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Revue des Romans/Henry Fielding

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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FIELDING (Henri),
né le 27 avril 1707, mort à Lisbonne en octobre 1754.


JOSEPH ANDREWS, 4 vol. in-12, 1807 ; trad. par Lunier (traduction regardée comme la plus fidèle). L’original fut imprimé en 1743. — Fielding est, après Cervantes, de tous les écrivains, celui qui a conçu le roman avec la largeur la plus épique, avec le plus d’harmonie dans l’ensemble et dans les détails, avec la vigueur dramatique la plus prononcée. La peinture de l’humanité telle qu’elle est, grotesque, admirable, risible, triste, bizarre, incohérente, mobile ; cette peinture, soumise à une grande idée morale, mais sans jamais permettre à la moralité d’étouffer le vrai, ni aux détails de surcharger l’ensemble : tel est le roman de Fielding ; c’est celui de Cervantes ; c’est l’épopée de la prose, le roman de la vie bourgeoise. — Le roman de Paméla, publié en 1740, ayant porté la réputation de Richardson au plus haut degré, Fielding, soit qu’il fût fatigué d’entendre louer outre mesure cet ouvrage, soit qu’il recherchât ce qui intéressait momentanément le public, soit enfin qu’il fût entraîné par ce penchant naturel de malice qui nous porte à rire aux dépens de l’idole du jour, résolut de parodier le style, les principes et les personnages de Paméla, et le désir de tourner ce roman en ridicule donna naissance à Joseph Andrews. Toutefois, l’ouvrage fut infiniment meilleur qu’on ne pouvait l’attendre d’après le motif qui avait présidé à sa composition, et le lecteur y trouva un intérêt et un plaisir bien supérieur à celui que l’auteur avait eu dessein de lui procurer. — Joseph Andrews est un roman rempli d’une ironie fine et piquante, qu’on lit toujours avec plaisir à cause des excellentes peintures de mœurs qu’il renferme ; l’inimitable caractère du curé Abraham Adams suffirait seul pour établir la supériorité de Fielding sur la plupart de ses rivaux ; son savoir, sa simplicité, sa pureté évangélique, sa bonté constante, sont si heureusement alliés à son pédantisme, à sa distraction habituelle, et à cette science gymnastique et athlétique que les étudiants de toutes les classes de la société rapportaient des universités, qu’on peut le nommer sans crainte une des meilleures productions enfantées par les romanciers. Comme Don Quichotte, le curé Adams est toujours errant ; et si le chevalier de la Manche veut ressusciter l’ancienne chevalerie, Adams veut croire à l’existence de la vertu antique, et tous deux, pour prix de leur crédulité, reçoivent force coups de bâton, qui ne peuvent les déshonorer et nous égaient.

JULIEN L’APOSTAT, ou Voyage dans l’autre monde, in-12, 1743 ; trad. par Kauffman. L’original parut en 1743 dans un volume de mélanges. — On trouve abondamment dans cet ouvrage la gaieté particulière à Fielding, mais il est difficile d’en reconnaître le plan et le but.

TOM JONES, ou Histoire d’un enfant trouvé, 4 vol. in-12, 1750 ; idem, 6 vol. in-12, 1804 ; idem trad. par Chéron, 2 vol. in-8, 1836. — Tom Jones est tout à la fois le premier ouvrage anglais d’imagination, fondé sur l’imitation fidèle de la nature, et le roman le mieux fait de l’Angleterre. D’abord, l’idée première sur laquelle tout l’ouvrage est bâti est en morale un trait de génie. Des deux premiers acteurs qui occupent la scène, l’un paraît toujours avoir tort, l’autre toujours raison ; il se trouve à la fin que le premier est un honnête homme, et l’autre un fripon ; mais l’un, plein de candeur et de l’étourderie de la jeunesse, commet toutes les fautes qui peuvent prévenir contre lui la vertu même, susceptible de se laisser tromper ; l’autre, toujours maître de lui, se sert de ses vices avec tant d’adresse, qu’il sait en même temps noircir l’innocence et en imposer à la vertu. L’un n’a que des défauts, il les montre, et donne des avantages sur lui ; l’autre a des vices, il les cache, et ne fait le mal qu’avec sûreté. Le contraste est l’histoire de la société, et l’on n’a jamais, dans un ouvrage d’imagination, développé un plus beau fond de morale ni donné une plus grande leçon. Et d’ailleurs, quelle diversité de caractères, tous vrais, tous attachants ! La vertu bienfaisante d’Alworthy, malheureusement mêlée d’une trop grande facilité à se laisser prévenir ; la bonté naturelle et brusque du gentilhomme Western, original sans modèle, caractère inimitable avec ses préjugés, sa susceptibilité, son ignorance et sa rusticité, qui s’allient si bien à sa finesse naturelle, à sa bonne humeur campagnarde, à sa passion pour la chasse et à son amour distinct pour sa fille, à toutes ses bonnes et mauvaises qualités fondées sur cet égoïsme absolu, naturel à celui qui dès l’enfance n’a jamais trouvé un homme qui osât contredire ses sentiments ou censurer sa conduite, sa promptitude à se fâcher ou à s’apaiser, son aversion pour les lords et pour les duels, son goût pour les anciens airs de musique, et la sorte de respect qu’il a pour sa sœur, quoiqu’il la donne au diable cent fois le jour ; cette sœur si ridicule, avec ses prétentions à la politique et à la sagesse ; cette milady Bellaston, qui retrace si bien la noble assurance, l’effronterie et les faiblesses impérieuses des grandes dames quand elles protégent de beaux garçons ; la bonne Mme Miller, dont le cœur a deviné celui de Tom Jones, et qui l’aime si franchement ; M. Nichtingale, qui, comme tant d’autres, n’a besoin, pour faire une bonne action, que d’y être encouragé ; et Sophie, la charmante Sophie, dont l’amour est si vrai, si tendre, si courageux ; Sophie, qui, comme toutes les âmes bien nées, n’en devient que meilleure en aimant, et doit à l’amour de montrer tout ce qu’elle a d’excellent ; enfin jusqu’à la femme de chambre Honora, et aux deux pédants Tuakum et Squarre, tous les personnages sont des originaux supérieurement tracés, que vous connaissez comme si vous aviez vécu avec eux, que vous retrouvez tous les jours dans le monde, et que l’auteur peint, non par l’abondance des paroles, mais par la vérité des actions. Avec quel art le fil de l’intrigue principale passe à travers les événements épisodiques, sans que jamais on le perde de vue ! On n’y éprouve pas, il est vrai, le grand effet de quelques situations de Clarisse ; mais qui ne s’intéresse pas aux amours de Tom Jones et de Sophie ? qui ne désire pas leur bonheur ? Comme le dénoûment est bien suspendu et bien amené ! et quelle heureuse variété de ton ! Quelle foule de peintures comiques qui amusent le lecteur sans le refroidir, et promènent ses yeux sur le tableau du monde sans lui faire oublier les personnages dont la destinée doit l’occuper ! — Tom Jones est la vérité même prise sur le fait ; c’est en cela que consiste la supériorité immense qui le distingue de tous les ouvrages de ce genre qui l’ont précédé. L’ingénieuse idée du plan, l’heureux développement de l’intrigue, voilà ce qu’on ne pourra jamais trop louer dans cette composition délicieuse et si justement populaire. L’attention du lecteur n’est jamais détournée ni fatiguée par des digressions inutiles ou des transitions forcées. L’histoire du vieillard de la colline fait cependant exception à cet éloge si bien mérité d’ailleurs. Fielding, pour se conformer à un usage introduit par Lesage, a jeté cet épisode au milieu de son récit, comme il avait déjà intercalé celui de Léonora dans Joseph Andrews, avec aussi peu d’art que d’utilité. On s’est étonné aussi que Fielding ait laissé peser sur son héros la tache d’une naissance illégitime, et l’on a présumé qu’il l’avait fait à dessein, en mémoire de sa première femme, qui était un enfant naturel. Le roman lui-même nous en fournit un motif beaucoup meilleur ; car, si miss Bridget eût été secrètement mariée au père de Tom, il n’y aurait plus eu de raison suffisante pour cacher sa naissance à un homme aussi raisonnable et aussi tendre que M. Alworthy. Quoique Fielding ait dit que rien dans la lecture de ses œuvres ne saurait offenser l’œil le plus chaste, on ne peut disconvenir cependant qu’il n’y ait dans Tom Jones certains passages dont on ne peut justifier l’auteur que par les mœurs de l’époque, qui permettaient sûrement un langage beaucoup plus franc que le nôtre. Toutefois, les pages de ce genre sont d’une gaieté leste plutôt qu’attrayante, et elles sont bien expiées par l’admirable mélange de raillerie et de raisonnement à l’aide duquel Fielding soutient et fait triompher les droits de la vertu et la cause de la religion.

AMÉLIE, histoire anglaise, trad. par Puysieux, 4 vol. in-12, 1762. — On peut appeler ce roman la suite de Tom Jones ; mais nous n’avons pas pour la conduite dissolue et l’ingratitude de Booth, l’indulgence que nous accordons volontiers à la jeunesse de Tom Jones. Le caractère d’Amélie est tracé, dit-on, d’après celui de la seconde femme de Fielding. S’il avait, comme on le rapporte, mis sa patience à des épreuves du genre de celles qu’il décrit, il l’en a en quelque sorte dédommagée par le tableau qu’il fait de sa douceur angélique et de sa tendresse si pure. Quelle peinture achevée que celle d’Amélie, femme d’ordre et de vertu, attendant le soir son mari, et préparant de ses mains leur souper de famille, tandis que celui dont elle désire le retour perd au jeu dans une taverne l’argent nécessaire aux besoins de leurs enfants ! Quelle scène pathétique que celle où le vicaire Bennet vient reprocher à sa femme son infidélité, et quel trait hardi de mœurs se trouve dans ce tableau ! On peut reprocher à l’auteur d’avoir donné dans ce roman un charme coupable à son héros, à Booth, si joueur, si libertin, si faible ; mais il était bien permis à Fielding, qui avait fait tant de portraits, de se mettre aussi dans un cadre et de se rendre intéressant. — Madame Riccobini a publié une traduction, ou plutôt une imitation d’Amélie. Lorsque l’ouvrage parut, les enthousiastes de Fielding crièrent au sacrilége, et M. de Puysieux crut venger l’auteur anglais en en donnant une traduction littérale. Mais son travail fit mieux sentir le mérite de l’imitation de Mme Riccoboni, qui avait retranché de l’original une foule de détails fastidieux pour des lecteurs français.

HISTOIRE DE JONATHAN WILD, trad. par Christ Piquet, 2 vol. in-12, 1763. — Il n’est pas facile de deviner ce que Fielding se proposait dans une peinture où l’histoire du vice n’est relevée par aucun sentiment qui puisse tourner au profit de la vertu ; d’ailleurs, dans cette suite d’aventures imaginaires attribuées à un caractère réel, il y a quelque chose de grossier et un manque d’art qui fait en même temps soupçonner l’auteur d’avoir employé le titre de Jonathan Wild, dans l’intention seule de faire participer son livre à la renommée populaire qu’avait ce fameux brigand. Toutefois, il est peu de passages dans les ouvrages les plus estimés de Fielding qui soient plus marqués de l’empreinte de son génie particulier, que la scène entre son héros et l’aumônier, le révérend docteur de la prison de Newgate.