Le Vampire (Morphy)/73

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 418-430).

CHAPITRE IX

Mazas.[1]

La suite de ce récit va rouler sur cette lugubre maison de prévention : Mazas.

Nous avons cru devoir éclairer la nuit qui enveloppe cette geôle où journellement douze cents hommes enfermés et comprimés dans d’étroits cachots se tordent de désespoir.

Voici l’histoire de cette prison et sa description :

Le 21 août 1836, le Conseil général décida la construction d’une maison d’arrêt cellulaire, qui devait être construite sur le boulevard de l’Hôpital, moyennant une dépense de 3,455,313 fr.

Les anciennes prisons de la Force, des Madelonnettes et de Sainte-Pélagie devaient être vendues pour faire face à une partie de cette dépense.

Ce ne fut que 14 ans après ce vote, en 1850, au mois de mars, que Mazas fut livrée à l’administration par les architectes, adjudicataires en 1842.

De plus, elle fut construite dans un autre arrondissement, et ne fut pas payée par Sainte-Pélagie et les Madelonnettes qui demeurèrent après cela.

Le nom de la prison suscita des différents : elle devait s’appeler la Nouvelle-Force, et prit le nom du boulevard Mazas, malgré les protestations légitimes de cette famille. L’administration ordonna qu’elle fût qualifiée Maison d’arrêt cellulaire. C’était trop long. Mazas valait mieux, et ce nom resta définitivement ta comme un pilori.

Le devis primitif a été singulièrement dépassé.

La prison a coûté près de 10 millions ; elle contient 1,200 cellules, soit une dépense de plus de 8,000 fr. par cellule.

Cette somme paraît formidable, mais un établissement de même nature et de même contenance en Angleterre a coûté près du double.

L’emplacement occupé s’étend de la rue de Lyon à la rue de Lagraverend et du boulevard Mazas à la rue Traversière ; contenance 3 hectares.

La façade donnant sur le boulevard Mazas a 200 mètres de longueur et est masquée en partie par le mur de ronde haut de 10 mètres.

Un second mur à 8 mètres du premier, et haut de 5 mètres, forme le chemin de ronde dans lequel des factionnaires sont postés pendant la nuit.

Un poste de soldats figure le dragon qui garde ce singulier trésor.

En entrant, on trouve à droite le poste des concierges qui communique avec une pièce affectée aux commissionnaires attachés au service de la maison, et dans laquelle attendent, avec un numéro d’ordre, les personnes qui ont l’autorisation de communiquer avec les détenus.

Il est impossible de pénétrer ni de sortir sans être vu par les deux surveillants-concierges, dont le guichet s’ouvre sur une cour qu’il faut traverser pour pénétrer dans la prison proprement dite, qui est relativement éloignée de son entrée.

Cette cour est commandée par une porte en fer placée derrière la porte principale, à une distante de 3 mètres. Elle est ouverte aux voitures qui amènent ou viennent chercher des prisonniers, et à celles qui apportent les vivres et le travail.

À droite de la cour est la cuisine ; à gauche le corps de garde et les magasins.

Lorsque l’on a traversé la cour on rencontre un deuxième guichet placé au commencement d’une allée couverte qui conduit directement au centre de la prison.

Après ce guichet, à gauche se trouve la visiteuse, plus communément appelée Fouineuse, à droite le greffe et le cabinet du directeur ; un peu plus loin et de chaque côté une salle d’attente pour les détenus. Ces salles contiennent chacune deux rangées de neuf cellules étroites avec un bloc de bois en guise de siège ; elles ont assez d’analogie pour la dimension avec les cabines des bains froids.

Encore quelques pas et l’on trouve de chaque côté le chemin de ronde qui n’enveloppe que les bâtiments occupés par les détenus.

Passé cette sorte de fossé pavé, on n’a plus à franchir qu’une porte toujours gardée par un surveillant qui l’ouvre et la referme à clef derrière chaque personne.

On est alors arrivé à l’extrémité de l’allée, au milieu même de la prison, au rond-point, vaste rotonde éclairée, et à laquelle viennent aboutir comme les rayons d’un éventail six immenses galeries longues de 86 mètres, et hautes de 14, recevant la lumière d’en haut pendant le jour, et pendant la nuit par les becs de gaz placés au rez-de-chaussée.

Ces galeries forment toute la prison de Mazas : on les appelle divisions ; elles ont chacune deux étages, ce qui, avec le rez-de-chaussée, forme trois rangées de cellules superposées de chaque côté : c’est comme une rue composée de bâtiments identiques, dont les fenêtres seraient des portes, et dont les balcons seraient les paliers ; ici les numéros pairs ; là les numéros impairs.

Le rond-point peut être comparé à un carrefour ; au milieu on a construit un bureau vitré d’où l’on peut voir tout le mouvement des galeries ; sur le sommet de ce bureau est disposée une chapelle où se célèbrent les offices de la religion catholique.

Dans les galeries, un escalier tournant, de chaque côté, met en communication le rez-de-chaussée, le premier et deuxième étage. À chaque étage trois ponts mettent en communication les deux rangées de cellules parallèles. L’espèce de balcon-passage qui court devant les cellules est large de 80 centimètres. Il est naturellement protégé par une rampe en fer qui a aussi un autre usage de première importance pour la distribution des vivres. Chaque rangée a son surveillant, qui n’a ainsi que 35 cellules sous sa direction : son poste est au pont du milieu, les deux autres étant aux extrémités opposées de la division.

L’aspect de ces cellules rapprochées est saisissant. Elles ont 3 mètres 50 de longueur, 2 mètres de largeur, 3 mètres de hauteur. Les mûrs sont peints en jaune foncé à 1 mètre et demi d’élévation, l’autre partie et le plafond sont peints en blanc. Le parquet est en briques croisées.

La porte est en chêne plein, boulonnée, et d’une solidité parfaite, elle est haute de 2 mètres et large de 60 centimètres, Deux gâches fixées, l’une à l’extérieur et l’autre à l’intérieur reçoivent le pêne qui est une forte tige d’acier de la taille d’une barre ordinaire : la première gâche tient la cellule fermée ; la seconde lui laisse un entrebâillement de 10 centimètres au plus, destiné à laisser entendre la messe ; les détenus des deux ou trois premières cellules peuvent même voir le prêtre à l’autel du rond-point.

Aux deux tiers de la hauteur de la porte s’ouvre une planchette mobile appelée guichet ; au niveau de ce guichet et à l’intérieur de la cellule, se trouve placée une planchette demi-circulaire maintenue par un support. Cette tablette reçoit la nourriture du détenu. Le guichet a un petit judas vitré d’un diamètre de 1 centimètre, il est évidé à l’intérieur sur une circonférence de 6 centimètres.

La surveillance peut s’exercer ainsi à l’insu du prisonnier : un bouton de cuivre placé à l’extérieur permet de fermer ou d’ouvrir à volonté cette ouverture masquée par une plaque en fer.

Ce judas est d’une grande utilité pour suivre dans tous ses mouvements le détenu placé sous la surveillance ; il est vrai de dire qu’il peut s’assurer que la plaque est remplacée par un œil humain.

La police s’en sert pour reconnaître les individus dont l’identité est suspecte. Une catégorie d’agents est spécialement chargée de ce soin ; elle a une connaissance plus ou moins exacte du visage des gens déjà condamnés qui tous sont examinés dans un cabinet spécial au Dépôt et photographiés.

Le numéro de la cellule est peint en forts caractères blancs et sous ce numéro se trouvent deux clous l’un au-dessus de l’autre.

Au premier clou reste attachée pendant tout le temps de la détention une plaque noire portant en lettres blanches quelques indications : la division, l’étage, le numéro de cellule ; en la retournant on lit : au Palais.

On sait ainsi quand le détenu est absent qu’il est à l’instruction ou en jugement.

Une autre plaque beaucoup plus petite contient seulement le numéro de cellule. Elle est remise au détenu chaque fois qu’il sort de chez lui, soit pour aller au greffe, au parloir, au bain, à la promenade ou pour tout autre motif.

Primitivement on avait décidé d’ajouter intérieurement, derrière la porte, des barreaux de fer et des grilles ; ce projet insensé et inutile ne fut abandonné que sur des protestations faites à la Chambre des députés.

On fit justement observer qu’à Mazas les détenus seraient beaucoup plus mal sous tous les rapports que les bêtes fauves du Jardin des Plantes.

Au fond de la cellule, c’est-à-dire en face de la porte, à deux mètres de hauteur, est une ouverture pratiquée, pour donner de l’air. Elle est assurée contre toute tentative d’évasion par sept forts barreaux de fer et garnie d’un vasistas divisé en quatre vitres de verre cannelé ; son entrebâillement est à peine de vingt centimètres à sa plus grande élévation et le détenu n’y peut parvenir qu’avec des prodiges de gymnastique et une grande force musculaire dans les poignets. Cet exercice est d’ailleurs interdit très sévèrement.

Le principe de Mazas est : ne rien voir et ne rien entendre.

Le détenu peut ouvrir et fermer sa fenêtre au moyen d’une tige de fer d’environ un mètre. Dans le commencement de la fondation, les fenêtres ne s’ouvraient pas.

La science de l’époque démontrait que la ventilation pratiquée par les conduits d’aisance était infiniment préférable et même que l’occlusion était indispensable.

La réalité fut que les cellules étaient malsaines et que l’air qui les remplissait était vicié ou insuffisant.

Les prisonniers tombaient malades ; scientifiquement ils étaient dans leur tort, mais le médecin de Mazas fit tant que les croisées furent ouvertes.

En entrant dans la cellule on voit à sa droite, pour le côté pair, contre le mur, près de la porte, une poignée en bois adaptée à une corde qui communique à une lame métallique que le détenu fait tomber en tirant la poignée dès qu’il a besoin de parler à son gardien ; cette poignée a remplacé un fort bouton qu’il fallait pousser verticalement et qui servit plusieurs fois de potence à des détenus voulant en finir avec l’effroyable existence de cette Bastille réformée ou plutôt aggravée.

Dans l’angle de la cellule, toujours près de la porte, est une petite planchette destinée à supporter la terrine de toilette. Au-dessous, se trouve le siège des lieux d’aisances fermé par un tampon de bois. De plus un couvercle se rabat sur le tout : cette partie essentielle, l’œil de la providence, comme disent les détenus, a la forme, d’un bloc placé dans un angle et dont l’usage n’apparaît pas si le couvercle est rabattu.

Une table en chêne avec un tiroir de 90 centimètres sur 50 est fixée au mur.

La chaise recouverte en paille est attachée à la table par une chaîne assez forte.

Au-dessus de la table est un bec de gaz dont l’ouverture se trouve dans la galerie ; le surveillant avertit le détenu d’allumer quand il a tourné la clef. Chaque cellule est éclairée et éteinte séparément.

Sur le mûr opposé, c’est-à-dire du côté où se trouve le conduit, il y a divers imprimés : Le prix des objets à la cantine ; les règles à observer dans la cellule ; celles à observer pendant la promenade ; le détail du mobilier, enfin le texte de la loi sue les délits et les crimes commis dans les prisons.

Les promenoirs ont la forme d’un quadrilatère, la petite largueur, où se trouve la porte d’entrée est de 1 mètre, la grande de 4 mètres 50, la longueur 12 mètres.

Les cages des bêtes féroces au Jardin des plantes ont 10 mètres de plus que les cellules.

Il y a 5 préaux ou 100 promenoirs ; la 5e et la 6e division n’en ayant qu’un pour elles deux ; et cela suffit car un certain nombre de cellules est occupé par les bains, les malades, etc.

Au centre du terrain affecté aux promenoirs est une rotonde élevée d’un étage et ouverte par huit croisées d’où le gardien surveille les détenus.

La plus large partie des promenoirs est recouverte d’un toit de 3 mètres où le détenu s’abrite en cas de mauvais temps et qui protège le chemin extérieur, parcouru par un autre surveillant.

Le fond est fermé par une grille en fer.

Dans cette fosse, l’homme ressemble absolument à un animal dangereux.

À la tête de chaque division il a été établi des parloirs grillés.

Les visiteurs y pénètrent par le rond-point et les détenus par leur galerie.

Un parloir a six ou huit stalles très obscures.

Le visiteur et le détenu entrent chacun dans une sorte de boîte dans le genre des confessionnaux.

Ils sont éloignés de 50 centimètres et chacun d’eux a des barres de fer recouvertes de grillages devant lui ; ils se parlent presque sans se voir et comme à travers un garde-manger.

Une planche se rabattant sert de siège.

La visite est plus ou moins longue suivant qu’il y a plus ou moins de monde : elle varie de dix minutes à une demi-heure.

Il existe un parloir dit de faveur presque aussi grand qu’une cellule : il y a des chaises et quelques barreaux séparent seuls le prisonnier de ses amis.

On peut s’embrasser sans trop de difficultés et plusieurs personnes peuvent y tenir ensemble.

On y reste une demi-heure ou une heure.

Dans ces deux genres de parloir il y a, derrière le visiteur et le visité, un corridor où se trouve un gardien qui peut voir au moyen d’un carré vitré disposé dans les deux points opposés.

Les visites ont lieu le jeudi et le dimanche au parloir de faveur pour les prévenus, le lundi et le vendredi pour les condamnés ; au parloir grillé, le dimanche et Je jeudi pour les condamnés, et le lundi et le vendredi pour les prévenus, de 11 heures à 3 heures.

La partie supérieure des parloirs est grillée : c’est une véritable cage.

Les dix-sept premières cellules à gauche dans la sixième division sont des cellules de bains.

Les cuisines sont vastes et dirigées par un chef qui se fait aider par des auxiliaires choisis parmi les condamnés.

Les aliments sont préparés dans d’immenses chaudières en cuivre.

Un peu avant 8 heures du matin et 3 heures de l’après midi, aux heures des repas, les chaudières sont retirées des fourneaux au moyen d’un appareil. De là, les aliments sont envoyés dans chaque division.

Les gamelles sont portées par des chariots qui roulent sur la rampe des balcons pour les étages, et par terre pour le rez-de-chaussée.

À chaque étage un détenu pousse le chariot, tandis que les deux surveillants, un à droite et l’autre à gauche ouvrent les guichets et placent une gamelle sur les tablettes.

Une demi-heure après cette distribution, un auxiliaire reprend les gamelles qu’il met les unes dans les autres, un surveillant le suit et ferme le guichet.

La nourriture se compose le matin d’un bouillon aux légumes et le soir de quelques légumes variés : haricots, lentilles, pois secs, riz ou pommes de terre en purée.

Les jeudis et dimanches le bouillon de viande remplace le bouillon de légumes et un morceau de bœuf d’environ un quart de livre remplace les légumes.

Le pain bis appelé boule de son pèse 750 grammes.

Il n’est délivré gratuitement aucune boisson si ce n’est l’eau.

Cette nourriture insuffisante et propre à développer le scorbut paraît ridicule si on la compare au régime des prisons dans les pays ayant quelque apparence de liberté, tels que l’Amérique et la Suisse.

Dans le premier pays les détenus ont près d’une livre de viande, un bouillon excellent, les légumes et la bouillie de maïs sont à discrétion. Le pain est composé de seigle et de maïs. Une pinte de café est également distribuée. En outre on peut avoir, en en faisant la demande et cela d’une façon permanente, une portion supplémentaire.

Le personnel se compose d’un directeur, d’un greffier, de trois commis au greffe, d’un brigadier, de sept sous-brigadiers, dont un pour chaque galerie, plus un pour le rond-point, et d’une soixantaine de surveillants.

Il y a un médecin chef, un médecin en second et un pharmacien.

La religion y est représentée par trois aumôniers, deux fois mieux rétribués que le personnel actif ; ils sont logés, chauffés et éclairés dans le bâtiment des employés qui renferme le directeur, le brigadier et les sous-brigadiers, la fouilleuse, etc.

Un ministre évangélique et un rabbin sont également attribués aux prisonniers juifs et protestants.


Un prisonnier à Mazas.

Voici le texte du règlement placardé dans les cellules des prisonniers :

Règles à observer par le détenu placé au promenoir

Le détenu, pendant la promenade, doit observer le plus grand silence ; il ne doit rien jeter par-dessus les murs ; ni chercher à établir des intelligences par signes ou paroles avec d’autres détenus ou gens du dehors.

Il ne doit commettre aucune dégradation, ni écrire ou tracer des caractères sur les murs, de quelque manière que ce soit.

S’il a besoin d’aller aux lieux d’aisances, il frappera à la porte, afin que le surveillant lui ouvre.

Il s’adresserait au surveillant placé à l’extérieur du promenoir, dans le cas où il aurait quelque chose d’urgent à demander.

Toute infraction à ces prescriptions sera punie conformément aux règlements.

état des objets composant le mobilier de la cellule d’un détenu valide
Un hamac.
Un matelas de laine et crin.
Couverture de laine beige (deux en hiver, une en été).
Deux draps de toile, d’un lé.
Une table à tiroir.
Une gamelle de fer battu, étamé.
Un bidon de fer battu, étamé.
Un gobelet de fer battu, étamé.
Une cuiller de bois.
Une terrine pour la toilette.
Un génieux-crachoir.
Un balai de chiendent.
Un balai de bouleau.
Trois tablettes de bois blanc.
Le Directeur.
règles à observer par le détenu placé dans cette cellule

Il est expressément défendu de chanter, de parler à haute voix ou de chercher à établir des communications avec les autres détenus, soit dans la maison, soit au promenoir.

Le détenu doit tenir sa cellule constamment propre et ne faire aucune inscription, ni dessin sur les murs, sous peine de punition.

Il lui est expressément recommandé de ne faire aucune dégradation dans sa cellule, ni aux livres et objets mobiliers et de literie qui lui sont confiés ; en cas d’infraction, le détenu, outre la punition qu’il encourra, sera rendu responsable des dégâts,

Il doit tenir dans la plus grande propreté le siège et la cuvette du conduit d’aisances et n’y jeter que l’eau absolument nécessaire au maintien de la propreté.

Pour assurer l’aération de la cellule et enlever toute mauvaise odeur, il faut, lorsque la fenêtre est ouverte, boucher l’orifice du siège d’aisances à l’aide du tampon de bois à ce destiné, et il faut, au contraire, ôter ce tampon lorsque la fenêtre est fermée. Le couvercle à charnières doit, dans tous les cas, être abaissé.

Tous les matins, à l’heure qui sera indiquée par le surveillant de sa section, le détenu roulera son hamac et son matelas, et les placera bien empaquetés sur la tablette.

Les couvertures et les draps seront pliés avec régularité et placés sur la tablette qui se trouve au-dessus de la porte.

L’heure de dresser le lit, le soir, sera également indiquée par le surveillant, les lits ne devant jamais être tendus pendant le jour.

Lorsque le détenu a besoin de parler au surveillant, il doit tirer la poignée de bois placée à côté de sa porte, pour le prévenir il ne doit point appeler à haute voix et surtout ne pas déranger sans un motif urgent les préposés à la surveillance.

Lorsque le détenu ira au parloir, au promenoir ou au greffe, il devra s’y rendre avec célérité et en observant le plus grand silence.

Il recevra à sa sortie de cellule une petite plaque qu’il devra rendre au surveillant à sa rentrée.

Après avoir mangé et, au plus tard, une demi-heure après la distribution des vivres, le détenu placera sa gamelle sur la planchette située devant le vasistas de sa porte.

Si le détenu désire être visité par le médecin ou avoir d’urgence un entretien avec le directeur, l’aumônier ou autres employés, il en préviendra le surveillant.

Le détenu peut également réclamer la visite du contrôleur des services des prisons ou lui faire passer ses réclamations.

Le détenu qui veut interjeter appel du jugement qui le condamne, doit, dans les dix jours qui suivent, écrire à M. le procureur de la République, mais il ne signera pas sa lettre. Il sera appelé à cet effet au greffe où sa signature doit être légalisée. Dans le cas où le détenu ne saurait pas écrire, il ferait connaître verbalement au surveillant son intention de former appel.

Lorsque le détenu sera au parloir avec son visiteur, il ne devra élever la voix qu’autant qu’il sera nécessaire pour se faire entendre ; dans le cas contraire, le surveillant chargé de la police le ferait immédiatement rentrer dans sa cellule.

Toute infraction sera punie.

NOTA. — Les détenus sont prévenus que toutes les lettres qu’ils adressent aux autorités administratives ou judiciaires peuvent être remises cachetées entre les mains du directeur, par les soins duquel elles seront immédiatement envoyées à leur destination.

Occupons-nous maintenant de la population qui remplit, Mazas et dont le roulement est de 10,000 individus par an :

Il est bien mêlé et divers le monde louche et déguenillé qui grouille dans les prisons.

Il se compose, certes, de plus de victimes que de coupables.

Quand l’hiver est dur, quand le pain est cher, les arrestations augmentent dans d’énormes proportions.

On peut dire que les trois quarts des emprisonnés méritent toute espèce d’intérêt.

Qu’on en juge :

Les délits qui, par leur nombre excessif, dominent tous les autres réunis, sont le vagabondage et la mendicité.

Viennent ensuite, dans des proportions relativement faibles, le vol, l’escroquerie, la filouterie, la rébellion contre les gardiens de la paix, les coups et blessures, l’adultère, l’outrage aux mœurs, les vols qualifiés et l’assassinat.

Du côté des femmes, c’est la prostitution qui fait nombre.

Et encore faut-il ajouter que, sur une moyenne de cent personnes écrouées, il n’y a pas vingt femmes. Ceci soit dit à l’honneur du sexe faible.

Par an, dans le seul département de la Seine, il y a 80,000 arrestations et mandats d’amener, exécutés ou non ; les quatre cinquièmes de ces prévenus sont illettrés.

La profession qui tient la corde, comme chiffre est celle des journaliers.

Incontestablement, dans la majeure partie des cas, les choses se passent ainsi : un individu quelconque est arrêté pour un fait sans gravité — insultes aux agents, par exemple — on le juge et on le condamne. Il a perdu son travail, il n’a plus de références à donner, il est à l’index. Le voici sans pain et sans gîte. On le ramasse de nouveau, pour vagabondage, et ainsi de suite. Il est récidiviste. En prison, il se corrompt par le mauvais exemple ; il apprend la théorie du vol, et, une fois en liberté, il passe à la pratique. C’est un homme perdu, il roulera de prison en centrales pendant le restant de ses jours.

Voilà comme on commence et voilà comme on finit.

On entre dans cette voie funeste par entraînement ou par nécessité. Puis, l’habitude aidant, on y reste par goût. Cela devient une profession. En argot, ne dit-on point « travailler » pour voler ?

Dans cette partie, comme dans toutes les autres, il y a de véritables artistes. Il y a même des philanthropes et des soutiens de famille parmi les assassins les plus émérites.

Rafinat volait avec effraction au bénéfice de ses braves parents, qui ne se doutaient guère de la singulière provenance de l’argent qu’ils recevaient de leur fils. Jadin, plus étonnant encore, laissait de son argent « à lui » dans les logements pauvres, quand il lui arrivait d’en fracturer de temps à autre, par inadvertance. Que dire également de l’habileté merveilleuse de certains pick-pockets qui vident gracieusement les poches, sans que l’on éprouve le plus léger contact !

Les voleurs ont mille moyens, plus ingénieux les uns que les autres, pour vivre aux dépens des pantres, comme ils disent dans leur langage pittoresque.

Voici quelques genres de vols :

Le vol à la tire, dont tout le monde a été plus ou moins victime ;
À l’étalage, lequel est une façon de faire marcher le commerce ;
À la glu, en introduisant simplement et sans esclandre une baguette enduite de poix dans les troncs garnis de monnaie des églises désertes ;
Au poivrier, qui s’exerce au détriment des honnêtes ivrognes échoués sur la voie publique ;
À la détourne, dans les magasins ;
Au fric-frac, c’est-à-dire avec effraction ;
À l’anglaise, en s’offrant un copieux repas avec l’intention bien arrêtée de ne jamais s’occuper en ce monde de l’addition ;
À la roulotte, en enlevant les marchandises des camions, et quelquefois la voiture avec, ce qui est peu goûté en général par les cochers ;
Au tiroir;
À l’américaine ;
À l’esbrouffe… Mais je n’en finirais pas s’il fallait mentionner tous les moyens d’existence de ceux qui, juridiquement, n’en ont aucun.

Pour varier notre récit, nous initierons le lecteur aux expressions bizarres qui ont cours chez ce monde-là. Citons au hasard.

En argot de malfaiteurs, une année s’appelle une berge ; un mois, un marquet ; un jugement, un gerbement ; un gardien de bagne ; un you-you ; un surveillant, un gaffre ; un sergent de ville, un flitte ou un cogne ; une batterie, une bûchade ; de l’argent, du carme, de la douille ou du fade ; un souteneur, un barbillon ; un couteau, un surin ; un voleur, un pègre, un homme ou un garçon ; une femme, une gonzesse ou une gigolette. — Être sapé à dix de dur et cinq de trique, c’est être condamné à dix années de réclusion et cinq de surveillance ; on ne dit point parler, mais jaspiner ou rouscailler ; oui se dit par gy ; déboucher une lourde, c’est défoncer une porte, et rincer une cambriole, c’est dévaliser une maison ; buter un pantre à renaud, c’est tuer une victime qui résiste ; pour manger, on dit briffer ; pour dormir, peignotter ; les pestailles sont les ennemis ; les gougnottes et les tantes sont… nous n’avons pas besoin de dire quoi ; les vaches sont les magistrats, policiers, etc. ; les dénonciateurs sont les bourriques.

Les prisons ont aussi leurs sobriquets. Voyez plutôt : Mazas devient Not’zas ; la Santé, la Santoche ; la Roquette, la Grande Roque ; Sainte-Pélagie, Pélago ; Saint-Lazare, Saint-Lago ; le Dépôt, le Tas ; et, enfin, la Conciergerie, la Tour.

Citons encore à titre de curiosité une lettre rigoureusement authentique écrite par un détenu à un autre détenu.

« Hohé ! mon voisin l’aristo, veux-tu que je te bénisse ? alors, fais-moi passer du perlot (du tabac) ! C’est Saucisson des Batignolles qui te demande ça ; oui, c’est le mac-des-macs, le lutteur à mains-plates, le célèbre peintre à la fourchette ; pendant que sa femme montre ses mollets, lui, fabrique les porte-monnaies ; courage ! et mort aux indicateurs et aux révélateurs ; à la potence, les juges d’instruction, les greffiers et les cipaux ; à la chaudière les vaches et les bourriques ; mort aux flittes et aux gaffres ! On les pendra ! Et, youp-ohu !… »

Les voleurs sont en général vantards et prodigues. Un trait distinctif de leur caractère sauvage, c’est le mépris qu’ils professent pour les femmes, leurs ouvrières. Ils sont aussi habiles dans leurs entreprises que maladroits pour cacher après leurs méfaits. Le chiffon rouge (la langue) les perd invariablement. D’ailleurs, ils ne peuvent se détacher de leur milieu et de leurs connaissances.

Les voleurs intelligents ne vivent pas en commun et se déplacent continuellement : ceux-là sont imprenables.

Voilà, succinctement, ce que nous avions à dire sur le monde des prisons.


  1. Le lecteur voudra bien excuser cette digression qui n’est pas sans intérêt pour la suite du récit. D’ailleurs, les Mystères du Crime, comme le titre l’indique, ne sont pas une œuvre de pure imagination, mais une étude sur la criminalité en général.