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L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/03

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Une femme curieuse (alias )

L’ART DE LA VOLUPTÉ

La plus grande qualité d’une femme pour séduire les hommes est le goût de la volupté.

La volupté est un état d’imagination qui précède, qui accompagne et qui suit le plaisir physique.

Elle est comparable à cet aspect que prennent les arbres d’un parc, les marches d’un perron, les contours d’un château, quand ils sont éclairés par la lune. Une émanation lumineuse en fait alors mieux ressortir la nature ; une buée admirablement douce l’enveloppe, lui donne du relief, de la vie.

Une nuit sans lune est privée de beauté ; elle semble avoir engourdi les choses ; elle les a plongées dans le néant ; elle empêche l’exaltation de la pensée, elle annihile tout autre sentiment, sauf celui de la peur. Elle est pareille à une nuit d’amour sans volupté.

Dans l’art de la peinture, il y a ce qu’on appelle envelopper d’air le tableau. Cet air, c’est le subtil élément qui donne la vie et l’expression au sujet qu’on représente.

Si on n’enveloppe pas l’amour dans cette atmosphère, dans cette lumineuse buée, il ne vit pas, il s’agite vainement et meurt avec la sensation qu’il a provoquée.

Beaucoup de gens déclarent que seul l’amour sentimental est supérieur et trouvent bestial l’amour physique. C’est qu’ils ignorent cet apport de l’âme qu’est la volupté, ce lien délicat entre l’esprit et les sens.

Mais il est indéfinissable, intraduisible. Il se manifeste par une chaleur du sang communicative, qui imprègne l’être qu’on aime et l’anime du même désir ; il établit une communion étroite entre l’homme et la femme et même, s’ils étaient des inconnus jusqu’alors, il les lie bien plus que des serments et bien plus qu’une vraie tendresse.

La volupté donne la sincérité à l’acte d’amour. Le cœur n’y est pour rien.

Telle qui peut se donner par amour peut donner son cœur dans une étreinte, mais non tout soi-même.

La volupté seule force le don absolu de son être entier, ce que ne saurait faire sans elle le plus tendre amour.

Délicieuse sensibilité, signe aristocratique des natures nerveuses et imaginatives, comme tu es répartie avec avarice par le monde ! Les femmes vulgaires peuvent te donner à leur insu, mais ne te ressentent pas. Que d’hommes grossiers qui prennent rapidement, égoïstement, le plaisir du corps sans même te soupçonner !

Quelle tristesse que la femme délicate, voluptueuse, soit exposée à être livrée, dans la minute de sa plus rare aspiration vers l’idéal de l’amour, à un stupide barbare qui se contente de trois secondes de plaisir et qui se hâte sauvagement vers ces trois secondes !

Il est vain de dire « Arrêtez ! » si le barbare ne sait pas. Tout son amour ne pourra compenser l’absence du don divin.

Mais il arrive parfois que celui qui a eu une apparence de barbare se révèle, à l’heure décisive, comme un artiste délicat, comme un créateur de frémissements qui, de ses mains, de ses lèvres, de tout son être, nous jette dans le merveilleux domaine électrique.

Nous savons que le résultat rêvé est atteint par le détachement de nous-mêmes qui nous rend tout d’un coup pareilles à des oiseaux dans l’espace, qui nous jette dans le vide, nous faisant apparaître brusquement, soit un paysage, soit un visage, une rue avec des voitures, un intérieur vu autrefois comme si notre cerveau avait besoin d’un point de repère terrestre.

Combien ce libérateur de notre imagination, cet admirable double de nos sens doit être aimé et précieusement conservé !

La moitié de la volupté a une cause purement physique. Il y a des êtres qui sont créés pour l’amour ; il y en a qui sont doués pour mieux recevoir les caresses ; d’autres, pour mieux les donner. La volupté vient d’une intime concordance et l’auréole qui entoure un homme qui a du succès auprès des femmes vient presque toujours de ce que toutes sentent avec leurs nerfs que c’est dans ses bras qu’elles obtiendront la jouissance la plus profonde, la plus raffinée, la plus douloureusement étroite.

Si l’on songe qu’il faudra avec cela un parallélisme de l’esprit aussi intime que celui du corps, on comprendra aisément combien la volupté est difficile à trouver sur la route obscure que parcourent les amants.