Quelque six mille proverbes/Préambule

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Ce n’était pas une si sotte idée (n’en déplaise à ceux qui ont cru mieux faire en l’écartant), que celle des anciennes grammaires, où l’on réunissait communément bon nombre de proverbes comme complément naturel du livre. L’étudiant y trouvait à la fois bien des idiotismes de la langue qu’il s’était proposé d’apprendre ; et, avec beaucoup de phrases courtes mais pleines de sens, qui meublaient sa mémoire de mots faciles à retenir, un certain aperçu du caractère national auquel il s’agissait de s’initier. Car un idiome ne saurait être séparé de la tournure d’esprit qui a déterminé sa formation ; et la connaissance de ce tempérament particulier à une nation, importe sans doute à qui prétend traiter avec elle, ne fût-ce que par ses livres.

Ainsi, par exemple, quoi qu’en dise Boileau, le peuple français nous apparaît, dans ses proverbes, non pas tant spirituel ou né malin, que doué d’un certain bon sens pratique un peu terre-à-terre ; et le Père Bouhours remarquait fort justement que nos proverbes ont quelque chose de particulièrement roturier. Cela devait étonner beaucoup un contemporain de Louis XIV ; mais depuis lors on a pu mieux voir ce qu’il y avait du vieux Jacques Bonhomme, ou tout au moins du bourgeois dans les profondeurs de notre société, malgré les beaux semblants d’élégance et d’appareil qui semblaient la caractériser au temps du grand roi.

Arrêtons-nous, car je m’aperçois que, sur ce pied-là, je risque de rédiger un véritable discours préliminaire à propos de ma petite collection ; et ce serait un vestibule beaucoup trop grandiose pour cette chaumine. J’avais voulu tout simplement dire que les proverbes me paraissaient bons à quelque chose, et que mon recueil avait été primitivement formé, conduit même presque entièrement à son état actuel, au moyen des grammaires maintenant mises à la réforme. C’était une partie de ces vieux livres, que j’ai prétendu sauver de l’oubli ; et un essai qui peut être regardé comme la première édition de celui-ci, a été assez bien accueilli pour me faire penser que j’avais mis la main sur quelque chose d’utile. Si peu qu’on soit auteur, on se laisse persuader cela facilement ; aussi l’ai-je cru sans peine dès qu’on me l’eut répété un certain nombre de fois. Mon livret, aujourd’hui plus que doublé, pouvait être poussé plus loin, s’il eût été refait à loisir ; tel qu’il est, après les remaniements qu’il a subis durant des allées et venues de quelques mois, il peut servir à diverses fins mieux que dans son premier état beaucoup trop informe… Mais ce n’est pas à moi de faire ressortir les défauts qui le déparaient, d’autant que la chose est désormais faite, et refaite. Si l’édition actuelle agrée au public, je vois bien déjà quelques-unes des améliorations qu’il y aurait encore à y introduire pour une autre.

Il peut être bon de redire, dès le début, qu’on ne doit pas s’attendre à trouver ici rangés parmi les proverbes ce qui est tout simplement locution usuelle chez une nation, et tour de phrase particulier à un peuple (idiotisme, phrase proverbiale, si l’on veut). Je ne qualifie de proverbes que les aphorismes de la sagesse populaire ; tenons-nous-en, sauf mieux, au sens du nom que leur donnait la Grèce ; il signifie à peu près philosophie triviale, sagesse qui court les rues. Voilà le vrai mot, ou peut s’en faut. Ce sont des axiomes, ou décrets (décisions, sentences) de l’expérience quotidienne, généralement passés en usage comme une sorte de monnaie qui a cours sans contestation dans toute une contrée. Ces formules de la philosophie pratique des bonnes gens, peuvent absolument paraître bien vulgaires à certains esprits délicats ; c’est souvent le gros sou du peuple, que le plus dédaigneux des financiers doit pourtant faire entrer en ligne de compte, et qui après tout est l’instrument de mille transactions journalières. La popularité seule de ces adages emporte un fonds de raison plus ou moins palpable qui a dû leur acquérir dans la conversation familière le caractère de chose jugée. Ne serait-ce rien, pour une statistique qui a bien sa valeur, que de parvenir à faire le relevé de toutes les maximes qui forment le fonds de roulement dans la mémoire d’une société, pour la direction ordinaire de l’esprit et du cœur ? Un tel inventaire n’est certes pas à mépriser, même pour le moraliste ; et si mince que soit aujourd’hui ma petite contribution, je pourrais en tirer déjà bien des aperçus de quelque valeur, n’était que j’éprouve une antipathie très-prononcée pour les avant-propos.

Je m’en vais toutefois faisant quelque chose de pareil, à force de m’être laissé dire qu’il me fallait une préface pour ma seconde édition ; et c’est justement pourquoi je n’irai guère plus loin que cette indication apologétique de la fantaisie qui a donné naissance au volume que voici.

Que si quelqu’un (comme il se pourrait bien faire) ne laissait pas de demander encore : À quoi bon ? je répondrai que :

1oJe ne considère personne comme obligé de se procurer mon livre, dont j’avoue ne pouvoir affirmer que le besoin s’en fît généralement sentir. Ceux qui en auront fait l’acquisition donneront, s’ils le veulent, les motifs de leur démarche ; et quelques-uns de ceux-là me justifieront peut-être en connaissance de cause. Pour l’auteur, il avait des raisons qu’il pense avoir droit de garder par devers lui, jusqu’à nouvel ordre. Les gens trop sévères contre son passe-temps seront peut-être moins scandalisés en apprenant que ç’a été presque uniquement l’occupation de journées qui eussent probablement reçu bien moins d’emploi chez d’autres ; car le plus souvent je n’étais pas dans mes meubles, comme on dit, quand j’y ai mis la main. C’eût été sans doute mieux fait de passer ces heures à prier Dieu ; je ne dis pas non. Trop heureux qui ne fait pas le pis.

2oCeux qui jugeraient les proverbes chose trop futile, pourront trouver une circonstance atténuante dans l’appendice final qui réunit bon nombre d’axiomes jadis usuels chez les philosophes et les jurisconsultes in V. I. Ces aphorismes, après avoir été employés chaque jour dans l’école et au palais, sont souvent tombés dans une telle désuétude, qu’il n’était plus aisé de les retrouver aujourd’hui. On en aura ici une certaine quantité, ne fût-ce qu’en manière de musée archéologique ; et je me trompe beaucoup si quelque homme de sens ne juge pas çà et là que toutes ces formules ne méritaient pas l’obscurité où le dernier siècle les a précipitées. En tout cas, ne vît-on ici que des matériaux d’histoire littéraire, il est certain que parfois tels documents peuvent être fort utiles pour l’intelligence ou l’appréciation d’hommes et de travaux qui ont leur mérite. Pour la philosophie scolastique, en particulier, tel pourra sourire en certains cas, se disant que c’est bien grande dépense de métaphysique un peu oiseuse et non pas toujours inébranlable ; mais quelle analyse ardue, au fond, et avec quel désir énergique de compléter les théories les plus fuyantes ! Puis comment ne pas apercevoir au moins que les têtes de jeunes gens familiarisés par un exercice de chaque jour, avec des instruments de cette force, devaient être rompues à une rude gymnastique.

« Hæc illius arma,
Hic cæstus fuit ! »

Je ne doute pas, d’ailleurs, que plusieurs de ces maximes quasi perdues aujourd’hui, même pour beaucoup de maîtres, ne soient appréciées à une haute valeur parmi d’autres passablement creuses, à vrai dire. Il en est assurément qui offriraient un excellent sujet de dissertations fort solides. Convenons du reste que ces formules n’atteignent pas toutes ni une valeur importante, ni l’élégance désirable.

3oUn homme bien autrement grave que moi, et après un bien plus gros livre, croyait pouvoir terminer par abeat quo libuerit… ! Qu’il n’en soit donc plus question ; d’autant que :

« Est bien fou du cerveau,
Qui prétend contenter tout le monde et son père. »

Il peut être convenable de déclarer que si quelque classe de personnes se croyait maltraitée par quelqu’un des adages ici recueillis, le compilateur ne saurait accepter qu’on l’en rendît responsable, n’ayant fait autre chose qu’écouter aux portes, et constater le bruit public. Calomnie ou médisance, cela se disait ; et l’on peut se trouver bien de ne pas ignorer les propos indiscrets des mauvaises langues, ne fût-ce que pour ne pas verser du côté où l’on penche. Quant à moi, pas plus là que pour les axiomes, je n’entends garantir ni la maxime elle-même, ni surtout les applications que l’on pourrait en faire. Disons d’ailleurs qu’en se montrant piqué, on pourrait donner aux malins l’occasion de croire qu’on a été touché à un endroit sensible. Le mieux est de démentir en pratique une méchante réputation, le fondement fût-il même assez bien établi en général ; or, on sait que plus d’un dicton désagréable reposait primitivement sur quelque sot calembour, ou sur la rime, qui est mauvaise conseillère. Je démasquerais sans peine quelques-unes de ces malencontreuses origines, si je ne m’étais interdit tout commentaire.

Dans l’appendice qui renferme les axiomes scientifiques, je me suis borné au latin ; et encore m’a-t-il fallu recourir à quelques gloses qui ne lèveront certainement pas toute difficulté. Quant au reste, tout en annonçant dès l’abord que j’avais souvent mis à contribution les grammaires, et que les collections de proverbes peuvent être fort utiles pour commencer l’étude des langues, je n’ai pas entendu promettre que la version serait littérale. J’avais un autre but qui n’était point grammatical précisément, et ma traduction rendra parfois la pensée plutôt que les mots. Le plus souvent, toutefois, je serre le texte d’assez près. Pour ce qui est de l’ordre suivi dans chacune des séries empruntées à un même idiome, il est généralement alphabétique ; mais établi sur une des expressions principales de chaque maxime, et non sur le mot par où elle débute.

Je me suis abstenu de tout commentaire, pour plus d’un motif ; et entre autres, parce qu’une collection peut fort bien n’être pas un traité. Il est vrai que, dans une collection bien rangée, la classification peut absolument tenir lieu de traité doctrinal jusqu’à un certain point ; aussi prétendais-je suppléer en quelque façon, par des tables, à un arrangement méthodique. Mais les délais de l’impression m’ont obligé de terminer brusquement, lorsque j’allais m’absenter sans avoir exécuté ce projet. Du reste, ceux qui savent combien il y a de mérite à se borner, comprendront sans doute que prendre son parti de disparaître derrière son travail est pourtant une qualité quelque peu estimable. Aussi bien, comme le disent les maximes recueillies sous la dictée de l’Esprit-Saint (Eccles. XII, 12) : His amplius, fili mi, ne requiras ; faciendi plures libros nullus est finis.

C. C.