Le Vampire (Morphy)/33

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 210-212).

CHAPITRE XV

Disparition.

Le Docteur-Noir reprit le chemin qu’il avait déjà parcouru, sans éprouver les hésitations qui, au début de son entreprise, le remplissant de craintes mal définies.

L’horreur du lieu disparaissait en face de ses préoccupations.

La baronne de Cénac vivait-elle ?

Jean-Baptiste Fiack parviendrait-il à la mettre en sûreté sans mésaventure ?

Qu’allait-il faire de Caudirol ?

Quelques moments auparavant, son dessein de tuer le vampire était irrévocable.

En proie à l’indignation que lui avait causé son monstrueux attentat, la pensée remplie des crimes de cet infernal monomane, il avait décidé de l’anéantir.

Comme on l’a vu, il était muni d’une arme à air comprimé, ce qui lui permettait d’agir sans bruit.

Ce pistolet était de l’invention du Docteur-Noir.

Il l’avait fait fabriquer sur ses indications…

Après avoir mis Caudirol dans l’impossibilité de nuire, il avait laissé cette arme précieuse sur la place.

N’oublions pas cette circonstance qui aura, une influence énorme sur la suite de ce drame…

À présent, le Docteur-Noir était, irrésolu. L’idée de tuer un homme sans défense lui répugnait.

Il n’avait encore pris aucun parti et, déjà, il était rendu sur les lieux où venait de se dérouler la scène de vampirisme.

Dans son esprit, Caudirol devait encore être sous l’influence du narcotique qu’il lui avait fait respirer.

Ne valait-il pas mieux, au lieu de l’éveiller, lui trancher une artère et le plonger ainsi, sans souffrance, dans le néant de la mort ?

C’est à cela que pensait le médecin, qui ne voulait pas laisser impunis les forfaits de ce bandit et qui, pour rien au monde ; n’eut accepté de livrer un criminel à la justice, remplissant en cela le rôle d’un dénonciateur ou d’un policier…

Il eut préféré lui rendre la liberté.

Mais une autre pensée traversa son cerveau : Et la fortune du baron de Cénac, allait-il l’abandonner dans un cercueil ?

Il s’approcha et souleva le coussin placé dans la bière.

Le portefeuille était là.

Deux rouleaux d’or s’en étaient échappés. Le Docteur-Noir les y replaça.

Le temps s’écoulait…

Il comprit que son domestique ne devait plus l’attendre.

En outre, il lui était matériellement impossible de franchir seul le mur du cimetière.

Une idée lui vint.

En entrant dans le champ de repos, le jour, il avait remarqué, dans une allée peu fréquentée, un vaste tombeau avec une chapelle.

La porte n’en était pas fermée ; un vieux rideau masquait l’intérieur du sépulcre.

Il résolut de transporter son trésor dans cet endroit et, ensuite, après avoir fait justice de Caudirol, d’y passer lui-même le restant de la nuit.

Le matin venu, le cimetière rouvrirait ses portes et il pourrait s’en aller, muni de la précieuse serviette de maroquin, sans attirer l’attention.

Il courut vers la tombe dont nous venons de parler…

Après quelques instants de recherches il put la retrouver.

Il poussa la lourde porte de fer, qui s’ouvrit avec des grincements sinistres.

Le Docteur-Noir craignit d’être entendu. Le silence exagérait à ses oreilles le moindre bruit.

Mais la nécropole restait calme… Personne n’avait pris l’éveil.

— J’ai l’air d’un malfaiteur, pensait-il, et, cependant !…

Le danger qu’il courait flattait son imagination aventureuse. Il avait besoin de semblables émotions pour oublier la trahison de sa femme et les douloureux événements de sa vie.

Entré dans la chapelle au tombeau, il chercha une cachette.

Le bruit de ses pas soulevait un écho sonore.

Il remarqua que la planche supérieure de l’autel tombait de vétusté ; il en essaya la solidité en l’attirant à lui.

La boiserie céda, laissant entrevoir un vide capable de contenir le porte-feuille.

Le Docteur-Noir l’y déposa et remit tout dans l’état primitifs.

Pour mieux soutenir l’autel, il y appuya un prie-dieu massif.

— Voilà où je passerai la nuit, fît-il à demi-voix.

Et il sortit après avoir tiré le rideau et fermé la porte avec soin.

Il fut rapidement devant le caveau profané par Caudirol.

Le souvenir de son pistolet, laissé sur le terrain, lui revint à la mémoire.

Il le chercha…

Certainement, il l’avait laissé en cet endroit… Cela ne faisait point pour lui l’objet d’un doute… Cependant l’arme n’y était plus.

Il resta une seconde stupéfait…

Puis il eut un soupçon…

D’un bond, il fut au lieu où il avait laissé Caudirol.

Le vampire avait disparu.

Aucune trace du bandit ne restait.

Avait-il résisté à l’invincible puissance du somnifère qu’il avait dû respirer ? doué d’une force prodigieuse, avait-il brisé ses liens ?

Le Docteur-Noir n’eut pas le temps d’éclaircir ce mystère.

Un cri désespéré parvint jusqu’à lui.

— Au secours !… À l’assassin !…

Il s’orienta pour savoir dans quelle direction il fallait porter aide.

— À moi ! répéta encore la voix avec un accent déchirant.

Le Docteur-Noir s’élança…