Fables canadiennes/02/Le loup et le chien

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C. Darveau (p. 101-104).

FABLE VIII

LE LOUP ET LE CHIEN

 Un loup vieillot et maigre,
 Ayant une voix aigre
 Mais un souple mollet,
Sortit du bois, un jour, dans le dessein coupable,
 La chose était palpable,
 De croquer quelque bon poulet.
 Il s’approcha donc d’une ferme
 D’un pas ferme,
Tout comme aurait pu faire un vieil habitué ;

Mais au seuil de la porte il vit le chien Fidèle,
 Un serviteur modèle
Qui ne craignit jamais d’être destitué :
 Il fallait donc agir de ruse.

 — Je ne sais pas si je m’abuse,
 Dit-il au chien,
 Mais je crois bien
 Avoir fait votre connaissance
 Dans un temps déjà loin,
 Et votre père eut soin
 De nous faire faire bombance.

— Je ne me souviens pas d’avoir eu cet honneur,
 Monseigneur,
Dit le chien tout surpris de l’étrange aventure.

 — C’est vrai pourtant, reprit le loup,
Je vous l’affirme encore, et je hais l’imposture.
 Nous mangeâmes beaucoup,
Et surtout des poulets de la chair la plus tendre.
 Je suis en dette à votre égard ;
Et si je viens ici braver votre regard,
C’est pour vous annoncer que l’on doit vous attendre
 Dans notre bois demain matin ;

 
 L’on y prépare un grand festin
 Dont vous serez le premier hôte.

— J’irai, compère loup, j’irai certainement,
 Car c’est une faveur bien haute
Que mes frères des bois me font en ce moment.

 — La table sera bien servie ;
 J’ai cependant envie,
 Reprit le loup dans l’embarras,
De faire une surprise aux loups que tu verras.
Tu vas donc me prêter une grasse poulette, —
 Cela manque à notre repas —
Je dirai que c’est toi — mais ne me démens pas —
Qui t’élevais pour eux sous ta noble houlette.

 — Par ma foi !
 Je n’en ai pas, moi,
 Répliqua le chien honnête.

— Tu n’en as pas, dis-tu ? Mais dans la basse-cour
J’en entends caqueter ; allons-y faire un tour.

Fidèle avec orgueil leva sa belle tête :

 
 — J’en suis le gardien, dit-il,
 Et non le maître ;
 Voudrais-tu donc me rendre traître
 Par ton discours subtil ?

— Ta vertu, dit le loup, suffit pour m’interdire
Un langage léger qu’on ne tient qu’au roquet.
Je m’en retourne au bois ; je reviendrai te dire
 L’heure juste du grand banquet.


On en voit bien des loups ; ils sont vêtus en hommes ;
La plupart ont connu votre père défunt ;
Ils ont pour leurs amis fondu de belles sommes ;
Ils vous offrent de tout et vous font un emprunt.