Le Vampire (Morphy)/68

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 402-404).

CHAPITRE IV

Un habile comédien.

Caudirol suivait de loin les évènements que nous avons racontés.

Il avait appris la mort de Titille à l’hôtel Peignotte et la bataille qui avait eu lieu avec la police.

Sa bande se trouvait singulièrement réduite.

Mais ce fut pour le défroqué un léger souci.

L’arrestation du Nourrisseur, entre autres, n’était pas faite pour lui déplaire.

Sa colère fut autrement grande lorsqu’il sut de quelle façon la jeune Lydia s’était échappée.

Son premier mouvement fut de repartir pour Paris et d’arracher à ses protecteurs inconnus la petite fille du père Marius.

En même temps que ces nouvelles, il recevait avis de la défection de La Marmite.

— Ah çà ! tout s’en mêle ! s’écria-t-il.

Il contint cependant sa bouillante impatience et il se résigna à patienter.

En lui-même, il se disait :

— La Sauvage et Sacrais ont une revanche à prendre et ils ne manqueront pas de sortir de cette situation ridicule. Lydia retombera entre leurs mains. Il est aisé de quitter la maison où elle à reçu l’hospitalité… Ils profiteront d’un moment où elle sortira et cette fois le bel oiseau me sera livré en cage. Elle était bien mignonne, cette petite. Sa mère m’a été soufflée. Ce sera une réparation tardive !

Et Caudirol joyeux et alléché se frotta les mains.

— Mes hommes se conduisent comme des imbéciles, continua-t-il, et il n’y a pas jusqu’à ce petit La Marmite qui ne tourne casaque. Ma foi, je m’en ris. Qu’ils me quittent tous, tant pis pour eux ! Je n’ai besoin de personne à l’heure actuelle. Seuls Sacrais et la Sauvage pourraient me nuire à l’occasion et, de ce côté, rien à craindre pour le moment.

Il répéta ces derniers mots d’un air dubitatif.

— Rien à craindre ? pensa-t-il. Est-ce bien certain ? Je suis sûr de la Sauvage, mais Sacrais m’inquiète. C’est un lâche gredin, capable de toutes les trahisons. Allons, ne perdons point de temps. Il faut brusquer le dénouement.

Depuis plusieurs jours, Caudirol avait décidé de saisir la première occasion qui se présenterait pour visiter les souterrains du château.

Une seule, chose l’arrêtait. Les caves étaient fermées par une lourde porte de chêne, garnie de fer, dont il ne voulait point tenter l’effraction.

La violence n’était pas dans son jeu.

Il devait arriver à son but par l’intrigue.

— Il faut savoir où est la clé de cette porte, se dit Caudirol.

Et il se rendit auprès de madame Le Mordeley.

Celle-ci l’accueillit avec son empressement habituel.

— Que vous êtes donc aimable, monsieur de Lormières, de venir rendre visite à une pauvre recluse. Je m’ennuyais horriblement.

— La vie que l’on mène ici est en effet bien monotone pour une jeune dame.

Madame Le Mordeley toussa légèrement pour dissimuler le plaisir que venait de lui faire la réflexion de son hôte.

— C’est un gentilhomme accompli, pensa-t-elle. Il est charmant.

Et elle ajouta, en s’adressant à Caudirol sur un ton d’intérêt :

— Êtes-vous au moins installé d’une façon passable dans cette vieille ruine ?

Madame Le Mordeley désignait le château.

— Mais j’y suis à merveille, s’empressa de dire Caudirol. Cette demeure est en parfait état et vous l’avez fait restaurer avec un goût infini. Je ne m’explique pas que vous ne l’habitiez point et que vous persistiez à vouloir demeurer dans ce pavillon où vous êtes bien à l’étroit.

— Oh ! soupira l’héritière, c’est tout ce qu’il me faut… Et puis, je vous l’ai déjà dit, j’aurais peur si j’étais seule la nuit dans le château… C’est si grand et si solennel ! Les chambres sont aussi vastes qu’un appartement ordinaire…

— Mais, cependant, si vous veniez à vous remarier ? car, enfin, c’est à prévoir, étant donné votre situation de jeune veuve !

Madame Le Mordeley se troubla.

Pour elle, c’était une déclaration en bonne forme.

— Et qui donc voudrait de moi ? hasarda-t-elle en minaudant.

— Madame, repartit Caudirol, je ne vous répondrai point, de crainte de laisser échapper une vérité qui vous paraîtrait une impertinence.

Il feignit une violente agitation.

— Qui voudrait de vous ? répéta-t-il en se levant et en parcourant la pièce dans tous les sens.

— Oui, reprit madame Le Mordeley en allant au devant de lui et en saisissant sa main… Répondez-moi, monsieur de Lormières.

Elle le regardait dans les yeux en souriant d’un air de triomphe.

Caudirol détourna la tête, essaya de se dégager, bégaya quelques mots inarticulés et, comme si la plus violente passion l’écrasait et lui faisait perdre la raison, il se jeta éperdument aux pieds de madame Le Mordeley.

Ce fut au tour de la pauvre femme à s’abandonner à la faiblesse de ses sens.

Mais elle, du moins, ne jouait pas la comédie.

Elle avait, pour le faux duc de Lormières, un amour sans borne.

Cet homme étrange, d’une beauté fatale, exerçait sur elle un empire absolu.

— Relevez-vous, je vous en prie, dit-elle d’une voix tremblante.

— Non ! s’écria Caudirol qui continuait de jouer son rôle. Je resterai à vos pieds jusqu’à ce que vous m’ayez dit… que je puis espérer.

Madame Le Mordeley était en proie à une surexcitation nerveuse qui ne lui permettait pas de joindre deux idées.

Elle rayonnait de bonheur et sans réfléchir, délirante, folle d’amour, elle ouvrit les bras à son adorateur.

Caudirol enlaça la crédule héritière.

— Je vous aime, fit-il dans un baiser.

— Et moi aussi, murmura madame Le Mordeley en abandonnant ses lèvres au misérable.

Le bandit en était arrivé à ses fins.

La malheureuse était prise au piège.

Pâmée, elle se cramponnait au cou de Caudirol.

Il restait indécis…

Mais, tout à coup, il se dégagea et courut fermer la porte au verrou.

Madame Le Mordeley reprit sa raison durant une minute.

— Non, non ! gémit-elle. Je ne veux pas.

Caudirol était revenu vers elle et l’avait attirée plus étroitement contre lui.

Elle ne résista plus et s’abandonna tout entière en fermant les yeux.

Le défroqué la saisit et la coucha doucement sur un canapé.

En même temps, il collait ses lèvres contre celles de sa victime.

Un frisson de volupté secoua le corps de madame Le Mordeley qui se livra avec ivresse aux caresses de son amant.