Fables canadiennes/05/Le nuage et le soleil

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C. Darveau (p. 297-299).

FABLE IV

LE NUAGE ET LE SOLEIL

Le soleil rayonnait sur les bois et les plaines
 Depuis longtemps,
 Et les promesses du printemps
 Devenaient vaines ;
Les cieux étaient sereins, rien n’en tachait l’azur
 La terre était dans la souffrance ;
 La fleur inclinait son front pur,
 Et l’espérance
Ne germait plus dans le sillon.
Un nuage parut comme un noir tourbillon :

 
 — Il est temps que j’arrive,
 Cria-t-il au soleil,
 Si je veux que la terre vive
 Et secoue un peu son sommeil ;
Tu crois la réchauffer et ton rayon la brûle ;
 Recule !
 Laisse-moi réparer les maux
 Que tu causes en mon absence.

 Le nuage, à ces mots,
 Pour montrer sa puissance,
Ouvre son aile sombre et voile le ciel d’or.
Il fit longtemps pleuvoir, et la terre, inondée
 Par cette interminable ondée,
 Souffrit encor.

 Alors l’inquiétude
 Entra dans l’âme des humains,
 Et puis la multitude,
 Vers le ciel élevant les mains,
 Supplia le Dieu sage
De mettre enfin d’accord et soleil et nuage.
 Le Seigneur entendit ses vœux.

  
 — Écoutez, dit-il, je le veux,
 Brillant soleil, nuage sombre ;
 La terre a besoin de vous deux ;
Il lui faut l’eau du ciel mais il lui faut ses feux :
Allez souvent, mais non pendant des jours sans nombre,
 Pour mieux la féconder,
De pluie et de rayons tout à tour l’inonder.


Notre cœur a besoin, comme la terre avide,
D’orage et de soleil souvent et tour à tour ;
Un bonheur trop constant le rend parfois aride,
Un long malheur, parfois, l’écrase sans retour.