Le Vampire (Morphy)/69

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 405-408).

CHAPITRE V

Suite du précèdent.

Après cette surprise et le premier instant de fièvre passé, madame Le Mordeley se prit à pleurer.

Caudirol la prit comme une enfant sur ses genoux et la consola.

— Oh ! mon Dieu ! quelle faute ai-je commise, sanglotait la veuve. Mon repos en ce monde et mon salut dans l’autre sont à jamais perdus.

La dévote se faisait jour sous l’amante.

Le défroqué souriait de cette frayeur.

— Calme-toi, ma toute belle, tu vivras en paix.

Madame Le Mordeley crut comprendre et sécha ses pleurs.

— Vous régulariserez notre situation ?

Caudirol continua sa comédie.

Il réfléchit quelques secondes et, comme s’il prenait une résolution héroïque :

— Non, s’écria-t-il, je fuirai en emportant le souvenir d’un moment de bonheur dans ma vie de tourments… Un mariage est impossible…

— Impossible…

— Oui.

— Ah ! j’en deviendrai folle.

Le bandit laissa la malheureuse femme se tordre de désespoir.

Il semblait inflexible.

— Non, répéta-t-il à demi-voix comme s’il se parlait à lui-même. Je ne le peux pas, je ne le dois pas.

— Mais pourquoi cela ? demanda l’héritière.

Caudirol continua son monologue.

— L’amour n’excuserait rien. On calomnierait ce qu’il y a de plus pur en moi. Et qui sait si celle que j’idolâtre plus que tout ici-bas et là-haut…

L’impudent gredin montrait le ciel du doigt.

— Qui sait… si elle aussi ne douterait pas un jour de ma passion ? Je veux bien encourir la haine, mais non le mépris. C’en est fait !

Madame Le Mordeley assistait éperdue à cette lutte qui, croyait-elle, se passait dans le cœur de son amant.

— Voyons, expliquez-vous… dites-moi… supplia-t-elle.

Caudirol resta impassible.

Madame Le Mordeley se jeta à genoux à son tour et se traîna les mains tendues, suppliantes…

— Oh ! je ne puis souffrir cela… Je meurs… fit Caudirol qui se précipita vers sa maîtresse et la prit dans ses bras.

— Alors, parle-moi, mon adoré, dit-elle en le regardant avec amour.

— Eh bien, soit, puisque tu le veux absolument. Écoute : Je t’aime mille fois et il me semble que nos deux âmes se sont entrevues dans un monde plus suave, plus éthéré, tant je me trouve à l’aise avec toi, chère créature du ciel… mais…, et c’est là ce qui me ronge le cœur, tu es riche et je ne le suis point. Notre union serait une affaire pour moi. Du moins, on le dirait. Je ne veux pas qu’un pareil soupçon puisse m’atteindre jamais.

— Comment, c’est cela qui te retient ? exclama l’héritière. Ah ! ce serait pousser trop loin la délicatesse. Je suis à toi tout entière. Que m’importe l’argent ? En ai-je, d’ailleurs ! Ma fortune est des plus modestes…

— Par exemple ! fit Caudirol. Et cet héritage, ce château, ce parc, ces domaines ?…

— Tout cela est à toi, dit avec explosion la malheureuse. Je renonce à tout cela. C’est la fortune du duc de Lormières. Je la lui rends.

— Mais la loi…

— La loi qui le prive de ses biens en ma faveur n’existe pas pour moi… et dès maintenant…

Une idée subite lui traversa le cerveau.

Elle courut à son amant et l’embrassa avec transport.

Puis, sans dire où elle allait, elle sortit en courant.

Caudirol, resté seul, se prit à réfléchir.

Il était devant une haute glace de cheminée qui lui renvoyait son image.

Longtemps il se regarda.

Son sourire habituel flottait sur ses lèvres.

— Parbleu ! fît-il en s’adressant à lui-même, vous avez de la chance, monsieur l’abbé. Une niaiserie qui a eu des complications peu agréables vous a fait perdre votre cure de l’église Saint-Roch. C’était joli, à votre âge, d’être arrivé à cette dignité… Patatras ! tout s’est écroulé.

Il fit une pause,

— La vie est restée sauve, fort heureusement… Quand à l’honneur, bonsoir ! L’abbé Caudirol est un monstre dont le nom seul jette la terreur dans tout le pays. Il est vrai qu’on le croit mort, ce bon curé. Pas si sot. Il a su se tirer d’affaire. Une amourette l’a perdu, une autre l’a sauvé. C’est un gaillard de ressource. Un jupon qui sentait bon la femelle en rut a passé à côté de lui. Il lui a donné la chasse et, un beau soir, dans le fossé des fortifications, il l’a fouillé avec frénésie…

Ses sens, agités à ce souvenir reprirent leur fougue.

— Diable ! c’est un morceau de choix, la Sauvage ! L’absence me la rend plus désirable. Quelle passionnée ! Elle se tord sous la volupté comme un serpent… Je pourrai avoir d’autres liaisons ; mais celle-là me restera toujours…

Il poursuivait te cours de ses idées en paroles décousues.

— Et ce n’est pas tout ! Elle ne m’a pas seulement procuré des sensations comme aucun homme n’en a ressenti, cette fille de feu m’a encore tracé la voie. C’est par elle que j’ai échappé à la misère qui allait m’étreindre. Elle m’a d’emblée promu au grade de chef de bandits. C’est beau, trop beau même pour durer longtemps. Il faudra que je me débarrasse de mes hommes à prix d’or ou autrement quand j’aurai réussi dans mon entreprise.

Sur ces entrefaites, madame Le Mordeley rentra.

— Monsieur de Lormières, dit-elle à Caudirol, je viens vous voir en visiteuse.

— En visiteuse ? quelle plaisanterie.

— Non pas, mon notaire est en train de préparer l’acte par lequel je renonce en votre faveur à tous les biens dont j’ai hérité.

— Mais ce serait un vol de ma part.

— C’est une restitution de la mienne. Et quoi qu’il arrive, je persisterai dans ce que j’ai commencé. Que je m’appelle désormais la duchesse de Lormières ou que je reste madame Le Mordeley, il en sera ainsi.

Caudirol se jeta dans les bras de sa maîtresse.

— Oh ! mon amour, ma vie ! s’écria-t-il en la pressant contre son cœur.

Madame Le Mordeley s’éloigna de quelques pas.

— Serai-je votre femme ? fit-elle d’un air enjoué,

— Oui, mille fois oui, protesta Caudirol.

— Eh bien, alors, demandez-moi ma main… N’oublions plus les convenances.

Le défroqué se prêta à ce caprice.

— Madame, fit-il en s’inclinant respectueusement, je sollicite l’honneur de vous offrir mon nom et de me dévouer à votre charmante personne.

— Et comme vous parlez trop bien pour qu’on vous refuse, je vous accorde ce que vous me demande.

Sur cette repartie, madame Le Mordeley alla se pendre au cou de son amant.

Elle était transfigurée.

L’air compassé et froid de la dévote disparaissait pour faire place au rayonnement du bonheur.

Ce n’était plus la femme dure et méchante qui avait persécuté la pauvre Lydia. Désormais, elle n’avait plus besoin de souffre-douleur.

Caudirol n’avait pas à craindre qu’elle lui rappelât sa promesse de lui ramener la jeune fille.

Son cœur et son orgueil étaient satisfaits.

La façon cavalière dont son adorateur était devenu son amant lui semblait toute gentilhommesque.

Son défunt mari n’avait jamais eu de ces emportements et il baissait singulièrement dans l’esprit de la veuve.

Sa mémoire devait servir de repoussoir au nouvel objet de son amour.

L’imagination de la malheureuse était perdue dans les rêves les plus fantastiques.

Sur ces entrefaites on frappa à la porte.

— Entrez, fit madame Le Mordeley.

C’était un clerc de notaire qui venait prendre les instruction de l’héritière pour diverses formalités.

Elle accéda à toutes les observations qui lui furent présentées.

Comme le clerc s’en allait :

— Voici monsieur le duc de Lormières à qui vous aurez affaire désormais.

Et elle lui désignait orgueilleusement l’aventurier qui s’était introduit chez elle.

Caudirol fit un léger signe de tête au clerc qui se plia en deux devant lui.

Il murmurait en lui-même :

— La partie est engagée ; jouons serré.

Madame Le Mordeley, folle de bonheur, ne savait plus ce, qu’elle faisait.

La froide réalité devait bientôt apparaître.