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Wikisource:Extraits/2014/19

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Voltaire, attribution Dumarsais, Le Philosophe dans Œuvres complètes de Voltaire, édition Garnier 1879


LE  PHILOSOPHE

PAR M. DUMARSAIS[1].

(1773)



Cette pièce est connue depuis longtemps, et s’est conservée dans les portefeuilles de tous les curieux ; elle est de l’année 1730. Voyez l’éloge de M. Dumarsais dans le septième tome du grand Dictionnaire encyclopédique.

« Il n’y a rien qui coûte moins à acquérir que le nom de philosophe. Une vie obscure et retirée, quelques dehors de sagesse avec un peu de lecture, suffisent pour mériter ce nom à des personnes qui s’en décorent sans aucun droit. D’autres, qui ont eu la force de se défaire des préjugés de l’éducation, se regardent comme les seuls et véritables philosophes.

« Le philosophe est un être organisé comme les autres hommes, mais qui, par sa constitution, réfléchit sur ses mouvements. Les autres hommes sont déterminés à agir, sans connaître les causes qui les font sentir, sans même songer qu’il y en ait. Le philosophe, au contraire, démêle ces causes autant qu’il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance. C’est une horloge qui se monte quelquefois, pour ainsi dire, elle-même ; ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l’être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l’état où il se trouve.

« Le philosophe forme et établit ses principes sur une infinité d’observations particulières ; le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l’ont produit : il croit que la maxime existe pour ainsi dire par elle-même ; mais le philosophe prend la maxime dans sa source, il en examine l’origine, il en connaît la propre valeur, et n’en fait que l’usage qui convient.

« De cette connaissance que les principes ne naissent que des observations particulières, le philosophe en conçoit de l’estime pour la science des faits. Il aime à s’instruire des détails et de tout ce qui ne se devine point. Ainsi il regarde comme une maxime très-opposée aux progrès des lumières de l’esprit, de se borner à la seule méditation, et de croire que l’homme ne tire la vérité que de son propre fonds.

« Certains[2] métaphysiciens disent : Évitez les impressions des sens, laissez aux historiens la connaissance des faits, et celle des langues aux grammairiens. Nos philosophes, au contraire, sont persuadés que


  1. César Chesneau Dumarsais, né à Marseille en juillet 1676, mort le 11 juin 1756, avait composé un petit écrit intitulé le Philosophe, qu’il donna à un libraire. Ce libraire le fit imprimer dans un recueil ayant pour titre : Nouvelles Libertés de penser, 1743, in-12. Naigeon le reproduisit dans le Recueil philosophique, 1770, 2 vol. in-12 ; et en l’an II de la République (1794), dans l’Encyclopédie méthodique (Philosophie, tome III, pages 203-208). Le Philosophe a été admis par MM. Durhosal et Milon dans l’édition qu’ils ont donnée des Œuvres de Dumarsais, 1797, 7 volumes in-8°. Voltaire abrégea l’ouvrage de Dumarsais, et fit imprimer sa rédaction à la suite des Lois de Minos, 1773, in-8°.

    Les éditeurs de Kehl et beaucoup de leurs successeurs n’avaient pas compris le Philosophe dans les Œuvres de Voltaire. Cet écrit n’a pas échappé aux recherches d’un de mes prédécesseurs, mais il a réimprimé le texte de Dumarsais tel à peu près que l’avait donné Naigeon. Je m’en suis tenu au texte de 1773, qui seul peut être admis dans les Œuvres de Voltaire, puisque l’autre est de Dumarsais. Voltaire a fait ici pour l’ouvrage de Dumarsais, qu’il croyait inédit, mais qui ne l’était pas, comme on a vu, ce qu’il avait fait pour le Testament du curé Meslier (voyez tome XXIV, page 293).

    Un autre extrait du Philosophe avait paru, dès 1765, dans le tome XIII de l’Encyclopédie. Cet extrait est infidèle et mal fait, au jugement de Naigeon ; l’auteur a souvent substitué ses propres pensées à celles de Dumarsais.

    Quelques-uns des passages transcrits dans cet extrait le sont aussi dans celui de Voltaire ; mais, quoique ayant la même source, les deux extraits ont plus de différences que de ressemblances. L’extrait fait par Voltaire présente un bien plus grand nombre de phrases extraites textuellement de l’écrit de Dumarsais ; il en est presque entièrement composé. Mais il faut le dire aussi, il était incorrectement imprimé, et dans plusieurs phrases j’ai fait des corrections que j’ai prises dans le texte de Dumarsais.

    Le volume des Lois de Minos, etc., qui contient le Philosophe tel que Voltaire l’a fait ou réduit, ayant paru vers la fin de mars, c’est à cette date que j’ai placé le Philosophe. (B.)

  2. C’est au P. Malebranche, et au petit nombre de sectateurs qu’il avait encore, que ceci s’adresse. (Note de Voltaire.)