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La Liberté de conscience (Cinquième édition 1872)/1.XI

La bibliothèque libre.
Hachette et Cie (Cinquième éditionp. 64-66).


CHAPITRE XI.

L’inquision. Wiclef. Jean Huss.


Ce tribunal de l’inquisition, sur lequel l’indignation se concentre, ne fut qu’une forme plus savante d’une ancienne intolérance. Comme il eut des greffiers pour écrire les noms des victimes, et des auto-da-fé pour les brûler en cérémonie, il a laissé des souvenirs plus éclatants et plus vivaces que les persécutions antérieures. L’inquisition est encore aujourd’hui la personnification de l’intolérance, avec son double caractère de perfidie et de cruauté. Un inquisiteur, dans les souvenirs et dans les ressentiments de la foule, est à la fois un espion et un bourreau[1].

Espions, bourreaux, auto-da-fé, guerres civiles, voilà les mots qui reviennent sans cesse sous ma plume, tandis que je raconte à grands traits ce martyrologe de la pensée. Dieu me préserve de faire ici l’histoire de l’inquisition, de décrire ses cachots, d’étaler ses bûchers et ses instruments de torture ! Et Dieu me préserve aussi de faire de cette sinistre histoire un argument contre une doctrine ou contre une Église ! Il faut savoir distinguer la doctrine et l’organisation spirituelle, qui persistent depuis tant de siècles, du clergé du moyen âge, poussé peut-être à la cruauté par l’opinion publique, composé d’hommes faillibles comme nous le sommes tous, et dont l’esprit était aveuglé par des intérêts purement mondains et par les maximes de leur temps. Je suis si loin de penser à exagérer les faits ou à en forcer les conséquences, que toute cette histoire m’opprime, et que je la parcours avec une profonde douleur, comme on traverse un champ de bataille, quand les armées s’en sont retirées n’y laissant plus que des cadavres ; et pourtant, comment ne pas prononcer encore le nom de Wiclef[2] et celui de Jean Huss ? Il y avait vingt-huit ans que Wiclef était mort[3], quand le concile de Constance, dans sa huitième et sa quinzième sessions, ordonna de déterrer ses os et de les jeter à la voirie. Ce ne fut qu’en 1428 que cette exhumation sacrilège eut lieu, par les ordres d’un évêque. Les os furent brûlés, les cendres jetées dans le ruisseau. Jean Huss répandait alors dans toute l’Allemagne les doctrines de Wiclef. Le concile de Constance condamna les simples hérétiques au supplice du feu, jusque-là réservé aux relaps[4]. Jean Huss fut lui-même une des premières victimes. « La guerre des Hussites fut allumée par le bûcher qui le consuma, dit un écrivain catholique, par les rigueurs des légats, par le sang qu’ils répandirent. Elle attira sur la Bohême tous les fléaux de la colère de Dieu ; elle fit de ce royaume et d’une partie de l’Allemagne un désert inondé de sang humain, et couvert de cendres et de débris. » Les bourreaux se lassèrent les premiers ; la guerre finit sans extirper l’hérésie.

Enfin, le moyen âge s’enfuit, ses institutions oppressives s’écroulent ; l’art ressuscite ; de nobles esprits rendent une nouvelle vie aux lettres ; la science progresse dans toutes les directions ; Léon X à Rome, François Ier en France, inaugurent le règne des mœurs polies et le siècle de la Renaissance. Est-ce l’heure si longtemps attendue de l’émancipation de la pensée ?



  1. La délation était dans l’esprit du temps. Un édit de Frédéric II portait que les enfants des hérétiques, jusqu’à la seconde génération, seraient privés de tous bénéfices temporels et de tous offices publics, à moins qu’ils ne se fissent dénonciateurs de leurs pères. Fleury, Hist. ecclés., t. XVI, p. 524.
  2. Wiclef était un moine anglais du quatorzième siècle, qui attaqua les richesses du clergé, et surtout de la cour de Rome, dont il combattit énergiquement la puissance, même en matière spirituelle.
  3. Il mourut en 1387.
  4. « Tanquàm hæretici relapsi, lapsi puniantur ad ignem. » Séance 44e du concile de Constance, présidée par Martin V, art. 23. — Voyez un article de M. A. Muntz, intitulé : Doctrine de l’Église romaine sur la conduite a tenir envers les relaps repentants, inséré dans les Archives du christianisme, 12 août 1854.