Le Vampire (Morphy)/82

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 458-462).

CHAPITRE V

Conclusion.

Quelques semaines après ces événements, on lisait dans les journaux mondains l’écho suivant :

« On annonce comme devant avoir lieu mardi prochain à Nantes le mariage de M. le duc de Lormières avec madame veuve Le Mordeley. »

Caudirol avait donc entièrement réussi.

Il était revenu à Paris et avait acquis un splendide hôtel près du Parc-Monceau.

Il y installa sa femme.

Depuis plus d’un mois ses compagnons de crime et la Sauvage n’avaient pas eu de ses nouvelles.

Un jour, celle-ci reçut une liasse de billets de banque avec ces seuls mots :

« J’ai réussi. Voici un million pour distribuer à nos hommes. Fais en sorte que je sois débarrassé d’eux. J’arrive.

« Renaud. »

La Sauvage, au comble de la Joie, remit à chacun des bandits une somme de cent mille francs en leur rendant leur liberté.

Elle conserva trois cent mille francs pour elle-même.

Elle demeurait toujours dans la maison de Paulia.

Pour récompenser celle-ci de ses bons offices elle lui monta une écurie du meilleur goût.

L’ancienne madame Poivre-et-Sel était parvenue au pinacle.

Jamais matrone d’établissement clandestin n’avait eu voitures et chevaux de race, comme elle.

La bonne dame ne cessait de le répéter.

En attendant le retour de son amant, la Sauvage se pavanait au bois de Boulogne.

Elle se sentait prise d’un besoin de luxe insatiable.

Pendant une de ses absences, Caudirol arriva.

Il était connu dans la maison.

On lui dit que sa maîtresse et madame Paulia étaient parties ensemble et qu’elles ne reviendraient que le soir.

Resté seul, il songea à satisfaire une curiosité qui le tenait fortement.

Il voulait revoir cette Démone qui semblait être la résurrection de madame de Cénac.

Il traversa les pièces et, dans l’une d’elles, il ne remarqua point une vieille femme qui le regarda avec un éclair de haine.

C’était Marita, la mère de la Pitchounette !

Elle avait reconnu Caudirol.

Sans bruit, très doucement, elle le suivi.

Le bandit parvint jusqu’à l’endroit d’où l’on pouvait voir Démone, sans-être vu d’elle.

Il colla son œil au judas et s’absorba dans une muette contemplation.

Derrière lui dans la demi-obscurité de la pièce, s’avançait une ombre…

Il regardait toujours.

— C’est elle, murmura-t-il.

Tout à coup une lueur brilla au-dessus de sa tête et il s’abattit comme une masse.

La vieille Italienne venait de lui enfoncer son couteau entre les épaules.

Une rage la saisit.

Elle se précipita sur le misérable qui râlait et elle le cribla de coups.

Son couteau s’abattait sur le corps du bandit, le trouait et sortait ruisselant de sang.

— Tiens ! hurlait-elle. C’est comme ça que tu as fait à ma Pitchounette. Tiens, tiens, tiens !

Enfin, elle se releva et jeta son arme.

Puis elle s’en alla sans bruit et gagna la rue.

Une fois dehors, elle eut un éclat de rire sauvage.

— Elle est vengée ma Pitchounette !

Et elle s’éloigna d’un pas précipité…

Quand la Sauvage rentra, on lui apprit que son amant l’attendait au salon.

Ne l’y trouvant pas, elle se sentit mordue au cœur par un soupçon jaloux ?

S’il avait été voir Démone cette mangeuse d’hommes, cette goulue d’amour !

En un instant elle y courut.

Mais au seuil de la porte elle s’arrêta, muette d’horreur.

Caudirol, percé de mille coups, gisait sur le parquet dans une mare de sang. Le monstre avait vécu.

La Sauvage fut prise d’un tremblement nerveux.

— Mort ! lui ! dit-elle en grinçant des dents.

Sa tête s’égarait.

Ce spectacle hideux, imprévu avait foudroyé sa raison.

La folie faisait battre ses tempes.

Son cerveau, brisé par la secousse, était incapable de penser.

Elle délirait :

— Ah ! oui, tu me dis de venir, mon beau mâle. Me voici.

Et soudain, ramassant l’arme jetée par l’Italienne, elle se la plongea dans le cœur…

Lorsque madame Paulia, inquiète de ne plus voir la Sauvage vint par hasard jusqu’à la chambre de Démone, elle aperçut la Sauvage couchée sur le corps de son amant.

La crainte d’un scandale qui aurait été sa perte, l’empêcha de se livrer à la douleur qu’elle ressentait.

Elle s’entendit avec son domestique de confiance et les deux cadavres disparurent brûlés dans le vaste calorifère qui chauffait toute la maison.

Sa pensée fut que la Sauvage avait trouvé Caudirol cites Démone, qu’elle l’avait tué par jalousie et qu’elle-même s’était frappée ensuite.

La vengeance de la vieille Italienne avait atteint le misérable défroqué au moment précis oh il parvenait à son but.

Madame Le Mordeley, devenue duchesse de Lormières, se trouva en pos

session, par suite de le disparition subite de son mari, d’une fortune colossale dont elle ignora toujours l’origine.

Le trésor du château et les millions du baron de Cénac étaient venus s’ajouter à sa fortune personnelle.

Il ne nous reste plus qu’à parler d’un personnage de notre roman que le lecteur n’a pas dû oublier.

La Marmite devint propriétaire de la maison de Noisy, dont il loua la plus grande partie ; de plus, il avait reçu du Docteur-Noir une somme qui lui permit de vivre agréablement pendant quelque temps.

Il aurait fini par devenir un bon bourgeois aimable et facétieux.

— Et, voilà comme quoi, Mesdames et Messieurs, disait-il déjà, les plus belles choses ont le pire destin.

Celui de La Marmite semblait être de finir honnêtement après avoir si mal débuté dans la vie.

Malheureusement pour lui, il fut repris de la nostalgie des bas-fonds.

Il retourna en amateur dans les bouges des quartiers excentriques.

Ce fut sa perte.

Un soir, il tomba dans une véritable souricière, en se rendant chez un marchand de vins de barrière.

Il se trouva en présence de ses anciens camarades.

Ceux-ci se ruèrent sur lui et l’assommèrent sur place.

Cet exploit fut le dernier des bandits, qui furent arrêtés comme ils allaient s’enfuir.

Ainsi se termina la carrière de Caudirol et de ses compagnons.


FIN