L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/56

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 260-263).


CHAPITRE LVI.

QUE NOUS DEVONS NOUS RENONCER NOUS-MÊMES, ET IMITER JÉSUS-CHRIST EN PORTANT LA CROIX.

1. J.-C. Mon fils, vous n’entrerez en moi qu’autant que vous sortirez de vous-même.

Comme on possède en soi la paix, lorsqu’on ne désire rien au dehors, ainsi le renoncement intérieur unit à Dieu.

Je veux que vous appreniez à vous renoncer assez parfaitement pour vous soumettre à ma volonté sans répugnance et sans murmure.

Suivez-moi : Je suis la voie, la vérité et la vie[1]. Sans la voie on n’avance pas ; sans la vérité on ne connaît pas ; on ne vit point sans la vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez croire, la vie que vous devez espérer.

Je suis la voie qui n’égare point, la vérité qui ne trompe point, la vie qui ne finira jamais.

Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie bienheureuse, la vie incréée.

Si vous demeurez dans ma voie, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle[2].

2. Si vous voulez parvenir à la vie, gardez mes commandements[3].

Si vous voulez connaître la vérité, croyez-moi.

Si vous voulez être parfait, vendez tout[4].

Si vous voulez être mon disciple, renoncez-vous vous-même[5].

Si vous voulez posséder la vie bienheureuse, méprisez la vie présente.

Si vous voulez être élevé dans le ciel, humiliez-vous sur la terre.

Si vous voulez régner avec moi, portez la Croix avec moi.

Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la béatitude et de la vraie lumière.

3. Le F. Seigneur Jésus, puisque votre vie était pauvre et que le monde la méprisait, donnez-moi de vous imiter, et d’être aussi méprisé du monde.

Car le serviteur n’est pas plus grand que celui qu’il sert, ni le disciple au-dessus de son maître[6].

Que votre serviteur travaille à se former sur votre vie, parce que là est mon salut, et la vraie sainteté.

Tout ce que je lis, tout ce que j’entends, hors cette vie céleste, ne me console ni ne me satisfait pleinement.

4. Mon fils, puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses, vous serez heureux si vous les pratiquez[7].

Celui-là m’aime, qui connaît et qui observe mes commandements ; et je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui, et je le ferai asseoir avec moi dans le royaume de mon Père[8].

5. Le F. Seigneur Jésus, qu’il soit fait selon votre parole et votre promesse : rendez-moi digne de ce bonheur immense.

J’ai reçu, j’ai reçu de votre main la Croix : je la porterai, oui, je la porterai, comme vous l’avez voulu, jusqu’à la mort.

Certes, la vie d’un bon religieux est une croix, mais une croix qui conduit à la gloire.

J’ai commencé ; il n’est plus permis de retourner en arrière ; il n’y a plus à s’arrêter.

6. Allons, mes frères, marchons ensemble : Jésus sera avec nous.

Pour Jésus, nous nous sommes chargés de la Croix ; continuons, pour Jésus, de porter la Croix.

Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide.

Voilà que notre roi marche devant nous ; il combattra pour nous.

Suivons avec courage ; que rien ne nous effraye ; soyons prêts à mourir généreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire[9] de la honte d’avoir fui la Croix.

RÉFLEXION.

Il est étrange qu’il faille sans cesse redire à l’homme : Pense à ton âme, le temps fuit, l’éternité s’avance ; demain, aujourd’hui peut-être elle aura commencé pour toi : et cependant il est vrai que si on ne lui rappelait à chaque heure cette vérité formidable, à chaque heure il l’oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette créature tombée. Réveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne différez pas davantage le soin de l’unique chose nécessaire[10] ; hâtez-vous de mettre la main à l’œuvre, tandis que le jour luit encore ; la nuit vient pendant laquelle nul ne peut travailler[11] : nuit terrible, nuit désolante, nuit qui n’aura jamais d’aurore ! Quittez, quittez, sans perdre un instant, la voie large de la perdition, pour entrer dans la voie étroite de la vie[12]. Combattez avec courage les penchants de la nature inclinés au mal, renoncez à vous même, et portez votre croix : dans la Croix est la force, l’espérance, le salut. Heureux donc celui qui ne sait, comme l’Apôtre, que Jésus, et Jésus crucifié ![13] Il entendra, au dernier jour, cette parole d’éternelle joie : Venez, le béni de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde[14]. Mais les contempteurs de la Croix, mais ceux qui se seront recherchés eux-mêmes, un autre sort leur est réservé : Dieu a dans sa main une coupe pleine d’un vin mélangé : il la verse ici et là, et la lie ne s’épuise point, et tous les pécheurs de la terre boiront ![15]

  1. Joann. xiv, 6.
  2. Joann. viii, 32.
  3. Matth. xix, 17
  4. Matth. xix, 21.
  5. Luc. ix, 23.
  6. Matth. x, 24.
  7. Joann. xii, 17.
  8. Joann. xiv, 21.
  9. I Mac. ix, 10.
  10. Luc. x, 42.
  11. Joann. ix, 4.
  12. Matth. vii, 13, 14.
  13. I Cor. ii, 2.
  14. Matth. xxv, 34.
  15. Ps. lxxiv, 9.