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Résumé des faits relatifs à l’action de l’éther et du chloroforme

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RÉSUMÉ[1]
DES
FAITS RELATIFS À L’ACTION
DE
L’ÉTHER ET DU CHLOROFORME
Sur les fonctions et sur la contractilité de l’utérus ; sur l’appareil digestif ; sur la sécrétion des larmes, sur celle de la salive, sur la sécrétion bronchique et celle de la muqueuse buccale, sur la sécrétion du lait ; sur la sécrétion urinaire ; sur l’état de la peau envisagée sous le rapport de sa coloration, de sa chaleur et de ses sécrétions ; sur la chaleur générale ; sur la voix ; sur l’exhalation pulmonaire. — Persistance de l’action des agents anesthésiques. — Leur influence sur les faits les plus importants de physiologie pathologique.
Par M. le docteur Edmond SIMONIN.


I.

Résumé des faits relatifs à l’action de l’Éther et du Chloroforme sur les fonctions et sur la contractilité de l’utérus.

L’emploi de l’éther et du chloroforme produit dans l’utérus, comme dans les autres appareils, une excitation qui a pour résultat, dans quelques cas, l’apparition des menstrues, soit qu’elles devancent l’époque normale, soit qu’elles réapparaissent après plusieurs mois d’absence. Les faits exceptionnels d’arrêt dans les menstrues, au moment de l’anésthésiation, doivent être rapportés à l’émotion, ainsi que cela a lieu à la suite d’une foule d’influences morales.

Il n’y a point de différence entre l’action de l’éther inhalé ou introduit par le rectum, et celle du chloroforme sous le rapport de l’excitation dont il vient d’être question.

Mais si l’utérus prend part jusqu’à un certain point à l’éthérisme général, son éthérisme ne s’accroît point rapidement et ne paraît pas devoir présenter la période de collapsus, par cette seule raison qu’avant d’atteindre cette dernière période, l’agent anésthésique aurait foudroyé l’économie toute entière, en annihilant la circu- lation et la respiration. Si le temps manque pour amener l’utérus à la période de collapsus, on peut donc dire que l’éther et le chloroforme ne déterminent pas la période de collapsus utérin.

L’utérus garde, en conséquence, sa contractilité lorsque l’éthérisme complet est apparu dans l’intelligence, la sensibilité, la circulation, la respiration et l’appareil musculaire général.

On peut donc, au moment de la parturition normale, sans péril pour la mère et sans danger pour l’enfant, suspendre l’intelligence et une partie de la sensibilité.

On peut donc suspendre la sensibilité toute entière, au moment même d’une opération césarienne, sans que la contractilité de l’utérus soit en rien diminuée, et sans danger, au point de vue toxique, pour la mère et pour l’enfant.

Il résulte encore des faits une autre conclusion bien importante au point de vue de l’application des agents anésthésiques, c’est que les douleurs physiologiques sont calmées plus facilement que les douleurs causées par la pratique des opérations ou par des altérations pathologiques ; lors des premières, l’intelligence et la conscience peuvent n’être point suspendues, bien que les douleurs soient calmées, ce qui n’est jamais survenu sous nos yeux dans les cas chirurgicaux d’une certaine importance.

II.

Résumé des faits relatifs à l’action de l’Éther et du Chloroforme sur l’appareil digestif ; sur la sécrétion des larmes, sur celle de la salive, sur la sécrétion de la muqueuse buccale, sur la sécrétion bronchique ; sur la sécrétion du lait.

§ 1. Appareil digestif.

La vapeur d’éther inhalée provoque, parfois, sympathiquement une chaleur à l’estomac qui, ordinairement, n’apparaît qu’au début de l’éthérisation mais qui, dans quelques cas exceptionnels, persiste durant plusieurs heures. La soif survient chez quelques sujets d’une manière assez intense au commencement de l’inhalation.

Lorsque le système nerveux éprouve l’éthérisme après que la perte de la conscience et la suspension de l’intelligence ont été constatées ; au moment où la sensibilité périphérique a éprouvé l’action de l’agent anésthésique, éther ou chloroforme, un malaise, une angoisse très-marquée apparaissent, des nausées et des vomissements se manifestent, lorsque le sujet éthérisé a pris des aliments avant l’inhalation. Ces phénomènes se produisent, aussi, dans des cas très-exceptionnels, bien que le sujet anésthésié soit déjà loin de son dernier repas.

Ces symptômes gastriques forcent le praticien à suspendre l’anésthésiation et, durant son interruption, l’éthérisme déjà obtenu, décroît ou disparaît complétement. La reproduction de ces accidents, lors de chacune des reprises de l’éthérisation peut en motiver la suspension définitive sans que l’opérateur ait pu atteindre le but désiré, c’est-à-dire l’anésthésie. Ces symptômes peuvent, aussi, apporter de grandes difficultés lors des opérations qui doivent être pratiquées sur la face.

Bien qu’aucun danger pour la vie des opérés ne me soit apparu lorsque l’estomac contenait des matières alimentaires, les réflexions qui précèdent doivent faire veiller, avec le plus grand soin, à l’abstinence des futurs opérés.

L’inhalation de l’éther ou du chloroforme ne provoque aucune douleur abdominale. Chez un petit nombre de sujets, des selles, naturelles quant à leur aspect, apparaissent au moment de l’excitation musculaire produite par les agents anesthésiques, et cette manifestation de l’excitation musculaire de l’intestin a lieu, surtout, lorsque durant la période en question, la vessie est excitée par un cathétérisme. Jamais, chez l’homme, pendant la période de collapsus général, le sphincter anal n’a permis de selles par suite de son relâchement. Il n’en a pas été de même sur un animal.

Pendant et après les éthérisations per anum, des symptômes annoncent l’influence locale qui est la conséquence de l’introduction des vapeurs éthérées dans le tube intestinal. Au début de l’éthérisation, avant que la conscience ne soit modifiée, le sujet éthérisé ressent un malaise abdominal. L’action topique provoque la fonction spéciale de l’intestin et détermine après l’éthérisation, et pendant un temps très-variable, des excrétions liquides plus ou moins nombreuses.

§ 2. Sécrétion des larmes.

La sécrétion des larmes est accrue sous l’influence de l’éther ou du chloroforme, pendant la période dite d’excitation, tantôt dès le début de l’anésthésiation, tantôt après un temps assez long d’inhalation. Cet accroissement de sécrétion est distinct du larmoiement qui résulte de l’action directe des agents anésthésiques sur le globe oculaire, et ne peut être confondu avec les larmes qui sont versées lors des modifications intellectuelles déterminées par ces mêmes agents.

§ 3. Sécrétion de la salive, sécrétion bronchique, sécrėtion de la muqueuse buccale.

Pendant la période d’excitation, la quantité de la salive est, parfois, accrue notablement, mais sans que l’aspect du liquide varie sensiblement, et sans que le mode d’éthérisation puisse être considéré comme cause unique de cet accroissement de sécrétion.

Pendant la période de collapsus, l’aspect du liquide sécrété offre, parfois, au contraire, de très-notables modifications. Une écume fine, légère, très-blanche en général, apparaît entre les dents et remplit quelquefois la bouche. Cette écume n’est pas constituée par la salive seulement, et la membrane muqueuse de la bouche et celle des bronches semblent aider par leurs sécrétions propres à la production anormale de cette écume. En traitant des faits relatifs à la respiration, j’ai indiqué que ce phénomène avait été noté après les éthérisations rectales, comme après les inhalations de l’agent anésthésique.

§ 4. Sécrétion du lait.

L’unique observation faite sur la sécrétion du lait envisagée sous le rapport de l’action physiologique du liquide sécrété se rapporte à une expérience tentée sur un animal. De cette expérience il résulte que les propriétés physiologiques du lait sécrété et donné comme aliment ne sont point influencées d’une manière toxique par une anésthésie profonde, poussée jusqu’aux dernières limites compatibles avec la vie.

III.

Résumé des faits relatifs à l’action de l’Éther et du Chloroforme sur la sécrétion urinaire.

Pendant la période d’excitation musculaire déterminée par l’éther ou par le chloroforme, et sous l’influence du cathétérisme pratiqué durant cette période, l’émission de l’urine a eu lieu en jet, par suite de contractions musculaires. Pendant la période de collapsus, ce fait ne s’est pas manifesté.

La sécrétion de l’urine a été fréquemment ralentie et diminuée à la suite de l’anésthésiation.

Après l’emploi des agents anésthésiques, le liquide urinaire n’a point offert d’apparence anormale, sous le rapport de sa coloration, de sa limpidité et de son odeur. Les propriétés de ce liquide ont été modifiées ultérieurement, par la fièvre consécutive aux opérations, sur les sujets anésthésiés comme chez ceux qui n’ont point subi l’action de l’éther ou du chloroforme.

Bien que l’éthérisation simule sur le système nerveux de l’homme certains effets semblables à ceux qui ont été constatés après des vivisections pratiquées sur les animaux, on ne peut, sous le rapport de la sécrétion urinaire comparer entièrement l’action de l’éther et du chloroforme sur la moelle allongée de l’homme à l’excitation produite sur celle des animaux, à l’aide du scalpel, au niveau des nerfs pneumogastriques. L’action des anésthésiques est très-variable à raison même du mode de son action.

D’après six observations il est évident que dans certains cas, après l’éthérisation, tantôt l’urine a contenu de la glucose, tantôt au contraire n’en a renfermé aucune trace. Ces différences dans les résultats observés dans la sécrétion urinaire ont, ce nous semble, une explication fort simple. L’analogie entre l’anesthésiation et l’irritation mécanique tentée sur les animaux ne paraît, en effet, devoir exister qu’autant que l’agent anésthésique développe une véritable excitation du système nerveux traduite par une excitation générale et par celle du système musculaire en particulier. Cette analogie n’a, au contraire, aucune raison de se produire lorsque la rapidité d’action de l’agent anésthésique a été telle que la période d’excitation ne s’est pas manifestée. Or, ce dernier résultat est fréquent dans la pratique chirurgicale et parfois on cherche avec soin à l’obtenir. Dans un grand nombre de cas, la rapide sidération du système nerveux a lieu comme l’on sait, en raison même de l’état de ce système chez certains sujets.

L’observation à la clinique de Nancy parait donner raison à cette manière de voir. Là, en effet, où le sucre a été rencontré d’une manière notable, l’excitation musculaire a été extrême avant la période de collapsus ; là où les traces du sucre ont été si faibles qu’il y a eu doute sur sa production, on trouve dans les observations une excitation musculaire fort médiocre, et enfin nulle trace de glucose n’existe dans les cas où le système nerveux a été sidéré très-rapidement.

Pendant que mon attention se fixait d’une manière spéciale sur la recherche du sucre dans l’urine des sujets anésthésiés, le hasard a amené à la salle d’opérations un assez grand nombre d’individus atteints d’affection cancéreuse, et l’on pourrait objecter que la glucose qui, dans ces cas de maladie spéciale, a été observée en dehors des faits d’anésthésiation, ne fût point le résultat de l’action de l’agent anésthésique. Cette objection peut être réfutée ; des analyses de l’urine furent faites sur les sujets opérés, avant et après les anésthésiations, et tel sujet qui n’offrait pas de sucre avant l’emploi du chloroforme en offrit après en avoir usé. Mais ce qui est plus important à noter est la différence qui exista sur un même sujet cancereux deux fois anésthésié et opéré, dans un temps assez court ; la première fois, du sucre fut rencontré après l’anésthésiation, et la deuxième fois ce résultat n’eut pas lieu. (En 1856.)

IV.

Résumé des faits relatifs à l’action de l’Éther et du Chloroforme sur l’état de la peau envisagée sous les rapports de sa coloration, de sa chaleur et de ses sécrétions ; sur la chaleur générale.

L’emploi des agents anesthésiques motive des modifications de la coloration de la peau, de ses sécrétions et de la chaleur générale.

La coloration de la peau et surtout celle du visage, la sensation d’accroissement de la chaleur générale, la production d’une sueur chaude, sont des symptômes qui doivent être rattachés à une période d’excitation produite par les agents anésthésiques, et qui se révèle à la suite de l’emploi de l’éther et du chloroforme en inhalation et de l’emploi de l’éther per anum, comme on l’observe dans l’intelligence, dans les appareils de la circulation de la respiration, dans l’appareil musculaire.

Mais le mode d’emploi de l’agent anésthésique est susceptible d’accroître d’une manière très-notable le symptôme dont il s’agit. Son intensité a été moindre, en effet, lorsque le chloroforme a été inhalé sans l’aide d’appareil ; l’intensité du symptôme a été accrue lorsque le même agent a été employé, au contraire, à l’aide d’appareil. Enfin lors de l’emploi de l’éther toujours mis en usage à l’aide de divers appareils, ce symptôme a eu sa plus grande intensité lorsque les appareils ont été défectueux.

Avec l’appareil à deux tubulures la rougeur de la figure n’a pas été poussée à ses dernières limites, parce que la volonté du malade étant indispensable pour l’inhalation, cette volonté a été suspendue par le fait même de la suppression de l’intelligence, tandis qu’avec les appareils maintenus par force devant la bouche des sujets éthérisés, les difficultés de la respiration ont été parfois extrêmes pour ces sujets. Il faut se souvenir que les narines étaient fermées, à l’aide d’une pince, dans le temps où les appareils à inhalation étaient mis en usage.

Ces phénomènes de rougeur et de chaleur de la peau coïncident, surtout, avec l’accélération du pouls et de la respiration. Cette production de chaleur ne dépasse pas les conditions physiologiques et ne rappelle en rien les accidents produits sur les animaux plongés dans des températures élevées. Ces derniers, en effet, éprouvent une décomposition du sang, et une facilité d’extravasation que rien ne rappelle dans l’éthérisation après laquelle le caillot sanguin se forme normalement.

Les durées des tentatives d’anésthésiation qui ont précédé l’apparition des symptômes d’excitation de la peau traduite par la chaleur, la rougeur et la sueur chaude ont varié extrêmement, en raison surtout du mode d’éthérisation, et ont été de 3′ à 27′ pour les inhalations d’éther, de 11′ pour l’emploi de cet agent per anum, de 4′ à 10′ pour le chloroforme inhalé à l’aide d’appareils, et de 20′ pour le chloroforme inhalé sans l’aide de ces appareils.

La pâleur de la peau, celle du visage surtout, son refroidissement, la production d’une sueur froide et gluante, la décoloration de la langue, ont été observés dans la période de l’éthérisme pendant lequel les divers systèmes ont éprouvé un collapsus plus ou moins profond.

Ces symptômes sont distincts de la pâleur et du froid qui interviennent, assez fréquemment, au moment où l’anésthésiation va être mise en usage et qui sont l’indice d’une émotion morale.

Il faut aussi les distinguer de la pâleur et de la sueur qui précèdent le vomissement dû à la plénitude de l’estomac, pendant l’emploi des agents anesthésiques.

Les symptômes dont il est ici question et qui reconnaissent pour cause l’action des agents anésthésiques, ont été observés soit pendant ou après l’inhalation de l’éther à l’aide d’appareils, soit après l’emploi de cet agent per anum, soit après l’usage du chloroforme inhalé à l’aide d’appareils ou sans leur emploi.

Parfois la pâleur s’est manifestée sans que la transpiration cutanée et sans que la chaleur de la peau aient paru modifiées ; tantôt au contraire et plus fréquemment ces deux dernières modifications ont ajouté au tableau de l’éthérisme profond une teinte qui éveille l’inquiétude de l’observateur le moins exercé.

La température du corps s’abaisse, parfois, d’une manière très-notable au début et pendant la période de collapsus. Les extrémités éprouvent avant le tronc l’abaissement de la température que l’on peut toujours facilement constater au visage.

Lorsque la respiration et la circulation offrent la période que j’ai nommée période de transition, commencement en réalité du collapsus, et surtout pendant le collapsus bien visible de ces fonctions, lorsque surtout la respiration est fort ralentie, la peau se couvre d’une sueur parfois abondante, froide, gluante et rappelant la sueur de l’agonie.

Cette transpiration spéciale complète le tableau de l’éthérisme le plus profond compatible, encore, avec la vie.

Ces symptômes de pâleur, de décolorisation et de sueur froide apparaissent après des durées variables d’anésthésiation qui ont été notées de 15″ à 30′ pour l’éther employé en inhalation ; de 19′ pour l’emploi de l’éther per anum ; de 3′ ½ à 13′ pour l’emploi du chloroforme avec ou sans appareils.

Ces durées pour les symptômes dont il s’agit témoignent, comme les éthérismes des divers appareils l’indiquent d’ailleurs, le degré de résistance de l’organisme contre les agents toxiques.

Parfois ces symptômes sont apparus seulement après les anésthésiations, et ont montré pour l’éthérisme dont il est ici question la loi déjà démontrée pour les autres appareils, celle de l’accroissement de l’éthérisme après la cessation de l’anésthésiation, et la durée de cet éthérisme et son accroissement ont eu pour cause accessoire l’hémorragie qui résulte des opérations pratiquées. Si dans ces cas le pouls est insensible, et la respiration très-rare, l’on ne peut conserver aucun doute sur l’extrême danger couru par le sujet anésthésié.

La pâleur de la figure subsiste, quelquefois, pendant plusieurs heures ; mais la coloration normale se montre en général beaucoup plutôt, et nous l’avons vu reparaître moins de 10′ après l’anésthésiation.

V.

De la voix.

Sous l’influence de diverses perversions intellectuelles, la voix prend un caractère en rapport avec la pensée du sujet éthérisée, et, entre la voix rapide, sonore et accentuée qui traduit la colère la plus violente, et la voix plaintive, lente et mêlée aux larmes, il existe des transitions sans nombre, et nous avons noté, le bredouillement et les paroles inintelligibles nées sous l’influence d’une perversion intellectuelle, le chant et des cris en rapport avec l’état d’ébriété. Mais à mesure que l’éthérisme de l’intelligence s’accroît, à mesure que la résolution musculaire apparaît, la voix s’éteint, et en dehors des opérations, elle traduit en général chez le sujet éthérisé, souvent après l’excitation, la défaillance et la suspension de la pensée. Pendant l’opération, le silence de l’opéré indique la permanence de l’anésthésie ; toutefois il ne faut pas conclure des plaintes du malade que l’insensibilité des tissus a complétement disparu : il n’y a pas toujours, en effet, un rapport exact entre la sensibilité et la phonation, et souvent, aussi, l’intelligence est suspendue, bien que la sensibilité soit plus ou moins éveillée. Ce sujet important reparaîtra lorsqu’il sera question de la réalité de la douleur apparente.

VI.

Modification de l’exhalation pulmonaire par l’emploi de l’Éther et du Chloroforme.

Aucune recherche n’a été faite à notre clinique sur la composition chimique de l’air rendu par les poumons pendant et après les anésthésiations.

On doit, toutefois, supposer à priori, que des modifications chimiques existent dans l’air expiré, lorsqu’on se trouve en présence d’une sidération générale marquée, ou de symptômes d’asphyxie, ou d’excitation extrême.

Les faits qui vont être résumés se rapportent seulement à l’odeur dont l’air expiré se charge après les anésthésiations, soit par l’éther, soit par le chloroforme. Tandis que les sécrétions urinaires et cutanées n’offrent aucune preuve à l’odorat de l’intoxication due aux agents anésthésiques dont il s’agit, cette preuve existe fréquemment lorsque l’on recherche les modifications de l’exhalation pulmonaire.

Dans un grand nombre de cas, l’haleine des malades qui ont été anésthésiés à l’aide de l’éther ou du chloroforme se charge de l’odeur de ces liquides.

Parfois, un temps très-court a été noté entre la fin de l’anésthésiation et le début du phénomène d’exhalation dont il est question. Après l’inhalation de l’éther, ce temps a été 3′, 30′, une heure, quelques heures.

Après l’éthérisation per anum, ce temps a été 13′, 30′. Enfin après l’inhalation du chloroforme, 25′, 8 heures ont été notées.

La durée de l’altération de l’exhalation pulmonaire par les anésthésiques a été fort longue parfois, après l’inhalation de l’éther comme après celle du chloroforme. Deux fois, après l’emploi de l’éther et 2 fois après celui du chloroforme, l’odeur de l’agent employé a été perçue pendant un jour entier ; une fois après une anésthésiation par l’éther, l’odeur a été perçue pendant 48 heures.

Deux fois l’exhalation pulmonaire altérée par l’odeur de l’éther, a été observée d’une manière exceptionnelle. Dans l’un de ces cas elle a été constatée le cinquième jour, et dans l’autre, le huitième jour après l’éthérisation.

Si les faits qui précèdent ont un grand intérêt, ceux qui ont été observés après l’anésthésiation per anum ont une valeur plus grande encore ; ils montrent que c’est bien par la voie générale de la circulation qu’est transporté l’agent anésthésique. On pourrait sans doute objecter à notre opinion que l’éther introduit par l’anus passe par l’estomac, mais les faits dont il s’agit ont une telle similitude dans toutes leurs apparences qu’il est logique de conclure que dans les éthérisations per anum, comme dans celles qui sont provoquées par l’inhalation ordinaire, c’est par la voie du poumon que l’économie se débarrasse, en partie, de l’agent cause de l’anésthésie. Enfin ils montrent que dans certains cas de médecine légale, la preuve d’anésthésiation refusée par les sécrétions peut être recueillie et mettre sur la voie d’une tentative criminelle.

Une question intéressante se présente à l’occasion de l’exhalation pulmonaire chargée de vapeurs anésthésiques, celle de savoir si la durée de l’éthérisation, et par conséquent si la quantité du liquide anésthésique employé ont une grande influence sur ce phénomène. En consultant les observations où il a été consigné, les durées d’éthérisation ont été trouvées les suivantes : pour les inhalations de l’éther, 25″, 3′ 30″, 4′, 6′, 7′, 9′, 12′, 1 heure ¼ ; — pour les éthérisations per anum 22′, 30′ ; — pour les inhalations du chloroforme 3′, 4′ 30″, 16′, 33′.

Bien que l’intensité la plus grande du phénomène apparu au huitième jour, ait été observée après une éthérisation dont la durée totale fut une heure et un quart (avec interruptions), il ne paraît pas exister un rapport certain entre les durées des anésthésiations par l’éther ou par le chloroforme, la quantité du liquide anesthésique employé, et la manifestation du phénomène cité. Il est apparu même après la durée la plus courte, 5″, qui ait été notée dans les observations ; la méthode d’inhalation n’a pas paru également avoir une influence dans sa production, et il semble dans sa durée, comme dans son intensité, lié à la constitution spéciale du sujet éthérisé.

VII

Résumé des recherches relatives à la persistance de l’action de l’Éther et du Chloroforme.

Dans les faits observés, la mort survenue après des opérations précédées d’anésthésiation ne peut reconnaître, pour une cause quelque minime qu’elle puisse être supposée, l’emploi de l’éther ou celui du chloroforme, et la mort doit être uniquement rapportée à l’état même des opérés, à la nature des opérations pratiquées, et aux suites ordinaires du traumatisme grave. Quelques lésions insignifiantes des bronches ou du poumon ne furent que les conséquences mêmes de l’agonie.

En ce qui concerne la recherche de la persistance de l’action de l’éther et du chloroforme sur l’intelligence, les sens, la conscience et la volonté, il faut diviser les symptômes observés en ceux qui se rapportent aux modifications psychologiques et en symptômes décélant une modification pathologique sur les organes eux-mêmes.

Les modifications du premier ordre, remarquées dans l’intelligence, sur les sens, dans la conscience et la volonté, ont été les suivantes, après l’emploi de l’éther inhalé :

Tantôt une ivresse spéciale motivant la fuite du malade dans une pièce voisine, tantôt une demi-ivresse, une ébriété accompagnée de rire et subsistant pendant toute la journée ; tantôt le regard hébété, la parole mal assurée, de l’attendrissement ; tantôt des craintes chimériques ou une démoralisation profonde durant quelques heures.

Après l’éthérisation per anum, l’absence de conscience, le défaut de perception visuelle, le retour de l’intelligence une fois après quarante minutes et une autre fois après une heure seulement, l’idée fausse de la situation réelle ; tantôt la tendance à la fureur et tantôt l’attendrissement ; tantôt une reconnaissance exagérée.

Après l’inhalation du chloroforme, sentiment de tristesse, perversion intellectuelle consistant à croire à la présence d’enfants.

Si au point de vue de la production des faits psychiques, l’éther et le chloroforme ont une action analogue et presque identique pendant l’anésthésiation, il n’en est pas exactement de même au point de vue de la persistance de ces faits, les modifications psychiques dues à l’éther, ont, en général, persisté plus longtemps que celles qui ont reconnu pour cause l’action du chloroforme, et la persistance de ces modifications fut plus grande encore après l’emploi de l’éther per anum.

La durée des modifications dont il s’agit a varié de quelques minutes à quelques heures, à une journée même, sans laisser, après ce temps, aucune trace dans les perceptions sensoriales du sujet éthérisé et dans son intelligence.

En ce qui concerne les altérations qui paraissent plus spécialement révéler un état pathologique, les faits sont presque identiques soit après l’éthérisation, soit après l’inhalation du chloroforme ; toutefois ils ont été observés en plus grand nombre après l’emploi du premier agent anésthésique.

Ces faits ont été les suivants : vertiges d’une intensité très-variable ; sensation d’engourdissement ; pesanteur de tête ; étourdissements ; légère congestion cérébrale ; céphalalgie partielle ou générale persistant pendant une durée qui a varié de quelques secondes à quelques heures, n’ayant toutefois laissé aucune trace dans les organes.

En ce qui concerne la persistance de l’anésthésie partielle ou générale, il n’a été noté qu’un seul fait, qui démontre que ce résultat si heureux, mais si sérieux, de l’action de l’éther ou du chloroforme puisse s’étendre pendant quelques minutes au delà de la période dite chirurgicale, de sorte qu’il n’y a pas lieu, en général, de se préoccuper des conséquences de l’action de ces agents sur la sensibilité.

Les symptômes qui indiquent la persistance de l’éther et du chloroforme sur la circulation et sur la respiration sont peu nombreux.

C’est à la suite de l’emploi de l’éther que la plus grande partie de ces symptômes a été notée.

En ce qui concerne la respiration, on a observé après l’éthérisation par inhalation, de la sécheresse et de la chaleur à la gorge persistant pendant un et même pendant deux jours ; de la chaleur à la poitrine dont la durée a varié de une demi-heure à une journée ; un accroissement de la toux chez un phthysique, enfin, dans un cas, les mouvements respiratoires ont été presque nuls pendant sept minutes.

En ce qui concerne l’action du chloroforme, une seule fois un malade s’est plaint d’une sécheresse légère à la gorge persistant durant toute une journée.

Dans les cas où la toux a été accrue chez des sujets dont les poumons étaient malades avant l’anésthésiation, il n’a pas été possible de lui attribuer les modifications survenues ultérieurement dans l’état des poumons, et ces modifications ont dû être uniquement attribuées à la fièvre qui a été la conséquence des grandes opérations.

La circulation a offert moins de symptômes que les organes respiratoires. Une fois, huit minutes après l’éthérisation, le pouls a offert encore 80 pulsations ; une autre fois le pouls s’est maintenu à 98 pulsations pendant toute une journée ; enfin, une seule fois, le pouls fréquent a été trouvé irrégulier une demi-heure après l’éthérisation. Ces deux derniers faits suivirent l’amputation d’un doigt et l’extirpation d’un sarcocèle. Enfin, le pouls a été insensible pendant sept minutes.

Bien que l’on ne puisse méconnaître l’influence de l’action des appareils à éthérisation employés, il ne faut pas leur attacher une trop grande importance, puisque l’éthérisation per anum a motivé une fois les manifestations dont il s’agit, bien qu’il n’y ait eu aucune gêne dans la respiration, ni opération sanglante pratiquée. Dans le fait en question, on observa 68 pulsations au pouls et 32 inspirations, onze minutes après le réveil de l’intelligence et plus d’une demi-heure après la cessation de l’inhalation éthérée.

L’appareil musculaire doit être envisagé à deux points de vue différents : l’état des muscles après leur section par les instruments tranchants, et l’état de l’appareil musculaire en général.

Le relâchement des muscles soumis à l’action des instruments ne s’étend pas, généralement, au delà de la période chirurgicale. La tonicité reparaît, ordinairement, dans les amputations au moment où l’on s’occupe de la ligature des artères ; toutefois, dans quelques cas fort exceptionnels, le relâchement a été observé pendant un demi-quart d’heure après la fin de l’anésthésiation.

Quant à l’appareil musculaire général, le défaut d’équilibration est lié à un état vertigineux. La défaillance du système musculaire général n’a pas été observée pendant plus de vingt minutes après la fin de l’anésthésiation, soit par l’éther, soit par le chloroforme, et la durée la plus longue de cette défaillance musculaire a été observée après la fin apparente de l’éthérisation per anum.

Dans quelques cas excessivement rares, la situation de la langue pendant l’éthérisme, détermine l’occlusion de la glotte et une asphyxie consécutive. Un changement opéré par le chirurgien dans la situation de la langue suffit pour faire disparaître le danger de mort qui résulte de cette position. Lorsque des apparences de suspension de la respiration se montrent, lorsque au lieu de pâlir, la face du malade se colore, il y a lieu de rechercher quelle est la situation de la langue par rapport à l’ouverture de la glotte.

La persistance de l’action des agents anésthésiques sur les autres appareils a été indiquée en énonçant l’action même de ces agents. Il n’est donc pas nécessaire de revenir longuement sur les faits relatifs à l’appareil utérin, à l’appareil digestif, à la sécrétion des larmes, à celle de la salive, à la sécrétion de la muqueuse buccale, et de la muqueuse bronchique, à la sécrétion du lait, à la sécrétion urinaire. Il n’est pas non plus nécessaire de retracer les faits relatifs à l’exhalation pulmonaire, à l’état de la peau et à la voix.

En définitive, l’éthérisme apparent dû à l’éther et au chloroforme ne se prolonge pas, ordinairement, dans les fonctions au delà d’un temps très-court après la cessation de l’anésthésiation.

Sauf les résultats nés de la situation anormale de la langue, les symptômes qui révèlent la persistance de l’action de l’éther et du chloroforme, soit sur les organes sains, soit sur les organes malades avant l’anésthésiation, ne constituent qu’une incommodité passagère.

VIII

Résumé des recherches relatives à l’action de l’Éther et du Chloroforme sur les faits principaux qui suivent les grandes opérations.

Les conclusions tirées de l’examen des faits principaux qui, au point de vue chirurgical, suivent les grandes opérations, sont les suivantes :

La suspension de la douleur par l’anésthésiation, pendant les opérations, n’est point un motif d’accroissement des douleurs qui les suivent et qui, en général, sont très-faciles à supporter.

Lorsque les sujets soumis à l’action de l’éther ou du chloroforme n’ont point été privés de la sensibilité pendant les opérations graves, le frisson qui les suit d’habitude apparaît comme dans les cas où l’anésthésiation n’a point été pratiquée.

Lorsqu’au contraire l’anésthésie a été obtenue, le frisson n’apparaît point. Une seule exception à cette règle a été observée sur dix-neuf cas de grandes opérations.

Parfois bien que l’anésthésie ait été obtenue pendant une partie de la durée d’une opération, la douleur qui a précédé ou suivi cette anésthésie momentanée replace le sujet opéré dans la condition de ceux qui n’ont point été soumis à l’action des agents anésthésiques et le frisson apparaît à la suite de ces opérations.

L’action de l’éther ou du chloroforme ne peut être invoquée pour expliquer les hémorragies qui suivent parfois les opérations, et qui sont, le plus souvent, expliquées par des causes locales.

L’anésthésiation n’apporte aucune influence sur l’époque de la suppuration, sur la nature du fluide sécrété, sur l’époque de la chute des ligatures, sur le mode de cicatrisation et sur le moment de la guérison définitive. Sous le rapport de certains accidents, érysipèle, fusées purulentes, pourriture d’hôpital, suppuration bleue, tétanos, nécrose, il n’existe pas de différence entre les faits qui suivent l’anesthésie complète et ceux qui ont été constatés en dehors de l’action des agents anésthésiques.

Les différences observées relativement aux faits qui sont indiqués dans les deux dernières conclusions trouvent leur explication dans la constitution, l’état inflammatoire des parties opérées, l’état de force ou de débilité motivé par l’hémorragie, l’insomnie, la douleur et certains faits trouvent, également, leur explication dans la topographie des salles qui contiennent les opérés.

En un mot, l’on ne peut reconnaître dans les suites des opérations la persistance de l’action de l’éther ou du chloroforme.

Des faits toujours heureux qui me sont propres, étudiés sans relâche, depuis plus de 17 années, à la clinique chirurgicale de Nancy, et qui dépassent, aujourd’hui, le chiffre de plusieurs centaines, il semble que l’on pourrait conclure, ainsi que l’ont fait plusieurs chirurgiens, que l’éther et le chloroforme employés au point de vue de l’anésthésie ne sont point des agents dangereux, pour l’homme, lorsqu’ils sont administrés convenablement, c’est-à-dire avec la connaissance des lois physiologiques et pathologiques. Telle n’est pas mon opinion, cependant, et un certain nombre de faits publiés, soit en France, soit à l’étranger, me font penser que l’anésthésiation dans quelques cas fait courir à certains sujets un danger de mort immédiate.

Ces cas sont bien rares, si on les met en regard des innombrables faits d’anésthésiation heureuse, et le résultat fatal ne s’observe pas toujours, même dans les cas exceptionnels. Il en est alors de l’action de l’éther et de chloroforme comme de celle de puissantes machines. Si l’on a réussi à échapper au danger qu’elles présentent, le sujet préservé n’a plus rien à redouter, et il faut, en ce qui concerne les précieux agents anésthésiques, ajouter que le sujet anésthésié n’a jamais conscience du danger qu’il a pu courir.


  1. Ce résumé fait suite aux mémoires intitulés : Résumé des faits relatifs à l’action de l’éther et du chloroforme sur l’intelligence, sur les sens, sur la conscience, sur la volonté et sur la sensibilité générale et locale, inséré dans les mémoires de l’Académie. V. année 1848, page 421 à 440. Résumé des faits relatifs à l’action de l’éther et du chloroforme sur la circulation, sur la respiration et sur l’appareil musculaire, inséré dans les mémoires de l’Académie. V. année 1856, page 71 à 97. Deux remarques physiologiques propres à faire éviter dans l’emploi des agents anésthésiques la sidération des fonctions circulatoire et respiratoire. Travail inséré dans les mémoires de l’Académie. V. année 1863 page 448 à 454.