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L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/55

La bibliothèque libre.
Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 257-260).


CHAPITRE LV.

DE LA CORRUPTION DE LA NATURE, ET DE L’EFFICACE DE LA GRACE DIVINE.

1. Le F. Seigneur, mon Dieu, qui m’avez créé à votre image et à votre ressemblance, accordez-moi cette grâce dont vous m’avez montré l’excellence et la nécessité pour le salut, afin que je puisse vaincre ma nature corrompue, qui m’entraîne au péché et dans la perdition.

Car je sens en ma chair la loi du péché qui contredit la loi de l’esprit[1], et m’asservit aux sens pour que je leur obéisse en esclave ; et je ne puis résister aux passions qu’ils soulèvent en moi, si vous ne me secourez, en ranimant mon cœur par l’effusion de votre sainte grâce.

2, Votre grâce, et une grâce très grande, est nécessaire pour vaincre la nature inclinée au mal dès l’enfance[2].

Car, déchue en Adam, notre premier père, et dépravée par le péché, cette tache passe dans tous les hommes, et ils en portent la peine ; de sorte que cette nature même, que vous avez créée dans la justice et dans la droiture, ne rappelle plus que la faiblesse et le dérèglement d’une nature corrompue, parce que, laissée à elle-même, son propre mouvement ne la porte qu’au mal, et vers les choses de la terre.

Le peu de force qui lui est resté est comme une étincelle cachée sous la cendre.

C’est cette raison naturelle, environnée de profondes ténèbres, sachant encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais impuissante à accomplir ce qu’elle approuve, parce qu’elle ne possède pas la pleine lumière de la vérité, et que toutes ses affections sont malades.

3. De là vient, mon Dieu, que je me réjouis en votre loi, selon l’homme intérieur[3], reconnaissant que vos commandements sont bons, justes et saints[4], qui condamnent tout mal, et détournent du péché.

Mais, dans ma chair je suis asservi à la loi du péché[5], obéissant plutôt aux sens qu’à la raison, voulant le bien, et n’ayant pas la force de l’accomplir[6].

C’est pourquoi souvent je forme de bonnes résolutions ; mais la grâce, qui aide ma faiblesse, venant à manquer, au moindre obstacle je cède et je tombe.

Je découvre la voie de la perfection, et je vois clairement ce que je dois faire.

Mais, accablé du poids de ma corruption, je ne m’élève à rien de parfait.

4. Oh ! que votre grâce, Seigneur, m’est nécessaire, pour commencer le bien, le continuer et l’achever !

Car sans elle je ne puis rien faire ; mais je puis tout en vous, quand votre grâce me fortifie[7].

O grâce vraiment céleste, sans laquelle nos mérites et les dons de la nature ne sont rien !

Les arts, les richesses, la beauté, la force, le génie, l’éloquence n’ont aucun prix, Seigneur, à vos yeux, sans la grâce.

Car les dons de la nature sont communs aux bons et aux méchants ; mais la grâce ou la charité est le don propre des élus ; elle est le signe auquel on reconnaît ceux qui sont dignes de la vie éternelle.

Telle est l’excellence de cette grâce, que ni le don de prophétie, ni le pouvoir d’opérer des miracles, ni la plus haute contemplation, ne doivent être comptés pour quelque chose sans elle.

Ni la foi même, ni l’espérance, ni les autres vertus, ne vous sont agréables sans la grâce et la charité.

5. O bienheureuse grâce, qui rendez riche en vertus le pauvre d’esprit, et celui qui possède de grands biens humble de cœur !

Venez, descendez en moi, remplissez-moi dès le matin de votre consolation, de peur que mon âme épuisée, aride, ne vienne à défaillir de lassitude.

J’implore votre grâce, ô mon Dieu ! je ne veux qu’elle : car votre grâce me suffit[8], quand je n’obtiendrais rien de ce que la nature désire.

Si je suis éprouvé, tourmenté par beaucoup de tribulations, je ne craindrai aucuns maux, tandis que votre grâce sera avec moi.

Elle est ma force, mon conseil, mon appui.

Elle est plus puissante que tous les ennemis, et plus sage que tous les sages.

6. Elle enseigne la vérité, et règle la conduite ; elle est la lumière du cœur, et sa consolation dans l’angoisse ; elle chasse la tristesse, dissipe la crainte, nourrit la piété, produit les larmes.

Que suis-je sans elle ? qu’un bois sec, un rameau stérile qui n’est bon qu’à jeter.

Que votre grâce, Seigneur, me prévienne donc et m’accompagne toujours ; qu’elle me rende sans cesse attentif à la pratique des bonnes œuvres : je vous en conjure par Jésus-Christ, votre Fils. Ainsi soit-il[9].

RÉFLEXION.

La religion fait deux choses : elle nous montre notre misère et nous en indique le remède ; elle nous enseigne que, de nous-mêmes, nous ne pouvons rien pour le salut, mais que nous pouvons tout en celui qui nous fortifie[10]. Et de là ce mot de saint Paul, mot aussi profond de vérité qu’étonnant pour l’orgueil humain : Je me glorifierai dans mes infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi[11]. Oui, continue-t-il, je me complais dans mes infirmités : car lorsque je me sens infirme, c’est alors que je suis fort[12]. Entrons dans la pensée de l’Apôtre, et apprenons à nous humilier, à sentir notre faiblesse, à jouir, pour ainsi parler, de notre néant. Lorsque nous aurons rejeté toute vaine opinion de nous-mêmes, et creusé, en quelque sorte, un lit profond dans notre âme, des flots de grâce s’y précipiteront. La paix nous sera donnée sur la terre : car qui peut troubler la paix de celui qui, s’oubliant et se méprisant soi-même, ne s’appuie que sur Dieu et ne tient plus qu’à Dieu ? Paix aux hommes de bonne volonté[13], aux humbles de cœur ; paix ici-bas, et dans le ciel le rassasiement de la gloire[14].

  1. Rom. vii, 23.
  2. Genes, viii, 21.
  3. Rom. vii, 22.
  4. Rom. vii, 12.
  5. 3. Rom. vii, 25.
  6. Rom. vii, 18.
  7. Philipp. iv, 13.
  8. II Cor. xii, 9.
  9. Orais. du 16° Dim. apr. la Pent.
  10. Philipp. iv, 13.
  11. II Cor. xii, 9.
  12. II Cor. xii, 10.
  13. Luc. ii, 14.
  14. Ps. xvi, 15.