Une lettre de Michelet relative à la draperie flamande

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UNE LETTRE DE MICHELET RELATIVE
À LA DRAPERIE FLAMANDE.



Nous devons à l’obligeance de M. S. Muller, archiviste de l’État à Utrecht, communication de la lettre suivante écrite par Michelet, le 7 août 1855, à l’érudit Hollandais Holtrop[1]. L’original s’en trouve parmi les papiers de Bakhuizen van den Brink, en possession de ses héritiers, à La Haye. On remarquera avec intérêt que le génial historien avait pressenti l’importance que présente, pour l’intelligence de la politique des villes flamandes, les questions économiques intéressant la draperie, encore que l’hypothèse émise par lui ne soit pas exacte.


« Dans ma trop courte entrevue avec votre savant archiviste[2], nous avons touché un point d’histoire fort intéressant : les draps anglais constamment repoussés des Pays-Bas, y ont été enfin admis en 1499 par traité entre Henri VI[3] et la maison d’Autriche, qui voulait s’assurer l’alliance anglaise[4].

» Bruges, avait été tuée en 1492[5], Gand le fut en 1540[6].

» Ces traités[7] peu favorables à la fabrication flamande n’ont-ils pas été pour beaucoup dans le refus absolu d’argent que fit la Flandre au moment décisif de la bataille de Pavie[8], — et plus tard dans la révolte de Gand, comprimée en 1540[9] ?

» Je ne sais pas le flamand, et par conséquent je n’ai pu lire la chronique de 1540 qu’on a récemment publiée[10].

» Si vous aviez, cher Monsieur, quelque lumière à me donner là-dessus, j’en serais bien reconnaissant. J’adresse la même prière à M. l’archiviste, qui m’a paru si obligeant.

» M. Gachard m’a paru convaincu (peut-être à tort), que Charles-Quint avait toujours défendu l’intérêt industriel des Pays-Bas — j’en doute. Il lui importait avant tout de s’assurer des Anglais contre la France. »

H. P.
  1. La date de cette lettre est intéressante. Elle est postérieure de quelques semaines seulement à l’apparition du t. VIII de l’Histoire de France (La Réforme), dont la préface est datée du 21 juin 1855. Michelet venait donc d’étudier le conflit de François Ier et de Charles-Quint et par conséquent l’état des Pays-Bas au XVIe siècle. D’ailleurs, son volume ne contient pas la moindre trace des idées qu’il expose ici.
  2. Bakhuizen van den Brink, archiviste de l’État hollandais à La Haye, mort en 1865.
  3. Lisez Henri VII.
  4. Rymer, Foedera, t. V, 5e partie, p. 136 [La Haye, 1741]. — Cf. H. Pirenne, Une crise industrielle au XVIe siècle. Bull. de l’Acad. Roy. de Belgique. Classe des Lettres, 1905, p. 497 et suiv.
  5. Michelet songe certainement à la soumission de Bruges à Maximilien d’Autriche par le traité de Damme, le 29 novembre 1490. Son erreur provient sans doute de ce qu’il cite de mémoire.
  6. Allusion au châtiment des Gantois par Charles-Quint.
  7. Il faut comprendre : ce traité [de 1499].
  8. Michelet se rappelle probablement un passage de la chronique de Robert Macquereau (l. VI, ch. VIII), rapportant qu’il y eut, à la fin de 1524, en Flandre et en Brabant, des troubles provoqués par la levée des impôts (Cf. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IV, p. 32). Ces troubles n’eurent d’ailleurs aucun rapport avec la question des draps. Michelet les mentionne, mais sans l’hypothèse qu’il fait dans notre lettre, au t. VIII de son Histoire de France, p. 248.
  9. La révolte de Gand éclata à la suite du refus de la ville de payer une aide votée par le reste de la Flandre en 1537. Ce refus ne fut en rien provoqué par les intérêts de la draperie.
  10. Il n’est pas probable que Michelet songe ici à la Relation des troubles de Gand sous Charles Quint, publiée par Gachard dès 1846, et dans laquelle se rencontrent d’ailleurs très peu de textes flamands. Il est sans doute question du Memorieboek der stad Ghent, dont le tome II, contenant des particularités nombreuses sur les événements de 1539-1540, avait paru en 1854.