Théorie des fonctions analytiques/Partie II/Chapitre 06

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 238-247).
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Seconde partie


CHAPITRE VI.

De la mesure des aires et de la longueur des arcs dans les courbes planes. De la mesure des solidités et de celle des surfaces des conoïdes. Principe général de la solution analytique de ces questions.

27. Je viens maintenant à la détermination des aires des courbes, qu’on appelle communément quadrature des courbes. Considérons, en général, la courbe représentée par l’équation

étant l’ordonnée rectangulaire correspondante à l’abscisse dont elle est une fonction donnée. L’espace terminé par cette courbe, par l’axe des abscisses et par une ordonnée quelconque sera donc aussi déterminé par une fonction de la même abscisse que nous désignerons par Supposons que devienne cette fonction deviendra et il est clair que sera alors la portion de l’espace correspondante à la partie de l’axe et terminée par les deux ordonnées et répondantes aux abscisses et Or, quelle que soit la courbe proposée, il est aisé de se convaincre, même sans figure, que, si les ordonnées vont en augmentant ou en diminuant depuis jusqu’à l’espace dont il s’agit sera, dans le premier cas, plus grand que l’espace rectangulaire et moindre que l’espace rectangulaire et, dans le second cas, plus grand que ce dernier et moindre que le premier. Donc il sera toujours nécessairement renfermé entre ces limites et lesquelles seront, par conséquent, les limites de la quantité qui doit représenter ce même espace.

Développons les fonctions et suivant notre formule (no 40, 1re Partie), et arrêtons-nous au premier terme pour la première et aux deux premiers pour la seconde ; on aura

et

est une quantité indéterminée qui peut n’être pas la même pour les deux fonctions, mais qui doit toujours être renfermée entre les limites et Il faudra donc que la fonction soit telle que la quantité soit renfermée entre les limites et quelle que soit la valeur de et par conséquent en prenant aussi petit qu’on voudra. Or, l’intervalle entre les deux limites étant la différence de la quantité dont il s’agit et de l’une des limites, savoir

devra être moindre que abstraction faite des signes de ces quantités. Mais il est aisé de prouver que cette condition ne peut avoir lieu pour une valeur de aussi petite qu’on voudra, à moins que le terme affecté de ne disparaisse ; car autrement on pourra toujours prendre tel que la première quantité soit plus grande que la seconde, puisqu’il suffira que soit plus petit que On aura donc nécessairement

et cette condition suffira pour la détermination de la fonction puisque l’on voit qu’elle ne sera autre chose que la fonction primitive de

Donc, en général, la fonction prime de la fonction qui exprime l’aire d’une courbe par l’abscisse est la fonction qui représente l’ordonnée de cette courbe, et, réciproquement, la fonction qui exprime l’aire ne peut être que la fonction primitive de celle qui exprime l’ordonnée. Ainsi, l’équation d’une courbe étant donnée, pour avoir l’expression de l’aire, c’est-à-dire la quadrature de la courbe, il n’y aura qu’à chercher la fonction primitive de celle qui représente l’ordonnée, et l’on pourra ajouter à cette fonction primitive une constante arbitraire. (no 49, Ire Partie), qu’on déterminera par la condition que l’expression de l’aire devienne nulle au point où l’on voudra la faire commencer.

Nous avons supposé, dans l’analyse précédente, que les ordonnées allaient en augmentant ou en diminuant depuis jusqu’à cette condition n’aurait pas lieu s’il y avait entre ces deux ordonnées un maximum ou un minimum mais, comme on peut prendre l’intervalle aussi petit que l’on veut, il est clair qu’on pourra toujours faire tomber la seconde ordonnée en deçà du maximum ou du minimum, et que, par conséquent, la conclusion que nous en avons tirée demeurera toujours la même.

Si la fonction exprimait l’aire de la section d’un solide faite perpendiculairement à l’abscisse on prouverait de la même manière que la solidité serait exprimée par la fonction primitive de Car, désignant par la solidité, la différence exprimerait la portion du solide comprise entre les deux sections et et cette portion serait nécessairement intermédiaire entre les deux solides prismatiques et en prenant la quantité aussi petite qu’on voudrait ; d’où l’on conclurait, comme ci-dessus,

Ainsi, en faisant tourner une courbe autour de l’axe des on aun conoïde dont la section perpendiculaire à l’axe et répondante à l’abscisse est un cercle du rayon et dont l’aire est est la circonférence du cercle dont le rayon Or, par la nature de la courbe, on a donc l’aire de la section sera et la solidité du conoïde sera donnée par la fonction prime

28. Le problème de la quadrature des courbes est, comme l’on voit, le problème le plus simple de l’analyse inverse des fonctions, puisqu’il ne consiste qu’à trouver la fonction primitive d’une fonction donnée. Nous avons indiqué dans la première Partie (chap. VIII) les moyens par lesquels on peut faciliter cette recherche ; nous ajouterons ici une observation essentielle.

Comme il est souvent avantageux de substituer d’autres variables à la place de celle qui entre dans la fonction, pour simplifier ou décomposer cette fonction en d’autres plus simples, il ne faudra pas oublier alors de multiplier la fonction dont il s’agit par la fonction prime de sa variable. En effet, nommant l’aire de la courbe dont est l’ordonnée, et regardant et comme fonctions de nous venons de voir que l’on a mais, si l’on suppose fonction d’une autre variable, et qu’on désigne par et les fonctions primes de et prises relativement à cette nouvelle variable, il faudra substituer à la place de (no 50, Ire Partie), ce qui donnera et ainsi des autres formules semblables.

Au reste, comme, suivant le Calcul différentiel, est équivalent à l’équation donne

et, intégrant,

formule connue pour la quadrature des courbes.

29. Après le problème de la quadrature des courbes, se présente naturellement celui de leur rectification, c’est-à-dire de la détermination de la longueur même de la courbe.

Nous partirons, pour la solution de ce problème, du principe d’Archimède, adopté par tous les géomètres anciens et modernes, suivant lequel, deux lignes courbes ou composées de droites ayant leurs concavités tournées du même côté et les mêmes extrémités, celle qui renferme l’autre est la plus longue, d’où il suit qu’un arc de courbe tout concave du même côté est plus grand que sa corde et en même temps moindre que la somme des deux tangentes menées aux deux extrémités de l’arc et comprises entre ces extrémités et leur point d’intersection.

De là on peut tirer cette autre conséquence que la longueur du même arc se trouvera comprise entre celles des deux tangentes menées à ses deux extrémités et terminées aux deux ordonnées qui répondent à ses extrémités, prolongées, s’il le faut, au delà de la courbe.

En effet, ayant mené la corde qui joindra les deux extrémités de l’arc, il est aisé de voir que l’une des deux tangentes rencontrera les ordonnées parallèles sous un angle plus aigu que la corde et que l’autre les rencontrera sous un angle moins aigu, et que, par conséquent, la corde sera moindre que la première de ces tangentes et plus longue que la seconde ; donc celle-ci sera, à plus forte raison, moindre que l’arc de la courbe : De plus, si l’on considère les deux triangles opposés au sommet et formés par l’intersection des deux tangentes, il est visible que les deux parties de la première tangente seront respectivement plus longues que celles de la seconde, parce que les côtés formés par ces parties-là se trouvent opposés à des angles plus grands que les côtés formés par celles-ci. Donc la première tangente entière sera plus longue que la somme des deux portions de tangentes comprises entre leur point d’intersection et les extrémités de l’arc. Donc elle sera aussi plus longue que l’arc.

Cela posé, étant l’ordonnée qui répond à l’abscisse sera (no 7) la tangente de l’angle sous lequel la tangente de la courbe à l’extrémité de cette ordonnée est inclinée à l’axe des abscisses ; par conséquent, era la partie de l’ordonnée prolongée s’il est nécessaire, comprise entre la tangente et une parallèle à l’axe menée par l’extrémité de l’ordonnée donc

sera la partie de cette tangente comprise entre les deux ordonnées, éloignées l’une de l’autre de l’intervalle De la même manière, on aura pour la tangente de l’angle sous lequel la tangente de la courbe à l’extrémité de l’ordonnée est inclinée à l’axe, et l’on trouvera

pour la partie de cette tangente comprise entre les mêmes ordonnées et

Soit, pour plus de simplicité,

on aura et pour les deux tangentes menées aux deux extrémités de l’arc de la courbe compris entre les ordonnées et et terminées, à ces mêmes ordonnées ; donc la longueur de cet arc devra être renfermée entre les deux quantités et en donnant à une valeur aussi petite qu’on voudra. Donc, si est la fonction de qui exprime l’arc de la courbe, il faudra que la quantité expression de l’arc compris entre les ordonnées et soit comprise entre ces deux-ci, et quelque petit que soit d’où, par un raisonnement semblable à celui du no 27, on conclura

Donc, pour avoir la longueur indéfinie de la courbe, il faudra chercher la fonction primitive de la fonction ou et, comme on peut ajouter une constante arbitraire à la fonction primitive, il faudra déterminer cette constante de manière que l’expression de l’arc s’évanouisse au point où l’on voudra le faire commencer.

Donc, si l’on nomme l’arc de la courbe dont les coordonnées sont et on aura, en regardant et comme fonctions de à cause de l’équation

et, si et étaient données en fonction d’une autre variable, comme alors, en désignant par les fonctions primes relativement à cette variable, il faudrait substituer et à la place de et (no 28), ce qui donnerait cette équation

entre les coordonnées et l’arc.

Suivant le Calcul différentiel, les fonctions dérivées et seraient exprimées par et et l’équation

deviendrait

formule connue des rectifications.

30. Si l’on imagine que la courbe proposée, tournant autour de l’axe des abscisses, engendre un conoïde, il est visible que les deux ordonnées et décriront en même temps deux cercles dont ces coordonnées seront les rayons, que l’arc de la courbe compris entre ces deux coordonnées décrira une zone conoïdique, et que les deux tangentes menées aux extrémités de cet arc décriront des zones coniques.

Mais, quoique l’une de ces deux tangentes soit toujours plus grande et l’autre plus petite que la longueur de l’arc, comme nous venons de le démontrer, néanmoins, comme elles tombent toutes les deux du même côté de l’arc, il est possible que les zones coniques qu’elles décrivent soient à la fois plus grandes ou plus petites que la zone conoïdique décrite par l’arc. Pour éviter cet inconvénient, il n’y a qu’à transporter parallèlement à elle-même la seconde tangente, qui répond à l’extrémité de l’ordonnée de manière que le point où cette tangente est terminée par la première ordonnée tombe à l’extrémité de cette ordonnée et devienne sécante de la courbe. Alors cette sécante et la tangente au même point tomberont l’une d’un côté et l’autre de l’autre côté de l’arc, et même la plus longue tombera toujours en dehors et la plus courte en dedans de l’arc, comme il est facile de s’en convaincre par la construction, de sorte que la zone conoïdique décrite par l’arc se trouvera nécessairement renfermée entre les zones coniques décrites par la tangente et par la sécante

Or on sait, par la Géométrie, que la surface convexe d’un cône tronqué est égale à son côté multiplié par la demi-somme des circonférences des deux bases. Donc, si l’on désigne par la circonférence du cercle dont le rayon la surface de la zone conique décrite par la tangente sera

puisque les rayons des deux bases sont l’un et l’autre et la surface de l’autre zone décrite par la tangente ou sécante sera

car il est facile de voir que les rayons des bases de ce tronc de cône seront et

Si donc on désigne par la fonction de l’abscisse qui exprime la surface du conoïde, il est clair que la zone conoïde sera exprimée par la difference et que cette différence devra être renfermée entre les deux quantités

en donnant à une valeur quelconque aussi petite qu’on voudra, d’où l’on pourra conclure, par un raisonnement analogue à celui du no 27, que cette condition ne pourra avoir lieu, à moins que l’on n’ait

Donc on aura la surface du conoïde proposé en prenant la fonction pri-

mitive de la fonction

31. En général, supposons que l’on cherche la fonction par cette condition que la différence doive être renfermée entre les deux quantités et et dénotant des fonctions données de et telles qu’en faisant on ait et que cette condition doive avoir lieu en donnant à une valeur quelconque aussi petite qu’on voudra.

En employant notre théorème, on réduira la fonction à

et les fonctions à

la quantité étant indéterminée, mais comprise entre les limites et et pouvant être différente dans les différentes fonctions ; les fonctions dérivées marquées par se rapportent à la variable et les fonctions dérivées marquées par se rapportent à la variable Donc, puisqu’on suppose la condition dont il s’agit se réduira à faire en sorte que la quantité soit comprise entre les deux quantités et quelque petite que puisse être la valeur de Donc il faudra que la différence

ne soit jamais plus grande que la différence

mais, tant que le terme multiplié par la première puissance de ne sera pas nul, on pourra toujours prendre assez petit pour que la première quantité devienne plus grande que la seconde, car il suffira pour cela de prendre moindre que la quantité abstraction

faite du signe de cette quantité. Donc la condition proposée emporte nécessairement celle-ci,
et par conséquent

c’est-à-dire que la fonction cherchée devra être la fonction primitive de et, pour avoir la valeur complète de il faudra y ajouter une constante arbitraire, que l’on déterminera par les conditions de la question.


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