Le Vampire (Morphy)/74

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 431-434).

CHAPITRE X

Nouvelle tentative.

C’est dans ce sombre et froid palais de la douleur que le Docteur-Noir attendait d’être fixé sur son sort.

L’issue inattendue de son procès lui avait rendu quelque espoir.

Il se demandait avec persistance si Jean-Baptiste Flack ne tiendrait pas sa parole.

Mais, dans l’attente, il ne perdait point son temps.

Il s’était promis de saisir la première occasion de fuir qui se présenterait.

Le lecteur, qui sait à quoi s’en tenir d’après ce que nous avons dit précédemment sur cette prison, jugera combien devait être vaine toute espérance d’évasion.

Un matin, le Docteur-Noir fut appelé au parloir des avocats, aménagé dans une cellule, au bout de la division.

Me Lavigne, son jeune défenseur, lui donna des nouvelles de son affaire qui allait passer une des premières aux rôles de la prochaine session.

Lucien Bartier l’écouta d’abord avec indifférence.

Mais l’avocat ne tarda pas à captiver son attention.

— J’ai vu votre domestique.

— Jean-Baptiste Flack ?

— Oui.

— Ah ! tant mieux.

Puis, après une pause :

— Que vous a-t-il dit ?

Me Lavigne voulut appuyer sur l’importance de ce qu’il avait à dire.

— Vous savez, fit-il, que le secret professionnel nous interdit de faire des communications de ce genre.

— C’est bien. J’approuve votre réserve, dit le Docteur-Noir qui redevint froid.

Me Lavigne se récria vivement :

— Oh ! il n’y a rien d’absolu. J’ai donc vu de nouveau votre domestique. Il me prie de vous donner des nouvelles des personnes à qui vous vous intéressez.

— Ah !

— Et ces nouvelles ne sont pas mauvaises.

L’avocat pesait ses paroles une à une.

— Ce n’est pas tout, continua-t-il, il m’a dit de vous répéter que ce qu’il vous a promis se réaliserait à la lettre.

Après quelques minutes de conversation banale, le défenseur se retira.

Lucien Bartier était soucieux.

— Le pauvre garçon s’illusionne, pensait-il, le brave Flack ne se doute pas des difficultés insurmontables que présente une évasion de Mazas. — Enfin… qui sait !

Il rentra dans sa cellule.

Au bout d’un moment, le guichet de la porte s’ouvrit.

— Promenade ? fit le surveillant.

— Au fait, oui, se dit le Docteur-Noir. J’ai besoin de prendre l’air.

Et il répondit à cette question par un signe de tête affirmatif.

Les deux compagnons de cellule ne voulurent pas sortir ; car le temps était mauvais. La porte venait de s’ouvrir.

Lucien Bartier rebroussa chemin jusqu’au milieu de la galerie, et remit, la plaque de sa cellule à un sous-brigadier.

Celui-ci l’accrocha à un cadre en regard du numéro d’un promenoir et il donna un coup de sonnette.

C’était pour annoncer le promeneur qui descendit l’escalier et se trouva dans un préau.

Un gardien l’enferma dans un compartiment.

C’était toujours la cellule, mais une cellule à ciel ouvert.

Il était séparé de la rue, de la liberté, par la grille du promenoir et les deux murs de ronde.

Il apercevait les étages des maisons voisines.

Son regard tomba sur des échelles de maçons couchées le long du premier mur de ronde.

Le deuxième mur plus haut était en réparations.

Un ouvrier scellait les interstices des pierres, perché sur une haute échelle.

Le temps devenait plus mauvais.

La pluie tombait avec force.

Le maçon redescendit pour se mettre à couvert.

Une idée audacieuse germa dans le cerveau du Docteur-Noir.

Il sauta sur le bloc de pierre du promenoir et escalada le petit mur, sur le dos duquel il marcha jusqu’à ce qu’il eût atteint le toit en dos d’âne.

Il le franchit et sauta en bas.

Il était hors du promenoir.

Les surveillants n’avaient rien vu.

Le fugitif saisit une échelle et l’appliqua contre le mur de ronde.

Du coup, les gardiens s’aperçurent de l’évasion et accoururent.
Il accostait les petites ouvrières qui passaient.

Mais le Docteur-Noir était déjà parvenu au faîte du premier mur et avait sauté de l’autre côté sans se blesser.

Le dernier mur, haut de dix mètres, restait seul à escalader.

Le Docteur-Noir monta rapidement les échelons de l’échelle abandonnée par le maçon qui était parti se mettre à l’abri de l’orage.

Il parvint au sommet.

Là, il éprouva un vertige.

La rue était sous lui presque déserte, mais la hauteur était énorme.

Il n’y avait pas à hésiter.

Le signal était donné.

De toute part on allait accourir.

Il se laissa tomber…

Deux secondes après, il était étendu sans mouvement sur le trottoir.

Sa tête avait porté sur la pierre et il avait perdu connaissance.

Les surveillants arrivèrent et emportèrent le fugitif qui tut transporté à l’infirmerie de Mazas.

C’était encore une tentative avortée.