Fables canadiennes/04/Les deux cultivateurs et le serpent

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FABLE II

LES DEUX CULTIVATEURS ET LE SERPENT

Un cultivateur pauvre ayant, sur son domaine,
 Bien des cailloux petits et gros,
 Ne prenait guère de repos
 Et se donnait beaucoup de peine
Pour les tirer du sol, les amasser en tas,
Ou bien les enfouir afin que la charrue
 Ne les atteignit pas.
Mais la sérénité n’était point disparue,
 Malgré son pénible labeur,

 De son regard ou de son cœur,
Car il savait que Dieu compte chaque souffrance
 Acceptée humblement
 Et nous console abondamment
 À l’heure de la délivrance.

Un voisin plus heureux n’avait pas dans son clos
Le plus petit caillou, la plus petite ornière :
Il était toutefois d’une humeur chicanière
 Et se fâchait à tout propos.

— Stupide travailleur, dit-il au prolétaire,
 Tu gagnes mille fois ton pain ;
Plutôt que d’épierrer une pareille terre,
 J’aimerais mieux mourir de faim.

Et comme il terminait cette rude apostrophe
 Digne d’un philosophe
 À la mode d’aujourd’hui,
Un serpent venimeux se dirigea vers lui.
Il voulut se sauver, ne sachant pas quoi prendre
 Pour se défendre
 Dans ce danger inattendu,
 Mais il fut atteint et mordu.

 Le reptile vers l’autre ferme
 s’élance ensuite avec fureur,
Pour attaquer aussi l’indigent laboureur ;
 Mais celui-ci d’une main ferme
 Prend un caillou pesant
 Et tue, en un seul coup, le serpent malfaisant.


Tâchons que l’humeur ne varie
À tout propos, à tout sujet :
Ce qui sur l’heure contrarie
Peut tantôt servir un projet.