Le Vampire (Morphy)/19

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 112-115).

CHAPITRE X

L’arrestation.

La rue des Lyonnais commençait à reprendre sa vie de tous les jours.

Les boutiques s’ouvraient.

Les ouvriers que la misère retient dans ce sombre quartier se rendaient à leur travail quotidien.

Une certaine animation régnait.

Seul un homme arpentait la rue, en guettant du coin de l’œil l’hôtel Peignotte.

— J’en ai assez, je m’en vais, décidément. Je suis moulu de fatigue. Sacré M. Véninger ! Quelle lubie lui a donc passée par la tête ?
Le baron de Cénac, député de la Bretagne.

L’agent Haroux, le lecteur l’a reconnu, interrompit son monologue.

— Mais voilà mon Larcier ou je rêve… C’est bien le signalement que ce damné commissaire de police m’a donné sur son récidiviste.

Le policier regardait avec attention un individu qui se dirigeait vers l’hôtel Peignotte.

— C’est bien lui, répéta l’agent Haroux.

En effet, c’était Caudirol qui revenait à cette heure matinale de son expédition de la place de la Roquette.

Deux sergents de ville passaient en ce moment.

L’inspecteur de la sûreté les requit aussitôt et leur montra sa carte de sous-brigadier.

— Vous allez m’aider à capturer cet individu, qui s’approche de l’hôtel… là…

— Oui, brigadier.

Caudirol n’était plus qu’à quelques pas.

L’agent Haroux et les deux gardiens de la paix se jetèrent sur lui.

Pris à l’improviste par cette rapide attaque, l’assassin n’eut pas le temps de se garer.

Il fit cependant une résistance désespérée.

Ce fut en vain.

On l’entraîna jusqu’au poste de la rue des Feuillantines.

Le misérable était écrasé de fatigue. Il s’affaissa sur un banc.

— Tuez-moi tout de suite, j’aime mieux cela, s’écria-t-il en repassant dans son esprit l’exécution de la nuit.

C’était ce qui l’attendait ; du moins il le croyait.

— N’allons pas si vite en besogne, riposta l’agent Haroux, mis en belle humeur. Il ne s’agit probablement que d’une petite promenade en Centrale.

Caudirol releva la tête, au comble de la stupéfaction.

L’agent avait-il parlé sérieusement ?

— En Centrale, moi, balbutia-t-il.

— Mais pourquoi pas, mon bon ? répondit le policier.

Une suprême lueur d’espoir rentra dans son esprit, accablé une seconde auparavant.

— Vous vous trompez, protesta-t-il, je suis un honnête homme. Je m’appelle Renaud. Je suis le représentant à Paris de la fabrique de porcelaines Dubac et Cie de Limoges. Voici tous mes papiers.

— Voyons cela, fit l’agent Haroux.

Il ajouta se parlant à lui-même.

— Diable ! diable ! ça m’a l’air d’être en règle. Est-ce que je me serais fichu dedans.

Caudirol, on se le rappelle, s’était fait passer pour mort, en jetant sous les roues d’une voiture, la nuit du crime de la rue des Gravilliers, un malheureux ivrogne…

Celui-ci, défiguré et broyé, avait pu être pris pour lui.

M. Véninger et la fille Cadette avaient seuls connu la vérité.

Or, ils étaient morts tous les deux.

Cependant, l’agent Haroux, chargé par le commissaire de police d’arrêter un nommé Larcier répondant à un signalement précis, avait accompli sa mission.

M. Véninger, voulant se réserver le mérite de la prise avait eu le tort de ne point dire au sous-brigadier quel redoutable bandit il comptait capturer.

Désormais, on ne pouvait que tomber d’équivoque en équivoque.

Il devenait difficile de débrouiller l’écheveau des multiples identités de Caudirol.

Le meurtrier avait conservé précieusement les papiers de sa victime écrasée rue Saint-Louis-en-l’Île.

Le malheureux était placier dans une maison de Limoges. Il avait tous ses papiers sur lui, suivant l’usage des commis-voyageurs.

Caudirol, usant d’audace, se substitua à lui.

L’agent Haroux était embarrassé.

— On prendra des informations à Limoges, s’il le faut, dit-il pour faire contenance.

Caudirol vit bien que l’on s’était trompé.

Il ne s’expliquait pas l’invraisemblable situation qui lui était faite, mais, néanmoins, il était décidé à en tirer tout le bénéfice possible.

On le conduisit dans la cellule du poste, en attendant son interrogatoire par le commissaire de police du quartier.

Il se laissa enfermer tout en protestant énergiquement.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE