Le Vampire (Morphy)/45

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 277-279).

CHAPITRE VIII

La fin d’une vie.

Le silence régnait dans la chambre de Mlle Bartier.

De temps à autre un gémissement vague, étranglé, douloureux, troublait seul le calme de la nuit.

La pendule marquait deux heures.

Soudain une lumière vive jaillit et éclaira la pièce.

On venait d’enflammer une allumette.

Julie, blanche comme une morte, était debout au pied de sa couche ensanglantée.

Elle ralluma la lampe.

Son regard épouvanté tomba sur un miroir. Elle se détourna honteuse de se voir…

Rapidement, elle s’habilla.

— Oh ! murmura-t-elle en joignant les mains… Mon Dieu !… mon Dieu !

Quand elle fut entièrement vêtue, elle sortit à son tour de la chambre.

Elle venait de jeter un dernier coup d’œil sur le portrait de sa mère…

En quelques instants, elle fut dans la cour de l’hôtel.

Elle parvint à ouvrir la porte, et elle se prit à courir dans la cité…

La grille qui donne sur la rue Laval lui barra le chemin.

Elle attendit, accroupie sur le trottoir.

Un coup de sonnette la réveilla de sa torpeur.

Quelqu’un entrait dans la cité.

Elle profita de ce que la porte de fer s’ouvrait, pour passer vivement, sans dire mot.

La malheureuse marcha longtemps, la tête penchée allant toujours droit devant elle.

Elle arriva ainsi sur les quais et traversa le Pont-Royal.

Son esprit semblait perdu dans une sombre folie.

Elle se parlait à elle-même, nommant ses frères, enfuis comme elle de la demeure maudite de leur père, un soir de souffrance…

Brusquement elle s’accouda sur le garde-fou du pont et regarda la Seine qui coulait sous elle.

La nuit était épaisse. L’eau noire brillait de mille lueurs pâles, fugitives…

La fille du président restait en contemplation, et son regard abusé voyait scintiller des pointes d’acier dans le fleuve qui roulait paisiblement :

Elle eut peur et se recula.

Puis, lentement, en se retournant à chaque pas, elle traversa le pont entièrement et longea le quai.

Arrivée devant un escalier de pierre elle descendit sur la berge.

Des bateaux étaient amarrés et l’eau se fendait contre eux avec de petits clapotis répétés.

Julie alla jusqu’au bord en fermant à demi les yeux.

Elle murmura le nom de ses frères.

— Où sont-ils, maintenant ? ajouta-t-elle.

L’eau semblait la fasciner.

Elle approchait toujours.

— Pauvre mère, dit-elle encore.

Et à ce nom bien-aimé, elle eut une rougeur. Il lui semblait qu’elle salissait la mémoire de la morte en prononçant ces mots. Elle se sentait souillée, salie, indigne de communier même en pensée avec celle qui avait été sa mère.

La honte l’écrasait.

— Lui !… Oh !… mon père !!!…

Ce fut son dernier mot.

Étendue sur la pierre, sa jupe ramenée sur son visage, elle se laissa glisser dans le fleuve.

L’eau s’ouvrit avec un bruit faible et se referma sur la malheureuse.

Le président Bartier pouvait reposer en toute quiétude.

Il n’y avait plus de témoin à charge contre lui, comme il eut dit en langage judiciaire.

Le jouet de son horrible fantaisie roulait entre deux eaux, bercé par la caresse du fleuve.

Julie Bartier avait vécu…