Wikisource:Extraits/2015/52

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Voltaire, Sésostris dans Œuvres complètes, tome 10 1877


Sésostris



Vous le savez, chaque homme a son génie
Pour l’éclairer et pour guider ses pas
Dans les sentiers de cette courte vie.
À nos regards il ne se montre pas,
Mais en secret il nous tient compagnie.
On sait aussi qu’ils étaient autrefois
Plus familiers que dans l’âge où nous sommes ;
Ils conversaient, vivaient avec les hommes
En bons amis, surtout avec les rois.
Près de Memphis, sur la rive féconde
Qu’en tous les temps, sous des palmiers fleuris,
Le dieu du Nil embellit dans son onde,
Un soir, au frais, le jeune Sésostris
Se promenait, loin de ses favoris,
Avec son ange, et lui disait : « Mon maître,
Me voilà roi ; j’ai dans le fond du cœur
Un vrai désir de mériter de l’être :
Comment m’y prendre ? » Alors son directeur
Dit : « Avançons vers ce grand labyrinthe
Dont Osiris fonda la belle enceinte ;
Vous l’apprendrez. » Docile à cet avis,
Le prince y vole. Il voit dans le parvis
Deux déités d’espèce différente :
L’une paraît une beauté touchante,
Au doux sourire, aux regards enchanteurs,
Languissamment couchée entre des fleurs,
D’Amours badins, de Grâces entourée,
Et de plaisir encor tout enivrée.
Loin derrière elle étaient trois assistants,
Secs, décharnés, pâles et chancelants.
Le roi demande à son guide fidèle
Quelle est la nymphe et si tendre et si belle,
Et que font là ces trois vilaines gens ?
Son compagnon lui répondit : « Mon prince,
Ignorez-vous quelle est cette beauté ?