Théorie des fonctions analytiques/Partie II/Chapitre 13

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 311-321).
Seconde partie


CHAPITRE XIII.

Extension de la méthode précédente aux fonctions d’un nombre quelconque de variables. Problème de la brachistochrone. Caractères pour distinguer si une fonction proposée est ou non une fonction prime, ou en général une fonction dérivée d’un certain ordre.

71. La fonction proposée, dont la fonction primitive doit être un maximum ou un minimum, pourrait contenir, outre les variables et une troisième variable indépendante des deux autres ; on opérerait alors, relativement à cette variable, comme on a fait relativement à Ainsi, en désignant la fonction proposée par

on y substituera à la fois les quantités et à la place de et et il faudra, après le développement, que la fonction primitive de la partie qui ne contiendra que les premières dimensions de soit nulle, et que la fonction primitive de la partie qui contiendra les secondes dimensions de ces mêmes quantités soit positive pour le minimum et négative pour le maximum, indépendamment des quantités et

De là, par une analyse semblable à celle du no 62 et en conservant aussi pour les fonctions primes relatives à une notation semblable à celle que nous avons employée relativement à on aura ces deux équations,

qui serviront à déterminer les quantités et en fonction de Ensuite il faudra, relativement aux quantités et satisfaire à des conditions semblables à celles qu’on a trouvées par rapport à et c’est un détail qui nous mènerait trop loin et que le lecteur peut suppléer.

On voit par là que, s’il y avait une quatrième variable on aurait, relativement à cette variable, une équation semblable à celles qui répondent aux variables et et ainsi de suite.

72. Mais si, dans la fonction la quantité dépendait des quantités et d’une manière quelconque donnée par l’équation

alors, suivant les mêmes principes du no 58, on ajouterait simplement la fonction multipliée par un coefficient indéterminé et variable à la fonction proposée et l’on chercherait, par les méthodes exposées, le maximum ou minimum de la fonction primitive de cette fonction composée, en regardant les quantités et comme indépendantes. Ainsi, on trouvera d’abord, pour le maximum ou minimum, les deux équations

d’où, éliminant la quantité on aura une équation qui, combinée avec l’équation donnée servira à déterminer les valeurs de et en fonction de

Enfin, si la fonction primitive de la fonction ne devait être un maximum ou un minimum qu’autant que la fonction primitive d’une autre fonction serait donnée entre les mêmes valeurs et de il n’y aurait qu’à chercher le maximum ou minimum de la somme des deux fonctions primitives, après avoir multiplié la seconde par un coefficient indéterminé indépendant de c’est-à-dire le maximum ou minimum de la fonction primitive de

en regardant comme une quantité constante. De cette manière, on aura d’abord l’équation

et l’on déterminera la constante de manière que la fonction primitive de prise depuis jusqu’à soit donnée ; et ainsi du reste.

73. Les problèmes de la brachistochrone et des isopérimèlres, proposés et résolus d’abord par les deux frères Bernoulli, ont ouvert la route pour traiter ce nouveau genre de questions de maximis et minimis. On a trouvé ensuite successivement des méthodes plus générales et plus simples, et l’on est parvenu enfin au Calcul des variations, qui paraît ne rien laisser à désirer sur ce sujet. Comme les équations trouvées plus haut (nos 62, 70) sont les mêmes, à la notation près, que celles qui résultent de ce Calcul, nous pourrions nous dispenser de les appliquer à des exemples ; mais il ne sera pas inutile de montrer encore, par un exemple connu, l’usage des règles pour distinguer les maxima et minima, et s’assurer de leur existence.

Nous reprendrons pour cela le problème de la brachistochrone, ou ligne de la plus vite descente, à cause de sa célébrité ; il consiste, comme l’on sait, à trouver la courbe le long de laquelle un corps pesant descendrait dans le moindre temps d’un point donné à un autre point donné et placé dans une verticale différente. Comme, par les principe de la Mécanique, la fonction prime du temps est égale à la fonction prime de l’espace divisée par la vitesse, et que, dans les corps qui tombent par la pesanteur, la vitesse est toujours proportionnelle à la racine carrée de la hauteur d’où ils sont censés être descendus, si l’on rapporte aux trois coordonnées rectangulaires la courbe décrite par le corps, et qu’on prenne les abscisses verticales, la vitesse sera proportionnelle à et sera la fonction prime de l’arc de la courbe (no 37) ; ainsi sera proportionnelle à la fonction prime du temps, dont la fonction primitive devra être un minimum. On aura donc

donc, prenant les fonctions primes, on aura

et l’on aura (no 70) Les deux équations

lesquelles donnent d’abord ces deux-ci du premier ordre,

et étant deux constantes arbitraires.

En divisant ces deux équations l’une par l’autre, on a donc et, prenant l’équation primitive, on aura

étant une nouvelle constante arbitraire. Cette équation étant à un plan vertical, puisque l’abscisse verticale ne s’y trouve pas, fait voir que la courbe cherchée est toute dans ce plan ; ainsi, en prenant l’axe des dans ce même plan, on pourra supposer en faisant et et l’on aura pour la courbe cette équation unique entre les coordonnées et

d’où l’on tire

équation à la cycloïde, les abscisses étant prises sur le diamètre du cercle générateur et les ordonnées perpendiculairement à ce diamètre.

Puisqu’on suppose que les deux points extrêmes de la courbe sont donnés, les quantités et répondant à ces points seront nulles, et les valeurs des quantités et seront nulles aussi en prenant et pour les valeurs de qui répondent à ces points ; ainsi la condition sera remplie. Si l’on faisait d’autres hypothèses relativement à ces points, on trouverait d’autres résultats ; nous ne nous y arrêterons pas, parce que ces différentes questions ont été déjà discutées et résolues par les principes du Calcul des variations. Mais il faut voir ce que donnent les termes où les quantités et monteront à la seconde dimension et dont la fonction primitive doit être positive pour que le minimum ait effectivement lieu.

Comme la fonction prohosée ne contient point, dans le cas présent, les variables et mais seulement leurs fonctions primes et il est facile de voir que les termes dont il s’agit seront simplement de la forme

et l’on trouve, en prenant les fonctions primes des quantités et

relativement à et

de sorte que la quantité dont il s’agit deviendra

laquelle peut se mettre sous cette forme,

où l’on voit que cette quantité a d’elle-même la propriété d’être toujours nécessairement positive, quelles que soient les valeurs de et et, comme d’ailleurs elle ne saurait jamais devenir infinie tant que et ne seront pas infinies, il s’ensuit que le minimum aura nécessairement lieu dans la cycloïde.

Nous n’entrerons pas dans d’autres détails sur ce problème, qui offre différentes cas à examiner, suivant les conditions qu’on peut demander relativement au premier et au dernier point de la courbe, et par rapport à la courbe même, qu’on peut supposer devoir être tracée sur une surface donnée. La solution de tous ces cas peut se tirer aisément des principes établis ci-dessus. Voir la fin de la Leçon XXII du Calcul des fonctions[1].

74. L’analyse que nous avons employée pour trouver les maxima et minima des fonctions primitives donne lieu à une observation importante. Nous avons trouvé (no 62) que, pour que la quantité

ait une fonction primitive, quelle que soit la valeur de il faut satisfaire à l’équation

Donc, si cette quantité était d’elle-même la fonction prime d’une fonction de l’équation précédente aurait aussi lieu d’elle-même et serait par conséquent identique.

Or on voit, par le no 61, que la quantité dont il s’agit n’est autre chose que la partie du développement de la fonction

qui ne contient que les premières dimensions de et je vais prouver que cette quantité sera nécessairement une fonction prime si est elle-même une fonction prime d’une fonction de

En effet, si cette fonction est une fonction prime, quelle que soit la valeur de en elle le sera encore en mettant au lieu de quelle que soit la quantité donc la fonction

sera aussi nécessairement une fonction prime, en prenant pour une fonction quelconque de Supposons que cette fonction soit développée suivant les puissances et les produits de et dénotons respectivement par les parties de ce développement qui contiendront les premières dimensions, les deuxièmes dimensions, les troisièmes, etc. des mêmes quantités ; on aura

Ainsi, il faudra que la quantité soit la fonction prime d’une fonction de et de et il est facile de

voir que chacune des quantités devra être en particulier une fonction prime, puisque, ces quantités renfermant des dimensions différentes de l’indéterminée et de ses fonctions dérivées il est impossible, par la nature des fonctions dérivées, que les fonctions primitives de dépendent les unes des autres. Or on a, dans le numéro cité,

donc cette quantité sera d’elle-même une fonction prime. Donc enfin, si la fonction est une fonction prime, l’équation

sera nécessairement identique.

Réciproquement, on peut démontrer que, si cette équation est identique, la fonction sera nécessairement une fonction prime, car nous avons vu que, si cette équation est vraie, la quantité est une fonction prime, quelles que soient les valeurs de et de donc elle sera encore une fonction prime si à la place de on met Supposons que, par cette substitution et par le développementsuivant les dimensions de la quantité devienne la quantité contenant les premiers termes du développement dans lesquels ne formeront que deux dimensions, on en conclura, comme plus haut, que la quantité sera en particulier la fonction prime d’une fonction de mais, par les formules générales que nous avons données dans le no 76 de la première Partie, il est facile de voir qu’on a donc la quantité sera une fonction prime, et étant quelconques donc elle sera encore une fonction prime en y substituant pour Et, si l’on suppose que, par cette substitution et par le développementsuivant les puissances et les produits de cette fonction devienne la quantité renfermant les premiers termes du développement où les ne formeront que trois dimensions, on en conclura aussi, comme ci-dessus, que la quantité sera elle-même une fonction prime ; mais par les formules du même numéro on trouve donc la quantité sera elle-même aussi une fonction prime, et ainsi de suite. En effet, si sont les premiers termes du développementdes quantités on aura (numéro cité), après la substitution de à la place de d’où l’on conclura, en suivant le même raisonnement, que les quantités seront aussi, chacune en particulier, des fonctions primes.

Donc toute la série sera nécessairement la fonction prime d’une fonction de quelles que soient les valeurs de et en Donc la quantité

qui est égale à cette série, sera une fonction prime en donnant à une valeur quelconque, et, par conséquent aussi, en faisant or, dans ce cas, la fonction ne sera plus qu’une simple fonction de sans ni qui pourra être censée la fonction prime d’une fonction de Donc la fonction sera elle-même nécessairement la fonction prime d’une fonction de

75. Il suit de là que l’équation

contient le caractère par lequel on peut reconnaitre si la fonction est ou non une fonction prime.

On trouvera de la même manière que les deux équations

renferment le caractère par lequel on pourra reconnaître si la fonction est ou non une fonction prime, les quantités et étant indépendantes.

Mais, si la quantité dépendait de l’équation

on aurait, comme au no 71,

et l’équation résultante de l’élimination de l’indéterminée contiendrait le caractère qui ferait reconnaître si la fonction est d’elle-même, ou non, une fonction prime.

Puisque la fonction primitive de la quantité

est représentée (no 62) par

en omettant, ce qui est permis, la constante arbitraire, on trouvera, de la même manière, que le caractère par lequel on pourra reconnaître si cette fonction primitive est elle-même une fonction prime sera renfermé dans l’équation

laquelle, en substituant pour leurs valeurs (no 63), devient

Ainsi, le système de cette équation et de l’équation trouvée ci-dessus renfermera le caractère par lequel on pourra juger si la fonction est d’elle-même, ou non, la fonction seconde d’une fonction de et ainsi de suite.

76. Ces différentes équations répondent à celles que, dans le Calcul différentiel, on nomme conditions d’intégrabilité, et dont on s’est beaucoup occupé dans ces derniers temps. Nous nous contenterons ici d’avoir établi, d’une manière directe et rigoureuse, le principe de la correspondance de ces équations avec celles du maximum et minimum des fonctions primitives, et nous renverrons, pour ce qui concerne l’usage de ces équations de condition, aux différents Ouvrages qui en traitent, et surtout à la Leçon XXI du Calcul des fonctions[2], où cette matière est traitée avec plus de détail et de généralité. On y trouvera aussi un précis historique sur le problème des isopérimètres, dont la solution générale, par la méthode des variations, fait l’objet de la Leçon XXII du même Calcul, à laquelle nous renvoyons pour compléter la théorie des variations exposée ci-dessus.


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  1. Œuvres de Lagrange, t. X.
  2. Œuvres de Lagrange, t. X.