votre corps. Quand on vous parle de l’obligation où vous êtes de vous procurer quelque livre qui serve à former la foi et les vertus dans vos enfans, aussi-bien que dans vous-mêmes, et à vous faire gagner aux uns et aux autres la vie éternelle, vous vous excusez sur votre pauvreté. Mais on voudroit bien vous demander si cette prétendue pauvreté vous empêche de vous procurer et à vos enfans, les soulagemens absolument nécessaires dans vos maladies ; si elle vous empêche de faire quelquefois une petite dépense extraordinaire pour vous mieux traiter, et même pour vous mieux divertir ; si elle vous empêche d’avoir tous les outils de votre métier. Quelque pauvres que vous soyez, vous trouverez de quoi fournir à ces dépenses : il n’y a que quand il s’agit d’avoir quelques livres nécessaires, que vous alléguez votre pauvreté.

Mais on veut bien supposer que vous êtes véritablement pauvres, que vous ne pouvez absolument vous procurer ce secours par vous-mêmes. On vous demande encore ici. Que faites-vous quand vous manquez d’outils et des autres choses nécessaires pour votre subsistance et pour celle de votre famille ? N’avez-vous pas recours à la charité des gens de bien ? Que n’en faites vous autant pour avoir quelques Livres de piété, qui sont les instrumens les plus nécessaires, puisqu’ils servent à acquérir non une nourriture qui périt, mais une nourriture qui demeure pour la vie éternelle ! Avouez sincerement que l’indigence où vous êtes de cette précieuse nourriture, ne vient que de l’indifférence que vous avez pour les choses de votre salut ; car il est constant que si votre foi vous donnoit à proportion autant d’ardeur pour la vie de votre ame que vous en avez pour celle de votre corps, vous trouveriez aisément des personnes de piété qui, charmées d’une demande si chretienne, si désintéressée et si peu ordinaire, se feroient un devoir et un plaisir de vous donner gratuitement et par charité ces sortes de Livres. Faites-en l’expérience.

INSTRUCTION.

Sur l’obligation où sont les Peres et Meres, d’envoyer leurs Enfans à l’Ecole et au Catéchisme.

Quoiqu’on ait mis dans ce Livre un article exprès des devoirs des Peres et des Meres, on a jugé à propos de parler ici en particulier de l’obligation qu’ils ont d’envoyer leurs enfans à l’Ecole et au Catéchisme.

On peut dire avec vérité, que si tous les Peres et Meres s’acquittoient soigneusement de ce devoir, ce seroit le moyen le plus efficace pour réformer la plus grande partie du monde, et pour diminuer considérablement le nombre des pauvres et des misérables. En effet, pour peu qu’on veuille chercher quelle est la source de la corruption et des désordres qui regnent parmi le simple peuple, et de la pauvreté qui l’accable, on connoîtra aisément que c’est le défaut de l’instruction.

Cette verité est sensible pour ce qui regarde la corruption des mœurs. Nous naissons tous avec un penchant affreux au mal ; ce penchant augmente avec l’âge ; tout contribue à le fortifier, les objets des passions l’irritent, les discours et l’exemple des autres l’autorisent ; enfin ce malheureux penchant nous entraîne, comme malgré nous, dans le péché et dans la damnation, si on ne fait pas tous ses efforts pour en arrêter la violence. Et qu’y-a-t-il à faire pour cela ? sinon d’etouffer les semences d’erreur qui aveuglent notre esprit, de déraciner les mauvaises habitudes qui corrompent notre cœur, et de s’opposer aux fausses maximes des méchans qui tâchent de nous séduire. Et comment peut-on s’acquitter de ce devoir ? sinon en se remplissant des principes de la foi, et des maximes de sagesse et de piété que Jesus-Christ est venu nous enseigner. Pour s’en remplir, il faut les lire et les entendre, et par conséquent il faut apprendre de bonne heure à les lire, et assister aux Catéchismes où on les explique. Quand Dieu fait la grace à un Pere ou à une Mere de commencer, quoique bien tard, à aimer les choses de la Religion, et à vouloir tout de bon travailler à leur salut, ils déplorent amèrement leur sort de ne pouvoir s’instruire et s’édifier par la lecture de quelque bon Livre : ils sont persuadés que cette sorte de lecture serviroit beaucoup à connoître leurs devoirs, et à s’en acquitter ; ils ont raison. Mais que ne procurent-ils à leurs enfans un si grand bien, dont ils regrettent si fort la privation par eux-mêmes, s’ils ne sont plus en état d’apprendre, que ne le font-ils apprendre à leurs enfans ? Ils se procureroient par ce moyen l’avantage qu’ils ne peuvent se procurer d’eux-mêmes, mais qu’ils pourroient se faire faire de bonnes lectures par ces enfans, et apprendre de leurs bouches les instructions qu’on leur auroit données à l’Ecole. C’est ainsi que par un saint commerce le zele des parens procureroit la science aux enfans, et la science des enfans serviroit à l’instruction des parens. Par ce moyen, non-seulement on verroit bientôt la sagesse et la piété régner dans les familles, où l’ignorance fait régner la corruption et les désordes : mais on en banniroit encore cette extrême pauvreté qui les désole, et qui n’est souvent causée en partie que par cette affreuse ignorance.

Rien n’est plus ordinaire que de trouver dans les familles du simple peuple quantité de personnes qui ont de l’esprit, de la dextérité et d’autres talens naturels, avec lesquels ils pourroient aisement et en peu de temps, s’ils étoient cultivés, entrer dans de certaines places, où ils pourroient faire une petite fortune pour eux et pour leurs parens ; mais faute de savoir lire et écrire, ils perdent ces places et sont contraints de languir dans la misere : cela se voit tous les jours ; ce qui prouve la vérité de ce qu’on dit ordinairement, que le meilleur patrimoine que les parens puissent laisser à leurs enfarns, est une bonne éducation.

Ce qu’il y a de plus criant en ceci, c’est qu’il arrive souvent que ces pauvres enfans ont la meilleure envie du monde de s’instruire et de s’avancer : ils prient et ils conjurent leurs parens de les envoyer à l’Ecole, et ils ne peuvent obtenir cette grace. Cette cruauté ne crie-t-elle pas vengeance ? Et sans parler du compte rigoureux que Dieu fera rendre un jour de cette conduite, à ces parens dénaturés, n’est-ce pas par un châtiment secret que Dieu permet que ces enfans tombent dans le libertinage et la débauche, et vivent dans un esprit d’indépendance, de désobéissance et de révolte contre leurs Peres et leurs Meres ?