Fables canadiennes/02/Le jeune chat et la souris

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C. Darveau (p. 124-126).

FABLE XIV

LE JEUNE CHAT ET LA SOURIS

 Un jeune chat venait de prendre
 Une souris ;
Il en sautait de joie, et ça peut se comprendre,
 Vu qu’il n’avait jamais rien pris.
Il était demeuré jusqu’alors à l’étude
 De son métier,
Avait été nourri par la sollicitude
 D’un vieux chat du quartier ;
 Car l’histoire rapporte

 Que sa mère était morte
En allant à la chasse au milieu des fourrés.
Les détails de sa mort n’ont pas été narrés.

Donc notre petit chat, tout fier de son adresse,
 Voulut prolonger son plaisir
 En lâchant pour la ressaisir,
 Avec plus d’art que de tendresse,
 La souris qui tremblait de peur.
 Il avait, je suppose,
 Vu pratiquer la chose
 Au vieux chat son tuteur.
Il la faisait sauter au dessus de sa tête
 Ou bien rouler à quelques pas,
 Et la pauvre petite bête
Tentait de s’échapper mais ne le pouvait pas,
 Car la griffe aiguisée
 La reprenait toujours.
 Elle était épuisée
 Et n’espérait plus de secours,
Quand son jeune ennemi, trop grisé par la joie,
 Avant de lui croquer le cou,
Pour lui rendre l’espoir, cruellement l’envoie
 Rouler au bord d’un trou.


 — Je suis assez habile,
 Se disait-il d’un ton badin,
 Pour la prendre avant qu’elle file
 Par ce nouveau chemin.
 Pour moi c’est double fête,
 En vérité,
Que de la prendre encor pendant qu’elle s’apprête ?
 À jouir de la liberté,
 Et c’est pour elle
 Peine deux fois mortelle.

 Il se trompa ;
 La souris s’échappa.


Il faut bien quelquefois infliger des supplices ;
 C’est un devoir des plus touchants ;
Mais il faut se garder de mettre ses délices
 Dans les angoisses des méchants.