Wikisource:Extraits/2016/27

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Alfred de Musset, Faustine (fragment) dans Œuvres posthumes , 1888


ACTE PREMIER



Scène première


MICHEL, seul ; puis FABRICE.
Michel.

J’ai veillé plus d’une fois durant cette longue guerre ; mais je n’ai jamais passé, que je sache, une nuit pareille à celle-ci. Le jour commence à poindre. — La cloche de Saint-Maurice va bientôt annoncer le soleil. — Serait-il possible qu’elle ne revînt pas ? — Ah ! te voilà, Fabrice il est temps.

Fabrice.

Oui, ma foi, car je suis brisé. Ouf ! quelle fatigue !

Il jette son manteau.
Michel.

Tu viens du bal, sans doute ? Tu as joué cette nuit ?

Fabrice.

Oui, et je dois dire, en dépit du hasard, que je me suis fort diverti. La plus délicieuse musique, les plus belles femmes de Venise ! — Mais que fais-tu là si matin ? — Tu n’as pas l’air d’un homme qui se lève, — et ces flambeaux mourants qui pâlissent, ces yeux fatigués… — Qu’as-tu donc ?

Michel.

Il faut apparemment que les aînés des familles veillent sur l’honneur de leur maison pendant que les enfants s’amusent.

Fabrice.

L’honneur de leur maison, dis-tu ? Que signifie cela ?

Michel.

Tu es bien jeune. — Sais-tu prêter et garder un serment ?

Fabrice.

Eh ! mon frère, je porte le même nom que toi.

Michel.

Jure donc, par ce nom et par celui de notre mère qui n’est plus, que tu ne révéleras jamais ce que je vais te confier.

Fabrice.

Soit. — Je le jure. — Mais quelle voix sinistre…

Michel.

Regarde cette porte.

Fabrice.

Celle de notre sœur ? — Par quel hasard ouverte à l’heure qu’il est ?

Michel.

Entre si tu veux, — tu n’éveilleras personne.

Fabrice.

Elle vient donc de sortir à présent ?

Michel.

Pas à présent.

Fabrice.

Quand donc ? Quel motif ?…

Michel.

C’est précisément pour lui faire cette question que je l’attends.

Fabrice.

Et depuis quelle heure l’attends-tu ainsi ?

Michel.

Depuis hier soir. — Tu parais surpris ?

Fabrice.

Parle mieux, — tu me fais frémir.