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Wikisource:Extraits/2016/13

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Edmond Vander Straeten, Lohengrin : instrumentation et philosophie 1879



II



Pendant que la « belle basse » du père André roule dans les abîmes, abordons une autre gamme d’expression pittoresque, celle-ci purement philosophique, et, j’ajouterai, longtemps inaperçue.

L’être moral peut-il être dépeint d’une façon saisissante par les seules ressources de l’instrumentation ?

Le fait a été résolu victorieusement par plusieurs œuvres d’un mérite supérieur.

Chaque voix d’un orchestre a le don d’assigner au caractère d’un individu une nuance particulière qui le détermine éloquemment.

L’affinité physique est évidente ; l’analogie morale ne saurait faire l’ombre d’un doute depuis que Wagner a produit Lohengrin.

La harpe, par exemple, est un instrument de lumière. De toute antiquité elle a chanté les attributs du Tout-Puissant. David en est la personnification légendaire.

La lyre a servi au même usage. La lyre d’Orphée, celle d’Amphion ont été célébrées par les poètes grecs et latins.

Ce symbolisme religioso-mystique domine tout le moyen-âge.

Pour ne parler que de la glorieuse Flandre, toutes les cérémonies pieuses y étaient rehaussées d’instruments à cordes.

Le choix variait suivant les localités, les époques, ou d’après les éléments d’exécution dont on disposait[1].

La lyre, la harpe, le psaltérion prédominaient dans le haut moyen-âge.

À partir des croisades, c’est le luth qui a la préférence ; puis, c’est le tour de la rote, du rebec, de la viole et de toute la famille similaire d’instruments à cordes.

Les villes situées sur les bords de la mer ont le plus longtemps conservé ces vénérables traditions.

À Furnes, notamment, l’appareil à cordes : violon, harpes, luths, s’y déploie encore en plein seizième siècle. Furnes semble donner la main, à travers l’Océan, à la lyrique Écosse[2].

À Ostende, le même fait se remarque ; mais Ostende a surtout gardé, avec une fidélité des plus scrupuleuses, le legs des coutumes intimes, des fêtes de famille.

Il y a un livre à faire sur les pratiques traditionnelles qui s’y accomplissent, jusque bien avant dans le dix-septième siècle, restes curieux du paganisme, dont la bénédiction des flots, à la fête de Saint-Pierre, me semble être le couronnement suprême.

La trompette et sa famille représentaient l’autorité, la puissance ; c’est l’instrument rouge, s’il m’est permis de hasarder

  1. C’est chose merveilleuse que de voir à quel point le génie musical flamand s’est mis à l’unisson de cette esthétique philosophique de l’instrumentation. La Flandre touchait au Brabant, où se déroule le drame.
  2. Voy. ma notice : Le Noordsche Balk (instrument de musique) du Musée archéologique d’Ypres. (Ypres, 1868 p. 9.), et le 2me volume de ma Musique aux Pays-Bas. La monographie des Ménestrels, au 4me volume de ce dernier ouvrage, renchérit considérablement sur ces indications concises.