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Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 1

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CHAPITRE PREMIER.
de la nature de l’écriture sainte.

i. L’Écriture sainte, qui fait l’objet de cette Introduction, est un livre, ou plutôt un recueil de livres écrits par l’ordre de Dieu même et sous l’inspiration du Saint-Esprit. Par là elle diffère essentiellement de la Tradition, qui renferme aussi la parole de Dieu et même sa parole écrite, mais non écrite par son ordre exprès et sous l’inspiration du Saint-Esprit. Les différents points de vue sous lesquels on a considéré les livres qui forment ce recueil ont donné lieu à des dénominations et des divisions qui toutes nous en font connaître plus ou moins explicitement la nature.

2. Les noms de l’Écriture sainte qui se trouvent le plus ordinairement dans les écrivains sacrés, les Pères de l’Église et les auteurs ecclésiastiques sont[1] : les Livres sacrés ; les Livres saints ; l’Ecriture ou les Ecritures par excellence[2] ; les Lettres sacrées[3] ; les Ecritures saintes[4] ; la Loi[5] ; la Bibliothèque sainte[6] ; Instrument ou acte authentique contenant des ordonnances, des traités, des conventions solennelles, etc.[7] ; Pandecte, c’est-à-dire, recueil de tous les livres écrits sur un même sujet[8] ; la sainte Bible, ou simplement la Bible, mot tiré du grec Biblia (Βιβλία) qui a passé en latin, et qui signifie livres[9] et enfin l’Ancien et le Nouveau Testament[10].

Nous concevons aisément qu’on ait donné à ces livres de semblables qualifications ; celles surtout de saints et de sacrés leur conviennent d’une manière plus particulière, puisqu’ils contiennent la parole de Dieu écrite par des hommes divinement inspirés, qu’ils traitent de la religion, chose la plus sainte et la plus sacrée, qu’ils sont une source de vérité, et qu’ils contribuent puissamment à nous sanctifier, en nous offrant les règles de conduite les plus sages et les plus parfaites[11]. Quant à celle de Testament, donnée aux livres de l’ancienne loi, elle demande quelques explications. Saint Jérôme, expliquant ces mots de Jérémie : Feriam domui Judæ fœdus novum, non secundum pactum quod pepigi cum patribus vestris, etc., se justifie de s’être servi du terme de pactum au lieu de Testamentum, en alléguant qu’il n’a fait en cela que traduire fidèlement l’hébreu[12]. Le même Père dit ailleurs que partout où la version grecque porte Testament il faut l’entendre, d’après le texte original, d’un pacte ou d’une alliance[13]. Aquila, Symmaque et Théodotion, ont traduit l’hébreu berith par sunthêkê (συνθήκη) qui signifie proprement alliance : aussi saint Jérôme n’a pas manqué d’invoquer leur autorité, lorsqu’il a voulu excuser saint Paul d’avoir employé le mot Testament au lieu d’alliance[14]. Ce sentiment de saint Jérôme, quoiqu’il soit devenu très-commun parmi les interprètes et les critiques, ne paraît pas suffisamment fondé, car au chapitre ix, vers. 15-18 de son Epître aux Hébreux, saint Paul suppose évidemment que le mot diathèké Λιαθήκη), même appliqué à la loi ancienne, signifie un Testament, ou si l’on veut une alliance, mais une alliance qui est au moins, sous quelque rapport, de même nature que le Testament, c’est-à-dire qui n’a réellement d’effet qu’après la mort de celui qui en est l’auteur ; puisque, d’après le même apôtre, les promesses faites par la loi ancienne, sous l’emblème des figures, n’ont pu être exécutées que par la mort du Dieu qui avait donné cette loi ; et que les victimes qui figuraient le Fils de Dieu ont été immolées pour annoncer qu’il mourrait lui même afin d’accomplir la vérité de ces ombres et de ces figures.

Saint Ambroise n’est pas moins explicite quand il dit : Nam et Moyses accepto sanguine vituli in paterâ, adspersit filios Israel, dicens : Hoc est Testamentum quod disposuit Deus ad vos[15]. Et quand, expliquant ailleurs ces paroles du Deutéronome : Et restituet (Dominus) Testamentum suum quod juravit patribus vestris, etc., il ajoute : Testamentum dicitur, quoniam sanguine dedicatum est, Vetus in typo, Novum in veritate[16]

Après avoir essayé de concilier les deux opinions, D. Calmet ajoute : « Mais les versets 15, 16, 17 (Hebr. IX) prouvent, ce me semble, d’une manière démonstrative que saint Paul a passé exprès du terme testamentum mis pour alliance, à testamentum, pris pour Testament[17]. »

3. Cette dernière dénomination a donné lieu à la division générale de toute l’Ecriture sainte en livres de l’Ancien Testament, ou livres qui contiennent ce que Dieu a révélé aux anciens Hébreux, et en livres du Nouveau Testament, ou livres qui renferment ce qu’il a découvert et enseigné plus tard par Jésus-Christ et les apôtres.

4. Les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament se divisent eux-mêmes en proto-canoniques et deutéro-canoniques. Les proto-canoniques de l’Ancien Testament sont ceux que la Synagogue a admis dans son Canon ; les deutéro-canoniques sont ceux que l’Eglise catholique a ajoutés à ces premiers dans son Canon particulier. Les proto-canoniques du Nouveau Testament sont les livres qui ont toujours passé dans toutes les églises pour être indubitablement canoniques ; et les deutéro-canoniques du Nouveau Testament tous ceux qui, ayant d’abord passé pour douteux dans quelque Eglise ou quelques Eglises particulières, ont été ensuite reconnus par les Eglises particulières qui avaient douté d’abord de leur autorité, comme faisant partie essentielle de l’Écriture sainte (voyez le chapitre iii).

5. Enfin on divise encore les livres saints en légaux, historiques, sapientiaux ou moraux, et prophétiques. Les livres légaux de l’Ancien Testament sont les cinq livres de Moïse ; les historiques, Josué, les Juges, Ruth, les quatre des Rois, les deux des Paralipomènes, le premier d’Esdras et le second qui porte le nom de Néhémie, ceux de Job, de Tobie, de Judith, d’Esther et les deux des Machabées. Les livres sapientiaux ou moraux sont les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, la Sagesse, l’Ecclésiastique. Les livres prophétiques sont ceux d’Isaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel, de Daniel et des douze petits prophètes.

Les livres légaux du Nouveau Testament sont les quatre Evangiles ; les historiques, les Actes des Apôtres ; les sapientiaux, les Épîtres de saint Paul et celles des autres apôtres ; l’Apocalypse se rattache aux livres prophétiques[18].

6. Les divisions des livres de l’Ancien Testament, qui viennent d’être exposées, ne sont en usage que chez les chrétiens ; car les Juifs, comme on le verra un peu plus bas (ch.  III, sect. 4), en admettent de différentes.

  1. Nous ne citons que les principaux, nous bornant pour les autres à renvoyer au Magnum theatrum vitæ humanæ ; art. biblia., édit. de Laurent Beyerlinck.
  2. Math. XXI, 42. XXII, 29. Joan. V, 39. Act. VIII, 32. Rom. iv, 3. Les Juifs emploient l’hébreu Mikra, que l’on trouve dans Néhémie, VIII, 8, quoiqu’il ne soit question en cet endroit que des livres de Moïse. Ce mot, par son étymologie, signifie, lecture, ce qu’on lit, de même qu’Alcoran chez les musulmans ; mais l’usage y attaché la signification d’écriture, ἡ γραφὴ ; et c’est aussi le sens que lui donne fréquemment les rabbins.
  3. Timoth. III, 15.
  4. Rom. I, 2.
  5. Joan., X, 34. 1 Cor. XIV, 21.
  6. Hier. De scrip. Eccl. passim. Isid. Etym. l., IV, c. III
  7. Tert. Lib. de Pudicitiâ, c.  X. Contr. Marc. l. IV, c. III. Lib. de Coronâ militis, c. III, etc. Hier. in Jes. c. XVI ; in Ezech. c.  XVI, etc. Aug. De civ. Dei, l.  XX, c IV.
  8. Cassiod. Inst. div. Script.IV. Alcuin, dans des vers mis en tête d’une Bible, remarque que le nom de Bibliothèque est très-commun de son temps, mais il préfère celui de Pandecte, comme étant le véritable.

    Nomine Pandectem proprio vocitare memento,
    Hoc corpus sacrum, lector, in ore tuo,
    Quod nunc à multis constat Bibliotheca dicta
    Nomine non proprio, ut lingua Pelasga docet.

  9. Chrysost. Hom. IV in Epist ad. Coloss. et Hom. X in Genes. Ce père et saint Epiphane, Hæres., 29, disent que les Juifs de leur temps appelaient l’Ecriture, Βιβλία.
  10. Matth. XXVI, 28. 2 Cor. III, 14, etc.
  11. Joan. XVII, 17. Conc. Trid. Sess. IV.
  12. « Quod autem pactum pro Testamento ponimus, hebraicæ veritatis est : licet Testamentum recte pactum appelletur : quia voluntas in eo atque testatio eorum qui pactum ineunt, continetur (Hier. in Jerem. cap.  xvii). »
  13. « Notandum quod ubicumque in græco testamentum legimus, ibi iu hebræo sermone sit fœdus, sive pactum, id est, berith (Libr. Quœst, hebraic. in Gen. cap. xvii). »
  14. « Et cæteri interpretes ex hebræo pactum reddiderunt, hoc est Aquila, Symmachus, Theodotion (Hier, in Gal, cap. iv super id : Hoc autem dico, testamentum confirmatum à Deo). »
  15. « Hoc figura fuit Testamenti, quod Dominus novum appellavit per prophetas ; ut illud vetus sit quod Moyses tradidit. Testamentum ergo sanguine constitutum est ; quia beneficii divini sanguis testis est (Ambr. in 1 Cor. cap. xi super id : Mortem Domini annuntiabitis). »
  16. Ambr. de Cain et Abel l.  I, c VII, n. 28.
  17. D. Calmet, Comment. littér. sur Hebr IX, 16.
  18. Nous montrerons ailleurs, et surtout dans l’Introduction particulière, que ces dénominations ne sont pas rigoureusement exactes, et que quand on les donne à un livre en particulier, elles ne s’appliquent en réalité qu’à la partie principale, au sujet dominant de ce livre.