Aller au contenu

Vues Scripturaires sur la Question des Anciens/V

La bibliothèque libre.
Georges Kaufmann, Libraire (p. 40-57).
◄  IV.
VI.  ►

V.

Enfin, nous voici arrivés à ce que nous demandions. L’auteur anonyme allègue un commandement positif : Tite a été laissé en Crète pour établir des Anciens. Cela est clair. Personne ne le nie.

Mais voici la question :

Comment cela l’autorise-t-il, ou, s’il le préfère, comment cela autorise-t-il quelques fidèles de Genève à en établir ?

Il est bien certain que ce n’étaient pas les fidèles qui pouvaient établir les Anciens ; car, s’il en eût été ainsi, inutile d’envoyer Tite en Crète pour le faire. C’était un acte pour lequel les fidèles n’étaient pas compétents, et pour l’accomplissement duquel la présence du compagnon fidèle de l’Apôtre lui-même était nécessaire.

Qu’est-ce qui montre que l’auteur anonyme et la commission préparatoire aient cette compétence ? Ils le disent bien ; mais ce n’est pas là précisément ce qui suffit pour que nous le recevions. L’ordre de Paul à Tite parle évidemment d’une commission confiée à une certaine personne laissée là exprès, parce que la chose qui faisait l’objet de cette commission ne pouvait pas s’exécuter sans lui. Je demande au lecteur si ce n’est pas là la force naturelle de ce passage. Conclusion que le caractère de Tite appuie. L’auteur anonyme nous dit que c’est « un ordre positif, un commandement très clair du Seigneur, donné par son Apôtre, non-seulement à Tite, mais à tous ceux qui, plus tard, devaient être appelés par le Saint-Esprit à conduire les églises de Dieu. » Ce terme : « à conduire les églises de Dieu » est un peu équivoque. L’auteur veut-il dire que les Anciens d’une ville aient mission d’établir des Anciens dans toutes les villes, et qu’ils aient mission spéciale pour cela ? Car c’était bien là le cas de Tite. Il avait été laissé extraordinairement pour régler les choses que l’Apôtre avait commencées, et muni pour cela de l’autorité de l’Apôtre. Est-ce que les Anciens ont une mission pareille ? Sont-ils chargés d’imposer des ordonnances à d’autres églises, et munis, dans ce but, de l’autorité de l’Apôtre ? Or, c’était le cas de Tite. Et, si une partie de ce commandement est obligatoire, pourquoi l’autre ne le serait-elle pas également ? C’est la même autorité qui est en exercice. L’Apôtre, en chargeant Tite, sans autre direction, de la tâche de régler ce qui restait encore à régler, témoignait qu’il avait confiance en sa capacité pour le faire convenablement. Il en est de même de l’établissement des Anciens, qui repose exactement sur le même fondement. Si l’auteur est fondé à s’approprier ces choses, le Pape n’a pas moins raison de s’approprier ce que le Seigneur a confié au fils de Jonas.

Plusieurs choses avaient été réglées par Paul ; d’autres devaient l’être par Tite, savoir, tout ce qu’il restait encore à régler. En le faisant, Tite usait d’une autorité dans l’exercice de laquelle il pouvait agir d’après une compétence qui donnait à ses actes la même autorité qu’avaient les actes par lesquels l’Apôtre, dont Tite était le délégué, avait déjà réglé d’autres choses[1]. Tous les Anciens ont-ils cette mission ? Ce pouvoir est-il un commandement toujours obligatoire ? L’auteur anonyme ne cite pas un mot des Écritures pour nous faire voir que ce commandement s’applique aux chrétiens d’aujourd’hui ; mais, dit-il, il est clair que c’est un commandement obligatoire dans le temps actuel, car il est dit à Timothée de quelle manière il faut se conduire (non te conduire) dans l’Église de Dieu.

Ce point a déjà été discuté[2]. Mais, comme c’est un point important, et le seul et unique fondement du système de l’auteur, il vaut la peine de l’examiner de nouveau.

Nous ne doutons pas qu’il n’y ait eu des Anciens établis dans l’Église. Nous désirons même réaliser et respecter tout ce qu’il est possible de réaliser de leur œuvre dans les temps actuels. Les frères ont toujours agi selon ce principe[3], en certaines occasions avec plus d’énergie qu’en d’autres. Je l’ai déclaré maintes fois dans la controverse qui a eu lieu : La question des Anciens n’a jamais été un point capital à mes yeux. Néanmoins, j’ai toujours reconnu ce qui en existait ; et, quand l’occasion s’en est présentée, j’ai cherché à donner de l’activité et du développement à cette « œuvre excellente. » Par la grâce de Dieu, je le ferai encore, en y mettant toute l’énergie qu’il m’accordera pour cela. En certains endroits, cela s’est fait heureusement et avec bénédiction. En d’autres, ce serait une grande bénédiction que Dieu, dans sa bonté, en suscitât les instruments. Mais, si, parce que le nom seul de clergé inspire maintenant de la répugnance, on veut, sous le nom d’Anciens et sous prétexte d’obéissance, rétablir le clergé, je ne me laisse pas tromper par les mots. Lorsqu’on me dit que je ne puis ni obéir aux Anciens, ni les reconnaître (1 Thess., V, 12-13), si les hommes ne les ont pas officiellement établis, je ne saurais m’y fier, bien qu’on me dise qu’il ne s’agit plus de clergé. Je ne vois pas l’action de l’Esprit de Dieu dans la commission préparatoire. Cette commission prend la place du Saint-Esprit. En en prenant la place, elle le nie, même si elle ne s’en doute pas.

Et, quant au commandement même, la commission, dont Timothée était chargé, n’avait pas pour but d’établir des Anciens, et l’Apôtre ne lui commande rien de semblable. Paul, allant en Macédoine, avait prié Timothée de demeurer à Éphèse (1 Tim. I, 3), ville dans l’église de laquelle il existait des Anciens, dont l’établissement n’est jamais mentionné dans la Parole (1 Tim. V, 10, 17-19). Et voici en quels termes l’Apôtre exprime le but spécial de la mission de son fils Timothée : « Suivant la prière que je te fis de demeurer à Éphèse, » lorsque j’allai en Macédoine, afin que tu chargeasses certaines personnes de n’enseigner point une autre doctrine. » Puis, il s’étend sur divers points, sur lesquels Timothée devait veiller pour y mettre ordre. En s’expliquant ainsi sur divers sujets, il énumère les qualités et les dons voulus dans un évêque. Mais, avant que d’entrer dans tous les détails de ce qui convenait à la Maison de Dieu, à l’Église du Dieu vivant, qu’il devait ainsi surveiller, l’Apôtre dit : Mon fils Timothée, je te confie, je te remets (παρατίθεμαί) ce commandement, cette charge, selon les prophéties qui ont été faites auparavant à ton égard, afin que, par elles, tu combattes en ce bon combat. C’était une charge qui lui était confiée, et pour laquelle il avait été désigné par des prophéties expresses. Et, par conséquent, lorsque l’Apôtre doit quitter Éphèse, il y laisse Timothée, afin d’y maintenir l’ordre, en vertu de cette charge qu’il avait dans la Maison de Dieu. Enfin, après lui avoir donné les directions nécessaires sur un certain nombre de points, il ajoute : « Je t’écris ces choses (non à l’Église ni aux Anciens), espérant que j’irai bientôt vers toi ; mais, en cas que je tarde, afin que tu saches comment il faut se conduire dans la Maison de Dieu, » etc.

Je le demande : la commission confiée à Timothée n’est-elle pas une commission spéciale, pour l’accomplissement de laquelle l’Apôtre lui[4] donne les instructions nécessaires. L’Apôtre dit : « en cas que je tarde. » Que fait son retour, si cette instruction concernait à la fois et la conduite d’un troupeau particulier, et celle de l’Église universelle dans tous les temps ? Il est vrai que, puisque l’Apôtre nous enseigne de quelle manière Timothée devait faire marcher les chrétiens, cela doit aussi nous diriger dans les choses qui nous concernent, quoique Timothée ne soit plus là pour insister sur ces choses. Cela est évident.

§.

Si Timothée doit veiller à ce que des veuves ne soient pas à la charge de l’Église, lorsqu’elles ont des parents qui peuvent les entretenir, cela demeure une règle pour des parents de veuves, quoique Timothée ne soit plus là, parce que l’instruction qui lui est adressée est un moyen de connaître la volonté de Dieu en ce qui regarde ces personnes-là. Mais dire que la mission confiée à Timothée est un commandement pour tous ceux qui conduisent les églises, c’est s’attribuer la charge pour laquelle l’inspiration directe avait désigné Timothée par la prophétie.

§.

La subtilité cléricale me demandera : Pourquoi faites-vous de ce qui concerne les veuves une règle valable en tout temps, et non pas de l’ordre d’établir des Anciens ?

Et d’abord, un tel ordre n’a point été donné à Timothée. Il l’avait été à Tite, ce qui, en passant, prouve que, puisque Paul avait laissé Tite en Crète exprès pour cela, les églises n’avaient ni autorité, ni mission pour le faire. Et, comme l’ordre d’établir des Anciens n’a pas été donné à Timothée, le « comment il faut se conduire » ne s’applique en aucune façon à la nomination des Anciens, ainsi qu’on s’est efforcé de le faire croire. En outre, lorsque je trouve ce qui concerne des veuves, les veuves d’aujourd’hui peuvent en profiter, parce qu’elles se trouvent dans la position en question. Pour profiter des directions données à Timothée, il faut aussi être dans la position où Timothée se trouvait. Et, si l’on n’y est pas, prétendre agir comme Timothée, c’est non pas obéir, mais s’arroger la position de Timothée[5]. Là où je trouve les qualités voulues dans cette épître, et l’œuvre excellente faite, je reconnaîtrai et j’appuierai, avec l’énergie que Dieu me donne, ce que Dieu a donné et sanctionné. J’engagerai d’autres personnes à faire valoir tout ce qui se trouve de ses grâces, si Dieu m’y appelle dans sa grâce. Plus je vois les pertes que l’Église a souffertes, plus je m’attacherai à faire valoir en elle tout ce que, dans sa longue patience et sa bonté suprême, notre Dieu nous a laissé, afin que nous puissions le glorifier, en lui en rendant grâce avec un sentiment encore plus profond que si je jouissais de tout. Cela est bien différent que de dire : je peux tout ce que des Apôtres et des Timothée ont fait, et que d’accuser de désobéissance ceux qui ne se soumettent pas à une pareille prétention.

§.

Et, lors même que Timothée et Tite ont eu une mission spéciale, et, pour ma part, je ne comprends pas qu’une âme vraiment soumise à la Parole puisse le nier, les autres parties de la Parole ne jettent-elles aucune lumière sur cette question ?

Oui, beaucoup.

Les épîtres nous instruisent par leur silence absolu. Si les épîtres à Timothée et à Tite sont remarquables par les instructions détaillées qui montrent qu’une charge spéciale leur avait été confiée, les épîtres aux Églises n’abordent jamais la question de l’établissement des Anciens, chose singulière assurément, si cet établissement était un devoir général de l’Église dans tous les siècles.

L’occasion d’en parler ne manquait pas.

Paul n’était pas encore allé à Rome. Il écrit aux chrétiens de cette ville, chrétiens dont la foi était célèbre dans tout le monde. Il parle de l’exercice des divers dons et grâces, selon ce que Dieu avait départi à chacun. Parmi d’autres dons et d’autres grâces, il mentionne ceux qui étaient des conducteurs, des personnes qui allaient devant le troupeau, qui lui servaient de guide et de « colonne » (προἵστάμενοι). Pas un mot d’Anciens. Pas l’apparence d’un commandement d’en établir comme seul moyen de marcher dans l’obéissance.

Si quelque allusion à cet office devait se trouver quelque part, c’est dans l’épître aux Corinthiens. Il y avait, à Corinthe, du désordre, du péché, des détails à régler. Aucune mention quelconque d’Anciens ; aucun commandement d’en établir.

Dans les épîtres aux Galates, aux Éphésiens, aux Colossiens, rien.

Dans celles aux Thessaloniciens, écrites les premières, l’Apôtre exhorte les fidèles à reconnaître à cause de l’œuvre qu’ils font, ou plutôt à connaître ceux qui travaillaient, à prendre connaissance de ceux qui travaillaient au milieu d’eux et qui les conduisaient[6]; preuve plus qu’évidente que personne n’avait été officiellement établi au milieu d’eux, et que l’Apôtre ne sentait pas le besoin de rien faire de pareil ; preuve non moins évidente que l’on pouvait fort bien aimer des personnes aussi utiles à l’Église, les reconnaître et leur obéir dans l’affection chrétienne, sans qu’aucune nomination officielle leur eût donné le droit d’exiger cette obéissance officiellement, ni d’imposer cette obéissance à ceux qui n’avaient ni foi ni affection ; ce qui est précisément la façon d’agir du clergé.

L’épître aux Philippiens mentionne des Évêques, sans ajouter un mot de plus.

Pierre reconnaît les Anciens en se plaçant sur la même ligne qu’eux.

L’épître aux Hébreux exhorte à obéir aux conducteurs en suivant leur foi, parce qu’ils veillent sur les âmes comme responsables de cela,… et non parce qu’ils avaient été officiellement établis.

Jamais l’obéissance n’est placée sur ce misérable terrain charnel ; encore moins est-il dit que l’obéissance soit impossible sans cela ; mais bien le contraire.

Il ne se trouve nulle part, ni dans les épîtres aux églises, ni dans les épîtres adressées aux chrétiens en général, le moindre mot relatif au choix ou à l’établissement des Anciens, ni à la nécessité d’en choisir et d’en établir ; tandis qu’on y trouve qu’il y avait des conducteurs, que les fidèles étaient exhortés à reconnaître et à respecter par de tout autres motifs que celui d’un établissement officiel. Quelle confirmation de ce que nous avons déjà abondamment démontré en examinant les épîtres à Timothée et à Tite !

Les Actes des Apôtres ne laissent, de leur côté, aucun doute. Là, les Apôtres[7] Barnabas et Paul choisissent des Anciens pour les troupeaux en chaque ville. L’auteur anonyme parle de l’inexactitude des traductions françaises de ce passage. Il a raison, car elles ajoutent à tort ces mots : par l’avis des assemblées[8]. Or, le mot ainsi paraphrasé signifie tout simplement : ils choisirent. Étymologiquement, il fait allusion à l’acte d’étendre la main, manière ordinaire de voter ; mais sa signification régulière, c’est choisir ; et il est employé en ce sens deux fois encore dans le Nouveau Testament (2 Cor. VIII, 19, et Actes X, 41 [ « témoins auparavant choisis de Dieu » ]), passages qui ne laissent aucun doute sur sa signification. L’autorité des dictionnaires les plus estimés confirme ce que ces passages indiquent.

§.

L’auteur anonyme parle d’Apôtres d’un genre inférieur, comme Junius, Andronique et Barnabas, envoyés par les églises. La Parole de Dieu ne donne lieu à aucune pensée pareille. Il y avait, pour certains objets, des envoyés des églises. Mais la Parole de Dieu ne dit nulle part que Junius, Andronique et Barnabas eussent été envoyés par une église. Il y a un messager d’une église que l’Écriture appelle envoyé. C’est Épaphrodite. Mais les Philippiens ne l’avaient envoyé que pour porter des secours temporels à Paul, prisonnier à Rome (Ph., II, 25).

Lorsque Barnabas a été envoyé, Paul y était aussi bien que Barnabas, et c’est l’Esprit et non l’Église qui les a envoyés. De sorte qu’il ne s’agit pas dans ce passage d’Apôtres d’un ordre inférieur envoyés par l’Église. Il faudrait, pour en venir là, dire que St.-Paul, aussi bien que Barnabas, était un Apôtre d’un ordre inférieur ; et ce serait tout simplement jouer le rôle des méchants Juifs de son temps.

§.

Ce que l’auteur dit au sujet du Baptême est assez malencontreux. Les Apôtres ne baptisaient guère ; ils laissaient ce soin à d’autres. Paul dit qu’il n’a pas été envoyé pour cela ; tandis que d’autres personnes le faisaient sans avoir besoin d’autorisation. Nous avons, au reste, déjà répondu à tout ceci.

§.

L’auteur dit qu’il n’y a aucune infidélité à confier au presbytère le soin d’établir des Anciens. La question est : À qui Dieu a-t-il confié ce soin ?

Au reste, confier ce soin au presbytère, c’est cacher une difficulté d’une manière assez singulière. On confie au presbytère le soin d’établir des Anciens. Mais, d’après la constitution, le presbytère est l’assemblée des Anciens ; de sorte qu’ils sont déjà établis. Et qui est-ce qui a fait cela ? C’est à la commission préparatoire que l’on a confié la préparation de cette tâche difficile et importante ; puis, les membres de l’Église évangélique l’accompliront ; de sorte qu’elle n’est confiée ni au presbytère, ni, selon la doctrine de l’auteur, à l’évangéliste, à moins que le presbytère ne prépare la chose de manière à se nommer lui-même. Il paraît que ce que la Parole en dit n’est d’aucune importance. On peut procéder aussi bien d’une façon que d’une autre.

Voici donc l’auteur relégué sur le même terrain que le journal La Réformation, savoir « l’ordre humain et la liberté évangélique », et cela, tout en accusant les frères de vouloir mettre de côté la Parole. Il a une pleine liberté de faire ce qu’il veut. Peu importe ce que les Apôtres ont fait. Peu importe le fait qu’ils avaient confié la tâche en question à des délégués spéciaux, sans jamais reconnaître aux églises aucune capacité pour l’accomplir. Pourvu qu’on établisse des Anciens, on n’est nullement tenu à suivre la voie apostolique. Puis, l’Église évangélique dit une chose, la fait, et l’auteur anonyme la fait avec elle.

Ici, l’on fait retentir aux oreilles un mot qui résonne très-bien ; c’est celui de presbytère. C’est le presbytère qui agit. Mais, lorsqu’on traduit ce mot, tout s’évanouit. Le presbytère est précisément l’assemblée de personnes qu’il faut créer.

§.

L’auteur anonyme dit encore que, si le choix appartenait aux Apôtres et à leurs mandataires, notre vue se concevrait bien ; mais que nous oublions que c’est l’établissement, et non le choix des Anciens, qui a été attribué à Timothée et à Tite ; qu’il n’est dit nulle part que les Apôtres en eussent eux-mêmes choisi, et que les versions françaises de ce mot (Actes XIV) sont fausses. Nous avons vu qu’en effet elles le sont en ce qu’elles ajoutent : « par l’avis des assemblées ; » et c’est l’avis de l’assemblée que maintenant l’on veut suivre à Genève ; c’est-à-dire, que la Parole a été faussée pour sanctionner le système. Timothée n’a pas, que nous sachions, établi des Anciens. Tite a été envoyé pour cela ; mais il n’est pas parlé d’autre chose que de l’acte de Tite lui-même. Tite, et Tite lui seul, a établi des Anciens. L’Apôtre ne laisse pas percer l’idée de l’action d’un autre que de celui qu’il a envoyé au milieu de ces Crétois toujours menteurs ; il ne dit pas davantage que Tite ait associé d’autres personnes à son œuvre. L’auteur anonyme prétend que l’Écriture ne dit nulle part que ce choix appartînt aux Apôtres, ni qu’ils eussent eux-mêmes choisi des Anciens. Or, le fait est, et il a été pleinement démontré, que l’Écriture dit très-positivement que les Apôtres ont choisi des Anciens pour les fidèles[9] en chaque église (Act. XIV, 23). Il est vrai que les versions françaises ont mal rendu ce passage, en ce qu’elles ont ajouté : par l’avis des assemblées. L’auteur ne dit pas que l’erreur des traductions consiste à faire agir ici les assemblées, comme il veut lui-même faire agir un certain nombre de fidèles qui ne composent pas même encore une assemblée.

§.

Du reste, quant aux Diacres, aucune analogie. Lorsqu’il s’agit d’argent, les Apôtres se retirent pour vaquer à leur œuvre ; et, plus tard, Paul a refusé de se charger de distribuer les offrandes des saints, à moins qu’il n’y eût avec lui quelqu’un de choisi par les églises pour y coopérer, afin que sa conduite ne donnât pas lieu au moindre soupçon qui pût nuire à son ministère. Quelle analogie y a-t-il, quant à la source de l’autorité qui y était en exercice, entre le soin des tables et de l’argent, et les soins et le gouvernement des troupeaux de Dieu. Les Apôtres voulaient que le troupeau fût satisfait quant aux choses temporelles, qu’il n’y eût aucun sujet de mécontentement, de jalousie, ni de soupçon. Ce principe ne s’applique pas aux Anciens, pour lesquels les deniers ne sont rien, et dont l’autorité s’exerce d’après ce qui est donné d’en haut.

§.

À la fin de son ouvrage, l’auteur anonyme se prévaut du fait que Moïse n’a pas dit qui devait verser l’huile sur la tête du Sacrificateur, quand celui-ci succédait à son père défunt.

L’analogie qu’on veut y voir avec la question des Anciens me paraît sans force, et voici pourquoi. C’est que le successeur éventuel du souverain sacrificateur était désigné par Dieu lui-même. Le fils aîné était, de plein droit, sacrificateur après la mort de son père. La généalogie lui conférait le droit d’être sacrificateur.

Dans le cas des Anciens, il s’agit d’une nomination, d’un choix de personnes convenables.

Toute la loi dépendait de ce principe hiérarchique (voyez Héb. VII, 12). Le mot établissement cache cette différence. Il ne signifie pas la même chose dans les deux cas.

Lorsqu’il s’agit des Anciens, il faut que quelqu’un les nomme officiellement. Si cela est fait avec l’autorité de Dieu, l’imposition des mains sera une chose peu importante. De sorte que l’analogie ne subsiste pas, parce que, dans l’un des cas, établir signifie désigner, et que, dans l’autre, la désignation était déjà faite de la part de Dieu lui-même, différence qui va au fond de la question.

Et, quant à l’autre partie de l’analogie, savoir l’imposition des mains, il n’est jamais dit, dans la Parole, qu’on dût imposer les mains aux Anciens. D’après les habitudes de ce siècle-là, on peut bien supposer que cela avait lieu ; mais Dieu a pris soin que le fait ne fût pas constaté dans la Parole. Sa toute-sagesse connaît tout d’avance. De sorte que cette partie formelle de l’analogie manque aussi. Ainsi, l’analogie n’existe ni dans le fond, ni dans la forme.

La désignation des sacrificateurs par leur généalogie était d’une importance telle que, lorsque, du temps de Néhémie, quelques sacrificateurs ne purent montrer la leur, ils furent rejetés comme souillés. Or, ce que nous demandons, c’est précisément cette désignation, conformément à ce qui est dit dans le Nouveau Testament. Celui qui relève, à l’imitation de Néhémie, devrait respecter le Nouveau Testament, comme cet instrument de Dieu a respecté l’Ancien, lorsqu’il s’agit précisément du point auquel l’analogie en question s’applique.

Lorsque le désordre eut interrompu la succession, et que l’office fut envahi par des personnes qui, tout en étant sacrificateurs, n’avaient pas le droit d’exercer les fonctions de souverain sacrificateur, ce qui a eu lieu du temps du Seigneur Jésus, personne n’a pensé à élever, à côté de ceux qui s’y trouvaient à tort, d’autres personnes à la souveraine sacrificature. Les fidèles cherchaient ailleurs la rédemption d’Israël.

Historiquement parlant, l’auteur anonyme aurait de la peine à démontrer qu’après Aaron, le souverain sacrificateur ait été oint. Dans le cas d’Éléazar, il n’en est pas fait mention.

§.

L’auteur anonyme va plus loin, et pense « que les Apôtres se sont, en effet, trompés. » Il semblerait que cela le rassure sur le danger que lui et ses collègues courent de se tromper aussi. Mais, pour ne rien dire d’un tel raisonnement (car ce désir d’arranger un gouvernement ne respecte vraiment rien), comment n’a-t-il pas été arrêté par cette expression : « Le Saint-Esprit vous a établis Évêques ? » (Act. XX, 28.) Le Saint-Esprit s’est-il donc trompé ? L’auteur osera-t-il dire à ceux qu’il aura établis à Genève que le Saint-Esprit les a établis sur le troupeau de Dieu, qu’il a racheté de son propre sang[10]?

C’est là le fond de la question. Pour répondre à ceux dont parle la Parole de Dieu, les Anciens doivent être les Anciens que le Saint-Esprit a établis sur le troupeau de Dieu ; sinon, ce n’est qu’une secte avec les chefs que cette secte a voulus. Or, il s’agit évidemment ici de l’unité visible de l’Église de Dieu, unité visible que l’auteur a reconnue être perdue. Or, la première chose à faire, c’est de rétablir, de former ce troupeau de Dieu.

  1. Cet argument a d’autant plus de force que, Actes XIV, ce sont les Apôtres qui établissent les Anciens.
  2. Voici ce que j’ai dit en répondant à M. Rochat : « Je présente un cas semblable. Mon fils est élu conseiller d’état, et je lui écris pour lui expliquer comment il faut se conduire dans les affaires de l’état. Cela démontre, selon la manière de raisonner de M. Rochat, que tous les citoyens peuvent, dans tous les temps, exercer les fonctions de conseiller d’état, parce que j’ai dit à mon fils comment il faut se conduire, » etc.
  3. Depuis le commencement (je cite ceci comme fait historique), ceux qui, parmi les frères, s’occupaient des âmes et les surveillaient, se réunissaient pour le faire ensemble sous le regard du Seigneur, et le font encore quand l’occasion s’en présente. Dans les lieux où les circonstances ont affaibli cette action, j’ai toujours cherché à lui rendre son énergie.
  4. C’est, à mon avis, une fausse traduction que de dire : « afin que tu saches comment il faut se conduire, » etc. Cela peut avoir une apparence d’exactitude ; mais, en suivant le génie des deux langues, cette traduction ne rend pas le sens. Le grec n’exprime pas le mot se. Il serait plus correct de dire : « Afin que tu saches comment il faut te conduire, » ou bien : « quelle conduite il faut tenir dans la maison de Dieu. » Ainsi, c’est une instruction pour Timothée dans sa conduite dans l’Église, quoique Timothée eût à s’occuper de la conduite d’autres personnes. « Afin que tu saches comment d’autres doivent se conduire » serait un vrai non-sens s’il s’agissait d’autre chose que de surveillance.
  5. Je répète ici ce que l’auteur anonyme cite de mes écrits, savoir, qu’imiter les Apôtres ce n’est pas obéir. Il cite cela pour montrer que nous pouvons faire les mêmes choses qu’eux sans autorisation, et, par conséquent, de la manière que nous le voudrons, et sans être tenus à les imiter. C’est tordre mes paroles d’une manière indigne d’un sujet si grave. Je dis qu’imiter les Apôtres, c’est-à-dire, prétendre agir avec la même autorité qu’eux, ce n’est pas obéir. Et l’auteur se sert de ces paroles pour montrer que nous pouvons le faire, et le faire à notre gré selon nos vues.
  6. Et c’est le même mot que nous avons remarqué, Rom. XII.
  7. Nos adversaires, poussés à bout, ont voulu nous persuader que Paul et Barnabas n’étaient pas même Apôtres. L’Esprit de Dieu les appelle ainsi dans leur premier voyage, Actes XIV, 27, et Saint-Paul insiste sur son apostolat comme étant indépendant de toute instrumentalité humaine : « non de la part d’aucun homme. » Aussi peut-on voir, 1 Cor. IX, 6, la place qu’il donne à Barnabas ainsi qu’il se la donne à lui-même.
  8. Si je ne suis pas mal informé, notre auteur a donné à entendre que la nouvelle édition de la traduction de Lausanne portera : établir par l’imposition des mains. Je ne puis le croire ; mais, s’il en était ainsi, ce serait fausser la Parole. Il y a quelque apparence que, plus tard, à l’époque où le clergé prit son essor, ce mot avait été revêtu du sens qu’on voudrait ici lui donner.
  9. L’auteur anonyme cite M. Wolf à l’appui de son assertion, en disant que ceux qui en appellent à Act. XIV, 23, ignorent que la traduction en est mauvaise, et en ajoutant : Voir à ce sujet : Le Ministère, par Wolf, p. 20. J’avoue que je ne comprends pas ceci. M. Wolf rejette, ainsi que je l’ai déjà fait, les mots : par l’avis des assemblées, et insiste sur ce qu’il ne s’agit pas de faire voter, que les Apôtres aient à eux seuls établi des Anciens, le mot leur ayant établi excluant même l’idée que le troupeau y ait pris part. Le fait est tout simplement que le mot grec, qui signifie choisir, élire, a signifié premièrement voter à main levée, puis, en général, élire. Les Apôtres choisirent des Anciens pour les églises.
  10. On se prévaut de la phrase : « et il se lèvera d’entre vous-mêmes des hommes qui annonceront des doctrines corrompues, » comme si ces paroles s’appliquaient aux Anciens, auxquels Paul s’adressait. Mais il est de toute évidence que le « d’entre vous mêmes » s’applique à tous les chrétiens de l’endroit. Pour s’en assurer, on n’a qu’à lire le verset 29 : « Il entrera parmi vous des loups très-dangereux » Le « parmi vous » désigne clairement les chrétiens dont les Anciens avaient à prendre soin ; et ces mots : « il se lèvera d’entre vous-mêmes » contrastent avec le fait qu’il en entrerait du dehors parmi eux, et ils s’appliquent également aux chrétiens. À cause de cela, les Anciens devaient veiller, et veiller non contre eux-mêmes. Et, lorsque l’Apôtre dit : « Je n’ai cessé d’avertir chacun de vous, » il ne veut pas dire qu’il a seulement averti les Anciens. Ainsi, les raisonnements par lesquels on voudrait ne voir que les Anciens dans le « vous » employé dans ce passage, n’ont absolument aucune force.