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Le Tour de France d’un petit Parisien/1/6

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Librairie illustrée (p. 92-101).

VI

Le dernier des « vicariants »

Jean s’éveilla assez tard ; déjà le buronnier était à sa besogne, un peu plus lourde en l’absence du boutilier. Les vaches traites, il avait fait cailler le lait ; mais en mettant de côté un grand bol du lait le plus crémeux pour son petit gourmand de Paris. Jean sut apprécier la saveur du lait et la bonté du procédé.

La journée s’écoula en causeries familières. Jean un peu calmé dans son impatience, curieux de son naturel, écouta avec plaisir ce que lui raconta Pierre Villamus, sur son industrie. Le buronnier lui apprit que ces hautes montagnes de l’Auvergne, grâce à leurs pâturages entretenus par d’habiles irrigations, sont classées parmi les propriétés territoriales les plus productives de la France. Durant quatre mois de l’année on y envoie séjourner les vaches. Ces prairies de la montagne, à l’herbe abondante et tendre, n’ont aucune clôture ; une simple borne sert à marquer des limites que les vaches ne dépassent pas d’ordinaire, habituées qu’elles sont à reconnaître le domaine qui leur est assigné. Il fallait voir, disait le buronnier, avec quelle joie elles montent d’un pas léger aux pâturages d’été, lorsque vers le milieu de juin on ouvre les portes des étables où elles ont passé l’hiver, maigrement nourries de fourrages secs ! C’est au mois de juin que le haut pays, demeuré jusque-là blanchi par les neiges, se couvre rapidement de verdure.

Voyant que l’attention du jeune garçon était bien éveillée, le buronnier s’étendit sur les diverses sortes de pâturages de la haute Auvergne. Il y en a sur certains plateaux dont le gazon s’accumule, formant de profondes couches sur lesquelles chaque printemps fait germer une herbe nouvelle. Les bestiaux enfoncent dans ces herbages gras, semés de fleurs, et sur ce sol mou, imbibé de ruisselets dès la fonte des neiges, et où ne pousse aucun arbre, le sous-sol n’étant qu’un amas de détritus stériles.

Il y a aussi de ces pâturages largement ondulés, jetés en pentes douces jusqu’au sommet des grandes montagnes ; d’autres enfin remplissent le creux d’un bassin, enfermés dans un cercle de cimes nues.

Le buronnier fit visiter au petit Parisien les diverses parties de son établissement. L’étroit potager, entouré de palissades, situé à droite du buron, et où le jeune garçon fut invité à cueillir de belles framboises. Puis à gauche du buron le « védélat » qui est la hutte où l’on enferme les veaux ; le védélat était flanqué de la loge aux porcs, à qui le buronnier distribua leur nourriture quotidienne. Enfin l’heure vint de mener toute la « vacherie » se désaltérer à un réservoir de belle eau situé au bas d’une pente. Ce fut pour Jean le moment le plus attrayant de la journée. Il apprit vite le nom de toutes ces belles « laitières », et il eut bientôt ses préférées.

C’est ainsi que se passa cette seconde journée. Le soir, pour tenir compagnie à son petit Parisien et lui faire trouver la paille de son coffre moins étrange pour une couche, Pierre Villamus lui apprit comment il avait quitté la capitale ; c’était sans idée d’y retourner jamais. Non pas qu’il eût fait fortune, oh ! non ; mais il savait se contenter… Il n’était pas comme tant d’autres !… Maintenant il trouvait de l’occupation dans l’une des principales industries du Cantal ; le moment viendrait sans trop tarder où il sortirait de sa bougette quelques écus luisants au soleil et ne devant rien à personne. Le brave homme parlait depuis longtemps que Jean, assoupi, ne l’entendait plus. Lorsque le discours du buronnier s’arrêta, Jean ouvrit les yeux, brusquement réveillé. Il ne s’endormit pas sans s’être dit avec confiance : Demain je partirai pour Salers et Aurillac ; demain je reverrai mon excellent Bordelais. Quelle joie pour lui et pour moi !

Le lendemain, à peine sur pied, la première parole de Jean fut une question au buronnier pour s’informer du boutilier.

— Je vois quelqu’un là-bas, sur le revers du plateau, ce doit être lui, répondit Pierre Villamus. Pourtant, ce n’est pas de ce côté qu’il devrait venir…

— Sera-t-il bien fatigué ? Pourra-t-il au moins se remettre en route aujourd’hui ? demanda Jean.

— Il le faudra bien… puisque tu l’exiges, mon garçon !

Jean sortit pour voir le piéton qui s’avançait. Le buronnier le lui montra tout au loin, marchant un bâton à la main. Puis tout d’un coup :

— Mais non, ce n’est pas mon boutilier ! s’écria-t-il. Aussi, ça m’étonnait… Et puis ce bâton… ce n’est pas dans son « genre ».

Ces paroles causèrent un véritable désappointement au petit Parisien.

— Pourvu que Jean vienne ! fit-il avec un accent de doute.

— Pour venir, il viendra ! dit Pierre. Ah ! fichtre, oui ! Patience, mon petit, patience ! — Mais c’est quelqu’un qui vient par ici tout de même, observa-t-il. Il en prend le chemin.

Le buronnier ne pouvait se tromper. Le piéton se dirigeait vers sa laiterie très visible d’en bas. Déjà il commençait à monter.

— Est-ce que ce ne serait pas M. Bordelais… qui te cherche ? demanda-t-il à Jean.

Jean secoua la tête.

— Oh ! non ! fit-il, sans hésitation. Il ne peut pas deviner que je suis ici.

— C’est vrai.

Déjà on distinguait l’ensemble de la figure d’un jeune homme brun, grand, vigoureusement découplé, fort simplement vêtu d’un habit bourgeois d’une coupe sévère, coiffé d’un feutre mou et chaussé de guêtres. À ses épaules, passaient les courroies d’un sac de voyage qu’il portait sur son dos. Il avait le pas cadencé et nerveux d’un marcheur, habitué à faire de grands trajets à pied.

— Ça, c’est bien sûr un peintre qui vient visiter le Roc du Merle.

— Où cela, le Roc du Merle ?

— Sur notre gauche, en arrière… Il en passe, comme ça, quelques-uns dans la belle saison, qui disent que quand on a vu de là-haut, au fond du paysage, les pentes brunes du puy Mary ; dans le bas, à droite, les têtes pressées des sapins qui remuent quasiment comme les vagues de la mer, et tout le côté gauche de la vallée, brûlé, raviné, en escarpements dont la roche est à nu, enfin le lit de la rivière avec ses cascades, les prairies et les vergers qui la bordent, eh bien ! on peut se faire une idée des plus belles scènes des pays de montagnes. J’ai bien compris, dans ma manière, qu’ils se moquent de ceux qui s’en vont bien loin, dans les pays étrangers, pour trouver moins beau qu’ici, en pleine France. — Mais, observa le buronnier, qui ne perdait pas de vue le piéton, il a les mains bien noires pour un artiste et la trogne bien rouge aussi.

Et il se mit à héler le nouvel arrivant, le saluant de cette mélodie bizarre, triste et sauvage à la fois, dont les montagnards de l’Auvergne animent volontiers les échos de leurs vallons.

Le piéton s’arrêta, écouta attentivement, fit un salut, le chapeau à la main ; puis tirant un livre blanc de son sac, il parut noter rapidement le chant qu’il venait d’entendre.

— Pardi ! c’est un musicien ! fit le buronnier.

Il ne se trompait pas. Le jeune homme, tout en marchant, déchiffrait et chantait l’air de la « grande », et il semblait satisfait de sa notation.

La « grande » et le coup de chapeau avaient rompu la glace. Le piéton et le buronnier allèrent l’un vers l’autre. Jean suivit ce dernier. Quand on fut un peu rapproché :

— Je vais au Roc du Merle, mon brave homme, dit le piéton. Ne puis-je m’arrêter une heure ou deux à votre buron et vous demander une écuelle de lait ?

— Vous êtes le bienvenu, mon ami, répondit le buronnier ; seulement je vous prenais pour un musicien.

— Et vous ne vous trompiez pas ! C’est étrange !

— Mais alors qu’allez-vous faire au Roc du Merle… sans être trop curieux ?

— D’abord… J’ai eu occasion de noter votre « grande » avec des variations que je ne connaissais pas encore ; ensuite je compte me régaler du paysage ; enfin, je crois que c’est par ici le plus court pour aller à Dienne.

— Bon ! bon ! fit Pierre Villamus.

— Je suis un musicien comme vous l’avez deviné, l’un des derniers « vicariants » de France, le dernier peut-être. J’ai visité la Savoie, le Jura ; je suis bien aise de voir les volcans de la France centrale. Vous ne savez pas ce que c’est « vicarier » ? Jadis, c’était une noble profession et qui donnait gloire et profit. Aujourd’hui de pauvres compositeurs comme moi sont réduits à aller d’une cure à l’autre… Mais je préfère cette existence aventureuse à la honte de mettre en musique des chansons de café-concert. Si le curé est de bonne composition, s’il consent à orner ses vêpres du dimanche d’un Salutaris de ma façon, il me retient ; je suis toujours satisfait de ce que je reçois comme récompense — surtout si ma musique a fait plaisir à entendre. J’obtiens souvent une lettre de recommandation pour un autre curé ; et c’est ainsi que je viens de Salers où j’ai eu quelque succès, je puis le dire en toute modestie…

— De Salers ? s’écria Jean en haussant sa taille pour justifier autant que possible son interruption.
Ils se séparèrent avec des souhaits échangés (voir texte).

— De Salers, mon petit ami. Je l’ai quitté avant-hier, après la bataille, et l’ai suivi la vallée de l’Aspre par Fontanges et la Bastide.

— Quelle bataille, monsieur ? demanda Jean qui tremblait déjà que Bordelais la Rose ne se fût exposé pour lui.

— La bataille de l'Hôtel des Étrangers, entre deux Allemands d’un côté, un Gascon et un Auvergnat de l’autre… Il y a eu des coups de manche de fouet, des bouteilles cassées sur les têtes… Le sang a coulé…

— Ils m’ont tué M. Bordelais ! s’écria Jean.

— Bordelais ? Oui, c’est ce nom-là. Ça vous intéresse donc, mon enfant ? C’est un rude gaillard que ce Bordelais !… malgré qu’il eût affaire à une espèce d’hercule. Il en a reçu, c’est certain, mais il en a donné !

— Et on a laissé frapper mon pauvre ami par les deux « Allemands » ? s’écria Jean.

— L’autre ne tapait pas… Il se contentait d’exciter… tout en riant sous cape ; les mains dans les poches, de crainte peut-être de céder à la tentation. L’ami du Bordelais a « écopé », lui aussi ; il réclamait de l’argent… il a eu des « torgnoles ». Les gendarmes sont arrivés avant l’extermination générale, et on les a emmenés tous les quatre en prison. Une heure après, lorsqu’on a voulu les acheminer vers Mauriac, qui est le chef-lieu de l’arrondissement, on a dû se contenter de Bordelais et de son adversaire.

— Et l’autre Allemand ? demanda Jean qui n’en revenait pas.

— Plus personne dans son cachot ! Il avait pris de la poudre d’escampette. Long et maigre comme il est, il a dû passer à travers les barreaux de la cage ; mais il est connu dans le pays. Il paraît même qu’il n’est pas méchant, malgré son vilain air. Ça a amélioré les affaires de l’ami du Bordelais… on n’en a plus voulu ; et il a rapporté à Aurillac son œil poché.

— Eh bien ! que vas-tu faire maintenant, mon petit ? demanda le buronnier à Jean.

— J’irai à Mauriac ; j’irai retrouver Bordelais la Rose dans sa prison ; je demanderai à être enfermé avec lui.

— Ça ne se fait pas comme ça ! observa le vicariant. Nous en causerons. Mais d’abord un escabeau, un peu d’ombre et une écuelle de lait ! Je me suis mis en route de très bonne heure ce matin…

On entra dans le buron, et le maître de musique eut promptement ce qu’il désirait. Le buronnier y ajouta un énorme morceau d’excellent pain bis. Quand il vit son hôte bien en train de faire honneur à ce festin champêtre :

— Vous devez, dit-il, connaître tout le pays ?

— Assez bien… On est en train de construire la huitième merveille du monde, pas loin d’ici, près de Saint-Flour.

— Et qu’est-ce donc ?

— C’est le viaduc de Garabit.

— Je sais. J’en ai entendu parler.

— Ce sera le plus grand viaduc à arc métallique qui ait été exécuté jusqu’à ce jour. Il est destiné à livrer passage, au-dessus de la profonde vallée de la Truyère, à la nouvelle voie ferrée de Marvejols à Neussargues. Cinq cent cinquante mètres à franchir ! Pour vous donner une idée de la hauteur vraiment prodigieuse de l’ouvrage, je vous dirai que sous l’arche centrale passerait Notre-Dame de Paris avec la colonne Vendôme sur une de ses tours. Mais vous n’en savez pas davantage, ni l’un ni l’autre, mes amis !

— Si fait ! Je connais bien Paris, dit le buronnier.

— Et moi j’y suis né, dit Jean, et j’y étais encore il y a huit jours.

— Eh bien ! que dites-vous de ça ?

— C’est bien vrai, c’est une merveille ! dit Villamus. Si cela pouvait nous faire vendre mieux nos fromages !

— Qui sait ? Peut-être bien…

— Et Jean qui ne revient pas ! s’écria tout à coup le petit Parisien. Et mon pauvre Bordelais la Rose blessé pour moi ! mis en prison pour moi ! Ah ! monsieur, ajouta-t-il en s’adressant d’un ton suppliant au maître de musique, si vous vouliez seulement me mettre sur mon chemin, comme je vous serais reconnaissant !

— Ce serait une bonne action, observa le buronnier. Ce petit va me tomber malade. Voilà trois jours que ça dure, et ça ne fait que croître et embellir.

— Eh bien, j’y consens, dit le jeune homme. Mais voici à quelle condition : c’est que vous me permettrez, mon brave buronnier, de revenir vous demander un gîte pour la nuit. Il ne me restera plus assez de temps pour aller aujourd’hui au Roc du Merle. Je renverrai la partie à demain matin.

— Oh ! c’est très volontiers ! dit vivement Pierre Villamus, et je vous remercie de ce que vous faites pour cet enfant, qui est un brave garçon.

— Allons ! en route ! s’écria le jeune musicien ; je le conduirai assez loin pour qu’il ne puisse plus manquer son chemin.

— Un instant ! fit le buronnier. Et s’adressant à Jean : Je dois un louis, dit-il, à mon successeur Mathurin. Je vais te le remettre pour que tu le lui donnes à ton retour à Paris. Bien entendu, tu peux l’entamer en route, si tu en as besoin…

C’était là une attention fort délicate.

Ils partirent, Jean, tout joyeux, remerciant avec effusion le bon Villamus pour son hospitalité et l’intérêt qu’il lui témoignait. Le buronnier voulut absolument que le petit Parisien se coiffât d’un chapeau de paille qui traînait dans un coin : à l’entendre, du moment qu’il allait à la tête du jeune garçon, cela devait suffire.

Le maître de musique et Jean n’avaient pas fait cent pas qu’ils étaient amis et libres de toute contrainte l’un vis-à-vis de l’autre.

— Comment vous appelez-vous ? demanda Jean à son guide, avec cette hardiesse qu’on pardonne volontiers au gamin de Paris.

— Modeste Vidal.

— Je retiendrai votre nom, monsieur Modeste, comme celui d’un homme serviable.

— Hum ! fit l’autre ; celui de Vidal sera peut-être célèbre un jour à meilleur titre.

Ils suivaient la pittoresque vallée de l’Aspre. Au bout d’une heure, le musicien montra au loin à son petit camarade le château de Fontanges.

— Je le reconnais, dit Jean ; je ne peux plus me perdre maintenant…

Et ils se séparèrent avec des souhaits échangés, auxquels Jean ajouta de chauds remerciements.

C’est ainsi que le petit Parisien put arriver à Salers. Là, il monta dans une voiture qui prenait des voyageurs pour Saint-Martin-Valmeroux, localité où passait une diligence faisant le service entre Aurillac et Mauriac : les mailles du réseau des chemins de fer français sont encore très larges dans cette région-là.

Mauriac est une ville de 3,200 habitants, bâtie sur le penchant d’une colline dont le pied est baigné par une rivière.

Lorsque Jean avait pris la voiture publique à Saint-Martin-Valmeroux, il s’était contenté d’une humble place d’impériale. Son attention ne s’était nullement portée sur les voyageurs qui occupaient l’intérieur. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant descendre à Mauriac cette dame distinguée qui avait failli être étranglée en wagon, quelques jours auparavant !

La dame le reconnut aussi, et sa surprise ne fut peut-être pas moins grande. Cette dame, après quelques recherches dans le pays, ajoutées vainement à toutes celles faites déjà par elle pour retrouver sa fille, s’en allait rejoindre son mari et son fils aux bains du Mont-Dore, où elle les avait laissés. Son intention était de se rendre de Mauriac à Largnac en voiture, et de là en chemin de fer jusqu’à La Queuille, où l’on prend la correspondance pour la célèbre station thermale.

Habituée depuis qu’on lui avait volé son enfant à faire naître toute occasion de conversation d’où pouvait jaillir un trait de lumière, un indice quelconque, elle vint vers le jeune garçon et lui rappela les circonstances de leur rencontre à la gare de Figeac. Elle lui demanda s’il n’avait rien appris depuis, touchant l’attentat auquel elle avait failli succomber. Jean en savait long, et certes rien ne le portait à ménager Jacob Risler et son associé. Cependant il ne voulut rien dire qui pût les trahir. La dame regrettait surtout son sac de voyage : et Jean qui connaissait le lieu où se trouvait ce sac ! Il comptait bien un jour forcer Jacob à le restituer ; et c’était un motif de plus, selon lui, pour garder le silence au sujet de son parent, si peu digne d’indulgence qu’il fût.

Pour détourner la conversation, il parla de son ami, de son bienfaiteur, Bordelais la Rose, blessé et mis en prison, bien que très honnête homme et tout à fait innocent. Il était venu à Mauriac, disait-il, exprès pour le voir dans sa prison…

La dame blonde, à qui le petit Parisien plaisait beaucoup, ne demandant pas mieux que de lui rendre service, s’offrit d’obtenir toutes les permissions nécessaires pour pénétrer dans la prison ; elle avait pour cela des facilités par des amis de sa famille ; et Jean, très heureux de l’assistance que lui offrait la belle dame, s’attacha à ses pas. Une heure après, la démarche avait abouti, et Jean demandait à être admis auprès de Bordelais la Rose qui gisait sur un lit à l’infirmerie de la prison.

La dame, que Jean avait entendu appeler madame la baronne, — c’était la baronne du Vergier, — voulut l’accompagner, désireuse d’offrir au protecteur du jeune garçon de veiller sur celui-ci tout le temps qu’il n’aurait recouvré ni sa santé, ni sa liberté. Jean se montrait fort sensible aux bonnes intentions de la baronne.

Ce fut avec empressement qu’on ouvrit à la visiteuse et à Jean la porte de l’infirmerie ; il se trouvait deux malades, — deux blessés, — dans l’unique salle.

Bordelais la Rose, de son lit, aperçut Jean et poussa un cri de joie.

Un autre cri, — mais un cri d’effroi, — couvrit les paroles amicales du charpentier : la baronne venait de reconnaître, dans l’autre lit, sous le bandeau qui lui cachait le front, — l’homme qui avait tenté de l’étrangler.