Fables canadiennes/01/Le hibou devenu juge

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C. Darveau (p. 30-31).

FABLE X

LE HIBOU DEVENU JUGE

Un hibou de nos bois, aux jours de sa jeunesse, —
D’aucuns disent, pourtant, que c’est dans l’âge mûr, —
 Avait vendu son droit d’aînesse, —
 Le fait est sûr, —
 Pour un plat de lentilles
 Sous forme de chapons
 Et d’autres pièces bien gentilles.

 

 Or, comme les fripons
Ne sont pas fort souvent punis en ce bas monde,
Et qu’ils arrivent même à tenir le haut rang,
Notre hibou, servi par sa morgue profonde,
Chez les siens, pas ailleurs, arriva sur le banc
Des juges.
Pour quelqu’un qui craignait le banc des accusés
C’était bien, n’est-ce pas, le plus sûr des refuges.

Jamais ses jugements ne furent révisés,
 Il faut au moins le reconnaître.
Pourquoi ? Je ne saurais le dire. C’est peut-être
Qu’ils étaient sans appel, comme le beau fatras
 De quelques uns de nos feux magistrats.
Cependant bien souvent il excusa des crimes
 Comme on excuse un tout petit péché ;
Mais plus souvent encore — il fallait des victimes —
De pauvres innocents eurent le cou tranché.


Un juge corrompu — ce n’est pas introuvable —
 Discerne mal la vérité,
 C’est la morale de ma fable
 Dans toute sa sincérité.