La goélette mystérieuse ou Les prouesses d’un policier de seize ans/12

La bibliothèque libre.
Anonyme
Bibliothèque à cinq cents (p. 69-71).

CHAPITRE XII

LA CORRESPONDANCE DE JOE


La soirée était déjà avancée lorsque Joe, séché et remis à neuf, vint frapper à la porté de la chambre habitée par MM. Parry et Harrison, à l’hôtel Richelieu.

— C’est encore moi, cria-t-il en entrant avec son sans-façon accoutumé. J’espère que je ne vous dérange pas.

— Pas du tout, mon garçon, est-ce qu’il y a quelque chose de nouveau ?

— Oui et non : je viens vous demander de m’écrire une autre lettre.

— Oh ! fit M. Harrison, ta correspondance prend des proportions considérables. Est-ce encore pour un contrat d’un demi-million ou davantage ? continua-t-il en riant.

— Connaissez-vous, à la Malbaie, une personne sûre et active ? demanda vivement le gamin.

— Oui, bien, nous avons là un homme de police qui fera tout à fait ton affaire…

— Très bien ; voulez-vous lui écrire ce qui suit : « Je lui demande de rechercher, de suite, une famille d’Hervart.

« Il y a vingt ans, environ, cette famille habitait dans un faubourg de la Nouvelle-Orléans, dans une maison en pierre de style ancien. La maison était entourée d’un grand jardin, et les maisons voisines également. »

— Très bien, continue.

— « Cette famille consistait alors en une belle jeune mère, un mari et un petit enfant qui faisait la joie et l’espoir de ses parents. Mais un jour l’enfant disparut. Pendant de longues années, son père et sa mère ont fait mettre des annonces dans les journaux et promis une récompense énorme à celui qui retrouverait le jeune baby. Toutes les recherches ont été inutiles. Il avait été volé par une vieille mendiante que la beauté et le prix des vêtements de l’enfant avaient tentée, et dont on n’a jamais retrouvé ni le nom ni l’adresse. »

— Mais, c’est un roman pour la Bibliothèque à cinq cents que tu nous débites-là, depuis un quart d’heure, exclama M. Harrison, avec son rire bienveillant. Je ne te connaissais pas l’étoffe d’un romancier, mon garçon. Je te conseille de porter ton histoire à Poirier, Bessette & Cie. C’est une belle carrière qui s’ouvre devant toi.

— Tout ce que je viens de vous dire est aussi vrai que parole d’Évangile, reprit Joe, avec une chaleur communicative. Maintenant, je sais où retrouver un charmant jeune homme, qui est le portrait vivant de l’enfant-perdu. Je sais aussi qu’il y a un gredin qui marche sur nos brisées, et qui voudrait bien recommencer à son profit l’affaire Tichborne.

— Ton roman va de mieux en mieux, fit M. Harrison, en continuant à rire à gorge déployée.

— Mettez-tout cela par écrit, reprit gravement le gamin ; et priez votre ami d’avertir la famille, en lui disant qu’on tient les renseignements et les preuves à sa disposition.

— Voilà qui est fait, mon garçon, dit M. Harrison en tendant à Joe la lettre qu’il venait d’achever.

— Merci, mille fois, mettez-la sous enveloppe ; je vais la poser de suite à la poste. Quoi de nouveau, de votre côté ? demanda Joe avec un regard pétillant de satisfaction et de malice.

— Rien, sinon que ton ami M. Robert Halt a été mis en liberté, sous caution.

— En liberté ! exclama Joe. Voilà qui va mieux que je n’espérais et qui surprendra désagréablement certains bandits de ma connaissance. — Ah ! Et le Juif ? quelles nouvelles du Juif ?

— Ton avis était bon ; mon jeune gaillard. Nos hommes ont constaté qu’il reçoit des gens qui ne viennent sûrement pas chez lui, pour acheter des habits de seconde main.

— J’en étais sûr, cria Joe avec triomphe.

— Il a même essayé de passer à un client un des billets faux de la nouvelle émission. Mais on le lui a rapporté au bout d’un quart d’heure, et il l’a repris en se confondant en excuses et en lamentations. Nos hommes sont d’avis de l’arrêter demain.

— Gardez-vous en bien ! reprit vivement le gamin. Mieux vaut le tenir avec un fil à la patte que de l’enfermer.

— Quelle est ton idée ? demanda M. Parry qui n’avait pas encore placé un mot depuis le début de l’entretien, et qui, laissait, en général, à son collègue la direction des conférences avec le gamin.

— Mon idée, répliqua Joe, c’est que Salomon Sly est l’homme qui a déposé les faux billets chez M. Robert Halt, pendant que ce dernier avait été éloigné de chez lui sous le prétexte d’un rendez-vous à Trois-Rivières.

— Ah ! Ah ! fit M. Harrison, avec les marques d’un vif intérêt.

— Entendez-moi bien, reprit le gamin, j’en ai la conviction, mais je n’en ai pas la preuve. Je crois que le Juif retournera encore chez M. Robert Halt et que si cela arrive, il ne faut pas qu’il en sorte sans être arrêté et fouillé de la tête aux pieds.

— Et si l’on ne trouve rien ?

— Vous en serez quittés pour lui faire des excuses et pour lui dire que vous l’avez confondu avec quelqu’un qui lui ressemblait. Adieu, messieurs. Si vous n’avez rien de plus à me dire, je vous demanderai la permission de vous quitter. Je crois que mon souper est en train de refroidir et mon estomac ne digère pas les viandes froides.

Et Joe se retira avec un air aussi important que s’il eut tenu dans chacune de ses deux mains une moitié du globe terrestre.