Fables canadiennes/02/Le jeune renard et le loup

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C. Darveau (p. 82-86).

FABLE III

LE JEUNE RENARD ET LE LOUP

 Un loup de belle taille
 Et de grand appétit,
 Un bon matin, partit
 Pour faire ripaille ;
Mais, par un fâcheux accident
Et malgré sa longue tournée,
Il ne trouva de la journée
Bien à se mettre sous la dent.


Il s’en allait, baissant la tête,
Clopin-clopant et l’œil hagard,
Quand il aperçut un renard
À l’air légèrement honnête.
 L’accoster poliment
Fut l’affaire d’un moment :

— Si vous vouliez, brave confrère,
On irait de société
Pour manger à satiété
Et même faire bonne chère.
Je suis fort et vous êtes fin ;
L’on aurait vraiment peu de chance
Si, ne pouvant faire bombance,
L’on n’apaisait du moins la faim.

— Mon frère, votre idée est bonne :
Je signe avec vous un traité,
Et vive la fraternité !
Mais, pour que le succès couronne
Sans plus tarder notre projet,
Partons ; vous n’aurez pas sujet
De regretter votre démarche.

— Depuis le matin que je marche
J’ai déjà fait plus d’un bon coup,
 Reprit le loup.

— On a, là-bas, cueilli des pommes,
Il doit en rester sur le sol :
C’est le temps où rentrent les hommes…
Des pommes, c’est toujours un vol ;
Allons, ne manquons pas d’en prendre,
Dit le renard.

 — Ô mon mignon,
Nous sommes faits pour nous comprendre !
Dit le loup à son compagnon.

Ils se mirent tous deux en route,
N’ayant sur leur succès nul doute.
Ils ne trouvèrent pourtant rien,
Rien qu’une pomme au fond de l’herbe,
Mais elle était vraiment superbe
 Et valait bien
Deux ou trois pommes ordinaires.
C’est le renard qui la trouva.


— Donne, lui dit le loup, on va
La manger sans préliminaires.

Le renard aurait bien voulu
Garder pour lui la faible aubaine,
Mais de son compère goulu
 Il redoutait la haine.

— La voici, fit-il humblement,
Partage bien également.

— Tu doutes de moi ce me semble ?
Reprit le loup avec hauteur.
Je ne suis point un ergoteur
Et nous partagerons ensemble
D’après une équitable loi.
Cette pomme sera pour moi,
Et toi tu prendras la deuxième.
Le marché n’est point hasardeux,
Et je suis la justice même.

— Mais si l’on n’en trouve pas deux ?

  

— Alors tu mangeras les restes
 De celle-ci.

 — Bah ! les pommes d’ici,
Dit le renard, sont indigestes,
Et je m’en vais ailleurs
Chercher des fruits meilleurs.



Dans toute affaire où l’on n’apporte
La plus sincère honnêteté,
Le plus fort fait toujours en sorte
D’amener tout de son côté.