Fables canadiennes/05/Le taureau et la fourmi

La bibliothèque libre.
C. Darveau (p. 295-296).

FABLE III

LE TAUREAU ET LA FOURMI

Un taureau qu’irritait la moindre agacerie,
 Seul dans une prairie,
 Paissait tranquillement.

— Ce serait, pensait-il, oui, ce serait vraiment
 Chose bien singulière
 Que l’on put me troubler ici.

 Tout en pensant ainsi
Il se mit à brouter sur une fourmilière.

 Les fourmis, comme de raison,
 Sortirent fort épouvantées
 De leurs cachettes éventées
 Et s’enfuirent sous le gazon.
 Cependant l’une d’elles,
 Qui se moquait bien des querelles,
 Mordit sur le naseau
 L’irascible taureau.
L’animal fit un bond, ouvrit grand son œil morne,
Beugla d’une voix sourde et, du bout de sa corne,
Cherchant à déchirer la petite fourmi
 Qui le traitait en ennemi,
 Il déchira l’argile.
Pendant qu’il s’épuisait ainsi dans son courroux,
 L’insecte agile
Se promenait gaiement sur son large front roux.


Quoi de plus insensé que ces accès de rage
À propos de rien ou contre un être chétif ?
Gardez votre vigueur, gardez votre courage
Pour adversaire digne ou pour digne motif.