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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/01

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Une femme curieuse (alias )
Préface (1910)

PRÉFACE


Quel est le sort réservé à ce petit livre de notes ? Ai-je bien fait de livrer les conseils, les anecdotes, les souvenirs qu’il contient aux méditations des autres femmes ? Calmera-t-il les inquiétudes d’une âme troublée ? Lèvera-t-il des scrupules inutiles ? Fera-t-il naître par le poli d’un ongle, le parfum d’un gant, le choix d’un bouquet, un peu plus de coquetterie ? Y aura-t-il un remords de moins dans le frémissement des dentelles qui tombent ? Je l’ignore et je le souhaite.

Mais, hélas ! je sais que les hommes me jetteront la pierre et qu’ils n’auront pas assez de termes méprisants pour outrager une femme qui aura osé parler de l’amour, de sa tristesse et de son plaisir, de sa poésie, de ses dégoûts, de sa volupté surtout, avec une égale sincérité.

Je sais aussi que les femmes ne seront pas moins sévères à mon égard, qu’elles rejetteront mon livre comme un livre défendu, qu’elles m’accuseront de faire injure à leur sexe, qu’elles me rangeront parmi les femmes sans moralité, car elles estiment que l’aveu est un déshonneur et la franchise une cause de honte.

Hélas ! l’hypocrisie triomphe. La conception de l’amour se fausse chaque jour davantage. Il tend à redevenir un péché, une chose maudite ; ses arts s’étiolent, car Tartufe fait grand bruit dès qu’apparaît le contour du sein qu’il ne saurait voir. Adieu la galanterie d’un autre siècle, les surprises, les embarquements pour Cythère, les chemises envolées, ce libertinage léger, fils naturel de notre pays, qui était une forme si aristocratique de la beauté. On va bientôt habiller les statues et emprisonner les amants qui se pressent la main dans le jardin du Luxembourg. L’ombre de M. Prudhomme s’épaissit autour de nous.

J’ai essayé dans ces pages de dire librement mon sentiment sur l’amour, de raconter des histoires vraies, dont je pensais tirer une leçon profitable, j’ai parlé de l’amour physique avec la même vérité que j’ai parlé de l’amour sentimental.

Que les hypocrites se lèvent pour m’en blâmer ! Je crois qu’il y a autant de moralité dans les dents blanches, les yeux clairs, la peau veloutée d’une courtisane amoureuse que sous les bandeaux plats d’une bourgeoise vertueuse. Seulement cette moralité s’exerce sur un plan différent.

Je crois qu’il n’est pas mal d’aimer, qu’il ne faut rien cacher de la réalité de l’amour et que les femmes qui sont les plus faibles, au lieu de demeurer dans l’ignorance, doivent être les plus averties.

Du reste, je brave les reproches et je me ris des mépris, si j’ai pu faire s’échapper de ces pages un léger souffle d’amour, si, grâce à moi, il y a, un soir d’été, une jeune femme qui, en me lisant, a des mains un peu plus fiévreuses, des yeux auréolés d’une cernure plus bistrée, si grâce à moi il y a un baiser de plus sur la terre.