L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/02

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Une femme curieuse (alias )

VERTU DE LA CURIOSITÉ

Je suis très curieuse et l’on m’a dit quelquefois que j’étais jolie. Si j’ai reçu le don de la beauté, ce qui ne m’a jamais paru bien sûr, je ne m’en fais pas gloire, bien que pourtant une partie de cette beauté soit due à mon effort personnel pour la développer et la conserver.

Mais je m’enorgueillis d’être curieuse, car j’ai cultivé en moi ma curiosité comme on cultive une plante précieuse, parce qu’on sait qu’elle doit embaumer l’appartement où elle fleurit.

J’ai pensé dès mon enfance que ce délicieux penchant de savoir que nous avons en nous était le sel de la vie, la source de notre bonheur. Je me suis appliquée à être curieuse et je crois que j’ai réussi. Ma curiosité s’est exercée sur les choses de l’amour, parce que j’ai vite compris que c’étaient celles pour lesquelles j’étais née.

J’ai aimé pour la première fois à l’âge de huit ans. J’étais au couvent, dans une petite ville de province. Celui que j’aimais était l’enfant de chœur qui servait la messe. Je me souviens qu’il avait un visage blême et sans expression et, quand il rencontrait par hasard mon regard, il y avait dans ses yeux une indifférence infinie. Mais il faisait battre mon cœur, je l’aimais pour le rôle qu’il jouait, ses vêtements ecclésiastiques, sa participation à la divinité.

Ensuite le prédicateur fut l’objet de mon culte. J’allais faire ma première communion. Il parlait d’une voix enflammée, il me promettait le paradis, il me menaçait de l’enfer, il était tout-puissant et, bien qu’un peu gros et chauve, il se dégageait de sa personne le rayonnement de la foi.

Puis j’adorai mon professeur de littérature au point qu’il m’était presque impossible de réciter ma leçon, non parce que je ne l’avais point apprise, mais parce qu’une tendre émotion me serrait la gorge.

À treize ans, quand je commençai à aller avec mes sœurs dans de petites soirées de jeunes filles, je fus amoureuse d’un jeune homme de dix-sept ans qui avait les cheveux longs et qui était poète. Le baiser qu’il me donna une fois, en valsant, me révéla quelle étonnante cause de plaisir il y a dans nos lèvres et combien ce plaisir est communicatif au reste de l’être.

Je remarquai que mes premiers rêves avaient un caractère commun. C’est la force intellectuelle, l’activité de l’esprit qui avaient du prestige sur moi, plus qu’un visage régulier ou que des paroles flatteuses. J’ai toujours conservé par la suite cette manière de choisir, et je dois dire qu’elle m’a attiré bien des déceptions, car il y a une foule d’hommes qui affectent l’intelligence par des procédés de conversation pour ne laisser éclater qu’un peu plus tard une grossière stupidité, tandis qu’au contraire les hommes vraiment intelligents — et ils sont fort rares — sont, au premier abord, silencieux, quelquefois impolis, souvent médiocres.

Ce que ma curiosité m’a toujours poussée à rechercher naturellement, et cela dès que j’ai ressenti pour la première fois le trouble de l’amour, c’est le fond même de cet amour, le pourquoi des sentiments qui m’animaient, la raison qui poussait un jeune homme à désirer s’approcher de moi plutôt que d’une autre jeune fille, à me manifester sa sympathie, à vouloir m’embrasser.

Et même en ce moment, après avoir reçu mille confidences, possédant de l’amour une connaissance extrême par mon expérience et par celle des autres, je ne peux me défendre d’une immense surprise qui me saisit brusquement à certaines minutes, en songeant à ce mystère surprenant qui veut que deux êtres se choisissent, se désirent moralement et physiquement, échangent des caresses, vivent ensemble. J’ajoute que cet étonnement m’est très précieux, car il est pour moi dans l’amour une grande source de nouveauté et surtout de volupté.

Donc j’ai cultivé ma curiosité, c’est-à-dire mon amour de la vie, mon amour de l’amour. Elle a été la petite lampe qui brûlait encore dans la chambre, même quand l’électricité était éteinte, à l’heure où les bras refermés, la magie des paroles vagues font de la femme une esclave docile de plaisir. Grâce à elle, je suis toujours restée moi-même, j’ai défendu ma personnalité, et, même quand j’ai pensé m’abandonner toute, il y a eu un petit coin solitaire de mon âme qui est demeuré intangible, un petit coin dont nulle caresse humaine, nulle parole passionnée n’auraient pu obtenir la révélation.

Je remercie ma curiosité de tout ce qu’elle m’a apporté de joie. C’est elle qui m’a fait connaître et aimer cette catégorie divertissante d’êtres humains qui sont nos amis, nos adversaires, nos maîtres, nos élèves, nos enfants et parfois nos joujoux : je veux parler des hommes ; j’ai concentré sur eux ma pensée, j’ai observé avec passion, j’ai noté avec délices leurs petits faits, leurs grands gestes, leur vanité, leur simplicité. Avec une tendre ironie, juste assez pour ne pas m’émouvoir véritablement, j’ai regardé leurs chers défauts, leurs aimables vices, leurs mauvais mérites, leurs fausses vertus. J’ai cru m’apercevoir qu’il y avait un petit ressort qui les dirigeait et que, pareils à ces polichinelles que l’on donne aux enfants, ils ouvraient les bras, faisaient des grimaces, poussaient des cris quand on avait pressé le petit ressort.

J’ai voulu me rendre compte de ce mécanisme. Je livre à mes amies inconnues le résultat de mes recherches. On a plus de chance de s’amuser avec le jouet quand on connaît le secret qui le met en mouvement. On peut le réparer, s’il cesse de dire « Papa, maman ». On peut développer cette horlogerie délicate et lui faire dire des phrases plus compliquées.

Ô curieuses, mes sœurs, éludiez bien le ressort, pressez-le à votre gré, ne le brisez pas !…