Le Vampire (Morphy)/79

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 450-453).

CHAPITRE II

La fortune des ducs de Lormières.

Le voyage s’effectua rapidement.

Caudirol et Sacrais débarquaient à Nantes le même jour et se rendaient au château de Lormières.

Madame Le Mordeley fut transportée de joie en voyant revenir son amant.

La solitude lui avait pesé.

Elle avait craint vaguement que le beau duc ne revint pas.

Sacrais lui fut présenté comme un ami qui venait passer quelques jours au château.

— Et cette petite Lydia ? demanda-t-elle à Caudirol.

— C’est une enfant corrompue, qu’il faut considérer comme perdue. Elle a de nouveau pris la fuite, et à l’heure qu’il est, elle court Paris.

— Mon Dieu ! si c’est possible !

Mais Sacrais était parti sur ces entrefaites pour laisser son chef agir à sa guise ; le faux duc de Lormières resta seul avec sa maîtresse.

La pauvre folle se jeta dans ses bras et l’embrassa avec passions.

Par un phénomène étrange, Caudirol avait le don d’exaspérer les sens des femmes qui tombaient dans ses griffes.

Chez lui, il n’y avait que des crises et des élans de fauve.

Il ne s’adressait qu’aux sens.

L’amour réel n’existait pas dans cette nature sauvage.

D’ailleurs, et c’est compréhensible, il ne prenait dans ses filets que des créatures détraquées par la dévotion ou l’hystérie.

La baronne de Cénac, la Sauvage, et, à présent, madame Le Mordeley, telles avaient été ses maîtresses.

Ces nymphomanes n’avaient pu résister à la puissance effrayante de cet homme en rut, de ce vampire !

Il les attirait à leur perte comme la lumière attire le papillon.

Madame Le Mordeley se tordait dans ses bras, se frottant contre lui avec des câlinements de chatte énervée, lui jetant des regards suppliants et pâmés.

Caudirol la baisa longuement dans la bouche, la mordant avec ivresse.

Sa nature indomptable rugissait devant les agacements de cette femme amoureuse.

Il la brisait contre lui, ouvrant son peignoir et dénouant la faveur rose qui fermait la dentelle de sa chemise et cachait sa poitrine.

Elle renversait la tête avec un rire cassé, cherchant les lèvres de son amant, buvant sa salive, avec des secousses nerveuses qui la faisaient vibrer comme la lyre sous la main de l’artiste.

Artiste, en effet ! ce Caudirol, cet homme dont l’existence s’écoulait dans un immense besoin de sentir la femelle, de se rouler sur un ventre de femme, savourant la douceur des parfums de la chair, léchant et mordant comme une bête, s’égarant dans la mystérieuse et brûlante sensation de l’amour. Artiste de la chair ! être incompréhensible, rendu fou par le célibat de sa jeunesse, ne rêvant que la morsure désespérée et furieuse d’une femme passionnée et délirante, frémissant sous la suprême caresse de l’homme idolâtré.

Non, madame Le Mordeley n’était plus la bigote prude et hypocrite qui avait tyrannisé la malheureuse Lydia.

Elle était belle aujourd’hui et, dans ses emportements, dans sa rage d’être aimée et prise, il y avait de la superbe et fauve passion qui anime la lionne à la vue du mâle en rut.

Caudirol se remplissait, pour ainsi dire, de cette électricité, de ce magnétisme subtil que dégage la femme. Il regardait, il touchait avec une jouissance sans pareille les seins doux et blancs de sa maîtresse, l’embrassant sous les bras.

Enfin, il la renversa sous lui pour trouver la dernière sensation de sa fièvre, le spasme final de sa crise d’amour !

Le soir montait dans la campagne silencieuse.

Caudirol guettait avec impatience l’heure des ténèbres.

Il secoua la fatigue qui le clouait immobile sur place et il quitta le pavillon.

Sacrais l’attendait dans sa chambre au château.

— Voici le moment, lui dit Caudirol, de déterrer le magot !

— Il s’agit d’abord de le trouver, répondit Sacrais en hochant la tête.

— Bah ! à nous deux !

— Vous n’avez aucune idée de l’endroit où il se trouve ?

— Non, mes recherches ont été vaines.

Et, sur ce mensonge, Caudirol fit signe au bandit de le suivre.

Ils furent bientôt devant l’entrée des souterrains.

La vieille porte s’ouvrit et se referma sur eux.

Sacrais se sentait envahi par l’inquiétude.

Caudirol avait un sourire singulier.

Il promena le faussaire sous les voûtes noires et humides.

Ils parvinrent jusqu’à l’endroit où se trouvait le trésor.

Caudirol passait ayant l’air indifférent, mais Sacrais l’arrêta.

— Voyez donc ce léger monticule sous nos pieds. La terre est soulevée à cet endroit.

— Tiens, fit Caudirol, je n’avais pas remarqué cela.

— Allons chercher une pioche, proposa Sacrais,

— Ce n’est pas la peine. Il y en a ici dans un coin.

Et Caudirol se dirigea vers le cachot dont nous avons déjà parlé.

— C’est ici, dit-il à Sacrais, il y a toute sorte d’instruments, là-bas, dans le fond.

Sacrais entra sans méfiance…

À peine avait-il dépassé la grille que Caudirol la repoussa sur lui et la ferma.

— Eh bien ! quoi ? s’écria le prisonnier plus surpris qu’effrayé.

Un éclat de rire lui répondit.

— C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? gémit Sacrais qui devint livide.

— Oui, mon ami. C’est simplement pour savoir comment tu sortiras de ce trou.

— Ouvrez-moi, ou je crie.

Caudirol haussa les épaules.

Sacrais terrifié, fou d’horreur, se mit à pousser des clameurs déchirantes.

La porte de fer se referma lentement sur la première grille.

Le cachot était absolument masqué.

De ce tombeau, fermé de toute part, s’échappait une plainte sourde.

La mort la plus hideuse, la plus infernale l’attendait.

La faim, la soif, le froid et par-dessus tout le cauchemar, allaient fondre sur le misérable pendant des jours entiers.

Il était enterré vivant.