Le Vampire (Morphy)/70

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 408-412).

CHAPITRE VI

Les souterrains du château.

Le lendemain du jour où Caudirol joua cette odieuse comédie, la conversation s’engagea entre lui et madame Le Mordeley sur le château et ses dépendances.

— Puisque tu m’as fait le don gracieux de cette demeure, dit le défroqué à sa maîtresse, il faut me la montrer de la cave au grenier.

— À votre gré, monsieur, à la condition que vous serez sage à la cave comme au grenier.


— Voici monsieur le duc de Lormières…
Et elle donna une tape sur la joue de son amant.

— Viens, mon amour, dit-elle en l’entraînant.

— Eh ! eh ! pensa Caudirol, elle se rattrapera bientôt de son veuvage si cela continue.

Disons en passant que le défroqué n’avait pas couché dans son appartement du château, la nuit précédente.

Comme le soir arrivait, il avait dit en badinant que, lui aussi avait peur de la solitude et qu’il n’oserait jamais son logement à pareille heure.

Madame Le Mordeley, émue et tremblante, avait résisté longtemps en

fournissant toute sorte de raisons, mais Caudirol lui avait clos la bouche d’un baiser.

— Bah ! avait-il dit en lui prenant la taille, ne devons nous pas nous marier dans quelques semaines ? Quand l’on est rentré dans la voie des acomptes on ne saurait en sortir.

— Impertinent ! s’était bornée à dire madame Le Mordeley.

Et elle s’était laissée reconduire et enfermer dans sa chambre à coucher avec le faux duc de Lormières…

Caudirol et sa compagne commencèrent la visite du château et de ses dépendances.

Ils parcoururent en voiture les fermes des environs.

Quand ils revinrent de cette promenade, le faux duc s’adressa à madame Le Mordeley.

— Tu n’as pas tenu entièrement parole, ma belle amie.

— Vous n’êtes pas encore content ?

— Je ne veux point que tu me disse vous. Entre nous, soyons plus familier. Le tutoiement est une musique du cœur qui résonne agréablement à mon oreille.

En effet, la veuve mal habituée à sa nouvelle liaison, lui parlait tantôt à la deuxième, et à la troisième personne.

— Que veux-tu encore ? répéta-t-elle.

— Mais voir la cave comme j’ai vu le grenier.

Madame Le Mordeley eut un frisson.

— Vous voudriez visiter les souterrains, sérieusement ?

— Certes oui, cela doit être intéressant.

— J’aurai peur.

— Avec moi ?

— Non, mais, seulement…

— Tu recules ?

— Je te suis.

— Eh bien ! en avant.

Madame Le Mordeley se décida à satisfaire le caprice de son amant.

— Je vais chercher la clé, fit-elle.

— Allons.

Elle entra dans la maisonnette du jardinier.

— Où est la clé de la grosse porte des souterrains ?

— Elle est là, tenez, pendue à ce clou depuis bien des années.

— Donnez-la-nous.

— Il y a de la rouille, je vais la nettoyer.

— Non, c’est inutile, dit Caudirol en prenant la clé.

Et ils s’éloignèrent sans écouter les exclamations du jardinier qui jurait ses grands dieux que la porte ne s’ouvrirait jamais.

Madame Le Mordeley rentra dans son pavillon et revint avec deux lanternes allumées.

Elle aussi éprouvait maintenant du plaisir à faire cette excursion.

Une vive curiosité l’attirait.

Elle prit le bras de son amant et tous les deux se dirigèrent vers l’entrée des souterrains.

Caudirol s’arrêta devant l’énorme porte, et mit la clé dans la serrure.

La rouille l’empêchait de tourner.

Il donna un vigoureux tour de poignet, et la porte céda.

Un escalier de pierre, noir et profond, s’ouvrait devant eux.

Ils descendirent prudemment, tandis que des rats leur passaient dans les jambes.

— Oh ! j’ai peur, cria madame Le Mordeley.

— Quel enfantillage ! fit Caudirol pour la rassurer.

Et la prenant par la main il l’entraîna avec lui.

Il avait bien dans son esprit le plan des souterrains. Il manœuvra du côté où devait se trouver le trésor.

— C’est là, pensa-t-il en arrivant vers l’endroit présumé.

Il marchait bruyamment.

L’écho devint plus sonore comme il frappait la terre sous lui.

Il continua sa promenade, soutenant par la taille madame Le Mordeley qui faiblissait.

Dans un recoin obscur, un cachot, fermé par une grille, attira son attention.

— Voilà un petit trou où mes ancêtres ont dû mettre quelques vassaux récalcitrants, fit-il en souriant.

— Allons-nous-en, dit la veuve en l’arrachant à ce spectacle. Je me sens mourir de frayeur.

Caudirol jeta un dernier regard sur le cachot.

— Voilà une belle et bonne oubliette, pensa-t-il. Celui qui entrerait là-dedans pourrait crier tout à son aise pendante les quelques jours de vie qui lui resteraient. Cela peut servir à l’occasion.

Ils quittèrent enfin les vastes souterrains du château.

Quand ils se retrouvèrent au pied de l’escalier, madame Le Mordeley se jeta au cou de son amant.

— Je suis bête, fit-elle, figure-toi que j’ai craint un instant que nous ne fussions perdus. Heureusement tu t’es souvenu du chemin. C’est extraordinaire comme tu marches avec assurance sous ces voûtes sans fin.

Elle était loin de supposer que le faux duc avait passé des nuits entières à étudier le plan des souterrains.

Quand ils furent remontés, Caudirol prit congé de sa maîtresse qui rentra tout impressionnée chez elle.

Le bandit la laissa s’éloigner, et à peine l’eut-il perdue de vue qu’il saisit une pince déposée dans un coin, et rentra dans le souterrain dont il avait précieusement gardé la clé.

En quelques instants il fut à l’endroit marqué d’un signe sur le plan.

Il frappa le sol de sa pince.

— C’est creux, sûrement, fit-il en écoutant le bruit qui se produisit.

Il commença à creuser la terre.

À un moment donné sa pince heurta un corps dur et sonore.

Il se baissa et regarda à la lueur de sa lanterne.

Sous la terre se trouvait une plaque de métal.

Il agrandit le trou et put s’assurer qu’il avait affaire à un coffre de fer, enfoui depuis longtemps à en juger par la rouille qui s’y trouvait.

— C’est bien cela, fit-il. Sacrais avait raison. Le coquin a vraiment découvert un pot aux roses.

D’un coup de pique il fit une entaille profonde dans la caisse.

Le métal creva et laissa voir le contenu du coffre.

— Des bijoux et de l’or, c’est parfait, fit Caudirol le regard allumé en regardant de tous ses yeux.

Il rejeta la terre sur sa trouvaille et la piétina.

En quittant le souterrain il repassa devant le cachot fermé par une grille.

Une lourde porte en fer ouverte à côté attira son attention.

Il la poussa et le cachot se trouva entièrement dissimulé.

— De mieux en mieux, fit-il, c’est une tombe !

Et il se hâta de sortir pour regagner le pavillon.