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Essai de psychologie/Chapitre 12

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(p. 29-31).

Chapitre 12

De l’état de l’ame douée de la parole. Comment l’ame parvient à universaliser ses idées. De la formation des idées universelles d’homme, d’animal, de corps organisé, de corps, d’être.


Enrichi du don précieux de la parole, instruit dans l’art ingénieux de peindre la pensée, l’homme est à portée de jouir de tous les avantages de la raison. Le cercle étroit de ses idées va s’étendre de plus en plus & il embrassera enfin jusques aux idées les plus abstraites. à l’état moins parfoit d’être purement sentant succédera l’état plus parfoit d’être pensant. La nature des choses, leurs qualités, leurs rapports, leur action, leurs changemens, leurs successions, leurs usages, leur durée exprimés par des termes offriront au raisonnement un fond d’idées sur lequel il s’exercera sans jamais l’épuiser. L’ame n’opérant plus simplement sur les choses mêmes ou sur leurs images, mais encore sur les termes qui les représentent, rendra chaque jour ses idées plus générales ou plus universelles. Ainsi, en employant le terme d’ homme pour désigner un certain objet déterminé, tous les objets semblables seront représentés par le même terme. Si l’ame porte ensuite son attention sur tout ce qui est renfermé dans l’idée particuliere de l’homme qu’elle a sous les yeux, si elle exprime par des mots tout ce qu’elle y découvre, elle parviendra à décomposer cette idée en d’autres idées qui seront comme les élémens de celle-là, & qui éleveront l’ame par degrés aux notions les plus universelles. Détachant donc de l’idée particuliere d’un certain homme ce qu’elle a de propre ou d’accidentel, & ne retenant que ce qu’elle a de commun ou d’essentiel, l’ame se formera l’idée de l’homme en général. Si elle ne fixe son attention que sur la nutrition, le mouvement, le sentiment elle acquerra l’idée plus générale d’animal. Si elle ne retient de l’idée d’animal que l’organisation, elle acquerra l’idée plus générale encore de corps organisé. Laissant l’organisation pour ne considérer que l’étendue & la solidité, l’ame se formera l’idée du corps en général. Faisant encore abstraction de l’étendue solide & ne s’arrêtant qu’à l’existence, l’ame acquerra l’idée la plus générale, celle de l’être, &c.